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Al,
Sommaire:
A) "Le logiciel France est en mode échec!" - Xavier Guilhou - XAG consulting
B) " La chute du mur de Bruxelles "- Xavier Guilhou - XAG consulting
C) L’enfant sans père -
Jacques Garello - ALEPS
A) "Le logiciel France est en mode échec!"
Dans un contexte global de redéfinition des leaderships à grande échelle, et aussi à très
grande vitesse, la France se singularise par une crise de régime, une crise
institutionnelle et une crise sociétale majeure sur fond de récession économique et de
montée historique du chômage. Nous avons l’impression de renouer avec les années
1935-39 où le même type de gouvernance s’est employé à ruiner la IIIème République, à
affaiblir le pays en divisant les opinions, à réduire ses capacités de défense tout en donnant
l’illusion, derrière sa ligne Maginot, d’avoir l’armée la plus redoutée d’Europe.... Nous
connaissons la suite et il règne la même impression très désagréable de fuite en avant et
d’incompétence que celles qui nous ont amenés à cette « étrange défaite » en 1940. Au-delà
ce constat et cette intuition, il règne un climat malsain et délétère de fractalisation de la
société qui devient très dangereux. Cela peut nous mener sur des cinétiques violentes sur le
plan sociétal, dont seuls les français ont le secret.
Depuis plusieurs années, et de façon plus flagrante avec le changement de majorité, pour
satisfaire une politique sans stratégie mais dominée par des réseaux, des apparatchiks, des
lobbies, similaires à ceux des « bouilleurs de crues »1, la France s’est enfoncée dans un
processus de désacralisation du pouvoir, de décribilisation de la République et de déni de démocratie. La « normalité » du Président de la République, le niveau de corruption, voire de
mensonge d’Etat qui règne au plus haut niveau de l’exécutif, les multiples scandales
administratifs, judiciaires et financiers, la présomption de mensonge permanent et de
manipulation des opinion, tous ces éléments à charge accumulés depuis des années,
jamais traités sur le fond, mal gérés sur la forme, contribuent à dégrader cette relation Etat-
nation qui est en France historiquement très fragile et toujours très sensible depuis
Richelieu.
Ce lien est en train d’éclater une fois de plus. La défiance envers les élites est désormais
considérable avec un pouvoir qui ne rassemble plus que 25% de support dans l’opinion2...
62% des français consultés considèrent que le Président actuellement en place est
« incompétent »3... Avec de tels niveaux d’alertes, n’importe quel conseil d’administration
d’entreprise aurait déjà changé l’exécutif pour ne pas subir une faillite annoncée ! La perte
de confiance dans tous les niveaux de gouvernance est l’élément dimensionnant de la
crise française. Les niveaux de colère et de déception qui commencent à s’exprimer
massivement, et avec une multiplicité de modes d’action sur le terrain, révèlent un niveau
historique de rejet des dirigeants du pays, qu’ils soient politiques ou économiques, par une
très grande partie de la population.
Certes, l’encadrement supérieur des administrations et des entreprises n’est pas très
sensible à cette rupture sociétale et il n’est pas certain que ces élites comprennent ce qui se
passe réellement dans le pays. Depuis trente ans, cette couche très marginale, mais aussi
très parisienne, s’est éloignée du destin de la France qu’elle amalgame à celui de la
mondialisation. Elle est bercée par la financiarisation de l’économie et est devenue au fil du
temps autiste du fait de son niveau de confort et d’enrichissement, non pas par le travail,
mais par le fruit de multiples spéculations mobilières et immobilières. Elle a perdu
progressivement le sens des réalités et est devenue indifférente à la dégradation globale de
la situation sociale et économique. Pire, elle est soumise et résignée à un mode de
pensée qu’elle ne maîtrise pas.
Pour le reste de la population, notamment pour le milieu et le bas des classes moyennes, la
situation est inverse. Ces catégories ont cru pendant longtemps aux sirènes de l’ascenseur
social, au mythe de l’enrichissement facile grâce à l’endettement et aux stratégies d’effet de
levier portées par le monde bancaire et financier, à l’illusion d’une société de loisirs et de
consumérisme... Mais depuis quelques années, ces populations sont confrontées aux effets
pervers des délocalisations, de la désindustrialisation, du chômage de masse, de la perte de
pouvoir d’achat4, de l’endettement, des hausses d’impôt et beaucoup plus grave à l’absence
d’avenir, surtout pour leurs enfants. Ces classes moyennes commencent à comprendre
depuis quelques temps que la crise de modèle dans laquelle l’Occident est entrée depuis
2006/2008 est durable, mais particulièrement impitoyable pour les faibles, et beaucoup trop
indulgente pour les incompétents. La défiance actuelle est assise sur un sentiment
profond d’iniquité et d’injustice.
La situation française dans le paysage international est singulière mais surtout très
dangereuse5. Certes, le pouvoir peut faire des pirouettes de communication pour donner
l’impression qu’il maîtrise la situation avec une guerre de raid contre 300 djhadistes dans le
désert pour détourner le focus médiatique et éviter de prendre en compte la population qui
descend dans la rue par centaines de milliers... C’est un biais classique en politique, mais
qui n’a fait qu’enkyster les problèmes de fond sur le plan sociétal et ce quelles que soient la
nécessité et la légitimité de cette opération militaire sur le fond... Stigmatiser la menace
extérieure, avec une instrumentalisation très facile de la germanophobie qui monte dans tous
les pays latins, est là aussi un peu facile et léger, surtout quand on connait l’état actuel des
finances publiques, de la balance commerciale et le niveau d’endettement du pays... Ouvrir
sans discernement nos frontières à certains investisseurs chinois, indiens, qataris pour
renflouer tant bien que mal les caisses de l’Etat, ou faire reprendre des passifs pourris de
banques ou d’entreprises condamnées par trente ans de perte de compétitivité est là aussi
pour le moins suicidaire à terme pour notre souveraineté...
Actuellement, le pouvoir n’est plus respecté et respectable tant pour la population française
que pour l’extérieur. Son mépris du débat, les multiples dénis de démocratie, les trop
nombreuses affaires de corruption, l’impunité des courtisans et, surtout, la récurrence
permanente du mensonge font qu’il est devenu irrecevable à l’intérieur du pays et méprisé à
l’extérieur. Tout ceci est explosif, car les français, qui sont très schizophréniques sur le
plan électoral, sont éruptifs quand il y a désacralisation du pouvoir, trahison des
clercs, et iniquité de traitement. Les français vont aux urnes en votant la plupart du temps
« contre », car ils savent qu’il n’y a pas dans ce pays de véritable contrat social, qu’il n’y a
pas de fiabilité fiscale et qu’il n’y a pas de parole politique. Le référendum dans cette
pratique infantile de la démocratie est toujours l’occasion de dire « non » à la question
posée ! Et comme le suffrage universel est toujours biaisé, il arrive un moment où la
situation devient insupportable, surtout lorsque les lobbies gouvernent, que le gouvernement
se réunit mais ne décide plus et que le chef de l’Etat n’incarne plus une vision collective.
Dans ce cas de figure, le français redevient un « animal politique » redoutable ! Si dans
le monde entier on ne retient de l’histoire de France que ses épisodes révolutionnaires, pas
toujours très heureux, ce n’est pas fortuit. Beaucoup aujourd’hui dans le monde observent la
« cocote minute » française avec une certaine inquiétude tant cette alchimie du peuple et de
son souverain est imprévisible...pour le meilleur, mais aussi pour le pire !
5 Cf. Le livre que j’ai écrit juste avant la crise en février 2007, Quand la France réagira..., Chez Eyrolles.
Tous les
symptômes que j’ai évoqués dans l’ouvrage apparaissent désormais au grand jour et ne font que s’amplifier: Cf.
Le symptôme « argentin » avec la dette du pays qui sera de 100% du PIB fin 2013, le symptôme « yougoslave »
avec la fractalisation de la relation Etat-nation, et le symptôme « libanais » avec la multiplication des zones de
non droit ainsi que la radicalisation des questions communautaires et identitaires (cf. la situation à Marseille ou
dans nos banlieues parisiennes). La conjugaison des trois est très dangereuse, surtout dans un contexte
d’implosion politique et sociétale.
Pourquoi la situation française est-elle aussi dangereuse ? A priori, pour beaucoup nous ne
représentons plus grand-chose sur le plan international. Démographiquement, nous sommes
devenus un tout petit pays. Certes, économiquement, nous demeurons la 5ème puissance
mondiale et avec l’Allemagne nous constituons un verrou incontournable, mais à la seule
condition que le mariage de raison tienne. Par ailleurs, stratégiquement nous sommes
toujours membre du conseil de sécurité de l’ONU, bien que puissance moyenne sur le plan
militaire, mais encore dotée de l’arme nucléaire et de capacités de projections aéromaritimes
non négligeables. Pour toutes ces raisons, même si nous sommes devenus marginaux en termes de taille, nous constituons en revanche un risque systémique majeur en cas de
défaillance de notre gouvernance.
Le premier risque est celui du krach interne avec une instabilité politique issue d’une
multiplicité de pics de colère ingérables et insoutenables. Les évènements en cours
depuis plusieurs mois, avec des millions de français dans la rue sur des questions majeures
de sociétés, ne peuvent plus être considérés comme nuls et non advenus comme le font
certains chroniqueurs ou politiciens. Le déni et le mépris qui sont pratiqués par le pouvoir
actuellement ne constituent pas une bonne stratégie. La spirale actuelle peut nous emmener
très rapidement, si elle n’est pas contenue et pilotée, dans un chaos politique durable, brutal
et ingérable avec des scénarios que même les italiens ne connaissent pas ...
Le deuxième
risque est celui d’un divorce avec l’Allemagne, d’un éclatement brutal de l’Euro et de
la fin de l’Union européenne. Personne n’y croit alors que ce scénario n’a jamais été aussi
flagrant et imminent. Les conséquences en termes d’ondes de choc et d’impacts
stratégiques au niveau mondial sont pour le moment inimaginables. Elles seront supérieures
à une crise au Proche-Orient car elles remettront en cause le peu qui reste des architectures
de sécurité internationale issue de Yalta et révèleront surtout les fragilités monétaires et
financières du traitement de la crise au niveau international depuis 2008. Dans les faits,
personne n’a intérêt à un tel krach, mais l’inconcevable n’est pas impensable...
Le troisième
risque est collatéral au sein du monde latin et, du fait de toutes nos relations
politiques, démographiques et économiques, avec le monde arabo-africain. Là aussi,
nous ne pouvons pas imaginer ce que pourraient être les conséquences d’une implosion de
notre gouvernance interne et conjointe à celle du système européen dans cette relation nord-
sud qui est actuellement très instable notamment sur le plan identitaire et sécuritaire.
Par ailleurs, sur le plan géopolitique, nous entrons dans un calendrier très tendu avec les
élections iraniennes en juin et allemandes en septembre. Ces deux rendez-vous vont
conditionner la stabilité des plaques régionales moyen-orientales et européennes. Pour leur
part, les rivages de la Méditerranée sont actuellement au cœur des crises les plus
délicates que nous ayons à gérer au niveau mondial. Au nord, les logiques fratricides
entre peuples latins et peuples du Saint-empire romain germanique reprennent toute leur
place. Cela se traduit par un exil fiscal pour ceux qui veulent se protéger des implosions de
système mais aussi par la fuite des cerveaux et des jeunes qui veulent trouver un avenir. A
court terme, c’est aussi le signal de la déliquescence du rêve européen et le compte à
rebours de l’éclatement de la zone euro. Au sud, derrière les printemps arabes, les logiques
frontales entre les différentes voies de l’Islam s’affirment désormais de façon explicite,
reléguant les constructions Etat-nation ou les épisodes nationalistes aux rebus de l’histoire.
Cela se traduit par un exil politique pour des millions de personnes qui fuient la montée d’un
islamisme qui ne masque plus sa radicalisation. A l’est, la zone du Proche et Moyen-Orient
s’enfonce dans de multiples guerres civiles qui consacrent définitivement la déconstruction
du tracé des frontières issues des accords Sykes-Picot, ainsi que l’échec des gesticulations
occidentales. La fragmentation en cours des souverainetés syriennes et irakiennes,
l’instrumentalisation et les menaces qui pèsent sur les minorités chrétiennes d’Orient comme
sur les kurdes, les risques d’instabilité du royaume de Jordanie et les surenchères des
monarchies de la péninsule arabique face aux pressions chiites, avec en toile de fond un
désengagement discret mais de plus en pesant des américains au profit du Pacifique, sont
des signaux annonciateurs de profonds changements de paradigmes dans les équilibres
mondiaux. Au milieu de tout ce maelstrom de crises très hétérogènes, nous avons avec Chypre, le Liban et Israël de véritables laboratoires des nouveaux rapports de force qui
s’installent durablement entre les uns et les autres sur ces rivages turbulents.
Les implosions de société qui sont en cours vont dominer durablement cet espace régional
avec des risques financiers, sociaux et identitaires qui ne pourront pas être résolus par de
simples opérations de communication politique ou par des bricolages populistes. Tout ceci
pose la question fondamentale de l’avenir de la démocratie pour nos vieux pays européens,
de la robustesse de notre Vème république, surtout quand les institutions sont dénaturées par
une forme de despotisme technocratique et quand le politique au sens noble du terme s’est
dissout dans le cirque médiatique. Cela pose aussi la question de notre place à terme dans
le concert des nations lorsque sur le Pacifique nord, loin de nos rivages méditerranéens,
s’expriment d’autres grands jeux qui structurent ce XXIème siècle avec des acteurs qui se
moquent de nos tribulations excentriques d’enfants gâtés du bout du monde... Il suffit
d’observer ce qui se passe en mer de Chine, au Japon avec l’arrivée de Shinzo Abe qui
rallume les tensions nationalistes, entre les deux Corées, dans les pays de l’ASEAN qui sont
devenus la première zone de libre échange au monde pour comprendre que notre sort ne
dépend plus que de nous-mêmes. Nous ne bénéficions plus de parapluies stratégiques pour
nous protéger et nous accompagner et nous ne pouvons plus cacher nos défaillances de
gouvernance avec Internet qui charrie instantanément sur tous les écrans du monde la
moindre faute, le moindre mensonge.
La crise que nous devons affronter n’est pas uniquement technique avec la question de la
transition énergétique et l’émergence d’une nouvelle révolution industrielle, elle n’est pas
seulement financière et économique avec la question du règlement des dettes et de la
relation de la croissance. Pour la France, elle est devenue civilisationnelle ! Elle nous
interpelle sur nos valeurs, nos croyances, nos principes de vie, sur ce que nous voulons ou
ne voulons pas devenir. Tout ceci suppose d’avoir quelque part une volonté ! Certes, là où il
y a une volonté il y a un chemin ! Mais c’est bien parce qu’il n’y a plus de volonté mais
un abandon de pouvoir et une cruelle absence de vision que nous avons l’impression
aujourd’hui d’être englués dans une sorte d’impasse historique. Camus écrivait à ce
propos « la société politique contemporaine est une machine à désespérer les hommes ». Et
Julien Green dans son journal d’affirmer « Il faut sauver l'espérance. C'est le grand problème
de ce siècle ! ». Là est la question majeure de la crise française et c’est là que se trouve la
racine de cette « erreur 404 »6 qui est signifiée par cette photo emblématique de ce jeune
français avec son masque larmoyant des « anonymous ». C’est cette erreur de protocole qui
met aujourd’hui notre logiciel Etat-nation en mode échec ! Il n’y a plus de véritables
responsables à l’adresse requise ...
Nous croyons qu’il suffit de jouer avec la boîte à outils bureaucratique pour avoir un peu
d’espoir de croissance... Nous croyons qu’avec un peu d’inflation ou d’austérité nous allons
remédier aux auto- blocages actuels... Mais cette boîte à outils des techniciens ou experts,
voire imposteurs, de la macro ou de la micro économie, qui alimentent nos modes de
représentations du réel, n’est plus en mesure de répondre à la crise de modèle et de sens
que nous traversons! C’est sur le champ beaucoup plus profond et exigeant de l’espérance
que nous retrouverons la foi dans l’avenir, mais aussi dans l’homme et dans un nouveau
projet de société et de gouvernance plus équitable et juste. Face à la montée des tensions sociétales et à la mise en faillite de notre modèle de société il n’est pas interdit de méditer
cette phrase d’Euripide : « L'homme de cœur est celui qui se fie jusqu'au bout à
l'espérance. Désespérer, c'est lâcheté !» Cette citation est particulièrement d’actualité, elle
nous interpelle sur notre courage et sur notre sens réel de la liberté et de la démocratie.
Xavier Guilhou
B) " La chute du mur de Bruxelles "
« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » La première salve a mis à terre
les premières lignes de l'article 50 du traité de l'UE, à la grande surprise des pays européens qui ne
croyaient pas que le Royaume-Uni oserait, une fois de plus. C'est méconnaître les Britanniques dont
la devise de leurs unités d'élite, les fameux SAS, est, ne l'oublions pas, « Qui ose gagne ! ». L'Union
européenne vient juste de perdre l’adhésion de la 5ème place financière et de la 8ème puissance au
monde1 ainsi que 15 % de son budget, anecdote de l'Histoire. En fait, nous commençons à assister
avec le résultat cinglant de ce référendum à une nouvelle chute d'un mur, celui de Bruxelles !
Tout les chroniqueurs commentent les effets possibles, cherchent les causes, s’agitent autour du
désarroi des politiciens de tous bords qui n’ont pour la plupart rien anticipé, persuadés que les
Britanniques resteraient « raisonnables »... Bien entendu, tout est de la faute de David Cameron, de
la trahison de ces vieux « égoïstes » qui ont voté contre ces pauvres jeunes « cosmopolites », de
l’instrumentalisation de l’immigration par les partisans du « Leave » et bien entendu de ce monstre
orwellien qu’est devenue la technocratie bruxelloise. Tous ces fautifs sont devenus en quelques
heures les nouveaux boucs émissaires à sacrifier sur l’autel de l’Histoire afin d’exorciser cette
« étrange défaite »2 des élites européennes. Ces dernières se sont bunkerisées dans une vision
uniquement économique du référendum alors que la question posée est existentielle et politique.
Elles étaient tout simplement « hors sujet », une fois de plus. De fait, l’état de confusion qui
transparait sur les ondes au lendemain de ce séisme démocratique révèle non seulement l’état de
surprise de nos décideurs mais surtout l’absence sidérale de stratégie. Pour autant, quels que soient
les constats que nous pouvons faire et les développements à venir, que signifie sur le fond ce Brexit?
De quoi s'agit-il?
En fait il n’y a rien de vraiment surprenant3. Nous ne sommes que dans la continuité de ce processus
de déconstruction, auquel nous assistons passivement depuis 30 ans, de tous les protocoles qui ont
permis à notre monde occidental de concentrer les facteurs de pouvoir et de puissance depuis
plusieurs siècles4. Les cadres mis en place au fur et à mesure de tous nos accidents historiques :
traités de Vienne, de Versailles et de Yalta sont désormais tous en logique de défaisance tant en
termes d'autorité et de légitimité que de crédibilité. Derrière la chute du mur de Berlin, les peuples
de l’Europe de l’Est, fortement soutenus par l’Ostpolitik d’Helmut Khôl et la « guerre des étoiles » de
Ronald Reagan, ont provoqué la fin du communisme et la désintégration de l’URSS. Avec la chute du
mur de Bruxelles, qui ne fait que commencer, les peuples de l’Europe de l’Ouest, sous la pression de
la crise financière et des flux migratoires provoquent la fin de l’ultralibéralisme et la désintégration
de l’Union européenne. Nous assistons juste à la mort des deux protocoles, déclinaisons de ces deux
grandes idéologies de masse du siècle dernier que sont le capitalisme et le communisme, incarnées
par les deux grands empires que furent les Etats-Unis et l’Union soviétique, dont la toute puissance
s’est affirmée sur les cendres de nos guerres fratricides en Europe. De la même façon, nous assistons
sur le Proche et Moyen-Orient à la fin des accords Sykes-Picot comme à ceux du pacte du Quincy, qui
furent les avenants des traités de Versailles et de Yalta, avec en contrepartie le retour des empires
centraux...
1 Le Royaume-Uni avec un PIB de 3 000 milliards en 2016 est classé à la 8ème position en termes de parité de
pouvoir d’achat et à la 5ème position en termes de PIB nominal, soit un PIN par habitant de 47 200 $.
Cf. http://www.lemoci.com/fiche-pays/royaume-uni 2 Relire à cet effet « L’étrange défaite » de Marc Bloch
L’Union européenne, qui est née de cette stratégie d’indivision mise en place par les alliés derrière
les accords de Yalta pour empêcher l’Allemagne de redevenir un empire central, ne pouvait pas
survivre à la chute du mur et à la réunification. Ce n’était qu’une question de temps. Les circuits
financiers ont cru avec la chute du communisme que leurs stratégies avaient vaincu le « mal » à coup
de dollars, de dettes et de bulles spéculatives. Persuadés qu’il n’y avait pas d’autre modèle viable et
durable que le seul libéralisme économique, ils ont provoqué par leur vanité et leur cupidité la
désintégration du modèle démocratique européen en moins de deux décennies. Le Brexit n’est que
la résultante de la désanctuarisation de l’Occident au travers de la mondialisation, de l’ouverture des
frontières et de la montée des flux migratoires, ainsi que des excès provoqués par les dérégulations
et la financiarisation de nos économies. La chute de Lehmann Brothers peut être considérée, au
même titre que le fut le retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan en 1988, comme le second signal
annonciateur de la mort de ces stratégies périphériques qui ont contenu l’Europe, certes dans
l’opulence pendant 70 ans, mais dans une impuissance dangereuse et insoutenable face aux
nouvelles réalités mondiales.
Contrairement aux affirmations des politiques et des éditorialistes, les peuples ne sont pas idiots. Ils
peuvent avoir des intuitions salvatrices. Ce n’est pas parce qu’ils ne votent pas comme le
souhaiteraient les élites au pouvoir qu’ils ne doivent pas être entendus et respectés. Le risque de
dénaturer, voire de neutraliser, le peu de démocratie qui demeure encore actuellement dans nos
pays n’a jamais été aussi fort tant au sein des synarchies qui contrôlent les rouages de l’Union
européenne que des collectifs ou partis populistes qui surfent sur l’instabilité des convulsions
politiques et sociétales que nous commençons à connaître. Nous vivons juste le début de la fin du
« plus jamais ça » et le retour de l’imperium allemand sur le continent européen. Pour les Anglais,
cette domination qui s’exprime en grande partie au travers des réglementations et contrôles imposés
par Bruxelles, est tout simplement insoutenable sur le plan existentiel et stratégique. C’est historique
et génétique : le Royaume-Uni, qui a la nostalgie de l’Empire, ne peut admettre d’être le vassal de
l’Allemagne, sous prétexte d’être européen. C’est bien pour cela qu’il n’a jamais souscrit à l’Euro.
Angela Merkel et surtout Wolfgang Schäuble ont parfaitement compris le message.
De fait, les Anglais préfèrent revenir aux bases du souverainisme et au vieux bilatéralisme plutôt que
de se laisser enfermer dans un pseudo fédéralisme qui n’en n’est pas un. Ce n’est pas le choix des
Français qui préfèrent une forme de subordination passive afin de pouvoir couvrir les chèques sans
provision de leurs dirigeants qui partent toujours du principe, comme l’avait affirmé Clemenceau au
moment des « réparations », que « l’Allemagne paiera ! ». Les Anglais n’ont jamais oublié que
l’infantilisme politique des Français face à l’imaginaire dominant allemand a toujours mené l’Europe
à la guerre. C’est pour éviter cela, pour travailler la résilience et faire émerger une nouvelle maturité
politique de part et d’autre du Rhin, que le traité de l’Elysée a été conçu par les membres fondateurs
de l’Union européenne. Mais c’est parce que sur le fond la substance de cette relation franco-
allemande s’est progressivement vidée de sa substance que le Brexit a pris cette dimension sismique,
au grand étonnement des élites européennes qui vivent dans leurs bulles technocratiques et
médiatiques. Ces dernières n’ont pas perçu le décrochage des opinions et les peurs séculaires des
peuples qui n’ont rien oublié des convulsions fratricides de ce vieux continent et son potentiel en
termes de répliques mortifères. Pourtant tout est là pour rappeler aux peuples la fragilité de leur état
entre les commémorations permanentes et les bruits de bottes à seulement deux heures de nos
capitales dans les Balkans, sur la Mer noire, sur les rivages de la Méditerranée ou sur la Baltique.
Quel jeu d’acteurs ?
Il est très plaisant d’observer les politiques déclamer avec beaucoup d’assurance « il nous faut une
autre Europe », « il faut inventer une nouvelle Europe », « il faut de nouvelles institutions à
l’Europe », comme si notre vieux continent était un sujet fini, homogène et stable. Tous ceux qui ont travaillé sur cet espace savent qu’il n’en n’est rien. Au contraire, c’est sûrement l’espace-temps le
plus complexe à gérer sur le plan économique et le plus difficile à piloter sur le plan politique tant la
diversité des cultures, des histoires, des peuples est dense et éclatée sur le terrain. De fait, les jeux
d’acteurs ne peuvent être simplifiés en observant le seul fonctionnement de l’Union européenne qui
ne reste qu’une vitrine virtuelle, les décisions se prenant ailleurs. Il suffit de fréquenter les couloirs
de Bruxelles, notamment ceux de la Commission avec ses jeux de lobbies qui dominent en arrière
plan chaque négociation, pour comprendre la réalité et la complexité des niveaux d’affrontements
intergouvernementaux et surtout l’importance des stratégies nationales, voire régionales, dans ce
maelstrom de 27 nations, dont les intérêts particuliers sont de plus en plus supérieurs aux intérêts
généraux. Il suffit de suivre les confrontations au cours de ces derniers mois sur l’immigration et sur
la non gestion de l’espace Schengen tant sur les rives de la Manche, les rivages de la Méditerranée
que sur les marches des pays du groupe de Višegrad, pour avoir une illustration souvent
consternante de ces réalités... L’Allemagne n’est pas la dernière à montrer l’exemple sur ces sujets
avec sa stratégie unilatérale et sans concessions qui va bien au-delà la question de l’encadrement des
déficits budgétaires et les politiques d’austérité tant décriés notamment par les Français...
Dans ce jeu d’acteurs, le Royaume-Uni est maître de l’agenda et piège le vieux continent. Puisqu’il
souhaite redevenir souverain, il n’a pas d’autres choix que de privilégier en premier lieu sa stabilité
politique interne et de contenir les pulsions de séparatismes manifestées par l’Ecosse et l’Irlande du
nord. L’UE attendra que les partis anglais aient d’abord redéfini leur mode de fonctionnement et que
le pays puisse retrouver sa robustesse légendaire. Contrairement à ce que pensent les chroniqueurs,
le Royaume-Uni est en position de force. L’Allemagne n’a pas d’autre choix que de patienter, la
France n’a pas d’autre issue que de s’agiter, l’Italie n’a pas d’autre voie que de se préparer à une
crise majeure. Ces trois pays fondateurs sont de plus contraints par leurs propres agendas électoraux
avec des dirigeants qui sont en perte de crédibilité et de légitimité tant au sein de leurs majorités que
vis-à-vis de leurs électeurs. Ils ne peuvent même pas bénéficier du support de leur principal allié qui
est lui même engagé dans une bataille électorale peu banale pour la fin 2016 avec le duel Trump /
Clinton. Ces convergences d’agendas électoraux ne peuvent que faire le jeu des Anglais !
En marge de ces jeux de majors, les « petits pays » peuvent surprendre à l’instar de ce qui s’est passé
lors de la chute du mur de Berlin. N’oublions pas qu’au-delà la dissolution de la RDA, il y a eu la
décomposition de la Tchécoslovaquie en deux pays, la sortie très rapide de la Hongrie du PAVA, puis
des pays baltes, ainsi que l’implosion de l’ex Yougoslavie, le tout en quelques mois... Beaucoup
pensent que cet effet domino n’est pas possible au sein de l’UE, que la comparaison n’est pas
transposable à l’onde de choc du Brexit et que finalement les conséquences seront mieux contenues
et maîtrisées car l’Europe est beaucoup plus puissante économiquement que ne l’était l’URSS...
Pourquoi pas, les Soviétiques raisonnaient de la même façon, ils étaient persuadés que l’Armée
rouge était toute puissante et que personne ne pourrait la défier sur leur espace vital. Au moment de
la chute du mur, les dirigeants se sont réunis pour tenter de montrer un front uni, mais ils sont restés
atones, contemplant le jeu de domino qui se déroulait sous leurs yeux impuissants. De même, ils ont
vu émerger des dirigeants qui étaient inconnus. Il serait peut-être intéressant et prudent de suivre ce
que vont faire des pays comme les Pays-Bas, l’Espagne toujours ingouvernable avec un risque de
fractalisation régionale, et de façon peut-être inattendue, les pays du groupe de Visegrad ainsi que
les pays de la Baltique qui ne partagent absolument pas les postures dominatrices des majors de
cette crise. N’oublions pas par ailleurs que la Grèce reste en embuscade et qu’elle pourrait de
nouveau relancer une sortie de l’Euro, voire de l’UE, du fait de l’intransigeance de ses créanciers, le
passage des échéances de juin ayant été de nouveau très critique...
Enfin, ne perdons pas de vue, au-delà les jeux internes au sein de l’UE, ce qui se joue sur la périphérie
de l’Europe. Le Brexit ne peut que favoriser les postures d’affirmation des puissances centrales sur la
Méditerranée orientale (Russie, Turquie, Iran), surtout avec le repositionnement américain, engagé par l’administration Obama, qui est en cours sur le Proche et Moyen orient5. Il ne peut que donner
également des idées aux Asiatiques (Chine, Japon, Corée) afin de récupérer au moindre coût nos
actifs ou territoires stratégiques fragilisés par les divisions. Nous pouvons leur faire confiance pour
savoir utiliser les fenêtres d’opportunité générées par notre absence de stratégie, nos indécisions et
notre impuissance. Il suffit de suivre les réunions qui se succèdent à Bruxelles avec désormais les 28
moins un de l’UE pour se rappeler cette phrase de Sénèque résumant ainsi l’effondrement de
l’empire romain : « Le Sénat se réunissait mais ne décidait plus ». Les marchés ne s’y trompent pas
avec l’équivalent de deux fois la valeur du PIB français détruit en 48h et l’intervention massive des
banques centrales, d’autant que le Brexit rouvre le dossier d’une nouvelle crise bancaire mondiale
avec en arrière-plan la question de l’état des dettes souveraines et des « shadow banking »6 qui
pourraient s’avérer beaucoup plus critique qu’en 2008... Mais nos dirigeants n’y croient pas, à l’instar
des dirigeants communistes qui ont mis du temps à comprendre que l’URSS était morte avec la chute
du mur de Berlin... Il a fallu 20 ans aux Russes pour l’admettre tant les croyances étaient ancrées
dans leurs cerveaux... Il est possible qu’il faudra de nouveau l’espace d’une génération pour amortir
les effets de nos propres croyances qui placent les vertus du couple croissance / dette au-dessus de
tous les référentiels de vie.
Où sont les pièges ?
Le premier serait d’imaginer que les Anglais vont revenir sur leur décision, qu’ils rejoindront la
rationalité des technocrates bruxellois et qu’ils feront plaisir à nos politiciens afin que ces derniers
puissent brandir cette victoire à la Pyrrhus pour tenter de se faire réélire en 2017. Les Anglais ne
sont pas aussi irrationnels qu’ils le laissent paraître au travers de leurs débats et postures
extravagantes vis-à-vis des peuples de notre vieux continent. Tout choix commence par un
renoncement. Il faut parfois savoir perdre pour mieux gagner. Désormais, pour retrouver un peu de
souveraineté il y a un coût à payer. Jadis, il fallait passer par une guerre, aujourd’hui il faut juste
savoir divorcer entre Etats au bon moment et avec un bon « disagio »7. Nous pouvons faire confiance
à la perfide Albion pour savoir gérer ses intérêts. Elle l’a fait récemment à Hong Kong face à la Chine,
elle devrait pouvoir le faire face à l’Allemagne.
Le second serait de sous-estimer les effets dominos, collatéraux et la rapidité des effets en chaîne
produits par cette crise. Lors de la chute du mur de Berlin tout le monde a été surpris par la pression
des peuples pour aller vers plus de liberté et pour fuir le communisme. Il se peut que le mouvement
engagé par le Brexit réveille de nouveau une forte aspiration vers plus de liberté et pour un rejet
massif de l’enfermement orwellien imposé par les marchés et les technostructures ultralibérales de
Bruxelles. Les signaux faibles sont présents dans tous les pays européens et il suffit de très peu de
choses pour que des vagues de fond se révèlent. Après, personne ne peut augurer de ce qu’elles
pourront produire. Dans les années 90, elles ont été canalisées par un Helmut Khôl visionnaire au
travers l’Ostpolitik et par la reconstruction qui avait été anticipée. Actuellement, personne ne peut
affirmer qu’il y a réellement une vision et un pilotage de la crise, du moins pour le moment, les
Allemands restant toujours très secrets et prudents sur leurs stratégies moyen / long terme.
La troisième serait de surestimer la robustesse de nos sociétés face à cette implosion du système
européen. Nos gouvernances sont faibles, très faibles. Nos systèmes bancaires sont très vulnérables
malgré toutes les précautions prises pour ne pas réitérer les frayeurs de 2008. Des pans entiers de
notre patrimoine économique, notamment en France du fait de notre perte de compétitivité, sont
« ramassés » chaque semaine par des investisseurs étrangers. Par ailleurs, les pressions sécuritaires
et migratoires au sein de nos sociétés sont de plus en plus vécues comme insupportables par les
populations qui ont compris que leurs espaces–temps étaient désormais totalement désanctuarisés.
Le Brexit, au-delà l’éclatement de l’Union européenne, pourrait très bien générer des convulsions
internes au sein de nos pays, le Royaume-Uni n’étant pas exempt de ce type de pulsions avec les
séparatismes écossais et notamment irlandais, qui a alimenté encore très récemment une guerre
civile très meurtrière. L’Europe a déjà connu maintes fois ce type de scénario où avant de s’affronter
entre pays, les effondrements sur les champs de conviction se sont d’abord traduits par des guerres
civiles dramatiques. Tous nos traités, de Westphalie à Yalta, n’ont eu de cesse d’essayer d’apaiser
nos divisions et pulsions fratricides8. N’oublions pas que tous ces artifices juridiques sont très fragiles
et que tous les demi-siècles ils ont été pulvérisés par les nationalismes et les totalitarismes de toute
sorte chaque fois que la lâcheté l’a emporté sur la lucidité et le courage.
Qui peut faire quoi ?
Tout le monde a bien compris que derrière les résultats du Brexit sonnait le clairon annonçant la
mort du « plus jamais ça ». Angela Merkel l’a rappelé en premier dès l’annonce des résultats,
consciente de la responsabilité qui pèse sur ses épaules. L’Anglais a certes ouvert la boîte de
Pandore, mais qui pouvait le faire mieux que lui ? Il a dans ses gènes cette culture de l’audace et du
risque qui le caractérise. Perdre ne lui fait pas peur, c’est juste une question de survie et de dignité...
Le Français, malade de l’Europe, comme d’habitude va essayer de jouer toutes les combinaisons et
alignements possibles, non pas pour tenter de sauver l’UE dont il se moque, mais pour sauver les
élections présidentielles à venir... Il a tout à perdre et constitue indéniablement le maillon faible du
dispositif. Sa seule tactique est de prendre tout le monde en otage en jouant médiatiquement la
victime idéale afin d’éviter d’être le prochain sur la liste9. Dans cette perspective, plutôt que discourir
sur un éventuel « Frexit », il devrait surveiller de près Wolfgang Schäuble qui ne supporte plus notre
incapacité à réformer le pays....
Quant à l’Allemagne, elle a de nouveau toutes les cartes en main, comme lors de la chute du mur.
Aujourd’hui les dirigeants allemands sont face à une nouvelle échéance stratégique avec la mise en
échec de cet ultralibéralisme qui a pris les commandes du fonctionnement de notre coexistence
européenne. Sauront-ils et auront-ils le temps de mettre en œuvre une stratégie d’apaisement et de
reconfiguration politique des institutions et du fonctionnement européen ou seront-ils ceux qui
annonceront, comme Gorbatchev et Eltsine pour le communisme, l’acte de décès du rêve européen ?
Angela Merkel finira peut-être paradoxalement comme son homologue russe avec un prix Nobel de
la paix tout en ayant contribué à rouvrir la boîte de Pandore des convulsions fratricides européennes.
Tout repose sur ses épaules, l’Europe étant désormais plus allemande qu’européenne. Dans ce
contexte, les Anglais n’ont fait que remettre à l’ordre du jour les vieilles questions de souveraineté et
de gouvernance posées depuis 1870 et qui n’ont jamais été véritablement réglées sur le fond. Telle
est la morale du Brexit : il ne s’agit que d’un simple retour à la case départ pour tout le monde ! Les
masques tombent, l’Histoire toujours tragique frappe de nouveau à nos portes.
Edito
" Brexit, Trump... vous avez dit bizarre, comme c'est étrange " Novembre 2016
C) L’enfant sans père
L’enfant sans père, la famille monoparentale ou unisexuelle : Orwell est dépassé.
Manœuvres, mensonges et reniements marquent le début effectif de
l’ère Macron. Ce n’est pas pour surprendre ceux qui avaient su
déchiffrer la « pensée complexe » du Président. Cependant, de toutes les
révolutions qu’annonce ce quinquennat la plus grave à mes yeux est
celle qui prescrit non seulement la destruction de la famille mais
surtout le sacrifice des enfants.
De l’Etat Providence , nous sommes en train de passer à l’Etat
totalitaire. Le pouvoir politique règle désormais ce qu’il y a de plus
intime, de plus personnel dans la vie de tous les Français. Par
comparaison, la loi Taubira va paraître anodine, bien que son texte eût
prévu des évolutions probables, comme la suppression de toute référence
au « père » ou à la « mère » dans les textes législatifs.
Le Président va vraisemblablement suivre l’avis du CCNE (Comité
Consultatif National d’Ethique) en faveur de l‘ouverture de la
Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux
couples unisexuels féminins (les couples masculins devront attendre
l’autorisation de la Gestion pour autrui GPA). Que les choses soient
claires : ce serait l’autorisation légale de l’ « insémination
artificielle avec donneur » (IAD).
La « légitimité » d’une telle disposition est double aux yeux de ses
partisans : d’une part, c’est « le droit à l’enfant » qui doit être
reconnu à toutes les femmes, et pas seulement à celles qui vivent (au
moins quelques heures) avec un géniteur, d’autre part « l’égalité des
genres » l‘exigerait : une femme n’a pas à se soumettre à un homme pour
enfanter.
L’enfant est exclu des préoccupations du CCNE. Le droit à l’enfant
efface le droit de l’enfant. L’avortement est déjà pour l’enfant une
interdiction de vivre. Maintenant il est autorisé à voir le jour, mais
il devra se passer d’un père. Car le père aurait un lourd passé
juridique, hérité d’une époque révolue : celui du Code Napoléon qui
allait jusqu’à lui donner le statut de chef de famille. Voilà bien
longtemps que d’autres mœurs ont remis le père à sa place, et voici
maintenant qu’on peut s’en passer totalement.
A l’image de Rousseau, les législateurs ont tendance à croire que
leur rôle est de suivre les mœurs. Il est vrai que « morale » (mores)
est un concept holiste et imprécis. Mais les règles sociales éprouvées
et acceptées sont le résultat d’un ordre spontané, tandis que nos
« progressistes » actuels, comme tous les faiseurs de sociétés
parfaites, produisent des règles sociales à partir d’un ordre créé.
Donc, la morale est décrétée par le pouvoir politique. La loi consacre
la morale.
Une telle conception est à mes yeux aux antipodes et de l’éthique, et de la liberté.
L’éthique ne peut se réduire à la pratique sociale, il y a des mœurs
barbares (comme jadis le sacrifice des enfants pour le culte de Baal,
comme aujourd’hui l’excision des filles). L’éthique n’est pas l’attribut
d’une société, elle est le fruit d’une recherche personnelle :
recherche du bien, tout comme l’esthétique est recherche du beau. C’est
un attribut réservé à l’être humain, et qui le distingue de tout autre
être du règne animal. En revanche, il est au-delà de la raison humaine
de définir avec précision une éthique commune : ce serait une
« présomption fatale ». Le principe thomiste de l‘inconnaissance
(négativité), suggère que le progrès fait son chemin par le jeu des
essais et erreurs, c’est un guide plus sûr que les projets politiques.
Les comités Théodule (au demeurant nommés par décrets), et les lois
scélérates (qui prétendent inventer l’homme nouveau) n’ont aucune
réussite à leur palmarès; elles ont conduit au contraire à la ruine et à
l’asservissement. Malheureusement aujourd’hui l’orgueil humain est à
l’œuvre : le progrès technique rend possible ce qui était naguère
impensable. Donc le techniquement possible devient moralement
souhaitable. Le clonage, le transhumanisme sont à nos portes. Mais qui
maîtriserait ce « progrès », quel sort attendrait les conservateurs
hostiles à ce que nous offrirait la science ?
Le respect de l’être humain devrait nous interdire ce chemin
liberticide. Car la liberté ne peut s’assortir d’une coercition,
fût-elle « éthique», contraignant les individus au bien tel que défini
et imposé par le pouvoir politique. Dans toutes les conceptions
libérales de l’Etat et contrairement à ce que pensent certains
opportunistes, on n’a jamais considéré l’éthique comme partie du domaine
régalien. L’éthique n’est pas affaire régalienne. L’anthropologie
libérale est celle d’un être humain en recherche d’épanouissement
personnel, doté d’une raison insuffisante pour accéder à la perfection,
mais de nature à corriger ses erreurs : celles qui diminuent son
humanité et le rabaissent à des pulsions animales. Comme le professent
nombre de libéraux, je ne crois pas que la liberté soit un principe
absolu. La liberté est un chemin, non une fin. Elle nous est donnée pour
aller vers ce qu’il y a de plus humain dans notre nature, vers ce qui
nous rend plus digne. La liberté est ordonnée à la dignité. Je n’ai pas
ici le loisir d’opposer Hayek et Saint Thomas d’Aquin, mais je crois que
l’évolution des règles sociales suit une trajectoire implicite orientée
par le droit naturel.
Aucun droit positif ne saurait survivre à l’ignorance de la nature
humaine et à l’oubli de la dignité, au respect de la vie et à la beauté
de l’amour des enfants.
L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Paris et Berlin durcissent le ton : la facture de l'UE au RoyaumeUni pour le Brexit passe à 100 milliards d'euros (@FinancialTimes) nonobstant les coûts induits.
Sommaire:
A) Brexit : Les impossibles calculs - ALEPS
B) Le Brexit menace-t-il l’Europe ? - ALEPS
C) Les textes à la une de Contrepoints
D) Le déclin des États Nations par
fragmentation, sécession et privatisation des gouvernements - Par Bertrand Lemennicier
E) La panarchie et lacoexistentialitépar Al Genestine
F) Brexit : ces 8 pays qui comme le Royaume-Uni pourraient quitter l’Union européenne - parMarie de Fournas - RTL
G) Brexit : le coup de gueule de Gaspard Koenig - Le Figaro
H) Brexit : les Britanniques soudain moins pressés que les Européens - Le Point
I) Brexit : Une pétition pour l'indépendance de Londres récolte 100.000 signatures
J) Etrange défaite à Londres - Bernard-Henri Lévy - La Règle du jeu
K) «L’effondrement de l’Union européenne est désormais inévitable» - John Laughland - http://arretsurinfo.ch
L) Brexit : une catastrophe ! Aurélien Véron
M) Brexit : un révélateur des contradictions européennes - Par Emile-Robert PERRIN - http://www.diploweb.com.
N) Brexit, le dessous des cartes L’ « euroscepticisme » et le parti conservateur britannique - Par Jacques LERUEZ - http://www.diploweb.com.
Les conséquences politiques d’un vote des Britanniques en faveur d’un
Brexit seraient sans doute considérables, la Nouvelle Lettre les
évoquera d’ici le 23 juin. Mais dès maintenant les « experts » se
précipitent pour chiffrer les conséquences économiques dudit Brexit. Ces
chiffrages n’ont aucun sens, au moins pour deux raisons : d’une part,
le nouveau paysage de l’économie britannique est inconnu ; d’autre part,
l’économie marchera au pas du politique et l’incertitude est ici encore
radicale.
Le PIB anglais diminué de quelque 5 %
Pourquoi pas ? C’est l’estimation de l’OCDE, publiée la semaine
dernière. Cette chute se produirait à l’horizon 2030, mais dès 2017 le
PIB anglais diminuerait de plus d’un point de croissance, entraînant
dans sa chute les principaux partenaires européens (Irlande, Pays Bas,
Suisse qui perdraient entre un demi-point et un point de croissance) et
menaçant aussi Allemagne et France. 5% de PIB en moins, c’est quelque
5.000 euros de moins par an pour les ménages anglais.
Si la production et le revenu déclinaient à ce point, la Livre
sterling ne s’en sortirait pas non plus, avec une dévaluation probable
de 10 %. L’inflation pourrait reprendre à cause de l’augmentation du
prix des importations. Ces pronostics sont déjà mystérieux : la
dévaluation ne serait-elle plus « compétitive » comme disent les
keynésiens et l’épargne croît-elle en conjoncture inflationniste? A
faire tourner les ordinateurs trop vite, ils finissent par chauffer.
Car, bien entendu, ces « estimations » sont le fruit de modèles
macro-économiques. Chaque administration ou institut ayant le sien, on
peut trouver des chiffres plus alarmistes encore (le Trésor britannique
donne 6,2 % de chute), l’ancien maire de Londres Boris Johnson faisant
surenchère à plus de 7 %. Les choses sont tellement claires qu’au sein
même du gouvernement ministres pro et anti-Brexit cohabitent.
L’incertitude radicale
Cette accumulation de chiffres pose le problème de tous les modèles
macro-économiques, y compris les plus sophistiqués : comment prévoir la
conjoncture d’une économie alors même qu’un évènement déterminant ne
s’est pas encore produit ? La méthodologie autrichienne plaide en
faveur de « l’incertitude radicale » : il n’y a pas en économie de
séquences modélisables, l’histoire ne se répète pas, précisément parce
qu’il y a une histoire, c'est-à-dire un enchaînement de faits et de
comportements qui modifient les bases-mêmes des estimations.
Concrètement, il y a quelques questions qui ne connaissent pas aujourd’hui de réponse :
1° Les capitaux vont-ils quitter l’Angleterre pour s’investir en
Allemagne ou en France ? L’opinion dominante chez les financiers est
qu’il faut s’y attendre, mais rien n’est moins sûr. Par exemple on ne
connaît pas ce que sera l’économie française l’an prochain.
2° Les ménages anglais vont-ils être tétanisés par le fait d’être
coupés de l’Europe ? Les partisans du Brexit sont persuadés du
contraire.
3° Les courants commerciaux aujourd’hui noués avec l’Union
Européenne ne vont-ils pas se détourner vers le Commonwealth ? On doit
se rappeler que l’une des pommes de discorde entre l’Union et la Grande
Bretagne est précisément le sort privilégié dont bénéficient les Anglais
du fait de leurs liens avec le Canada, l’Australie, la Nouvelle
Zélande.
4° La finance anglaise va-t-elle se couper de la finance mondiale,
alors même que les négociations avec la bourse de Francfort se
poursuivent et que les gens de la Cité n’ont cure des réglementations
que veulent imposer Américains et Européens ?
Le poids de la politique
La plus lourde des incertitudes porte sur les conséquences politiques
d’un éventuel Brexit. L’Ecosse entrerait-elle en sécession et
resterait-elle dans l’Union ? Quid de l’Irlande, qui bénéficie déjà d’un
statut particulier dans ses liens avec l’Angleterre ? La Suisse et les
pays scandinaves ne feraient-ils pas revivre une zone européenne de
libre-échange dont la souplesse aurait des effets stimulants sur ses
adhérents ? Enfin, et non le moindre, l’Union sortirait-elle indemne de
l’aventure ? On peut craindre que les oppositions entre libéraux et
dirigistes se radicalisent ; quels seraient les vainqueurs ?
Enfin, il y a aussi une incertitude majeure à prendre en
considération : elle concerne la vie politique anglaise, avec un
renforcement du populisme, une radicalisation des travaillistes et un
éclatement des conservateurs.
Si vous croisez des faiseurs de chiffres de Brexit, vous pouvez les saluer bien bas.
Les Anglais ont la lucidité de lutter contre l’Europe de Bruxelles
Exit la Grande Bretagne : Brexit. Face aux divisions internes du
parti conservateur, face au puissant courant anti-européen qui s’affirme
en Angleterre avec le succès électoral de l’UKIP (parti des
eurosceptiques), face aux indépendantistes écossais, David Cameron a
pris le pari d’un referendum en juin 2016 : la Grande Bretagne doit-elle
quitter l’Union Européenne ?
Le pari serait gagnant si Cameron obtenait des autres membres de
l’Union les passe-droits qu’il réclame pour son pays. La Grande Bretagne
n’était entrée dans l’Union qu’avec réticence et, comme le Danemark à
l’époque, n’a pas voulu de l’euro. La Livre Sterling a conservé son
indépendance, et la Grande Bretagne a déjà obtenu dès le début des
dérogations au « droit européen ». L’évolution de l’Union Européenne ne
s’est pas faite dans le sens libéral, mais au contraire le pouvoir
centralisé de Bruxelles, l’expansion du budget et de la législation, ont
renforcé les craintes britanniques.
Beaucoup d’observateurs ne pensent pas que Cameron parviendra à
infléchir l’Allemagne, elle aussi assez critique du poids de Bruxelles
et de la gestion de l’euro : la Chancelière peut-elle affronter
ouvertement la France, l’Italie, voire l’Espagne ? D’autres font
remarquer que le Brexit serait suicidaire pour l’économie britannique,
les pays de l’Union étant ses principaux partenaires. Mais les courants
commerciaux et financiers avec l’Europe seraient-ils rompus ? La Suisse
et la Norvège ne vivent pas en autarcie. Enfin, la Grande Bretagne a
d’autres partenaires hors d’Europe : d’un côté l’énorme Commonwealth,
incluant Australie, Canada, Inde et Nouvelle Zélande, et de l’autre les
Etats-Unis.
Quant aux Européens, ils auraient peut-être avantage à calculer ce
que leur coûterait le Brexit. Mais est-ce le souci de Jean Claude
Junker, des commissaires et parlementaires européens, sans parler des
lobbyistes installés à Bruxelles ? En fait c’est toujours le conflit
entre Europe puissance et Europe espace qui domine la question. C’est le
conflit entre Europe dirigiste, socialiste, et Europe ouverte et
libérale. Le Brexit ne concerne pas que les Anglais, car les Anglais
demandent qu’on se prononce enfin sur la vraie nature de l’Union
Européenne.
D) Le déclin des États Nations par
fragmentation, sécession et privatisation des gouvernements
Faut-il créer un État
Mondial en donnant à l'ONU le droit de taxer chaque État national afin de
développer une force militaire permanente
d'intervention internationale, de transformer le Fonds monétaire
International en banque centrale indépendante et prêteuse en dernier ressort
avec une seule monnaie, le Terra ou le Phoenix, ayant cours forcé et légal sur la
terre entière? Faut-il créer un État Fédéral Européen centralisé ou faut-il, au
contraire, instaurer une concurrence entre les différents États membres ?
Faut-il supprimer les États nationaux européens et l’Etat français en laissant
aux Basques, aux Bretons, aux Alsaciens, aux Niçois, aux Savoyards, aux Corses
ou aux habitants de l’ex-république des Escartons le droit de vivre à leur
guise et de gérer leurs relations inter individuelles dans le cadre d'un État
de Droit, sans États nationaux, ou supra nationaux ?
Fallait-ilcréer, en Afrique du Sud, une
confédération d'États regroupés en fonction des ethnies ou fallait-il créer un État
unique avec des chambres noires, cuivrées, jaunes ou blanches ? Était-il
astucieux de reproduire le schéma classique d'une république une et
indivisible, soumise aux caprices des majorités de rencontre ou à la dictature
d'une ethnie comme cela se produit dans certains pays d'Afrique Noire : le
Zimbabwe par exemple? L'histoire contemporaine a déjà donné certaines réponses:
l'URSS s'est désintégrée en raison de la sécession des États nationaux. À
l'intérieur même de ces États, de petites entités réclament leur autonomie, au
besoin par la force. Des unions se séparent pacifiquement comme la République
Tchèque et celle Slovaque, et d’autres dans la violence comme en Yougoslavie ou
en Ukraine. En cette fin de XXe siècle et début du XXIe, nous assistons à une
vaste remise en cause de l'État Nation qui a émergé à la fin du XIXe siècle et
s’est développé au XXe. Des États Nations, qui ont adopté des
régimes politiques totalitaires, ont tué massivement leur propre concitoyens[1]. Quelles sont les raisons de ce déclin par fragmentation ?
Le déclin de
l’État Nation par fragmentation
Le 18
septembre dernier les écossais ont décidé, par référendum, de rester dans le
Royaume Uni au lieu de redevenir un État souverain. La question posée était
simple :
"Souhaitez-vous que l'Ecosse devienne un pays indépendant ?
Oui/Non
Les
écossais, partisans du oui, supposent que, séparé du Royaume Uni, leur destin
sera meilleur que de rester dans l’union. Les partisans du non pensent le contraire [1].
Le problème soulevé par ce référendum est intéressant
à plus d’un titre et peut être généralisé à n’importe quelle union, y compris
l’Union Européenne, mais aussi à n’importe quelle région d'un État :
Ukraine, Syrie ou Turquie.
Les écossais, partisans du oui, supposent que, séparé
du Royaume Uni, leur destin sera meilleur que de rester dans l’union. Les
partisans du non qui l’ont emporté pensent le contraire [1].
Cela
vaut aussi pour l’Union Européenne (UE). Le Front National, un parti politique
français, propose de quitter non seulement l’euro ou l’espace Schengen mais aussi
l’Union Européenne. Si ce parti arrive au pouvoir, il proposera un référendum à
la population française pour savoir si elle souhaite quitter l’UE. Un tel
référendum sur le « Brexit » est prévu en 2017 pour les britanniques. En
effet, ce qui vaut pour les Écossais peut valoir pour les Français
vis-à-vis de l’UE. Mais vaut aussi pour les Bretons, les Alsaciens, les
Basques, les Normands, les Gens du Nord, les habitants de la Provence Côte
d’Azur, les Corses, les Franciliens ou les habitants de l’ex république des
Escartons, eux aussi pourraient légitimement demander la séparation et l’indépendance
de leur région à l’égard du pouvoir central parisien. Ce qui est vrai des
régions françaises le serait aussi pour les allemands, les espagnols et les
italiens, comme pour le Royaume Uni lui-même, réduit à la terre l’Angleterre.
L'Europe éclaterait en une multitude de petits pays indépendants
[2] associés ou non
dans une confédération. Pourquoi s’arrêter aux régions ou provinces ? Les
sécessions territoriales peuvent concerner les villes qui
deviennent villes libres et/ou États Cités : Paris enfin libéré… de la
tutelle étatique française.
La
fragmentation des États n’est pas une nouveauté, c’est même la caractéristique
fondamentale de la fin du siècle dernier et du début du siècle dans lequel nous
vivons. La majorité des États dans le monde ont une petite taille depuis que
les grands empires ont implosé soit naturellement, soit suite à des guerres
d’indépendances. Le nombre d’États en 1950, membres de l’ONU, était de
51. En 2012, cette organisation reconnaissait 197 États souverains! Parmi les
27 États de l’Union Européenne, 16 ont une superficie inférieure à 100 000
km2. 22 ont une population moyenne de 7,2 millions d’habitants. La Flandre et
la Wallonie sont proches de la sécession, la Catalogne en prend le chemin
et l’Ecosse a failli reprendre sa souveraineté abandonnée par l’acte d’union de
1707. N’oublions pas le référendum sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie
qui touche les français, ni la dissolution de l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques (URSS) le 26 décembre 1991. L’éclatement de celle-ci en
une multitude d’États souverains laisse encore des
traces, aujourd'hui, avec des annexions et des mouvements
séparatistes en Ukraine ou en Tchétchénie. Les guerres de sécessions des années
1990 dans les Balkans avec le Kosovo, la
Slovénie, la Croatie, le Monténégro sont encore dans les mémoires, la sécession
de la Transnistrie en Moldavie, de l’Ossétie du Sud en Géorgie aussi. Le
gouvernement Chinois fait face lui-même à de tels mouvements en Mongolie
intérieure sans compter la Birmanie, et le Moyen orient avec le Kurdistan turc
ou irakien, et en Syrie avec le retour de formes étatiques d’autrefois :
le califat islamique. Que dire de l’Afrique avec le Mali, le sud du
Maroc, la Mauritanie, la Kabylie en Algérie, le Somalie land, le Soudan du sud,
l’Érythrée. S’il y a un phénomène politique majeur contemporain qui menace les États
Nations, c’est bien celui de la sécession.
La
question de la taille optimale d’un État
L’avenir
politique des États nations ne semble pas résider dans la construction ou dans
l’union de grands États en dépit de la construction européenne comme futur
grand État ou de l’État mondial que certains appellent de leurs vœux.
En
revanche, pour beaucoup de personnes, cette fragmentation et sécession en
entités politiques plus petites est un grand pas vers les libertés
individuelles dans une société ouverte au reste du monde. C’est une force de
progrès. Pour bien comprendre pourquoi il en est ainsi, il faut revenir sur la
question de la taille « optimale » d’un État nation.
Les
économistes, dont on connaît la curiosité légendaire, se sont intéressés à la
sécession et/ou à la taille des États, à la structure de leur gouvernance, à
leurs unions ou cartellisations et dissolutions ou séparations. Plusieurs
auteurs s’y sont essayés dont D. Friedman (1977)[3], J.Buchanan et R. Faith (1987) [4] ;Withman D (1991)[5], J.J. Rosa (2000)[6], A.Alesina et E. Spolaore (2003)[7] pour ne mentionner que les plus
connus sur ce sujet. Leurs arguments peuvent nous aider à comprendre ce
phénomène politique qu’est la fragmentation des États modernes.
Une
première idée, celle de Withman et Rosa, consiste à faire l’analogie entre les États, les entreprises ou les individus. Ces
derniers s’unissent, se marient, se séparent, divorcent, font faillite, se
rachètent entre eux ou se remarient. La thèse des économistes est d’une
simplicité désarmante : les chefs d’entreprises, les individus et les
hommes d’État décident de mettre en commun les ressources et les talents dont
ils disposent lorsque, pris ensemble, la combinaison de ces facteurs de
production génèrent plus de satisfactions et de richesses que pris séparément.
Ils se séparent dès qu’il n’en est plus ainsi. Cette théorie repose sur l’analyse
du Prix Nobel Ronald Coase (1937) sur la nature de la firme. Les Pères
fondateurs de l’Union Européenne après tout avançaient un argument de ce
type : « pris ensemble, les États Européens se feraient moins la
guerre que pris séparément».
Les
gains attendus d’une union de deux États (ou de deux entreprises), proviennent
essentiellement : 1) des économies d’échelle ou d’envergure dans la
production de biens ou services dits « publics » qu’ils
offrent aux citoyens dont le coût, pour une technologie donnée, diminue avec la taille de la population et/ou
la distance ; 2) de la spécialisation économique induite par des différences
de productivité et des économies de
coûts de transaction que permet la suppression des barrières étatiques
entre les pays de l’union. Les coûts de produire pris ensemble plutôt que pris
séparément prennent racines dans le mode gouvernance (c’est-à-dire la structure
de contrôle, pour les États il s’agira de la forme du régime politique :
démocratie parlementaire ou présidentielle, autocratie, Monarchies, Monarchies
parlementaires), le partage des gains de l’union (transferts entre membres de
l’union des gains de l’union) et de la congruence des préférences sur les buts
poursuivis par l’union (homogénéité ou hétérogénéité des préférences des
partenaires à cette union). Ce raisonnement peut être appliqué à l’union
européenne ou à la zone monétaire qu’est l’Euro. Mais il peut s’appliquer aux
régions françaises.
L’autre
idée, celle de Friedman, Buchanan/Flair, ou Alesina/ Spolaore, est de regarder l’État
d’une façon plus réaliste. En effet, il y a une différence fondamentale
entre un État et une firme. Les échanges entre les propriétaires d’une firme,
les actionnaires et les consommateurs reposent sur un consentement révélé par
l’achat ou une vente de titres de propriété sur des biens ou services Les échanges entre un État et les habitants
qui vivent sous son autorité reposent sur l’extraction d’une rente (un impôt)
et l’usage de la force ou de sa menace par une faction politique, disposant temporairement [8] de son monopole.
L’extraction de cette rente sur des richesses acquises légitimement par le
travail des habitants peut être plus ou moins consentie en fonction de la
structure de gouvernance de l’État. Les gains attendus de l’extraction de
l’impôt dépendent de la taille du pays et de la productivité de ses habitants.
Ces gains sont limités par le coût d’entretien du monopole de la coercition et
le coût du prélèvement de l’impôt lui-même. Ces deux visions
permettent d’organiser le débat sur l’indépendance d’une région qui voudrait
faire sécession d’un État Nation et de mieux comprendre les soubresauts de
notre monde contemporain.
Le déclin des structures hiérarchiques des
États Nations : fragmentation, fédéralisme et ou sécession
Commençons
par la première interprétation. Pris ensemble l’Ecosse, l’Angleterre, le Pays
de Galles, l’Irlande du Nord, la Flandres et les pays Bas produisent-ils plus
de richesses pris ensemble que pris séparément ? Du coté des gains nos
auteurs notent les économies d’échelle ou d’envergure [9] liées à la
production de certains types de biens dits publics comme la défense, la
justice, le droit, la langue, les réseaux routiers ou ferroviaires, les
communications, l’éducation, la protection sociale ou la santé. Plus la taille
du territoire de l’union est grande en superficie, plus la production de ces
biens profiterait des économies d’échelle et d’envergure[2].
Le mariage de territoires adjacents peut permettre de saisir ces économies en
partageant, entre les membres de l’union, les coûts fixes de production dont le
coût variable diminue avec la distance ou la taille de la population. Pourquoi
s’arrêter à l’Ecosse ? L’union pourrait s’étendre à d’autres
pays successivement adjacents aux nouveaux entrants
[10] et finalement pourrait
englober le monde entier. D’où l’idée récurrente d’un État Mondial
préfiguré par des institutions internationales comme l’ONU et le conseil de
sécurité (Défense), le FMI comme banque prêteur en dernier ressort imposant une
monnaie unique, la banque mondiale comme banque d’investissement, l’OMC pour
les traités commerciaux, l’OIT pour le marché du travail, Le tribunal pénal
international pour les chefs d’États, l’OMS pour la santé etc.
La
taille de l’union est vite limitée par les déséconomies d’échelle et
d’envergure qui peuvent apparaître et/ou les coûts d’administration de l’union,
de contrôle d’opportunisme des pays membres, des conflits dans le partage des
gains de l’union entre les membres et hétérogénéité des préférences
sur les buts poursuivis par l’union qui augmentent avec l’admission de nouveaux
entrants. Les coûts d’administration de l’union et les difficultés de sa
gouvernance seront d’autant plus élevés que le nombre
des participants à l’union augmente et que les préférences des partenaires
sont hétérogènes.
Selon
cette théorie, une union entre États et/ ou entre régions tendra à se
développer jusqu’à ce que l’admission d’un État (ou d’une région) adjacent (e)
supplémentaire ne permette plus de saisir des économies d’envergure ou augmente
les coûts d’administration, de gouvernance et d’hétérogénéité des préférences
au-delà des gains attendus. Une désunion surviendra dans le cas contraire
lorsque, pris séparément, c’est-à-dire en se fragmentant, les coûts
d’administration, de gouvernance et d’homogénéisation des préférences sont
inférieurs à ceux observés lorsqu’il y avait une union. Avant d’en arriver à la fin de l’union, des
structures intermédiaires peuvent apparaître pour la maintenir en diminuant
certains coûts d’administration et d’hétérogénéité des préférences. Le
fédéralisme est une telle structure politique où une dévolution du pouvoir est
accordée à certaines parties territoriales de l’État moderne. Pour que le fédéralisme fonctionne de manière
satisfaisante, il faut que trois conditions essentielles soient remplies. La
première est que les juridictions de niveau inférieur aient le pouvoir de lever
l'impôtpour financer les fonctions qu'elles assument. La
deuxième que les responsables locaux soient désignésdirectementpar les électeurs relevant
de leur juridiction. Cela permet de mieux aligner leur système de motivation
sur les désirs et préférences de la population locale. La troisième condition
implique que l’électeur puisse voter avec ses pieds pour mettre en compétition
ces juridictions locales et les hommes politiques qui en ont la charge. Il est
avantageux de les mettre en concurrence parce que cette compétition par le
“vote avec ses pieds” permet d’une part de minimiser les frustrations des
minorités et d’autre part élimine à long terme les législations qui oppriment
les citoyens. C’est le modèle de Tiebout (1956)[3].
La substitution entre le marché et l’État,
fragmentation par privatisation des services régaliens
Tous les biens ou services à forte
économies d’échelle ou d’envergure peuvent être obtenus, aujourd'hui, à un coût
plus faible sur le marché mondial parce que les firmes privées qui produisent
ces biens et services sont en compétition entre elles et réalisent ces
économies d’échelle et d’envergure à une taille bien supérieure à celle que
peut offrir l’espace restreint de ces entités locales que l’on appelle États
nations, et ce grâce à la libéralisation des échanges internationaux[13]
Cette
évolution est générale. De plus en plus les services régaliens des États sont
concurrencés dans la production des biens dits publics par le marché lui-même.
L’externalisation de la défense d’un territoire par des armées privées, en est
un exemple célèbre. Cette externalisation rend obsolète les gains attendus de
l’union puisque pris séparément on
peut obtenir les mêmes services et moins chers avec des entreprises privées ou
des ONG en compétition sur le marché mondial. Les coûts d’administration, de
partage des gains et de préférences hétérogènes ont simultanément augmenté.
L’immigration massive de personnes de culture différente sur le marché du
travail a modifié la congruence des préférences de l’ensemble de l’union, les
transferts liés à la protection sociale modifient le partage des gains dans
l’union elle-même, et la structure de gouvernance, sous la logique de l'extension du pouvoir et sa concentration dans
les mains de quelques-uns, a éloigné les électeurs des pays
adjacents des décisions centrales du gouvernement de l’union. Les gains de
l’union ne sont plus compétitifs vis-à-vis
de ceux obtenus sur le marché mondial.
Cette
évolution, qui frappe tous les États nations, pousse au divorce et à la
sécession des entités politiques qui les composent. L’Ecosse en est un exemple
qui aurait pu faire tâche d'huile. Les hommes politiques anglais en étaient
conscients depuis longtemps. Si le gouvernement de Londres ne veut pas de
la sécession, c’est qu’il pense que la contribution de l’Ecosse au Royaume Uni
est profitable pour l’ensemble de l’union. Si Londres tient à l’Ecosse, il
suffit au gouvernement d’acheter le maintien de l’Ecosse dans l’union par des
transferts d’argent et de souveraineté jusqu’au
point où un abandon de souveraineté ou un transfert supplémentaire réduit à
néant l’intérêt de prolonger l’union avec l’Ecosse. Cette politique de
transferts est menée depuis longtemps par le gouvernement britannique avec la
création du parlement écossais en 1999. Au fil du
temps le parlement écossais a obtenu presque tous les pouvoirs exceptés
les affaires étrangères, la monnaie, l’énergie, la
fiscalité et la défense qui restent du ressort de Londres. Mais la limite est
atteinte.
_________________________________
23%
des écossais sont prêts à payer quelque chose pour rester dans l'union.
26% sont prêts à payer pour sortir de l'union.Si on se reporte aux
habitants du pays de Galles et de l'Angleterre, 10% d'entre eux sont
prêts à payer pour que les écossais restent dans l'union et 6% pour
qu'ils la quittent. 70% des autres ne sont pas prêts à payer quoique ce
soit pour qu'ils restent ou quittent l'Union. The Economist 2 Mai 2015.
______________________________________
On voit tout de suite où le bât blesse : pour rester dans
l’Union les écossais peuvent demander aux anglais la pleine restitution de la
rente pétrolière [14]. Le gouvernement de Londres s’y refuse, car les autres membres devront
payer l’énergie au prix du marché mondial dicté par les cartels des pays
pétroliers[15] Si l’Ecosse quitte
l’union, le gouvernement central ne peut plus prélever d’impôts sur les
écossais, la base fiscale du Royaume Uni se réduit drastiquement et la rente
fiscale ne pourra plus être aussi facilement détournée pour satisfaire les
intérêts privés de l’oligarchie qui gouverne le Royaume Uni. Cela nous introduit
à l’autre facette des États modernes : la prédation.
La vision réaliste: l’usage du monopole de
la force, l'accaparement des rentes naturelles ou fiscales au profit de
l’oligarchie au pouvoir.
La base fiscale est le pouvoir suprême de tous les États modernes. Sans le
prélèvement de l’impôt (ou de l’accaparement des rentes d’une ressource
naturelle qui a une valeur sur la marché mondial) les hommes d’État ne sont
rien. On comprend mieux la panique du gouvernement anglais si l’on se tourne
vers la face de l’État correspondant à la fiscalité.Cela
nous renvoie à la conception de l’État Léviathan et à la
logique du pouvoir qui repose sur deux lois fondamentales :
l’extension pure du pouvoir de taxation et la concentration de ce pouvoir dans
les mains de quelques uns.[4]
Ces deux lois valent pour n’importe quel régime politique fut-il démocratique. Cette
analogie éclaire le débat sur la sécession. Dans chaque État nation émerge deux classes d’individus : celle qui
détient le pouvoir, la classe des hommes politiques qui décident de l’usage du
monopole de la force pour prélever l’impôt et celle productive sur laquelle ce
tribut est prélevé[5]. Il s’agit d’une lutte entre deux classes deux
factions politiques, l’une écossaise (de gauche) [16] et l’autre
anglaise (de droite) qui cherchent à extorquer une rente fiscale optimale sur
les habitants qui sont sous leur juridiction. L’enjeu est celui de la rente
pétrolière que chacun veut s’accaparer et de la base fiscale écossaise dont
seront privés les autres membres de l’union si l’Ecosse retrouve sa
souveraineté.
Le
chiffre d'affaires des hommes d’État, c'est le volume des recettes fiscales
(qui est le produit d’une base taxable et du taux d’imposition) et des autres
revenus obtenus des activités domaniales (produits des capitaux et rente
pétrolière) ou des monopoles qu'il contrôle (celui du monopole d'émission de la
monnaie offrant l’opportunité de pratiquer l’illusion fiscale par l’impôt
d'inflation pour annuler les dettes publiques). La stratégie retenue par les
hommes politiques est celle d’extraire une rente
maximale des monopoles fiscaux, monétaires et du domaine (les ressources
pétrolière par exemple) dont ils disposent temporairement ou non au profit de
ceux qui les ont portés au pouvoir.
La
dimension des États va dépendre non seulement du rendement attendu de la rente
nette des coûts à extorquer ces revenus mais aussi de la structure de contrôle
du chaque État sur sa propre population, de la concurrence qui s’exerce entre
les classes dirigeantes de différentes nations pour accroître leur base taxable
par une baisse du taux d’imposition qui leur permet d’attirer les classes productives
des autres États locaux. L’accroissement de la base taxable multipliée par un
faible taux d’imposition peut procurer plus de recettes fiscales qu’autrement.
Pour ne pas voir leur base taxable être réduite par une concurrence fiscale,
les classes dirigeantes ont une forte incitation à constituer des ententes et
donc des unions ou bien des États intégrés plus grands. L’extension du pouvoir sur
la base taxable et l’accaparement de la rente des ressources naturelles
monnayables sur le marché mondial se fait soit par l’union des deux classes
d’hommes politiques et de ceux des groupes de pression qui les soutiennent ou
par la guerre et la défaite de l’une d’entre elle.
Revenons
à la dimension optimale d'un État Léviathan formé par l’union de plusieurs
classes dirigeantes de plusieurs États dans un régime politique donné. L’union
de ces classes d’individus du futur Léviathan doit étendre la base taxable le
plus loin possible jusqu’au point où le coût d’étendre ce pouvoir de coercition
à une unité géographique supplémentaire pour les membres de l’union excède le
gain tiré de la rente fiscale de cette unité. Il y a donc une limite à la
taille du Léviathan parce que les coûts d’extorsion sont croissants et les
rendements attendus décroissants en fonction de la distance où le Léviathan a
localisé le centre de ses décisions.
C’est
la raison fondamentale pour laquelle, il y a, géographiquement, de la place
pour plusieurs Léviathans qui se partagent la taxation sur des territoires
adjacents et non pas un seul Léviathan dominant l'ensemble du monde. Chacun
marque, par des frontières, l’aire de son pouvoir de taxation vis-à-vis des
autres classes de dirigeants locaux[6].
Une fraction des revenus de la taxation comme des réglementations édictées par
le pouvoir central du Léviathan sont investis dans la productivité des
habitants afin d’augmenter le niveau de leur production et accroître les
recettes fiscales futures. Une autre partie est consacrée aux dépenses pour
réduire l’hétérogénéité de la population qu’il a sous son contrôle via une
éducation nationale [17]. Par ailleurs, la
faction au pouvoir doit composer avec ses sujets pour les empêcher de se
révolter ou de s’évader ou de se détourner des activités productives intensives
en recettes fiscales. Une autre fraction des recettes fiscales est
consacrée au maintien d’une obéissance civile minimale (police, renseignements
généraux, gendarmes mobiles, compagnie républicaine de sécurité) et à un niveau
d’emploi générateur d’impôts [18] pour enrichir la classe
des prédateurs et des groupes de pression qui les soutiennent[7].
Enfin et non des moindres, il faut consacrer des ressources tirées des recettes
fiscales pour partager les gains et maintenir ces classes de prédateurs des
différents membres de l’Union dans l’entente.
Du point
de vue du Léviathan, les gains d’une union réside dans la capacité à saisir des
économies d’échelle ou d’envergure dans la technologie civile et militaire de
lutte contre les insurrections et l’évasion fiscale pour contrôler un territoire plus vaste à un
coût plus faible qu’auparavant. Ainsi un investissement de 20 milliards d’euros
dans ce contrôle de la population coûte 100 000 d’euros par tête dans un pays
de 200 000 habitants, 1000 euros par tête dans un pays de 20 millions
d'habitants et seulement de 100 euros par tête dans un pays de 200 millions
d'habitants. Ce contrôle peut alors être développé sans que le contribuable s’y
oppose car le coût de se rebeller contre le Léviathan excède les 100 euros.
(Voir Rosa (1998,2000)[8].
Une diminution brutale du coût de cet investissement déconnecté de la taille de
la population modifie le pouvoir fiscal du Léviathan.
Concurrence fiscale et mondialisation
Le
coût de l’union ou d’un État intégré est tributaire des coûts administratifs du
prélèvement fiscal et de l’hétérogénéité des populations quant à leur degré de
résistance à l’impôt. Là aussi la mondialisation via les progrès des nouvelles
technologies d’information, de communication et de financiarisation ont
sérieusement limité les économies d’envergure et ou d’échelle réalisé dans la
lutte contre l’insurrection, la désobéissance civile, l’évasion fiscale ou
l’homogénéisation des préférences via l’école.
Les
contemporains sont frappés par le fait que les synergies entre la téléphonie
mobile et internet permettent de maintenir des liens étroits entre les membres
de différentes communautés familiales, religieuses ou doctrinales même si leurs
membres sont éclatés dans différents territoires parfois distants de milliers
de kilomètres. Le contrôle des croyances par le Léviathan est devenu
particulièrement difficile dans ce contexte. L’individualisation et
l’hétérogénéité des préférences se développent au sein de chaque État Nation,
membre de l’union, suite aux mouvements de population par émigration ou immigration rendant plus coûteux l’homogénéisation des croyances voulu
par le Léviathan.
L’extension
de la base taxable par l’intermédiaire d’une union ou d’une intégration n’est
donc plus aussi intéressante qu’autrefois. Le Léviathan, renonce à l’union et substitue
à l’extension de la base taxable, la hausse des taux d’imposition présents et
futurs (via la dette publique). C’est la raison pour laquelle les Léviathans
préfèrent constituer des ententes entre eux pour limiter la concurrence fiscale
que de créer des unions visant l'intégration dans un État plus grand.
Si
l’avenir semble plutôt favorable aux mouvements de fragmentation, cela ne veut
pas dire que les choses se passeront à l’amiable. Quand l’autonomie par
la dévolution des pouvoirs et les transferts compensatoires, pour
maintenir les États dans l’union, ont été réalisés, aller plus loin devient
rapidement un casus belli, car on frappe au cœur même le pouvoir des classes
dirigeantes du Léviathan. Les guerres de sécession ou d’indépendance deviennent
l’ultime recours pour les séparatistes.
La sécession en micro-États comme force de progrès
Cette
fragmentation des grands États en micros États est-elle favorable à la
croissance et au bien-être des populations ?
« La meilleure chose à faire pour la liberté serait de diviser
l’Europe en plein de petits États. Cela vaut également pour l’Allemagne. Plus
l’expansion territoriale de l’État est petite, plus il est facile d’émigrer et
plus l’État doit se montrer conciliant envers ses citoyens, afin de garder ceux
qui sont productifs[21]» Nous dit H. H. Hoppe.
A
défaut de copropriétés multiples en compétition[22], la petite taille des États est garante
d'une imposition modérée et du respect des droits de propriété comme des droits
individuels parce qu'un petit État a beaucoup de concurrents proches et que le
vote avec ses pieds est plus facile à mettre en œuvre pour sanctionner les
dirigeants prédateurs de cette entité politique. Dans un État central (même
fédéral) dominant de vastes territoires, le pouvoir d'imposer des taxes et
réglementations est plus facile à mettre en œuvre car le coût d'émigrer est
plus élevé. Un petit État ne peut mettre en œuvre une telle politique
d'expropriation. Les individus émigrent et, par ailleurs, les entreprises
quittent le petit État sans qu'il puisse en attirer de nouvelles, car celles-ci
sont toujours à la recherche de la fiscalité la plus faible et des
réglementations les moins contraignantes.
Les
micros États qui offrent de tels avantages, faible taxation et réglementations,
se développeront mieux que les autres. Cette forme, décentralisé et concurrentiel des micros
-États n'a donc rien d'absurde ni d'utopique. A bien y réfléchir, on en
retrouve de nombreuses traces dans l'histoire européenne. La concurrence entre
petites unités de gouvernement était la règle du Saint Empire Germanique, en
particulier en Italie et en Allemagne. :
Cités-États de l'Italie du nord, Allemagne du Sud et Pays Bas sécessionnistes La ligue Hanséatique, On peut rappeler qu'au XVII siècles, l'Allemagne
était composée de 234 comtés, 51 villes libres et de 1500 manoirs de chevaliers
indépendants Beaucoup de
ces principautés étaient de taille extrêmement réduite. Des auteurs sont
aujourd'hui convaincus que c'est précisément à cet état d'extrême concurrence
politique que l'Europe doit l'émergence de son inventivité technique,
économique et artistique. On explique ainsi l'origine du capitalisme
(Baechler
1971)[9] par le fait même que celui-ci émerge dans un monde
politique composé d'innombrables entités politiques Cette forme, décentralisée et
concurrentielle des micros–États est parfois associée au nouveau fédéralisme de
Tullock(1997)[10]
L'intégration économique est le contraire de
l'intégration politique.
L'un est le
développement pacifique des échanges et des marchés, l'autre est l'expansion
territoriale du pouvoir de taxer, d'exproprier et de réglementer. L'intégration
économique de micros États dans l'économie de marché pacifie les relations. En
revanche, l'expansion des États vers des dimensions territoriales plus grandes
comme la tentative d'un État européen (ou Mondial) est une source permanentes
de conflits et de guerres. Quand ce phénomène de concentration et de
centralisation des États s'accompagne d'une nationalisation des États
(disparition des Monarchies) il n'existe plus aucun frein à la croissance des
impôts et des expropriations réglementaires autre que le libre échange
international ou l'implosion interne par la sécession.
Des fonctions régaliennes sans territoire
à la privatisation des gouvernements
Toute
entente crée deux forces de désintégration, l’une externe par la fragmentation
des États qui accroît la concurrence entre prédateurs, l’autre interne par la
modification de la gouvernance des États et sa structure de contrôle
(révolution, désobéissance civile, contre société,)
L'ouverture
des économies et la mobilité des capitaux comme du travail ont en fait amoindri
la capacité de taxation et de redistribution des États contemporains.
Simultanément les grandes entreprises privées opérant sur le marché mondial
saisissent des économies d’échelle et d’envergures dans la production des biens
publics largement supérieurs à ce que peut offrir chaque État pris séparément,
peuvent être incitées à offrir « clés en mains » certains services
régaliens propres à assurer la protection de ces micro-États en compétition
avec d’autres. La production de la monnaie par des banques privées ou des
grandes entreprises voire par des communautés d’internautes (bitcoin e-gold,
etc.) élimine le système bancaire protégé par une prêteur en dernier ressort
appelé banque centrale ayant le pouvoir d’imposer la circulation de sa monnaie
pour en tirer un revenu fiscal et surtout un moyen d’éteindre les dettes
publiques. Les grandes banques de surface mondiale comme les grandes
multinationales ont rendu l’évasion fiscale plus sûre et moins onéreuse pour
les classes productives qui veulent échapper aux impôts locaux en dépit de la
lutte concertée des classes dirigeantes locales contre celle-ci.
Les
tribunaux et instances arbitrales se trouvent en compétition avec les
externalisations des services régaliens et la concurrence des droits par
reconnaissance mutuelle des normes permet de rendre cette fonction régalienne a territoriale, chacun choisissant le
droit qui lui semble le plus approprié pour régler les conflits qui l’oppose
aux autres cocontractants. La loi des marchands, les prud’hommes pour les
conflits du travail, l’arbitrage du cabotage maritime (y compris les conflits entre micros-États
puisque les règlements des conflits entre membres de l’OMC) se font toujours
comme autrefois par arbitrage privé. L’avantage principal est que la structure
de gouvernance des micros États se privatise sous forme de copropriétés, villes
privées ou cités États. La gouvernance de ces micros États devient celle de
syndics ou d’équipes dirigeantes d’entreprises privées en charge des parties
communes de chaque entité avec lesquelles ils ont passé un contrat et sont
responsables des services qu’ils rendent devant une multitude d’assemblée de
copropriétaires ou d’actionnaires des différents territoires dont ils ont la
charge. Les fonctions dites régaliennes sont offertes par ces syndics en
contractant sur des marchés concurrentiels avec des entreprises de sécurité
privée (police et armée), des tribunaux arbitraux privés, des assurances
privées prenant en charge les risques de conflits entre individus et ou cités
privées leur protection comme le font déjà les contrats de Risk and Ransom,
pour les salariés des entreprises multinationales ou des ONG etc. Les monnaies
privées ne sont pas du domaine de la gestion des syndics et comme dans le bazar
d’Istanbul restent une affaire privée entre commerçants et clients.
La
désintégration interne des États nations vient aussi des nouvelles difficultés
à contrôler la population (d’où l’impression récurrente d’élites politiques déconnectées
de la population dont ils espèrent une servitude volontaire). La logique du
pouvoir par extension et concentration de ce dernier dans les mains de quelques
uns reposent sur quelques caractéristiques, il est contrôlé par un petit nombre
de personnes (une oligarchie souvent endogamique qu’elle soit une élite
politique et/ou syndicale qui se partagent le pouvoir en usant de la violence
pour arriver à leurs fins), une fois le pouvoir conquis, il est jalousement
gardé, fermé et peu accessible, il est personnalisé par une lutte entre des
chefs de clans ou partis politiques, il est clientéliste. La capture des rentes
et privilèges, la formation des croyances
des citoyens via le contrôle des journaux, des médias et de l’école se fait par le haut du pouvoir
politique vers le bas[11].
Les citoyens votent pour un clan pour une période donnée (si on est en
démocratie) et n’ont plus aucun pouvoir avant l’échéance suivante.
Les
nouvelles formes d’usage de la violence, légitime ou non, légale ou non[12],
sur le territoire où s’exerce le
monopole de la force du Léviathan sont différentes. Elles sont exercées par
beaucoup de personnes ou institutions en concurrence (associations d’auto défense, police privée, détectives
professionnels ou journalistes d’investigation, groupes de pression d’influence
intellectuelle captant la formation des croyances et idéologies dans l’appareil
d’État, gangs mafieux en compétition sur la vente et la production des biens et
services interdits par le Léviathan, extrémistes politiques de tous les bords,
écologistes de combats, groupes religieux, séparatistes). Ceux qui embrassent
ces nouvelles formes de violence vivent dans un monde ouvert à la concurrence.
Elle y est vive. Il n’y a pas de clientélisme, le « do it yourself » est
encouragé par les réseaux grâce à la toile. Participatifs, les individus
engagés dans ces diverses formes de violence se considèrent comme des pairs fonctionnant
en réseau. Ils n’ont pas de frontière,
mais des sanctuaires. lls pillent, redistribuent et contrôlent par la violence une
population locale directement de manière latérale et non par un système
hiérarchique. Ils collaborent entre eux
et s’échangent informations et ressources pour atteindre des fins différentes
et parfois contradictoires. Ils se construisent une réputation en utilisant les
médias et moyens de communications modernes. Ce qui amplifie leur emprise sur
la population et laisse désarmé le monopole traditionnel de la force sur un
territoire donné.
Le droit d’ignorer l’État devient de plus en plus une
réalité
On peut vivre aujourd’hui en
ignorant l'État dans les services régaliens qu'il offre. Il suffit de ne pas
s’adresser à ses services. Ne vous mariez plus à la Mairie mais directement
dans la religion de votre choix ou vivez en couple libre (22 % des couples vivant ensemble ne sont pas mariés).Au lieu de
vous adresser à un tribunal public, réglez vos conflits avec des arbitres ou
des gens que vous nommez comme arbitres avec vos contractants. Au lieu de
mettre vos enfants à l’école publique mettez les dans une école privée ou
confessionnelle (20 % des parents mettant leurs enfants dans une école privée).
Certes vous payez deux fois le même service, mais vous signalez votre désaccord
avec la formation des croyances imposées par le Léviathan. Au lieu d'être
salarié ou d'être soumis au droit du travail, redevenez travailleur indépendant
(27 % des travailleurs sont indépendants en 1962 et seulement 7% aujourd’hui)
et contractez librement en choisissant un cabinet juridique et une assurance
qui vous protège mieux que ce que peuvent vous offrir la législation du travail
et les syndicats.
Pratiquez le troc et les échanges sous forme de SEL ou d’e-gold, ou de bitcoins, autre forme d’évasion
fiscale. Dématérialisez vos revenus et comptes bancaires en choisissant
les formes à venir de paiement électronique sur Internet. Délocalisez
votre épargne hors d'Europe. Délocalisez-vos activités rémunératrices et
vos achats totalement sur Internet et travaillez à domicile. Voyagez
le plus possible hors de France pendant plus de six mois et domiciliez
vous en Suisse. (le nombre d’évadés fiscaux en France serait de 150000
et le montant des sommes non taxées de 600 milliards soit 4 millions
d’euro par évadé.). Entrez
dans l’économie souterraine, vivez du marche noir, ne déclarez jamais
vos transactions, ne répondez jamais aux recensements ni aux enquêtes
statistiques officielles, devenez clandestins. (il y aurait un stock de
800 000 clandestins en France) . Devenez
marins, achetez vous un petit bateau et naviguez en dehors des eaux
territoriales, domiciliez vous à Saint Bart ou aux Bahamas. Sinon,
achetez-vous une suite dans un navire de croisière et vivez du revenus
de vos activités dispersées et diversifiées dans plusieurs États. Facile
lorsque l’on fait de la finance. Émigrez tous dans la même commune et
faites sécession comme avec le Free Project State du New Hampshire.. N’ayez
plus de propriété en France, ni de revenus, placez votre épargne aux
Bahamas ou à Singapour et louez à l’année une suite dans un hôtel des
logis de France à un prix raisonnable. Avec toutes les économies
réalisées vous avez largement les moyens de vivre dans ce type d’hôtel,
repas compris. Vous pouvez aussi vous expatrier au Maroc où la vie est
moins chère et les habitants sympathiques (ce que font déjà les
retraités dont les pensions ne sont pas à la hauteur des promesses
étatiques, 20 à 25000 retraités français vivraient au Maroc). Votez
blanc ou nul pour ne plus cautionner le pseudo consentement des régimes
politiques dit démocratiques (entre 30% et 55% d’abstention aux
élections), si .plus de 30% des électeurs font comme vous, l'élection sera annulée.
[1] Il est intéressant de noter que seuls les
écossais aient le droit de voter pour ce référendum. Il s’agit d’un divorce
unilatéral. Les autres membres de l’union sont aussi concernés par les
conséquences de ce vote et ils n’ont pas voix au chapitre. On imagine
volontiers que si les antillais et les corses demandaient leur indépendance et
que l’ensemble des français prenait part au vote, ils
seraient tout de suite indépendants. Ces territoires coûtent plus aux
contribuables français qu’ils ne leur rapportent. Mais si on demandait aux
seuls antillais ou corses de voter pour leur indépendance, ces derniers
voteraient non à la séparation tant ils ont à perdre. Par ailleurs, quand un
pays demande l’entrée dans l’union ou l’intégration dans un pays, c’est aux
français qu’il faudrait le demander. Or, ils n’ont pas été consultés pour que
Mayotte devienne un département français. Ceci en dit long sur les conceptions
des hommes politiques et le mépris total qu’ils ont de leurs électeurs pour acheter
des populations entières avec l’argent du contribuable français sans que ces
derniers, les payeurs, puissent exprimer leur désaccord.
[2] Avant 1789 il y en avait 300, en 1815 il y en
avait 60. En 1871 ce chiffre tombe à 20. En un siècle 1789-1871, les
bouleversements politiques ont ramené le nombre d’Etats souverains de 300 à
20 !
[3]D.
Friedman (1977) “A Theory of the Size and
Shape of Nation” Journal of Political Economy, vol. 85, no. 1
[4]J.Buchanan
and R.Faith (1987), Secession and the Limits of Taxation: Toward a Theory of
Internal Exit, American Economic Review (December)
pp.1023-1031
[5]D.
Whithman (1991)"Nations and States: Mergers and Acquisitions; Dissolutions
and Divorce," American Economic Review Papers and Proceedings (1991)
[6] J.J.Rosa (2000), Le second
XXe siècle ; Déclin des hiérarchies et avenir des Nations,
Grasset, Paris
[7]A.Alesina
et E.Spolaore (2003), The Size of Nations
MIT Press London England
[8] Dans un régime parlementaire, la faction
politique détient ce monopole pour une période déterminée à l’avance, dans une
autocratie cette période peut durer une vie celle de l’autocrate ou être
abrégée par un coup d’Etat ou un assassinat, dans un royaume ce monopole peut
rester dans la même famille plusieurs générations. Dans chaque cas la gestion
de ce monopole conduit à des décisions différentes. Mais ce n’est pas l’objet
de notre discussion.
[9] Les économies d’échelle présentent la
caractéristique suivante : la production du bien ou du service considéré
exige un coût fixe initial, important (indépendant du volume de la production)
tandis que les coûts variables diminuent avec le volume de la production. Les
économies d’envergure correspondent à la sous additivité des fonctions de
coûts. Pris ensemble, deux entreprises produisent moins chers que pris
séparément.
[10] Comme on l’observe dans l’Union européenne avec
les pays de l’Est
[11] Si le territoire de l’Ecosse est décisif dans la
saisie de ces économies d’envergure.
[12] Contrairement à la séparation entre la
république Tchèque et la Slovaquie.
[13] Après tout c’est la thèse du Prix Nobel Paul
Krugman
[14] Mais à
qui appartient ces champs de pétrole et gaz ? Au premier occupant (ou à
proximité) les habitants de l’Ecosse, ou à ceux qui ont investi leur capital
pour exploiter ces champs et développer cette industrie les propriétaires des
compagnies pétrolières et les contribuables du Royaume Uni qui ont financé les
infrastructures permettant cette exploitation ?
[15] Depuis 2003 nous vivons un troisième voir
quatrième choc pétrolier, le prix du baril de pétrole en dollars est passé de
30 dollars en 2003 à 100 dollars en 2013
[16] Le parti nationaliste écossais est plutôt
travailliste ou du moins entame la chanson du socialisme et espère profiter de
la manne pétrolière pour la redistribuer aux écossais, promesse qui équivaut
très directement à un achat de vote.
[17] On comprend mieux l’objectif de 90% de reçus au
baccalauréat. Il ne s’agit pas de rendre les jeunes générations plus
intelligentes ou moins ignorantes mais d’homogénéiser leurs préférences et de
former leurs croyances afin qu’ils acceptent comme naturel la prédation du
Léviathan.
[18] La préoccupation des hommes politiques pour les
chômeurs est intéressée. Imaginons que le taux de chômage soit de 100% pendant
un an, la base taxable sur les salaires serait drastiquement réduite.
[19] En attirant des activités productives et des
évadés fiscaux sur son territoire.
[20] On évoque souvent le terme d’intégration forcée
[22] Qui est la forme de gouvernance des petits
« États » qui respecte le plus les droits de propriété individuels
puisque dans ce cas l’État lui- même ou son domaine est strictement privatisé
et son gouvernement est contractualisé sur un marché des gérants de
copropriété.
[23] Pour les libéraux ou conservateurs qui
décideront de rester, mais au moins ils n’iront pas beaucoup de kilomètres à
faire pour émigrer vers le sud.
[3]C.M.Tiebout 1956 "A Pure Theory of
Local Expenditure", Journal of
Political Economy, October
[4] Bertrand de Jouvenel,
Du pouvoir (1942), Hachette
collection Pluriel ed.1972.
[5]L’historien
Augustien Thierry est l’initiateur de la théorie
des conflits de classe entre ceux qui détiennent le monopole de la force
et la classe des producteurs pour expliquer les mouvements de l’histoire. K.
Marx a détourné ce concept en opposant la classe des propriétaires des
entreprises, apporteurs de capitaux à celle des ouvriers apporteurs de leurs
talents. Ce détournement de concept a eu indirectement des conséquences
tragiques mesurées en millions de morts par les expériences de planification
centralisée de l’ex union soviétique.
[6] Une
frontière n’a pas d’autres raisons d’être. Elle n’est pas similaire à une clôture
d’une propriété privée.
[7] Qui
peuvent être des chefs d’entreprises et ou des syndicats ouvriers
[8] J.J. Rosa 2000, Le second XXe siècle Déclin des hiérarchies
et avenir des Nations, Paris Grasset ; 1998, L'erreur Européenne, Paris Grasset
[9] J.Baechler
1971 Les origines du capitalisme, coll. Idées, éd. Gallimard, 1971,
[10]G. Tullock 1997 , The New
Federalism, Fraser Institute, Vancouver
[11] On
reprend ici par analogie les réflexions de Jeremy Heimans et Henri Timms,
(2014) « Understanding New Power » Harvard Business Review (december) sur les nouvelles pratiques des
affaires.
[12] La
violence syndicale par prise d’otages ou sa menace est légale mais illégitime,
le pouvoir fiscal dévolue à la sécurité sociale ou à la société des auteurs est
légal mais illégitime. Que dire de cette dévolution du pouvoir à des
« autorités » indépendantes … Les hommes politiques ont eux-mêmes
fragmenté l’usage légal de la force.
E) La panarchie et lacoexistentialité
Imaginez une vision
qui englobe des systèmes politiques traités formellement, dans lequel
chacun d’entre nous serait libre de choix politique,
c’est-à-dire, celui d’opter pour son principe d’organisation
sociale. La politique décidée par chacun de nous. L’individu
redeviendrait un individu responsable, ce qu’il devrait être par
nature.
Ce métasystème
pourrait être apparenté à une forme néo-politique de « coaching », où
chacun s’affilie en toute liberté au sein d’une gouvernance
de son libre-choix, voire de sa propre conception s’il y a lieu,
et où les différentes règles du droit international s’appliqueraient aux
rapports entre les individus desquels ils
dépendraient.
Cette vision, ou
théorie, existe, elle est appelée : « la Panarchie ». Voici quelques
références sur l’historique du terme et son évolution :
[1] [2] [3] [4] [5] [6].
« La Panarchie
est une méthodologie sociale basée sur le principe du volontarisme et la
pratique de la tolérance. » (Gian Piero de
Bellis)
La panarchie ?
L’avenir de
l’humanité sans aucun doute : vous n’êtes pas satisfait de votre
gouvernement choisi ? Un meilleur existe ? Vous en changez, c’est
très simple. Tout comme le libéralisme, la panarchie n’est pas une
idéologie comme peuvent l’être le communisme ou le socialisme. Il est
aisé de le comprendre tant cette théorie implique
d’accepter toutes les formes d’idéologies existantes dans la
mesure, comme cité plus haut, où celles-ci sont librement choisies,
consenties par ceux qui y adhèrent.
La panarchie et non le « panarchisme ».
En effet, la panarchie n’est en rien une conception
politique. Retirons de notre esprit les corollaires pour favoriser
l’extra-territorialisme, le multi-gouvernementalisme, voire des lois
personnelles. Nous changeons radicalement d’ère, cette
vision sera en sorte la fin du politique et l’émergence pratique :
universaliste (cohérente, acceptable partout et pour tous en toute
situation) ; personnaliste (l’ère des individus et non des
masses, alliés en respect) ; volontariste, outre la famille, il
n’est pas exclu d’appartenir à un groupe, une communauté, dans le
respect et la liberté de choix.
Tout dogmatisme et
vision approximative de cette théorie serait sujette à un écueil. Il est
inconcevable d’écrire sur la panarchie sans mentionner
l’anarchie, car les deux théories ont en commun le libre-choix.
Précision, parlant d’anarchie, il est opportun d’en connaître les deux
axes de la contestation de la domination.
Il s’agit en
premier lieu d’entendre le strict anarchisme politique qui dissocie
société et gouvernement, et non le second représentant le
socialisme utopique qui conçoit la possibilité d’une vie humaine
hors de la cité, de sources stoïciennes cyniques pour faire de l’État de
nature un État pleinement social. Le premier axe prône
l’individu, la responsabilité, et surtout la propriété.
En pratique,
l’anarchisme comme doctrine débute toujours par se concevoir comme
critique d’une société présente dans laquelle s’exerce une
domination : il a devant lui ce dont il prône l’abolition. Un
impératif pratique interpelle alors en permanence l’élaboration même de
la théorie critique. De ce fait il n’est pas aisé d’évoquer
de véritables expériences anarchistes, car il est toujours
probable assurément de distinguer des éléments de domination qui les
invalideront aux yeux d’une critique plus radicale. Les
concrétisations politiques de l’anarchisme sont ainsi autant
d’occasions de vérifier sa diversité.
Comme le fond de la
doctrine anarchiste consiste à dissocier la société de la hiérarchie,
en général, l’anarchie implique logiquement la notion de
libre-choix. Et en effet, la panarchie insiste fortement sur cet
aspect, ce qui engendre la possibilité de cohabitation, c’est-à-dire la
liberté de communautés librement constituées, et ainsi
de vivre comme elles l’entendent, du moment où elles n’imposent à
quiconque leurs choix.
Les libéraux
recherchent par tous moyens à endiguer cette omniprésence et cette
continuelle expansion de l’État, surtout en ces périodes de crise.
Le principe de la panarchie pourrait assurément contribuer, étape
par étape, à composer avec les différents desseins des États. Un
exemple, la coexistentialité, où le monde sera uni autour d’un
même pouvoir territorial, non plus divisé en plusieurs pays, mais
seulement en une douzaine de sociétés en concurrence. Une vision qui
donnerait aux individus l’assurance d’être protégés de
tous les maux actuels (corruption, incompétences, démagogies de
gouvernements qui se succèdent à eux-mêmes).
Des essais plus
détaillés pourraient être fournis, afin de mesurer que la panarchie est
la solution aux frictions nationalistes… Cependant comment
ce méta-système pourrait-il apparaître au sein de nos sociétés,
alors que nous sommes contraints aux États-providences, au keynésianisme
ambiant ?
Premièrement il
suffit déjà d’en connaître le concept, et ainsi le diffuser. L’avenir
décidera pour lui, quand enfin assez de personnes voudront
bien l’envisager, le comprendre. Ce qui est important,
actuellement, c’est d’exprimer cette idée en syntonie avec les
sentiments et les besoins de notre temps pour se préparer à sa
réalisation. Dans l’état actuel de nos sociétés sclérosées, ce
principe est futuriste.
Secondement, nous
venons de franchir un nouveau siècle que j’appellerais le millénaire du
savoir et de la connaissance, celui d’un développement
fantastique dont la culture, l’esprit du « laissez faire,
laissez passer » devrait nous conduire à terme à la panarchie.
Imaginez, aucune
interdiction matérielle, l’homogénéité et l’hétérogénéité selon les
désirs de chacun, le cosmo-politeia, la variété en tout
genre, ce que je nomme le précepte de Diversité. Imaginez, aucune
interdiction personnelle, pas de source conflictuelle d’aucune sorte, ni
ainsi endurer quelque pouvoir externe, forcément
corrompu, le précepte intitulé de la Cohérence.
Imaginez, aucune
interdiction politique, où chacun est libre de son expérience
d’organisation sociale et riche de projets en tout genre, de
l’originalité par les êtres dans tous les domaines de la vie, ce
précepte que je dis Individualité. Rien n’est utopie quand la libre
tolérance est nommée Liberté. Voici quelques exemples
[7] de certains auteurs tant économistes, philosophes, sur cette théorie : « La Panarchie ».
Et voici mon seing : « Faisons ensemble la Liberté, la Liberté fera le reste. »
F) Brexit : ces 8 pays qui comme le Royaume-Uni pourraient quitter l’Union européenne
Jeudi 24 juin, les Britanniques ont voté le Brexit. Un événement qui pourrait donner des idées à d’autres membres de l’Union.
"Une
maison en cours de démolition", titre
le journal autrichien Die Presse en évoquant l’Union européenne. "Le référendum britannique n’est que le
début de la césure, l’UE s’avance vers la plus grande
transformation qu’elle n’ait jamais connue depuis sa création",
ajoute-t-il. D’autres pays membres vont-ils quitter l’Union européenne ? Toutes les hypothèses sont désormais
possibles. Jeudi 23 juin, les Britanniques ont décidé de sortir de l’UE. 51,9% d’entre
eux ont voté par référendum pour le Brexit.
En prenant
cette décision, le Royaume-Uni a montré à tous les pays membres que ce choix
était possible. En agissant ainsi, les
Anglais ont peut-être ouvert la voie à d’autres États désireux de sortir de l’Union
européenne. En raison de leur situation économique ou politique, 8 d’entre
eux pourraient entamer la procédure de divorce.
1 – Les Pays-Bas
"Hourra pour les Britanniques ! Maintenant c’est à nous. Il est temps d’organiser un référendum aux Pays-Bas !", a tweeté Geert Wilders, juste après les résultats du référendum britannique. Le chef d'un parti populiste de droite est en tête des sondages pour devenir Premier ministre. Celui-ci assure qu’en cas d’élection, il organisera illico un plébiscite. "Nous devons arrêter l'immigration et arrêter l'islamisation", a-t-il déclaré dans une récente interview à la BBC. Nous ne pouvons pas le faire à l'intérieur de l'Union européenne".
2 – La Suède
Le pays se considère comme l'équivalent scandinave de la Grande-Bretagne. À leur image, ils ont refusé l’euro comme monnaie. En avril dernier, le politologue suédois Göran von Sydow déclarait au site Euractiv : "Si Brexit il y a, cela soulèverait de nombreuses questions sur l’impact sur l’UE et l’adhésion suédoise". En perdant son allié, la Suède pourrait craindre de ne plus être entendu et faire le poids à Bruxelles.
3 – Le Danemark
"Sans la Grande-Bretagne, le Danemark n’aura pas la locomotive pour remorquer les intérêts danois", estimait la politologue Marlene Vent, dans Bloomberg News. Les deux pays ont des positions politiques similaires et formaient une alliance solide lors des négociations avec Bruxelles. En décembre dernier, les Danois avaient voté à 53% contre un renforcement de leur coopération avec l'Union européenne en matière de police et de sécurité.
4 – La France
En France les eurosceptiques sont nombreux. Selon un sondage Aqmen, paru en février 2016, 53% des Français souhaiteraient être consultés par référendum sur le maintien du pays dans l'Union. Une défiance liée à la situation économique compliquée que vit le pays en ce moment. 66%des Français désapprouvent la façon dont l'UE a traité de la crise économique selon une étude Pew Research Center datant de début juin. Plusieurs partis politiques s’affichent ouvertement comme favorables à une sortie a minima de l’euro, comme le Front de Gauche, ou à une sortie complète comme le Front national.
5 - La République tchèque.
En février dernier, Bohuslav Sobotka, le Premier ministre tchèque avait déclaré à l'agence de presse tchèque CTK: "Si la Grande-Bretagne quitte l'UE, un débat sur le retrait de la République tchèque sera à attendre dans quelques années. L'impact risque d'être vraiment énorme". En effet, la République tchèque a une approche du marché commun, similaire à celle des Anglais.
6 - La Finlande
Après le Brexit, les Finlandais n’ont pas manifesté l’envie de quitter l’Union, mais ils en sont capables. Le pays a d’ailleurs déjà menacé de le faire en 2012,
en pleine crise de la monnaie unique. "La Finlande est engagée à être
un membre de la zone euro et nous estimons que l'euro est bénéfique pour
la Finlande. Toutefois, la Finlande ne s'accrochera pas à l'euro à n'importe quel prix et
nous sommes prêts à tous les scénarios, y compris à abandonner la
monnaie unique européenne", avait déclaré à l’époque, la ministre des
Finances Jutta Urpilainen, dans le quotidien financier Kauppalehti.
7 – La Hongrie
Le Premier ministre Viktor Orban, n’est pas vraiment un grand ami de l’UE. Après l'afflux de réfugiés dans le pays l'an dernier, il a promis un référendum sur la politique migratoire de l’Union. Très à droite, la Hongrie considère elle aussi, la Grande-Bretagne comme un allié dans sa lutte contre une Europe trop intrusive.
8 - La Pologne
La décision du pays, dépendra beaucoup du sort réservé par la Grande-Bretagne aux 100.000 immigrés polonais vivant sur son sol. À noter tout de même que Droit et Justice, le Parti nationaliste et catholique au pouvoir, est très hostile à Bruxelles.
Gaspard Koenig a appris le Brexit dans l'avion entre Londres et Paris.
En colère, le philosophe libéral déclare qu'il hait les nations, les
barbelés des frontières et propose l'indépendance de Londres.
J'ai appris le Brexit sur un vol transatlantique à destination de
Londres, où je réside depuis 6 ans. Le steward venait nous voir toutes
les demi-heures pour nous donner des nouvelles: Brexit, Remain, Brexit…
Puis le commandant de bord a pris la parole pour annoncer les chiffres
officiels. Les passagers étaient plus livides que pendant les pires
turbulences.
Comme souvent, le pays de l'Habeas Corpus nous
offre une leçon de démocratie: une promesse électorale tenue, un
référendum clair, une participation conséquente, un Premier ministre qui
démissionne dans la foulée. Et une décision qui, aussi désastreuse
qu'elle soit pour l'économie britannique, sera strictement mis en
oeuvre. Tout le contraire du traitement du référendum français sur la
Constitution européenne. La volonté des citoyens est respectée.
La respecter n'empêche pas de la
critiquer. En passant la frontière du Royaume-Uni à Heathrow, d'où les
étoiles européennes disparaîtront bientôt, ma décision était prise:
plier bagage. Quand 17 millions de personnes vous demandent de partir,
il faut en tirer les conséquences. Une bonne partie des 300 000 Français
vivant au Royaume-Uni fera probablement de même, de gré ou de force.
Nous pensions vivre dans un pays ouvert, tolérant, respectueux des
libertés. Or ces derniers mois, les incidents se sont multipliés:
chauffeurs de taxi soudain agressifs, remarques sur l'accent, insultes
murmurées. Ce référendum a fait ressurgir l'autre Angleterre, celle des hooligans et des Little Englanders.
Cela semble méprisant? Oui. Je hais les nations, épiphénomène sanglant
de l'histoire humaine, et méprise les nationalistes. La «souveraineté
nationale», c'est un os à ronger lorsqu'on a perdu la seule souveraineté
qui compte: celle de soi-même.
Qui se réjouit du Brexit? Le
quarteron des blonds platines: Boris Johnson, Donald Trump, Marine Le
Pen, Geert Wilders. On va recommencer à trier les humains en fonction de
leurs livrets de famille et à les parquer derrière les barbelés des
frontières. Le nativisme bat son plein. Et il ne rate pas sa cible:
l'Europe avec tous ses défauts reste un projet libéral, kantien, visant à
construire l'état de droit et le marché par-delà les différences
culturelles. Oui à la démocratie, non au «peuple», fiction de romancier.
Mais puisque l'on joue au jeu
des sécessions, allons jusqu'au bout. Appliquons la logique des
«communautés intentionnelles», comme on dit au Québec. Qui a voté pour
rester dans l'Europe? L'Irlande du Nord, L'Ecosse, Londres. Et les
jeunes (de manière écrasante: 75% des 18-24 ans, et la majorité des
moins de 50 ans). Pourquoi ne prendraient-ils pas leur indépendance eux
aussi? La charismatique leader du SNP, le parti indépendantiste
écossais, a d'ores et déjà appelé à un second référendum pour l'Ecosse.
Et une petition circule déjà en ligne pour faire de Londres un Etat
autonome! Après tout, plutôt que de partir, pourquoi ne pas nous
approprier Londres? «Take back control», qu'ils disaient. Chiche.
Que les esprits cosmopolites du monde entier fassent de Londres leur
pays, un pays libre, jeune, ouvert et prospère.
H) Brexit : les Britanniques soudain moins pressés que les Européens
Maintenant qu'elle a dit non à l'Europe, la
Grande-Bretagne souhaite prendre son temps pour quitter la maison
commune. Éconduite, Bruxelles s'agace.
Sortir de l'Europe,
"ce n'est pas un divorce à l'amiable, mais après tout, ce n'était pas
non plus une grande relation amoureuse". Cette sortie de Jean-Claude Juncker
montre assez l'exaspération de Bruxelles devant l'attitude de Londres.
Car après avoir signifié à l'Europe sa décision de rompre, la Grande-Bretagne
se montre peu désireuse d'accélérer le départ effectif de la maison
commune. Ce qui agace prodigieusement le président de la Commission
européenne, qui a exigé que Londres dépose "immédiatement" sa demande de
quitter l'Union européenne. "Je ne comprends pas pourquoi le
gouvernement britannique a besoin d'attendre jusqu'au mois d'octobre
pour décider si oui ou non il envoie la lettre de divorce à Bruxelles.
J'aimerais l'avoir immédiatement", a-t-il déclaré. Un avis partagé par
Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des Affaires étrangères
qui a annoncé samedi, au nom des six pays fondateurs de l'Union
européenne, que Londres devrait engager sa sortie "au plus vite".
Dans le rôle du conjoint peu pressé de faire ses valises, le Premier
ministre britannique David Cameron, mais aussi l'ex-maire de Londres
Boris Johnson. Le premier a annoncé vendredi, après la victoire du
Brexit au référendum, qu'il quitterait ses fonctions en octobre et qu'il
laisserait à son successeur le soin de négocier la sortie de l'UE de
son pays. Le second, qui pourrait bien être ce successeur, a assuré de
son côté que le départ britannique devait se faire "sans précipitation",
laissant entendre que les autorités allaient faire traîner les choses
le plus longtemps possible.
Le "continent pris en otage" (Schulz)
En épouse délaissée, Bruxelles ne l'entend pas de cette oreille : le
président du Parlement européen, Martin Schulz, a jugé "scandaleux" le
choix de David Cameron de ne quitter son poste qu'en octobre, estimant
qu'il prenait "tout le continent (européen) en otage". De son côté
François Hollande n'a pas dit autre chose : il a réclamé par la voix du
porte-parole du gouvernement "que l'application des règles pour la
sortie se fasse dans les délais les plus courts" : "Il faut que les
choses soient claires, a déclaré Stéphane Le Foll, "la volonté exprimée
par la France et par le président de la République" est que le vote des
Britanniques soit "respecté". Conséquence : "La mise en œuvre des
décisions qui mettent en application ce vote" doit se faire "dans la
clarté et rapidement".
I) Brexit : Une pétition pour l'indépendance de Londres récolte 100.000 signatures
Les Londoniens ne sont pas prêts à se séparer de l'Union européenne.
James O Malley a lancé une pétition en ligne. Il souhaite que la ville
demande son adhésion à l'UE en tant que ville. Sa pétition a déjà
recueilli plus de 100.000 signatures.
Ce Brexit, c’est la victoire, non du peuple, mais du populisme.
Non de la démocratie, mais de la démagogie.
C’est la victoire de la droite dure sur la droite modérée, et de la gauche radicale sur la gauche libérale.
C’est la victoire, dans les deux camps, de la xénophobie, de la haine
longtemps recuite de l’immigré et de l’obsession de l’ennemi intérieur.
C’est, dans tout le Royaume Uni, la revanche de ceux qui n’ont pas
supporté de voir les Obama, Hollande et autres Merkel donner leur avis
sur ce qu’ils s’apprêtaient à décider.
C’est la victoire, autrement dit, du souverainisme le plus rance et du nationalisme le plus bête.
C’est la victoire de l’Angleterre moisie sur l’Angleterre ouverte sur le monde et à l’écoute de son glorieux passé.
C’est la défaite de l’autre devant la boursouflure du moi, et du complexe devant la dictature du simple.
C’est la victoire des partisans de Nigel Farage sur une « classe
politico médiatique » et des « élites mondialisées » censées être « aux
ordres de Bruxelles ».
C’est la victoire, à l’étranger, de Donald Trump (le premier, ou l’un
des premiers, à avoir salué ce vote historique) et de Poutine (dont on
ne redira jamais assez que la dislocation de l’Union Européenne est son
rêve et, probablement, l’un de ses projets).
C’est la victoire, en France, des Le Pen et autres Mélenchon qui
rêvent d’une variante française de ce Brexit alors qu’ils ignorent, l’un
comme l’autre, jusqu’à la première lettre de l’intelligence française,
de l’héroïsme français, de la radicalité et de la rationalité
françaises.
C’est la victoire, en Espagne, de Podemos et de ses indignés de carton-pâte.
En Italie, du mouvement 5 étoiles et de ses clowns.
En Europe centrale, de ceux qui, ayant touché les dividendes de l’Europe, sont prêts à la liquider.
C’est la victoire, partout, de ceux qui n’attendaient que l’occasion
de tirer leur épingle du jeu européen et c’est le commencement, par
conséquent, d’un processus de délitement dont nul ne sait ce qui va,
maintenant, pouvoir l’arrêter.
C’est la victoire de la foule de Métropolis sur le déjeuner des canotiers.
C’est la victoire des casseurs et des gauchistes débiles, des fachos
et hooligans avinés et embiérés, des rebelles analphabètes et des
néonationalistes à sueurs froides et front de bœuf.
C’est la victoire de ceux qui, à la façon, encore, de l’inénarrable
Donald hurlant dans un claquement de moumoute jaune en guise de lasso :
« we will make America great again ! », songent à mettre un mur, eux aussi, entre « les musulmans » et eux.
Cela pourra se dire en engliche, en rital, en franglais.
Cela va se dire en grognant, en cognant, en virant, en renvoyant à la
mer, en interdisant de rentrer ou en proclamant bien fort le dérisoire
et fiérot: « je suis Anglais, moi, Monsieur » – ou Ecossais, ou
Français, ou Allemand, ou n’importe quoi d’autre.
Ce sera, toujours, la victoire de l’ignorance sur le savoir.
Ce sera, chaque fois, la victoire du petit sur le grand, et de la crétinerie sur l’esprit.
Car « les Grands », amis Britanniques, ce ne sont évidemment pas les « ploutocrates » et les « bureaucrates » !
Ce ne sont même pas ces « privilégiés » dont on rêve partout, ces
temps-ci, comme chez vous, de voir la tête au bout d’une pique !
Et ceux que le Brexit a dégommés en dégommant l’appartenance à
l’Europe, ce ne sont même pas, hélas, les « oligarques » dénoncés par
les batteurs d’estrades !
Les grands, ce sont les amis et inspirateurs de la vraie grandeur des peuples.
Les grands, ce sont les inventeurs de cette chimère splendide,
nourrie au lait des Dante, des Goethe, des Husserl ou des Jean Monnet,
qui s’est appelée l’Europe.
Et ce sont ces grands-là que vous êtes en train de raccourcir.
Et c’est l’Europe comme telle qui est en train de se dissoudre dans le néant de votre ressentiment.
Que cette Europe ait pris sa propre part au procès de sa mise à mort, c’est vrai.
Que cette étrange défaite soit aussi celle d’un corps exsangue et qui
se moquait de son âme, de son histoire, de sa vocation, que cette
Europe que l’on achève fût moribonde depuis des années car incarnée dans
des dirigeants ternes et déjà fantomatiques dont l’erreur historique
était de croire que la fin de l’Histoire était advenue et que l’on
pouvait s’endormir du sommeil du dernier des hommes pourvu que l’on ait
lancé l’arrosage automatique, c’est certain.
Bref, que la responsabilité de la catastrophe incombe aussi à des politiques qui ont préféré, en fidèles auditeurs de leurs spin doctors
et de leurs maîtres sociologues, caresser les événements dans le sens
du poil de la non-Histoire, flûter les grondements des orages redoutés
et s’enfermer dans une novlangue dont les mots ont toujours servi à
taire plutôt qu’à dire, c’est, encore, une évidence.
Mais que la majorité du referendum d’aujourd’hui, et ceux qui
l’applaudissent, ne viennent pas nous raconter qu’ils plaidaient, en
secret, pour l’on ne sait quelle « Europe des peuples ».
Car ce Brexit ce n’est pas la victoire d’une « autre » Europe, mais de « pas d’Europe du tout ! ».
Ce n’est pas l’aube d’une refondation, mais le possible crépuscule d’un projet de civilisation.
Ce sera, si l’on ne se reprend pas, le sacre de l’Internationale
grise des éternels ennemis des Lumières et des adversaires de toujours
de la démocratie et des droits de l’homme.
L’Europe était, certes, indigne d’elle-même.
Ses dirigeants étaient pusillanimes et paresseux.
Ses professeurs étaient routiniers, et leur art de gouverner était alangui.
Mais ce qui vient en lieu et place de ce jardin des Fizzi-Contini,
c’est une zone pavillonnaire mondialisée où, parce qu’il n’y aura plus
que des nains de jardin, l’on oubliera qu’il y eut Michel-Ange.
Mieux : entre ceux qui se résigneraient à laisser pourrir ce monde
dans les poubelles trumpiennes de la « grande Amérique » à guns et
santiags, ou dans la fascination d’un poutinisme qui réinvente les mots
de la dictature ou, depuis ce matin, dans la désolation d’une Grande
Bretagne tournant le dos à sa propre grandeur, entre ceux-là, donc, et
les contemporains d’une fournaise d’où sortirent les plus effroyables
démons de l’Europe, il n’y a que l’épaisseur d’une vie d’homme.
Le choix est donc clair.
Ou les Européens se ressaisissent – ou ce jour sera celui d’une
Sainte-Alliance des hussards noirs de la nouvelle réaction trouvant son
baptême du Jourdain sur les bords de la Tamise.
Ou ils sortent par le haut, c’est-à-dire par des mots forts doublés
par un acte majeur, de cette crise sans précédent depuis 70 ans – ou,
dans le large spectre que couvrent les langages pré totalitaires
modernes et où la grimace le dispute à l’éructation, l’incompétence à la
vulgarité et l’amour du vide à la haine de l’autre, c’est le pire qui
surgira.
K) «L’effondrement de l’Union européenne est désormais inévitable»
Nous pensons que les élites qui ont construit cette
UE bureaucratique, anti-démocratique et si éloignée des aspirations
des citoyens – soutenues par notre presse traditionnelle « politiquement
correcte » prompte à ostraciser les citoyens qui contestent
sa légitimité – vont tout tenter pour empêcher son effondrement. A
l’instar de Christine Ockrent qui, ce matin encore sur radio France culture, parlait d’une « déferlante
populiste en Europe […] qui vote pour des mouvements populistes,
xénophobes, pour aller dans le sens de ce que disait Glucksmann« . [Silvia Cattori.]
Le
Brexit mènera a l’effondrement de l’Union européenne, comme la chute du
mur de Berlin a mené à l’effondrement du Pacte de Varsovie, estime
l’historien britannique John Laughland, à grand renfort d’intéressantes
analogies historiques.
Le vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’UE est
un événement d’une portée historique majeure, tel qu’il n’en arrive
qu’une fois par génération. Il est comparable en importance à la chute
du mur de Berlin dans la nuit du 9 novembre 1989. Dans les deux cas, les
peuples, par un mouvement paisible et naturel, ont infligé le coup de
grâce à un système politique moribond. A terme, l’Union européenne
s’effondrera tout comme le Pacte de Varsovie auquel elle ressemble.
Souvent
dans l’histoire, les grands tournants ont lieu par accident. Ce fut le
cas pour la chute de mur de Berlin: les Berlinois de l’Est se sont rués
sur Checkpoint Charlie suite à une fausse information sur la délivrance
des visas diffusée par erreur par les médias est-allemands. Confrontés à
une telle foule, les gardes-frontières ne pouvaient qu’ouvrir les
barrières. Autant la fin du communisme était inévitable, autant la façon
dont il a eu lieu a été purement contingente.
Toute réforme des institutions européennes est impossible
De même, le Brexit aurait pu être évité si les dirigeants européens avaient agi autrement. David Cameron avait adressé un certain nombre de demandes, plutôt modestes, à ses collègues européens. Si ceux-ci avaient bien mesuré l’ampleur de la crise de confiance qu’ils
traversent, au Royaume-Uni comme dans chacun des pays membres de l’UE,
ils auraient consacré un très grand effort à lui donner satisfaction et à
réfléchir sur les réformes pour l’UE toute entière. Cela n’aurait pas
été très difficile, mais ils ont préféré continuer comme si rien n’était
et lui infliger une fin de non-recevoir hautaine et arrogante. Ils ont
ainsihumilié Cameron devant
son propre peuple, montrant ainsi que toute réforme des institutions
européennes est impossible. C’est leur propre raideur et leur manque de
vision qui auront fait sauter le projet européen.
L’arrivée depuis
2004 de plus de 2 millions de Polonais et d’autres Européens de l’Est a
été une vague qui risquait de noyer le peuple britannique.
L’effondrement
de l’Union européenne est désormais inévitable parce que le vote en
faveur du Brexit montre que les nations fières peuvent refuser de
disparaître. En effet, il faut comprendre le vote comme un sursaut
national face à une menace existentielle. La fuite en avant pratiquée
par des gouvernements successifs, travailliste sous Tony Blair comme
conservateur sous David Cameron, vers une immigration illimitée, a
radicalement changé la société britannique. Londres n’est plus une ville
anglaise depuis longtemps car, selon les chiffres officiels du dernier
recensement, les Britanniques blancs y sont minoritaires. Avec son
économie performante et son marché du travail souple, le Royaume-Uni
aspire des immigrants du monde entier. Mais l’arrivée depuis 2004 de
plus de 2 millions de Polonais et d’autres Européens de l’Est a été non
pas la goutte qui a fait débordé le vase, mais une vague qui risquait de
noyer le peuple britannique. Le principe de libre circulation des
personnes, des services, des biens et des capitaux, est à la base du
projet européen: les Britanniques viennent de montrer, avec leur refus
de l’immigration non contrôlée, que ce projet est inacceptable dans son
essence même.
La raideur et le manque d’imagination sont tout sauf
accessoires au projet européen. Ils sont au contraire profondément
enracinés dans la pensée de ses dirigeants, qui sont convaincus d’être
les porteurs d’un projet civilisationnel sans précédent. Tout comme les
premiers bolchéviques, les hommes et les femmes qui décident en Europe
se croient à l’avant-garde d’un processus historique inéluctable. Depuis
que le professeur Korovine écrivait à Moscou en 1951 dans son ouvrage
«Mezhdunarodnoe Pravo» (Le Droit international) que «Les traités de
l’URSS et les démocraties populaires sont un nouveau type de coopération
internationale…» les théoriciens d’«une nouvelle forme de relations internationales» (Paris
2013) qui serait en train de se dessiner aujourd’hui, grâce au
mondialisme et aux institutions supranationales comme l’UE, n’ont rien
inventé.
Quel pays sera le prochain à organiser un référendum sur sa propre sortie?
Très concrètement, le Brexit fera bousculer la structure politique de l’Europe parce que, différents pays étant
déjà dans un état de grande fébrilité, il donnera un énorme espoir aux
souverainistes français, autrichiens, néerlandais, hongrois et autres
qui ont le vent en poupe. Quel pays sera le prochain à organiser un
référendum sur sa propre sortie? La France qui a voté contre la
constitution européenne en 2005 mais dont la volonté populaire a été
trahie par la ratification une version réécrite du même texte par voie
parlementaire? Les Pays-Bas qui désespèrent de leur modèle de tolérance qui s’auto-détruit en accueillant un grand nombre d’immigrants intolérants, et qui viennent de voter contre l’accord d’association avec l’Ukraine? Les Autrichiens qui ont failli élire un membre du Parti de la Liberté à la présidence de la République? Les Hongrois qui l’an dernier ont désobéi aux ordres européens pour construire une clôture sur leurs frontières nationales?
Réjouissons-nous de ce résultat formidable; mais exigeons que nos dirigeants en tirent vraiment les leçons
La
chute du mur de Berlin a été le déclencheur d’une réaction en chaîne
qui a emporté, en quelques semaines, tous les dirigeants du Pacte de
Varsovie. Ceux-ci sont tombés les uns après les autres, jusqu’à ce que
la dictature roumaine tombe dans un bain de sang. Sans doute le
processus de désagrégation de l’UE sera plus long et, espérons-le, plus
civilisé. Pour cela il faudra précisément ce qui manque à l’Europe, des
grands hommes d’Etat. Réjouissons-nous de ce résultat formidable; mais
exigeons que nos dirigeants en tirent vraiment les leçons – ce dont il
se sont montrés, jusqu’à présent, totalement incapables.
Avec le Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne est un cauchemar et devrait nous alerter.
Le Brexit est une catastrophe. Pour l’Europe et pour la France, ainsi
que pour les libéraux. D’abord, le Brexit décidé par les électeurs
britanniques ampute l’Union européenne d’un sixième de son PIB. Face aux
grandes puissances anciennes ou émergentes qui défendent avec
acharnement leurs intérêts, l’Europe s’affaiblit. Ce choix nous prive
aussi d’un contrepoids important face à l’Allemagne. Il ôte enfin à
l’Union européenne le seul grand pays d’orientation vraiment libérale.
Ce qui reste de l’Europe fissurée est menacé de dislocation si elle ne
se réinvente pas rapidement.
Une Europe déséquilibrée après le Brexit
L’Union était jusqu’ici bâtie sur un équilibre subtil entre les Big Three
(Royaume Uni, France, Allemagne). Sa réduction au duo franco-allemand
va vite tourner au solo germanique étant donné l’actuelle faiblesse
économique et sociale de notre pays et la déliquescence de notre
leadership. L’Allemagne pèse désormais presque un tiers du PIB et 40% de
l’industrie du nouvel ensemble. Elle peut s’appuyer sur un
« hinterland » d’une dizaine de pays de l’Est. Une Europe sous
domination berlinoise justifie une certaine inquiétude même sans être
animé d’un sentiment anti-allemand. Après tout, ce pays de culture
ancestrale n’est-il pas exemplaire en matière d’assainissement des
finances publiques ou de réforme du marché du travail avec Hartz IV ? Le Brexit signe la défaite – certes sans effusion de sang – d’un
siècle et demi de lutte de concert des Français et des Britanniques
contre la volonté d’hégémonie allemande (ou plutôt prussienne) au prix
de deux guerres mondiales. De quoi nourrir l’amertume de ceux qui ont un
peu de mémoire. Le déséquilibre de cette domination sans partage de
leur propre pays inquiète d’ailleurs les dirigeants allemands eux-mêmes,
conscients des responsabilités qui pèsent sur leurs seules épaules et
des réactions de rejet que cette évolution peut susciter chez leurs
voisins. Ajoutons qu’il fait aussi perdre à l’Union la seule armée dotée
d’un budget conséquent avec la nôtre, apte à protéger nos intérêts
partout dans le monde. Cette sécession des Britanniques ouvre la
perspective d’une Union réduite à un club de pays angéliquement perdus
dans un monde dangereux. Nous assistons aussi à la sortie d’un pays référent depuis quatre siècles en matière de démocratie, d’État de droit – « the rule of law »
– et de libertés publiques. C’est aussi aujourd’hui le seul à incarner
sans complexe une économie de marché face au « capitalisme rhénan »
fondé sur des régulations tatillonnes, la bureaucratie et
l’État-providence. On pouvait compter sur la vigilance des Britanniques
pour moquer les directives européennes surréalistes, depuis
l’interdiction des flacons d’huile d’olive dans les restaurants
jusqu’aux prescriptions en matière de sécurité au travail, de chasse
d’eau dans les toilettes, d’essuie-glace sur les véhicules, etc. Une
vigilance qui n’est hélas pas l’apanage de la France. L’Union européenne perd avec le Royaume Uni le « champion » d’une
économie libérale doté d’une fiscalité relativement modérée, en
particulier sur le capital et l’investissement. Le premier à lutter pied
à pied à Bruxelles contre le « red tape », l’État nounou et
les subventions, notamment dans l’agriculture. Qui, en Europe
continentale, est capable de supprimer 400 000 postes de fonctionnaires
comme David Cameron a osé le faire ? Sans oublier que cette décision lui
a même permis de remporter brillamment les législatives il y a un an.
Un processus démocratique
En annonçant sa démission, le Premier ministre britannique administre
au passage une belle leçon de démocratie aux Européens. Si le résultat
du referendum s’avère funeste, qui peut lui reprocher d’avoir consulté
ses concitoyens sur l’avenir du projet européen ? Rien ne serait pire
que d’exprimer une quelconque condescendance envers ces électeurs, ou d’essayer de « punir » ce pays
en espérant intimider d’autres peuples tentés par la sortie. Une forme
de paternalisme de nature à jeter de l’huile sur le feu anti européen
qui couve. Le referendum est un outil démocratique légitime, voire
nécessaire quand la démocratie représentative est en panne. Les élus ont
beau hurler au populisme quand l’idée leur est suggérée, leur propre
démagogie est la première responsable de ce délitement de la
construction européenne. Lorsque la classe politique accuse les électeurs de manquer de sens
civique avec l’abstention, elle oublie qu’elle a piétiné l’avis de ses
électeurs quand ils ont pu s’exprimer sur le Traité établissant une
Constitution pour l’Europe, comme les Français l’ont fait en 2005.
Normal puisque la « caste » au pouvoir estime mieux savoir qu’eux ce qui
est bon pour eux. Et lorsqu’elle a des décisions importantes mais
douloureuses à prendre, elle préfère se défausser sur Bruxelles plutôt
que d’endosser l’habit du réformateur. Enfin, elle ne respecte pas ses
propres engagements, en particulier en matière de déficits et de dette –
Paris ne cesse de reporter la promesse de redressement de ses comptes.
Ce triple déni démocratique pèse lourd dans l’actuel discrédit de
l’Union et de ses dirigeants auprès de dizaines de millions de citoyens
ayant l’impression d’être dépossédés de leur destin. Les politiques français prennent depuis hier matin les Britanniques
de haut après les avoir menacés de tous les maux en cas de « mauvais
choix » jusqu’à la veille du scrutin. Qui sont-ils pour faire la leçon à
leurs voisins aux bien meilleures performances économiques ? Paris fait
tous les ans partie des pires cancres épinglés par les instances
européennes recensant les tricheries en matière d’applications de
l’acquis communautaire. La France est le 25ème pays sur 28
(Londres censée incarner l’anti européanisme primaire fait partie des
bons élèves) en matière de transposition de directives européennes,
reflet d’une culture administrative rétive à la libre concurrence qui
est la clé du Traité de Rome de 1957 et du projet européen. La France,
via le projet technocratique incarné jadis par Jacques Delors, ou la
désinvolture de François Hollande, a joué un rôle de premier plan dans
le fiasco actuel. Ne nous leurrons pas. Le Brexit ouvre la perspective d’un redoutable
effet domino. Quel sera le prochain pays européen à s’engouffrer dans la
brèche et à réclamer sa sortie ? La question est loin d’être théorique
compte tenu de la montée du sentiment anti-européen parmi les
Vingt-Huit. Jamais l’affection des sondés envers l’Union européenne n’y a
été aussi basse. Et jamais les scores électoraux de partis
anti-européens n’ont été aussi élevés. En France, ils rassemblent déjà
près de quatre électeurs sur dix.
Redonner vie au projet européen
Nous devons redonner vie au projet européen avant que le coma
bureaucratique ne soit irréversible. Poursuivre sur la voie d’un
fédéralisme à marche forcée (incarné par Michel Rocard se réjouissant du
Brexit car les Britanniques « empêchaient d’avancer ») serait
une grave erreur. Les Européens n’en veulent pas, ils l’ont manifesté à
maintes reprises. Un marché unique n’a pas besoin d’une union bancaire
ou d’une harmonisation fiscale et sociale à outrance, visant en fait à
réduire encore davantage la concurrence. Un vaste marché exige de la
liberté et la suppression des derniers monopoles publics. Il est urgent
de rétablir le principe de subsidiarité qui veut que les décisions en
Europe soient prises le plus possible à l’échelon local. Nous devons
mettre fin à la volonté de tout harmoniser des grands esprits de
Bruxelles, même s’ils sont brillants et, il faut l’avouer, moins
nombreux que les seuls fonctionnaires de la Ville de Paris. Revenons à
l’esprit de ses pères fondateurs, un espace d’échanges commerciaux et
culturels : Bye bye Delors, I want my Monnet back !
M) Brexit : un révélateur des contradictions européennes
Le 23 juin 2016, le Premier ministre britannique
organise un référendum sur le maintien de l’appartenance du Royaume-Uni à
l’Union européenne. Cette annonce soulève des interrogations quant aux
équilibres politiques internes au royaume, à sa prospérité économique et
à l’avenir du projet européen.
LE 23 juin 2016, les électeurs britanniques vont se prononcer, par référendum, sur le maintien du dans l’Union européenne. Le Royaume-Uni est membre de l’Union européenne depuis 1973. Les
Britanniques sont principalement intéressés par le marché unique et les
échanges commerciaux. Leur économie présente plusieurs particularités
par rapport à celles du continent. Il en résulte que le Royaume-Uni est
doté d’une sorte de statut particulier au sein de l’Union européenne.
Aujourd’hui, ceci ne semble plus suffire, mais les risques pour le
Royaume-Uni, en cas de sortie de l’Union, sont considérables. Pour l’Union européenne, la position que prendra le Royaume-Uni
constitue également un enjeu de première importance, qu’il se détache de
l’Union ou non. Une sortie d’un pays aussi important aurait des impacts
majeurs sur l’Union elle-même. Ce référendum et les études et débats
auxquels il a donné lieu soulèvent la question de l’avenir de la construction européenne, dans un contexte de crises multiples.
Le "statut particulier" du Royaume-Uni dans l’Union européenne
Le Royaume-Uni ne participe pas à toutes les politiques européennes.
Il n’est pas membre de la zone euro et a conservé sa monnaie, la livre
sterling, sa propre politique monétaire et de change, une supervision
bancaire autonome. Il ne participe pas à la politique de justice et
sécurité intérieure et n’est pas membre de l’espace Schengen. Il
bénéficie d’une remise permanente sur sa contribution au budget de
l’Union. Il n’a pas participé aux mécanismes financiers de secours des
pays confrontés à la crise de la dette souveraine. En revanche, il
participe pleinement au marché unique, à la politique commerciale de
l’Union, ainsi qu’à sa politique extérieure et d’aide au développement. Sur le plan économique, l’économie du Royaume-Uni n’est pas en phase avec les autres pays membres de l’Union européenne :
importance du secteur des services, en particulier les services
financiers (25% du PIB - produit intérieur brut), faible part de
l’industrie manufacturière et de l’agriculture, rôle des prix de
l’immobilier dans le cycle économique, dépendance vis-à-vis du cycle
économique des pays anglo-saxons (Etats-Unis et membres du Commonwealth). De plus, l’économie britannique est plus libéralisée, notamment s’agissant du marché du travail. Le Royaume-Uni est ainsi resté en dehors de la gouvernance économique
de l’Union européenne, ce qui l’a plutôt favorisé. Après la crise,
l’économie britannique s’est redressée plus vite que celles de la zone
euro, grâce à une plus grande souplesse dans le recours aux instruments
de politique économique : baisse des taux d’intérêt intervenue assez
tôt, recours aux politiques monétaires non conventionnelles, stimulation
budgétaire plus soutenue et adaptation précoce du taux de change. Et la
règle d’or budgétaire - équilibrer le budget de fonctionnement - s’est
révélée plus efficace que le pacte de stabilité et de croissance en
vigueur dans la zone euro.
Les raisons d’un "Brexit"
Les raisons d’un Brexit
sont difficiles à identifier. Sur le plan politique et culturel,
surtout dans un pays où le parlement joue un rôle majeur, les
Britanniques ont le sentiment d’être dépossédés de leur souveraineté au
profit d’une bureaucratie éloignée, inefficace et non représentative. De plus, la crise économique a sensiblement modifié la structure
institutionnelle de l’Union européenne : rôle accru de l’Eurogroupe
(réunion des ministres des finances de la zone euro) et de la Banque
centrale européenne, diminution de celui de la Commission européenne.
Ces évolutions placent le Royaume-Uni en porte-à-faux dans la défense de
ses intérêts. Les griefs britanniques portent aussi sur l’inefficacité
de l’Union dans le domaine économique, sur les problèmes liés à
l’immigration et sur les risques de discrimination entre les pays
membres de la zone euro et les autres membres de l’Union européenne, les
premiers étant majoritaires dans les votes à la majorité. Dès sa victoire aux élections de 2015, le Premier ministre a engagé
des négociations sur les réformes à ses yeux nécessaires pour que le
Royaume-Uni demeure dans l’Union. Ces négociations ont conduit à un
accord, en février 2016, qui porte sur quatre résultats :
. gouvernance économique : pas de droit de veto des pays non membres de
la zone euro sur les décisions de celle-ci, mais il ne doit pas y avoir
de discrimination entre les pays appartenant à la zone et les autres
pays membres de l’Union européenne ; par ailleurs, les pays non membres
de la zone euro ne contribuent pas aux mesures de soutien de l’euro ; . compétitivité : renforcement du marché unique et amélioration de la
régulation, allègement des lourdeurs administratives, qui pèsent
particulièrement sur les petites et moyennes entreprises, politique
commerciale plus ambitieuse ; . souveraineté : il est admis que le Royaume-Uni n’est pas lié par
l’objectif de renforcement de l’intégration politique au sein de
l’Union ; dans certaines conditions de majorité, les parlements
nationaux peuvent objecter à un projet d’acte législatif européen, qui
peut se trouver bloqué ; le principe de subsidiarité est renforcé ; . avantages sociaux octroyés aux migrants et liberté de circulation
des personnes : mécanismes de sauvegarde en cas d’afflux exceptionnels,
notamment en cas de menace sur la soutenabilité des systèmes de sécurité
sociale, de difficultés sur le marché du travail ou de pressions
excessives sur les services publics. Suite à cet accord jugé satisfaisant, le Premier ministre a décidé d’organiser un référendum.
Une sortie de l’Union aurait de sévères inconvénients pour le Royaume-Uni
Un vote positif au référendum du 23 juin 2016 aurait pour première
conséquence d’ouvrir une longue période d’incertitude juridique. Le
traité de Lisbonne prévoit en effet la négociation d’un traité de sortie
pendant une période de deux ans, éventuellement prolongée de deux
années supplémentaires, à l’issue de laquelle le retrait devient
effectif. L’ampleur des questions à traiter par le Royaume-Uni risque de
se traduire par une période d’incertitude beaucoup plus longue. Le pays devrait d’abord trouver un accord sur ses relations avec l’Union européenne. Quatre "modèles" sont envisageables : . l’espace économique européen (EEE - Norvège, Islande,
Liechtenstein) : il implique une contribution au budget européen, la
liberté de circulation des personnes et la reprise de la législation
européenne sans pouvoir influer sur son contenu ; . accords bilatéraux de la Suisse : le pays doit aussi contribuer de
manière substantielle au budget européen, reprendre la législation
européenne sans possibilité d’influer sur son contenu, conclure des
accords commerciaux spécifiques, sans accès au marché financier européen
pour les banques ; . l’union douanière, sur le modèle des accords avec la Turquie, qui
comporte : un accès sans droits de douane au marché unique, sauf pour
les services financiers, et une très faible influence sur la
législation ; . le régime de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) :
application de la clause de la nation la plus favorisée et du tarif
extérieur commun de l’Union européenne. Aucun de ces régimes n’est satisfaisant pour le Royaume-Uni. Ils
impliquent, pour les trois premiers, de reprendre des dispositions
auxquelles, en cas de sortie de l’Union, il s’oppose (contribution au
budget de l’Union, reprise de sa législation, acceptation de la liberté
de circulation des personnes, limites aux possibilités d’exportation de
services financiers). Quant au quatrième régime, il est de nature à
freiner les exportations de biens et services sur le marché européen. Or
le marché de l’Union européenne représente, pour le Royaume-Uni,
environ la moitié de ses exportations et de ses importations. Par ailleurs, le Royaume-Uni aurait à renégocier des accords
commerciaux avec les cinquante-cinq pays avec lesquels l’Union
européenne est actuellement engagée. Il aurait également à redéfinir les
législations internes dans les secteurs, nombreux, où s’applique la
législation européenne. Enfin, last but not least, la place
financière britannique serait menacée, surtout avec la limitation
prévisible de ses exportations de services financiers sur le marché
européen. Toutes les analyses, y compris britanniques, convergent aujourd’hui
pour considérer qu’une sortie de l’Union européenne entrainerait une
baisse de la croissance économique du royaume. Sans parler des risques
d’éclatement politique, l’Ecosse étant attachée à son appartenance à
l’Union européenne.
Les conséquences d’une sortie du Royaume-Uni seraient également lourdes pour l’Union européenne
Outre l’encouragement qui serait ainsi donné aux forces centrifuges
en Europe, une sortie du Royaume-Uni porterait atteinte au statut
international de l’Union européenne. Sur le plan interne, après ce référendum, quel que soit son résultat,
il faudra statuer sur l’avenir du projet européen : pause dans la
construction européenne, comme l’incite à penser la mise entre
parenthèses, au bénéfice du seul Royaume-Uni pour le moment, de
l’objectif d’une union toujours plus étroite, ou renforcement de
l’intégration, en particulier au niveau de la zone euro. Au plan externe, une sortie du Royaume-Uni ferait d’abord apparaître
que la construction européenne n’est pas nécessairement définitive
puisque certains Etats pourraient y renoncer. Cette sortie pourrait
aussi être perçue comme le signe de désaccords importants au sein de
l’Union, qui évoluerait alors vers un rassemblement économique et
commercial de portée plus limitée. Ensuite, l’Union européenne perdrait
en puissance, notamment dans le domaine de la politique étrangère et de
sécurité, le Royaume-Uni étant avec la France le seul pays à disposer
d’une réelle capacité militaire. Cette perte d’influence concernerait
également le domaine économique puisque le Royaume-Uni est l’une des
principales économies de l’Union européenne. Les instances européennes et les Etats membres ont pris conscience de
ces problèmes, mais la solution n’est pas en vue. Elle passe par deux
voies complémentaires : un renforcement de l’intégration politique dans
le respect du principe de subsidiarité et la poursuite d’une stratégie
de convergence économique, de manière à ce que les instruments
supranationaux soient efficaces.
Emile-Robert PERRIN Consultant, Emile-Robert Perrin est ancien conseiller à la direction générale du Trésor (ministère de l’Economie)
N) Brexit, le dessous des cartes L’ « euroscepticisme » et le parti conservateur britannique
Voici un remarquable tableau de l’euroscepticisme au
sein du parti conservateur britannique. Des années 1970 à 2016, Jacques
Leruez dresse une fresque à la fois précise, claire et passionnante du
penchant qui conduit D. Cameron à organiser en juin 2016 un référendum à
propos de la sortie du Royaume-Uni de l’UE.
LA GRANDE-BRETAGNE est entrée
dans le Marché Commun des Six le 1er janvier 1973. Or ce qui ne
s’appelait pas encore « euroscepticisme », c’est-à-dire la méfiance
voire l’hostilité systématique envers la construction d’une Europe unie
et solidaire, s’est manifesté dès les premiers débats au sein du parti
conservateur, pour ne rien dire du parti travailliste. Le traité avait
été négocié par Edward Heath, Premier ministre conservateur de juin 1970
à mars 1974, sans doute le plus pro-européen de tous les Premiers
ministres qui se sont succédés depuis lors et déjà en décalage avec son
parti. La preuve en est que, dès le vote solennel aux Communes (octobre
1971) sur le principe de l’adhésion, 39 députés conservateurs entrainés
par Enoch Powell [1]
ont voté contre. Néanmoins, lorsque le travailliste Harold Wilson,
redevenu Premier ministre à la suite des élections générales peu
décisives de février et octobre 1974, procéda à une « renégociation » du
traité et organisa à sa suite un référendum à l’échelle du pays (5 juin
1975), première expérience de ce genre en Grande-Bretagne, c’est grâce à
l’appui massif des électeurs conservateurs, Edward Heath à leur tête– à
qui le nouveau leader, Margaret Thatcher, avait donné carte blanche –
qu’il l’emporta aussi facilement [2].
L’euroscepticisme enchainé
Après l’arrivée de cette dernière à la tête du parti (février 1975)
et sa victoire électorale de mai 1979, la minorité anti-européenne
conservatrice fut progressivement réduite au silence. D’abord, parce
qu’elle perdit, avec Enoch Powell, un de ses membres les plus connus.
Ensuite, parce que la politique étrangère menée par le nouveau Premier
ministre n’était pas pour déplaire à cette minorité : renforcement de la
« relation spéciale » avec les Etats-Unis
et collaboration renouvelée avec les présidents américains, surtout
après l’élection de Ronald Reagan, en novembre 1981 ; exaltation du
patriotisme et de la grandeur nationale, notamment au moment de la
reconquête des Malouines. De plus, en Europe, il fallait bien constater
que, sans jamais menacer de quitter la CEE, le Premier ministre, grâce à
ses opérations de charme et d’agression verbale mêlées, avait fini par
obtenir des concessions non négligeables. Elles se concrétisèrent
pleinement lors de la rencontre de Fontainebleau (juin 1984) qui accorda
à la Grande-Bretagne une ristourne permanente [3] sur ses paiements au budget communautaire, ristourne qui dure encore ! Puis vint la négociation de l’Acte unique, la seule à laquelle la
Grande-Bretagne se prêta volontiers, car elle reprenait une idée chère à
Margaret Thatcher selon laquelle le développement du marché intérieur
et la disparition des frontières douanières constituaient la meilleure
façon de donner aux citoyens européens une preuve concrète de l’existence de la Communauté.
Toutefois, pour en arriver là, elle avait dû accepter le principe du
vote à la majorité, l’acquisition par la Commission de compétences
exécutives supplémentaires pour la mise au point des quelques 279
directives nécessitées par la concrétisation du Marché unique, sans
compter le renforcement - certes modéré - des prérogatives du Parlement
européen par l’introduction d’un mécanisme de « co-décision » avec le
Conseil des Ministres. Certes, le European Communities (Amendment Act)
fut voté en 1986 sans coup férir par 319 voix contre 160. Toutefois,
les nombreuses abstentions (le nombre des députés des Communes était
alors de 650) montraient qu’une sourde inquiétude commençait à se faire
jour sur les bancs de la majorité conservatrice. Cela n’empêcha pas un
troisième triomphe de Margaret Thatcher aux élections du 11 juin 1987.
Dans la foulée, le traité créant un « lien fixe » sous la Manche entre
la France et la Grande-Bretagne était ratifié par le Parlement
britannique, le 29 juillet 1987, dans une atmosphère presque
euphorique [4]. De la même façon, après avoir accepté sans enthousiasme l’entrée de
la Grèce en 1981, la Grande-Bretagne salua avec une relative
satisfaction l’élargissement de la Communauté à l’Espagne et au
Portugal, cinq ans plus tard. Pourtant, cet élargissement modifiait
sensiblement la physionomie de la Communauté par l’entrée d’un nombre
accru de pays pauvres : en 1988, l’Espagne, la Grèce et le Portugal
avaient respectivement un PIB par tête de 8722, 5244 et 4265 dollars
face au Danemark : 20926 et la RFA : 19581. En outre, le nombre des
agriculteurs (déjà plus de 8 millions) augmentait de près de moitié et
cela dans une Communauté où le double problème de la surproduction et
des disparités de revenus agricoles était déjà fort aigu. La
Grande-Bretagne resta indifférente à cet aspect des choses. D’une
part, son agriculture n’entrait guère en concurrence avec les
productions méditerranéennes. D’autre part, avec un PIB un peu au dessus
de la moyenne communautaire (14 413 dollars en 1988) elle se sentait
peu concernée par l’augmentation des transferts en faveur des pays
pauvres. Enfin, cet élargissement, complété par le marché unique,
répondait à une constante de la diplomatie britannique visant à
substituer à l’union douanière originelle des Six une grande zone de
libre-échange dont l’hétérogénéité économique en ferait un nain
politique. On voit la contradiction entre la vision des
promoteurs de la Communauté qui aspiraient à une « union toujours plus
étroite » par approfondissement des liens politiques, avec en ligne de
mire un certain degré de supranationalité, et celle de la
Grande-Bretagne : liberté des échanges, élargissement, donc risque
assumé de dilution politique. On pouvait ainsi considérer qu’après
l’élargissement de 1986, la Communauté commençait à évoluer dans le sens
voulu par les Britanniques [5]. Ce n’était pas l’avis de Margaret Thatcher qui, en matière d’Europe,
était soumise à une double pression extérieure comme intérieure. Au
sommet européen de Hanovre (juin 1988), Jacques Delors, qui venait
d’être renouvelé pour quatre ans à la présidence de la Commission,
malgré les réserves britanniques, avait été placé à la tête d’un comité
spécial chargé d’examiner les différentes étapes requises pour parvenir à
une union économique et monétaire des douze. Le processus qui allait
aboutir au traité de Maastricht était enclenché. Par ailleurs, le
Premier ministre était l’objet de fortes pressions internes : haute
fonction publique, milieux d’affaires, un certain nombre de ministres -
dont le Chancelier de l’Echiquier, Nigel Lawson, et le ministre des
Affaires Etrangères, Geoffrey Howe – plaidaient pour que la
Grande-Bretagne rejoigne le mécanisme des changes du système monétaire
européen (SME) et, plus généralement, pour que Mme Thatcher adopte une
attitude moins négative lors des conseils européens. Elle prit très mal
ces pressions. Geoffrey Howe fut congédié brutalement du Foreign Office
en juillet 1989 [6]
et, lorsque Nigel Lawson démissionna du Treasury, en octobre 1989, elle
ne fit rien pour le retenir. Son impatience, voire sa colère, vis-à-vis
de ceux qui voulaient lui dicter sa politique européenne, allait se
faire sentir dans le fameux discours prononcé au Collège Européen de
Bruges, en septembre 1988. Elle y dénonçait non seulement la
« bureaucratie » de Bruxelles mais aussi le principe même de
l’intégration européenne : « Nous n’avons pas réussi à repousser les
frontières de l’Etat chez nous pour qu’elles nous soient réimposées au
niveau européen par un super-Etat exerçant une nouvelle domination à
partir de Bruxelles ». Certes, ce discours s’adressait aux onze
capitales de la Communauté mais il était aussi à usage interne et
répondait incontestablement à une attente au sein du parti conservateur
aux Communes et ailleurs. D’où la constitution du « groupe de Bruges »,
formé de parlementaires, d’intellectuels, d’hommes d’affaires qui se
voulaient farouchement hostiles à toute dérive « supranationale » des
institutions européennes. Mais, en encourageant la montée d’un sentiment
anti-européen dans son parti, elle prenait le risque de le diviser
profondément, car, à ce stade, les députés conservateurs étaient encore
majoritairement favorables à la construction européenne. Et ce
sentiment pesa lourd lors du scrutin (20 novembre 1990) pour l’élection
du leader qui allait mettre brutalement fin à plus de dix ans de
thatchérisme. Certes, la question européenne était loin d’être le souci
majeur pour la plupart des députés qui refusèrent de faire à nouveau
confiance à Margaret Thatcher. Beaucoup étaient simplement inquiets pour
leur réélection, compte tenu de l’impopularité des réformes internes -
notamment la fameuse poll-tax, cet impôt local par tête qui, du
nord au sud du pays, provoquait de violentes émeutes - que leur
gouvernement cherchait à imposer envers et contre tout. Il reste
qu’après la décision de Margaret Thatcher de se retirer du deuxième tour
de l’élection, celle-ci se joua entre trois candidats [7]
dont aucun ne se réclamait explicitement du discours de Bruges. Et les
orphelins de Thatcher, indignés par la façon dont le parti s’était
débarrassé d’elle, votèrent néanmoins faute de mieux pour John Major,
qu’elle avait plus ou moins explicitement désigné comme son héritier.
L’euroscepticisme déchainé
Pendant ses six ans et demi de gouvernement, John Major resta
ambivalent concernant la construction européenne. Il s’efforça d’abord
d’effacer auprès de ses partenaires les mauvais souvenirs laissés par
les trois dernières années négatives du gouvernement Thatcher. En tant
que Chancelier de l’Echiquier, il avait réussi à persuader (à la toute
fin, le 8 octobre 1990) son Premier ministre d’entrer dans le mécanisme
des changes du SME. En tant que Premier ministre, une de ses premières
démarches fut d’aller déclarer à Bonn : « Je veux que nous soyons au
cœur même de l’Europe, travaillant avec nos partenaires à construire
l’avenir. C’est un défi que nous relevons avec enthousiasme ». Ce
lyrisme laissait présager que les Britanniques useraient d’un tout autre
ton dans les négociations préparatoires à Maastricht. Toutefois, sur le
fond, la ligne de Major n’était pas très différente de celle de
Thatcher : son objectif était de faire prévaloir « l’Europe des
réalités » sur « l’Europe des rêves », selon l’expression de son
ministre des Affaires Etrangères, Douglas Hurd. Surtout, il s’agissait
de ne pas trop diviser le parti conservateur, où l’euroscepticisme
« officiel » était né. Aussi Major se battit-il avec acharnement pour
que le futur traité parût acceptable à l’ensemble de ses parlementaires.
Pendant la négociation, il veilla à ce que les termes « fédéral » et
« fédération » fussent exclus du traité. On adopta ainsi le terme
d’« union », mot jugé plus anodin donc plus acceptable. Ce qui lui
permit ensuite de souligner que « l’aspect le plus significatif du
traité était l’accord de coopération dans un cadre juridique
contraignant mais intergouvernemental dans les trois domaines-clé
de la sécurité intérieure, de la politique étrangère et de la
défense ». Surtout, seule des Douze, la Grande-Bretagne obtenait des
« exemptions » (opt-outs) : exemption de la « charte sociale »
signée à onze bien qu’elle eût été spécialement diluée pour obtenir la
signature des Britanniques ; droit de veto donné au Parlement
britannique concernant la phase ultime de l’Union monétaire,
c’est-à-dire l’entrée ou non dans la future zone euro. Malgré tout, la ratification du traité de Maastricht ne fut acquise
qu’après un des débats les plus longs et les plus acrimonieux qu’ait
connu la Chambre des Communes depuis 1945. En avril 1992, John Major
avait provoqué une élection générale, la chambre élue en juin 1987 étant
presqu’arrivée au terme de son mandat. Le parti conservateur resta au
pouvoir - à la surprise générale, tous les sondages annonçant une
victoire travailliste -, mais il n’en avait pas moins perdu 40 sièges et
John Major ne disposait plus que d’une majorité de 21 voix. C’était une
aubaine pour les quelques députés qui adhéraient à l’esprit de Bruges
et qui, en outre, n’avaient pas encore digéré la façon dont le reste du
parti s’était débarrassé de Mme Thatcher. Conscients de cette situation,
ils n’accordèrent à John Major que peu de répit. Certes, le 31 mai
1992, le premier vote (de prise en considération) du projet de loi
approuvant le traité de Maastricht se passa plutôt bien. Il fut adopté
par 336 voix contre 92 (dont 22 conservateurs), l’opposition
travailliste s’étant largement abstenue. Toutefois, quatre jours plus
tard, le gouvernement dut suspendre le débat en toute hâte après l’échec
du premier référendum danois (2 juin 1992), l’atmosphère aux Communes
ayant profondément changé. Lorsque le débat reprit, le gouvernement
venait de subir un nouveau coup : le « mercredi noir » (en septembre
1992) qui, à la suite d’une fuite des capitaux spectaculaire, avait vu
la sortie en catastrophe de la livre du système monétaire européen,
justifiant ainsi les réticences de Thatcher en 1989 et provoquant une
forte dévaluation de la devise britannique et un recul de l’autorité
gouvernementale. Aussi l’opposition travailliste décida-telle de ne plus
faciliter la tâche de John Major. La discussion article par article eut
lieu en « commission de la chambre entière », la règle pour un texte de
nature constitutionnelle, et dura près de 5 mois ; du 1er décembre 1992
au 22 avril 1993, la chambre y consacra 23 séances très agitées,
rejetant un amendement - provenant à la fois des eurosceptiques et de la
gauche travailliste - exigeant, avant toute ratification du traité,
l’organisation d’un référendum. La chambre des Lords, toujours plus
favorable à l’Europe que les Communes, approuva le traité à une large
majorité tout en votant un amendement de Lady Thatcher en faveur d’un
référendum. Il fallut donc renvoyer le texte aux Communes qui, après un
dernier débat de deux jours (22-23 juillet 1993), approuvèrent le texte
gouvernemental, par 324 voix contre 299, un seul rebelle ayant voté
contre. Il faut dire que, de guerre lasse, John Major avait posé la
question de confiance, procédure très rare au Parlement britannique. Après la défaite électorale écrasante de son parti par le « nouveau
labour » de Tony Blair en mai 1997 - le groupe parlementaire avait fondu
de moitié avec 165 députés -, John Major quitta immédiatement ses
fonctions. Il abandonnait un parti profondément divisé entre des
eurosceptiques encore minoritaires mais que le passage dans l’opposition
avait libérés. Le nouveau leader William Hague, élu en juin 1997 par
défaut (grâce au désistement de quatre eurosceptiques, il obtint 92 voix
contre 70 à Kenneth Clarke, européen convaincu, qui était arrivé en
tête au premier tour) tenta d’abord de tenir la balance égale entre les
pro-Européens et les autres, mais cette attitude conciliante fut
rapidement battue en brèche par les nombreux groupes et organisations
eurosceptiques, encouragées par Lady Thatcher qui, sous prétexte de
« défendre la livre », entreprirent, à la veille des élections de 2001,
une campagne hystérique contre le gouvernement Blair. Cette campagne
n’empêcha pas une seconde brillante victoire électorale de Blair. Le
nombre des députés conservateurs ne changea pas mais la nature du
groupe, elle, avait changé. En effet, des militants de la droite
eurosceptique, sous l’égide d’un groupement, le Conservative Way Forward,
avaient entrepris une campagne interne visant à éliminer de la
candidature tous les aspirants soupçonnés d’être pro-européens. Cette
opération réussit au-delà de toute espérance et, après la démission de
Hague, c’est l’un des meneurs du groupe anti-Maastricht, Ian Duncan
Smith, qui fut élu leader. Pas pour très longtemps car il dut
démissionner en novembre 2003 pour céder la place à Michael Howard,
autre eurosceptique notoire qui, malgré la guerre d’Irak et le
traumatisme qu’elle provoqua au sein du parti et de l’électorat
travaillistes, ne parvint à regagner, lors des élections de 2005, qu’une
petite partie (32 sièges) du terrain perdu en 1992, ce qui annonçait
une période d’opposition record pour les conservateurs : 18 ans [8].
Les débats parlementaires autour de la guerre d’Irak montrèrent à quel
point le culte de la « relation spéciale » avec les Etats-Unis, cher à
Thatcher mais un peu négligé sous Major, était à nouveau bien vivant au
sein des conservateurs et largement lié à l’euroscepticisme : lors du
débat décisif du 18 mars 2003, alors qu’un tiers des travaillistes (139)
votaient contre le gouvernement, 140 conservateurs votaient en faveur
de la motion gouvernementale et seulement 16 contre. L’idée qu’il valait
mieux suivre G. W. Bush que J. Chirac était sans aucun doute
sous-jacente.
La surenchère eurosceptique
Dès la chute de Thatcher, les eurosceptiques eurent l’appui de la
presse conservatrice de Londres qui non seulement combattit la façon
dont son héroïne avait été renversée mais soutint très modérément John
Major lors de la campagne électorale de 1992. En fait, certains organes
ne lui pardonnèrent jamais - notamment ceux du groupe Murdoch – de
n’avoir rien fait pour éviter la chute de Thatcher, alors qu’il en était
l’héritier officieux. Après la ratification de Maastricht, cette
défiance se transforma en hostilité proclamée et, en 1995, lorsque John
Major, dans l’espoir de retrouver quelque autorité, remit son leadership
en jeu, seuls quatre titres de la presse conservatrice soutinrent sa
réélection. Le tableau suivant montre à quel point la presse
eurosceptique, notamment celle qui s’adresse à un public populaire,
domine largement le marché des médias écrits de Londres qui doivent leur influence, très ancienne, à leur forte diffusion nationale.
Tableau. La presse de Londres et la diffusion de l’euroscepticisme
Réalisation J. Leruez pour Diploweb.com, 2016
Certes, les tirages de la presse en général ont beaucoup régressé ces
dernières années, mais ils restent très enviables, surtout ceux de la
presse populaire, qui rivalisent dans l’euroscepticisme le plus primaire
pour des raisons autant commerciales que politiques. Grosso modo, les tirages des titres eurosceptiques se partagent environ 80% de l’ensemble de la presse de Londres
(l’empire financier de Murdoch représentant à lui seul environ 35% du
marché de la presse britannique). En quelque vingt ans, il n’est pas
étonnant qu’ils aient fini par rallier un nombre accru de Britanniques à
l’euroscepticisme, d’autant plus qu’une partie de leurs lecteurs était
convaincue d’avance. A l’inverse, les quelques titres favorables à
l’Europe ont reculé plus que les autres. C’est particulièrement le cas
des organes proches de la gauche libérale ou travailliste comme The Guardian pour la presse de qualité et le Daily Mirror pour la presse populaire. Le cas de TheIndependent est significatif. Créé en 1986 par un groupe de journalistes du Times
qui avaient rompu avec le journal lorsqu’il était tombé dans
l’escarcelle de Rupert Murdoch, il a eu du mal à trouver sa place dans
la panoplie de la presse britannique et, depuis quelques années, il
lutte pour sa survie. Plutôt conservateur mais modéré et favorable au
statu quo européen, son déclin, sans doute inexorable, montre qu’il est
difficile d’occuper ce double créneau en Grande-Bretagne. En tout cas, cette évolution reflète une droitisation incontestable de la société britannique.
D’où l’apparition ou le renforcement, à la droite du parti
conservateur, de groupements et même de partis eurosceptiques, dont le
plus important est incontestablement le United Kingdom Independence Party. Créé en 1994 à la LSE [9]
par un historien, membre du groupe de Bruges en rupture avec les
conservateurs, Alan Sked, le UKIP entra très vite en concurrence avec
le Referendum Party, fondé la même année par le milliardaire
franco-britannique, James Goldsmith. Toutefois, la disparition de
Goldsmith, en 1997, entraina la disparition de ce parti. Le UKIP a
bénéficié d’une grande visibilité électorale grâce à l’introduction par
le gouvernement Blair d’un mode de scrutin proportionnel pour les
élections au Parlement européen, ce qui lui a permis de gagner trois
sièges en 1999, 12 en 2004, 13 en 2009 et surtout 24 en 2014, dont un
sur six en Ecosse, pourtant réputée moins eurosceptique que
l’Angleterre. Ce succès faisait du UKIP le premier parti non seulement
en sièges mais aussi en voix. Toutefois, en raison du système électoral
majoritaire pour les Communes, il n’a pas réussi de percée aux élections
qui comptent vraiment, malgré des scores en voix impressionnants :
passant de 919546 voix (3,1% de l’ensemble) en 2010 et aucun élu, à
3881099 (12,7%) et un seul élu en 2015. Même son leader, Nigel Farage, a
été battu. Le UKIP a donc essentiellement un pouvoir de nuisance,
notamment dans les secteurs à forte dominance conservatrice. D’où l’apparition d’un euroscepticisme opportuniste parmi les députés conservateurs qui se sentent menacés pour leur réélection.
Mais il progresse aussi dans les zones de force travaillistes : en
2015, il est arrivé deuxième dans une quarantaine de circonscriptions
travaillistes. Que veut le UKIP ? Il est en général considéré comme un single-issue party (à objectif unique), c’est dire qu’il vise essentiellement le Brexit.
Toutefois, il est aussi imprégné de libéralisme thatchérien, et Farage
n’hésite pas à déclarer que son parti est le véritable héritier de
Margaret Thatcher et qu’il n’existerait pas si celle-ci avait pu
poursuivre son œuvre en 1990. Mais, il y a également dans le discours du
UKIP des relents du powellisme car il dénonce vivement l’immigration
est-européenne, résultat de la politique des « frontières ouvertes » de
l’Union. Son hostilité à l’immigration européenne constitue donc un sous-produit de sa détestation de l’Europe.
Tout cela le différencie peu de la droite eurosceptique des
conservateurs, d’où l’osmose électorale évidente entre les deux mais
aussi leur rivalité et la surenchère qui en dérive.
Conclusion
En définitive, l’affrontement europhiles/eurosceptiques au sein des
conservateurs britanniques pendant leur longue période d’opposition
(1997-2010) a suivi une ligne de clivage générationnel.
D’un côté, les anciens, qui ont été des ministres loyaux sous Thatcher
tout en se lassant vers la fin de ses intransigeances, qui ont donné
leur pleine mesure sous Major, et qui s’accommodent fort bien d’une
Union européenne qu’ils ont contribué à construire largement dans le
sens voulu par les Britanniques. De l’autre côté, les nouveaux, qui
n’ont pas eu encore de responsabilités majeures au sein du parti - à
quelques exceptions près - et qui rêvent d’horizons plus larges que ceux
de l’Europe, qu’ils voient rabougrie, mesquine, et cherchant plus à se
protéger de la mondialisation qu’à s’y adapter. En fait, ils voient
l’avenir de la Grande-Bretagne selon la formule de Churchill : « avec
l’Europe, mais pas dans l’Europe ». Le problème c’est que le monde a
changé depuis Churchill. Par conséquent, le parti conservateur a eu, en 2005, une équation
douloureuse à résoudre : choisir un leader qui fût d’une trempe à se
faire élire Premier ministre, ce que d’évidence les trois successeurs de
Major n’avaient pas été, mais qui épouse largement les vues de la nouvelle génération en matière de politique étrangère et européenne.
Ce leader a été David Cameron. Elu en décembre 2005 à 39 ans, il accède
au poste de Premier ministre en mai 2010, à la tête d’un gouvernement
de coalition avec les libéraux-démocrates, la plupart pro-européens
convaincus, ce qui lui donne un prétexte pour tergiverser, au moins dans
ce domaine. Toutefois, sous la pression de ses troupes, qui supportent
de plus en plus mal les compromis nécessaires à la survie de la
coalition, il doit s’engager - en 2013 - à organiser un référendum pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne,
avant la fin de 2017. Cet engagement l’a sans doute aidé à remporter -
de justesse - les élections générales de mai 2015. Mais, en s’engageant
ainsi, il faisait un pari risqué, non seulement sur l’avenir européen de
son pays, mais aussi sur l’avenir du Royaume-Uni, pour ne rien dire de l’avenir de la construction européenne elle-même.
Directeur de recherches émérite au CNRS, auteur de nombreux ouvrages dont Thatcher : La Dame de fer, éd. André Versaille.
Bibliographie . ALEXANDRE-COLLIER Agnès. La Grande-Bretagne eurosceptique ? L’Europe dans le débat politique britannique, Editions du Temps, Nantes, 2002, 192 p. . ALEXANDRE-COLLIER Agnès. Les Habits neufs de David Cameron. Les conservateurs britanniques (1990-2010), Sciences Po. Les Presses, Paris, 2010, 139 p. . LA SERRE (de) Françoise, LERUEZ Jacques, « Le référendum en Grande-Bretagne, » in Problèmes politiques et sociaux, La Documentation Française, Paris 1975. . LA SERRE (de) Françoise, La Grande-Bretagne et la Communauté Européenne, Presses Universitaires de France, Paris 1987, 224 p. . LERUEZ Jacques, SUREL Jeannine. Le Royaume-Uni au XXe siècle, Ellipses, Paris, 1997, 286 p. . LERUEZ Jacques, (ed.), Londres et le monde. Stratèges et stratégies britanniques, CERI/Autrement, Paris 2005, 149 p. . SCHNAPPER Pauline, La Grande-Bretagne et l’Europe, Le grand malentendu. Presses de Sciences Po, Paris 2000, 218 p. . SCHNAPPER Pauline, Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union européenne ?, La Documentation Française, Paris 2014, 164 p.
O) Brexit : quels enjeux géopolitiques ?
Quels sont les enjeux géopolitiques internationaux du
Brexit ? Cette contribution envisage les effets possibles du vote
britannique à court et moyen termes sur la construction européenne, leur
impact sur la position hégémonique des États-Unis et pose la question
de son sens stratégique dans le contexte plus large de basculement du
monde dans la multipolarité.
LE 23 JUIN 2016, le Royaume-Uni
se prononçait à 51,9% en faveur de la sortie de l’Union européenne
(UE). Une première en presque soixante-dix années d’intégration
continue. Les résultats du vote auront mis en évidence de façon très
nette les clivages, notamment territoriaux, qui articulent la
géopolitique intérieure du pays. Le Leave recueillait une majorité de voix en Angleterre (53,4%) et au pays de Galles (52,5%), tandis que le Remain l’emportait en Irlande du nord (55,8%) et en Écosse (62%), où un nouveau référendum sur l’indépendance semble possible. Quels sont les enjeux géopolitiques internationaux du Brexit ? Cette
contribution envisage les effets possibles du vote britannique à court
et moyen termes sur la construction européenne (I), leur impact sur la
position hégémonique des États-Unis (II) et pose la question de son sens
stratégique dans le contexte plus large de basculement du monde dans la
multipolarité (III).
Djiby Sow
Politologue et juriste de droit international public, diplômé de l’Université de Montréal.
I. La construction européenne menacée ?
Un candidat à l’élection présidentielle française de 2017 écrivait en
réaction aux résultats du référendum britannique que le « Mur de
Bruxelles est tombé » [1]. C’est dire l’ampleur de la menace que fait peser la victoire du Leave
sur l’Union. Le Brexit marque effectivement le rejet des institutions
européennes à travers le continent – qui plus est dans un contexte de
crise sociale et identitaire aggravée dans plusieurs États-membres – etsemble appelé à catalyser les forces centrifuges qui travaillent à la dé-construction européenne. Dès le lendemain du vote, des membres de l’opposition appelaient à la
tenue de référendums similaires dans plusieurs États, dont l’Autriche,
la Finlande, la France, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal
et la Slovaquie. La Présidence Tchèque s’est quant à elle engagée à
organiser un référendum sur l’appartenance du pays à l’UE, mais
également à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Des questions sectorielles seront également soumises au plébiscite,
comme en Hongrie où devrait se tenir, le 2 octobre 2016, un référendum
sur l’immigration – une mise en cause directe de la gestion de la
« crise des migrants » par Bruxelles. Les relations commerciales de
l’Union ne seront pas en reste puisque l’accord de libre-échange
UE-Canada (dont la signature était prévue en octobre 2016) devrait
finalement être soumis au vote des parlements nationaux [2].
Avec, en perspective, un enlisement vraisemblable du débat autour des
tribunaux d’investissement prévus en guise de substitut au controversé
mécanisme « Investor-State Dispute Settlement » (ISDS), mais dont ils demeurent très proches en substance [3]. À terme, la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE constituerait un
précédent. Toute concession obtenue par Londres dans le cadre des
négociations de sortie à intervenir avec Bruxelles, en ce qui concerne
le contrôle de l’immigration et la libre-circulation par exemple,
pourrait également être invoquée par d’autres États dans le futur avec
le risque de matérialiser l’« Europe à la carte » que redoutent les
dirigeants européens [4]. D’ici là, l’exemple britannique devrait peser de tout son poids sur la vie politique des États-membres.
À cet égard, deux échéances s’annoncent cruciales pour l’avenir de
l’UE. En Italie, le gouvernement mettra son mandat en jeu en octobre
2016 à l’occasion du référendum sur un projet de réforme
constitutionnelle devant aboutir à la réduction du nombre et des
pouvoirs des sénateurs. Le Mouvement 5 Étoiles (M5S) apparait toutefois
en mesure de transformer la consultation en un large plébiscite pour ou
contre l’action du gouvernement. De plus, alors qu’il avait déjà mis en
difficulté le Parti démocratique du Premier ministre Renzi aux
municipales de juin 2016 en remportant 19 des 20 villes où il avait
présenté un candidat, trois sondages effectués entre le 28 juin et le 5
juillet 2016 présagent au mouvement une victoire en cas d’élections
législatives immédiates [5].
Le risque pour l’UE vient du fait que dans le contexte de crise du
système bancaire italien, le M5S a déjà fait connaître son intention
d’organiser d’un référendum sur le maintien de l’euro comme monnaie du
pays ou le retour à la Lire. Une éventualité à laquelle la zone euro ni
le projet européen ne paraissent en mesure de survivre compte tenu des
répercussions qu’elle aurait sur l’Allemagne, cœur de l’économie
européenne. En France, les sondages donnent Marine Le Pen au second tour de
l’élection présidentielle de mai 2017. En s’engageant à organiser un
référendum en cas de victoire, la candidate du Front National a déjà
fait de l’Europe un enjeu de campagne majeur. Il n’est pas exclu non
plus de voir les partis européistes du centre, en chute libre,
radicaliser eux aussi leur offre politique sur des thématiques
spécifiques dans le but de synchroniser avec un électorat qui compte
parmi les plus eurosceptiques de l’Union. Le pays avait en effet déjà
dit « non » à 54.6% en 2005 au Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe. Un texte remanié, le Traité de Lisbonne,
fut néanmoins ratifié par voie parlementaire. L’Europe et la monnaie
unique, synonymes de mondialisation et de désindustrialisation pour
nombre d’ouvriers et de cadres déclassés, sont majoritairement
considérées comme les responsables de grave situation économique et
sociale que connaît le pays. Les blocages considérables suscités par la
loi de réforme du travail (El Komri), elle aussi largement perçue comme
imposée par Bruxelles et passée en force par un mécanisme
constitutionnel, en constituent l’illustration la plus récente. Surtout, la question de l’immigration est désormais – bien davantage
qu’au Royaume-Uni – un sujet de tension extrême. Le pays a été
relativement moins affecté par la « crise des migrants » que d’autres
États de l’Union. Cependant, le « vivre-ensemble » avec ses citoyens
originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne paraît confronté à
d’importantes difficultés, ainsi qu’ont pu l’illustrer la permanence du
débat sur la laïcité au cours de la dernière décennie ou la polémique
courante sur le « burkini ». Les attentats des 7, 8 et 9 janvier et 13 novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice
ont achevé d’installer un climat délétère. Le Chef de la Direction
Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) affirmait dès mai 2016, devant
la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de novembre
2015, que le pays était « au bord de la guerre civile » et mettait en
garde contre une « confrontation inéluctable » entre « entre l’ultra
droite et le monde musulman - pas les islamistes mais bien le monde
musulman » [6].
Si le constat peut sembler alarmiste, il y a peu de risque à parier que
la dialectique sécurité/contrôle des frontières pourrait devenir, dans
un tel contexte, la clé de l’élection avec, en bout de ligne, la libre
circulation et l’espace Schengen pour premières victimes. En ce qui concerne les tendances de fond, une évolution tout à fait
majeure devrait être anticipée en conséquence du Brexit, à savoir que
les relations internationales et la géopolitique sont appelées à
retrouver leurs lettres de noblesse sur le continent. L’intégration
économique est en effet parvenue à mettre en sourdine des siècles de
conflits ayant notamment culminé en deux guerres mondiales. La sortie du
Royaume-Uni pourrait cependant mettre à l’épreuve les équilibres qui
ont garanti à l’Europe la plus longue période de paix des derniers
siècles (depuis 1501 dans le cas de la France). Elle consoliderait
probablement la position dominante de l’Allemagne et les craintes
régionales face à la perspective, réelle ou fantasmée, d’une Europe
germanique et romprait notamment le ménage à trois avec la France,
laissant Paris et Berlin seuls face à leurs antagonismes géopolitiques
et historiques. Sur la question fondamentale de l’avenir de l’UE par exemple, la publication, dès le 27 juin 2016, d’un concept d’union beaucoup plus intégré [7]
par les diplomaties allemande et française semble bien traduire un
accord de principe sur la nécessité de bâtir sur la crise. Des
divergences profondes demeurent cependant entre les deux piliers de
l’Union. Les convulsions économiques et financières de la dernière
décennie n’auront, en effet, rien révélé d’autre que l’inachèvement et
les dysfonctionnements de l’union monétaire. D’aucuns estiment que
l’intégration économique et politique encore plus poussée demande
l’harmonisation des règles fiscales et, à l’instar des fédérations les
plus abouties, les transferts budgétaires appropriés des régions les
plus riches vers les plus pauvres. Une évolution souhaitée à Paris mais
non à Berlin où la préférence est au contrôle et à l’austérité
budgétaires. La crise de la dette grecque aura bien mis en lumière
l’intransigeance du pouvoir allemand dans son refus de « payer pour la
Grèce », comme l’impuissance française sur ce dossier. La crise bancaire
italienne courante pourrait donc être l’occasion d’observer l’impact du
nouvel environnement post-Brexit sur les positions des deux capitales. L’enjeu structurant des rapports transatlantiques avec Washington
devrait par ailleurs prendre davantage de place dans les nouvelles
relations intereuropéennes. La sortie de leur plus proche allié de l’UE
laisserait, en effet, les États-Unis dépendants de leurs relations déjà
étroites avec l’Allemagne. Un axe névralgique Washington-Berlin actant
et renforçant ouvertement l’hégémonie allemande aurait quant à lui pour
contrecoup vraisemblable d’accentuer les inquiétudes de la France –
désormais seule puissance militaire majeure au sein de l’Union – quant à
son rang et à sa place en Europe. Cette dynamique structurelle pourrait même avoir produit ses premiers
effets dès le 8 juillet 2016 à Varsovie, à l’occasion du sommet de
l’OTAN. Alors que la Chancelière Merkel parait avoir épousé la ligne
dure de Washington face à la Russie,
le Président Hollande affirmait à contrepied de toute la politique
transatlantique depuis les évènements de Crimée en 2014 que « l’OTAN n’a
pas du tout vocation à peser sur les relations que l’Europe doit avoir
avec la Russie ; et pour la France, la Russie n’est pas un adversaire,
n’est pas une menace » [8].
Cette puissante déclaration publique, son opposition inhabituellement
frontale avec la direction américaine – sans doute la première depuis le
« non » à l’invasion de l’Irak en 2003 – ne peuvent-elles pas être
interprétées comme le premier coup de semonce français dans le jeu de
positionnement dans l’Europe post-Brexit ou, à tout le moins, comme le
marqueur d’un mouvement des lignes sur le continent ?
II. La fragilisation de la position des États-Unis en Europe
La régression de l’Union ou, à plus forte raison, sa dislocation
précipitée par le Brexit constituerait un revers stratégique majeur pour
Washington. Le maintien et le renforcement de la construction
européenne constituent un objectif primordial dans la stratégie de
puissance déployée par les États-Unis à l’échelle globale depuis 1945
ainsi qu’un axe de politique étrangère fondamental. Il s’agirait ainsi,
selon les travaux bien connus de Zbigniew Brzezinski, de contenir les
tendances géostratégiques naturelles du continent dans le but ultime de
prévenir l’émergence d’une puissance eurasiatique capable de contester
l’hégémonie globale étasunienne. Cette politique repose en partie sur la forte bilatéralisation de la
relation transatlantique au niveau d’un certain nombre d’États-clé dont
le Royaume-Uni et l’Allemagne
constituent le premier cercle, mais incluant aussi la Pologne, la
Turquie (hors UE) et, dans une certaine mesure, la France, puisqu’après
l’avoir quitté en 1966, celle-ci est de retour dans le commandement
militaire intégré de l’OTAN à compter de 2008-2009. Même si l’observation devrait être relativisée compte tenu de la
prééminence de Berlin sur le continent, il est largement admis que la
« relation spéciale » avec Londres faisait office, jusqu’au 24 juin
2016, de canal de projection privilégié et direct des intérêts
américains dans l’Union – le Royaume-Uni ayant souvent été perçu par ses
pairs comme un « cheval de Troie américain » dans l’UE. À très court
terme, la sortie britannique pourrait donc se traduire par un recul, ne
serait-ce que temporaire, de la prépondérance des États-Unis sur un
certain nombre de dossiers, tout en notant qu’il resterait 21 États
membres de l’OTAN dans l’UE, ce qui laisse à Washington d’importants
leviers d’influence. Parmi les plus importants figurent, sur le plan du commerce, les
négociations relatives au traité de libre-échange transatlantique
(TAFTA), destiné à créer la plus grande zone de libre échange du monde
(comptant environ 800 millions de consommateurs et pour près de la
moitié du PIB mondial). Conçu par Washington comme le pendant occidental
du Partenariat Trans Pacifique (PTP) dans le cadre d’une stratégie plus
large de reflux de la puissance commerciale chinoise, le projet de
traité transatlantique butait déjà sur les réticences de certaines
parties européennes, notamment au sujet de certains secteurs protégés,
aux normes phytosanitaires ou encore au mécanisme « Investor-State Dispute Settlement » (ISDS). La sortie du fer de lance du TAFTA dans l’Union et, avec lui, une
certaine conception du libéralisme, accroit de façon considérable les
inconnues autour du texte. Les contacts américano-britanniques en vue
d’un accord commercial bilatéral, ainsi que l’arrangement à intervenir
entre l’UE et le Royaume-Uni, semblent en outre devoir aboutir à la
négociation simultanée de trois traités majeurs. Une évolution qui ne
restera pas sans effets sur les tractations autour du TAFTA, chacun
étant désormais susceptible de chercher à accroitre son pouvoir de
négociation à même la nouvelle dynamique triangulaire. Dans cette
perspective, il est permis de se demander si les déclarations du
ministre de l’économie et vice-chancelier allemand à l’effet que le
« TAFTA a de facto échoué » en raison du refus de l’Europe de « se soumettre aux exigences des États-Unis » [9] et l’interruption des négociations qui sera demandée fin septembre 2016 par la France [10] ne sont pas autant de tentatives de faire monter les enchères côté européen. Les enjeux paraissent plus importants encore sur le plan stratégique.
Ancrée sur l’Union, la politique d’isolement de la Russie impulsée par
Washington pourrait être compromise à très court terme. Le bien-fondé
des sanctions économiques et diplomatiques contre Moscou, adoptées avec
réticence dans bien des cas [11],
fait débat dans les capitales européennes. Plusieurs États-membres, y
compris le Royaume-Uni, désirent une normalisation des relations avec le
Kremlin [12].
La France apparait comme le moteur de cette tendance : les deux
chambres du parlement ont chacune adopté une résolution (non
contraignantes pour l’exécutif) demandant la levée des sanctions ; comme
en Allemagne, une partie de l’opposition, proche des milieux
d’affaires, milite pour leur abrogation et le rapprochement avec Moscou.
Enfin, le gouvernement français s’est prononcé en faveur de la levée
des sanctions et recevra le Président Vladimir Poutine à Paris en
octobre 2016. Dans ce contexte et en l’absence du soutien britannique aux
sanctions, l’influence allemande ne suffira vraisemblablement pas à
faire prolonger les sanctions au-delà de leur échéance, le 31 janvier
2017. D’autant plus que la Chancelière Merkel se trouve elle-même
confrontée à une pression croissante au sein de sa coalition pour
l’abandon des mesures contre Moscou et que pour aboutir, les pressions
de certains des anciens satellites soviétiques pour le maintien, voire
le renforcement des sanctions, devront obligatoirement susciter
l’unanimité au sein du Conseil européen. La principale préoccupation américaine au lendemain du vote concernait toutefoisl’OTAN, instrument primordial de contrôle du verrou eurasiatique et dont le premier secrétaire général (le Britannique Lord Ismay) avait résumé la raison d’être comme suit : « keep the Americans in, the Germans down and the Russians out » [13].
En effet, il est particulièrement évocateur qu’alors que le Royaume-Uni
n’a voté que sur la question de son adhésion à l’UE, le premier élément
de substance dans le communiqué de la présidence des États-Unis
concerne la participation britannique à l’OTAN : « [...]la
relation spéciale entre les États-Unis et le Royaume-Uni est durable, et
la participation du Royaume-Uni dans l’OTAN demeure une pierre
angulaire vitale des politiques étrangère, économique et de sécurité des
États-Unis (traduction de l’auteur) » [14].
La sortie du Royaume-Uni de l’alliance ne semble pas à
l’ordre du jour, même si le renouvellement des sous-marins Trident,
prévu de longue date mais voté le 18 juillet 2016, traduit la volonté
britannique de maintenir une capacité de dissuasion indépendante du
parapluie nucléaire de l’OTAN à l’horizon 2030 et adresse, en pleine
tourmente post-Brexit, un signal pour le moins intéressant. La victoire
du Leave pourrait cependant avoir, à terme, un impact négatif
indirect sur l’alliance si l’Union venait à s’affaiblir, la
participation du Secrétaire général Jens Stoltenberg à la première
réunion du Conseil européen post-Brexit du 29 juin 2016 rappelant au
besoin l’étroite articulation entre UE et OTAN. Dans l’immédiat, le vote britannique est susceptible d’affecter les
équilibres internes de l’alliance, à un moment crucial des relations
avec la Russie. Les derniers mois ont vu une escalade sans précédent en
Europe de l’Est depuis la Seconde Guerre mondiale. La Pologne a été le
lieu des exercices « Anaconda » impliquant 30 000 hommes (américains et
polonais pour l’essentiel). Confirmé au sommet de Varsovie, le
positionnement d’unités de combat aux portes de la Russie courant 2017–
le Canada étant la nation-cadre en Lettonie, le Royaume-Uni en Estonie,
l’Allemagne en Lituanie et les États-Unis en Pologne – pour un total de
4000 hommes a fait dire à certains observateurs que la dissuasion
nucléaire ne fonctionne plus [15].
Enfin, l’activation en mai 2016 de la portion roumaine du bouclier
antimissile américain marque une première étape vers
l’opérationnalisation de l’ensemble du système défense, perçu de longue
date par Moscou comme une menace à l’équilibre stratégique qui a prévenu
l’affrontement nucléaire entre les deux blocs durant la Guerre froide.
Dans la perspective du Président Poutine, « la défense antimissile
stratégique balistique fait partie d’une capacité stratégique offensive
fonctionnant en liaison avec un système de tir de missile agressif
(traduction de l’auteur) » [16]
et ferait courir un double danger stratégique à la Russie.
Premièrement, les capsules de lancement des missiles défensifs seraient
les mêmes que celles utilisées pour les missiles offensifs mer-sol
« Tomahawk ». Cet état de fait laisserait donc les forces de défense
russes dans l’incertitude quant au contenu des silos, lequel pourrait
être « reprogrammé en quelques heures ». En second lieu, la portée des
missiles américains, aujourd’hui estimée par le Kremlin à 500 km,
devrait atteindre dans les prochaines années un rayon de 1000 km, voire
davantage. Prévue en 2018, la mise en place du segment polonais du
système de défense, à 250 km de l’enclave russe de Kaliningrad,
permettrait donc à l’alliance d’intercepter un tir de missile jusqu’à
750 km à l’intérieur du territoire russe, neutralisant théoriquement –
abstraction faite des submersibles qui sillonnent les mers du globe –
toute capacité de riposte nucléaire de Moscou en cas de première frappe.
Ce sont finalement là les modalités pratiques qui sous-tendent la
théorie de la primauté nucléaire (« nuclear primacy ») en vogue
dans les cercles stratégiques américains, à savoir la capacité postulée
de Washington de neutraliser les arsenaux nucléaires russes et/ou
chinois par le développement de capacités de première frappe (« first strikecapabilities ») [17]. Le risque croissant d’un « incident » est néanmoins source de
fébrilité dans les rangs de l’organisation. Le Président Bulgare
excluait par exemple la participation de son pays au projet de flotte
permanente de l’alliance dans la mer Baltique, déclarant « ne pas avoir
de besoin de guerre » [18].
Le Ministre des Affaires étrangères allemand Steinmeir se
désolidarisait quant à lui de façon retentissante de l’action de la
Chancelière Merkel, en dénonçant l’« intimidation » et le
« bellicisme » [19] de l’OTAN – cette distanciation ne révélant que mieux le niveau de tension au sein même de certains États. Dans ce contexte de division, la prise de position française
précédemment soulignée – « l’OTAN n’a pas du tout vocation à peser sur
les relations que l’Europe doit avoir avec la Russie ; et pour la
France, la Russie n’est pas un adversaire, n’est pas une menace » –
acquiert une toute autre portée et pourrait, mise en perspective par
rapport à l’orientation poursuivie par l’Allemagne, contribuer à
polariser les membres européens de l’alliance. Du reste, le Royaume-Uni post-Brexit semble lui-même enclin à
renverser la vapeur avec le Kremlin. La nomination de Boris Johnson,
connu pour ses prises de positions favorables à la Russie, comme
Ministre des affaires étrangères apparaissait comme un signe d’ouverture
vers Moscou. La conversation téléphonique du 9 juillet 2016 entre
Theresa May et Vladimir Poutine déplorant de part et d’autre l’état de
la relation bilatérale, puis le désir d’une normalisation formellement
exprimé par Londres, ne laissent plus de doute. L’embellie pourrait cependant n’être que passagère dans la mesure où
le Kremlin cherchera vraisemblablement à faire surseoir le
positionnement annoncé de forces britanniques en Estonie. Une décision
qui parait a priori improbable dans la mesure où elle
équivaudrait de fait à une déclaration d’indépendance au sommet de
l’alliance, avec les répercussions que l’on imagine. Cependant, après la
Grèce, l’Italie, la France et la Turquie, le nombre d’États souhaitant
calmer le jeu avec Moscou pourrait, avec la rencontre annoncée entre May
et Poutine en marge du G20 de septembre 2016 à Pékin, atteindre la
masse critique fatale à la politique russe de Washington.
III. La préemption d’un nouvel ordre monétaire international ?
L’ampleur de ces enjeux et les conséquences négatives tout à fait prévisibles du Brexit sur la position globale des États-Unis [20] invitent à se demander si la victoire du Leave
n’est pas l’expression d’un phénomène plus profond que l’analyse de
classe, prédominante dans les commentaires, pourrait empêcher de
percevoir. Les résultats du plébiscite sont effectivement analysés par
une majorité de médias traditionnels et de think tanks comme le rejet de l’« élite » par le « peuple » et des gouvernants par les gouvernés [21].
C’est clairement l’un des sens que l’on doit leur donner, tant il est
vrai, au Royaume-Uni comme dans nombre d’États occidentaux – le
phénomène Trump semble en être l’expression aux États-Unis – que les
affres de la mondialisation économique et financière (politiques
d’austérité, chômage et immigration de masse) semblent avoir aliéné
classes moyenne et ouvrière. Poser cette interprétation du vote comme l’alpha et l’oméga du Brexit
fait néanmoins oublier qu’au-delà de l’engagement bien visible des
partis politiques, la campagne référendaire a mobilisé jusque dans les
rangs de l’establishment. L’on sait par exemple que l’élite intellectuelle et universitaire s’est majoritairement prononcée en faveur du Remain mais, surtout, que le camp du Leave a été porté à bout de bras par certains grands propriétaires de médias [22].
À telle enseigne que nombre de commentateurs sous le choc attribuaient
les résultats du 24 juin aux « mensonges des tabloïdes sur l’UE ». Le
quotidien Sun violait même le sacrosaint principe de neutralité
de la Couronne, en titrant « la Reine soutient le Brexit » et persistait
malgré sa condamnation par l’organisme de régulation de la presse
britannique [23]. Ces quelques éléments d’analyse préliminaires devraient donc rappeler que l’establishment,
au Royaume-Uni et ailleurs, n’est jamais monolithique. Il semble en
l’occurrence qu’au moins une de ses factions, dont la composition et les
contours précis gagneraient à être déterminés, se trouvait en faveur de
la sortie de l’UE. L’analyse de classe atteint ici ses limites, en ce
qu’elle explique mal la convergence (paradoxale) entre la volonté d’une
majorité de britanniques issus du « peuple » de quitter l’Union et celle
d’une partie de l’establishment de voir le pays se désamarrer de la structure européenne, affaiblissant ce faisant le statu quo international ayant précisément permis à l’« élite » de tirer le meilleur parti de la mondialisation économique et financière. Une hypothèse digne d’intérêt a néanmoins été avancée par certains
observateurs et envisage le Brexit comme le fruit du réalignement
pragmatique du Royaume-Uni face à la mutation radicale de l’ordre
mondial [24].
Il est vrai que le vote britannique intervient à une période sans
précédent dans l’histoire des relations internationales contemporaines.
Les États-Unis ne semblent effectivement plus en mesure de perpétuer
leur hégémonie globale, l’affaire de la ligne rouge du Président Obama
(2013), les évènements de Crimée (2014), l’intervention russe en Syrie (2015)
et, désormais, le Brexit apparaissant comme les marqueurs d’une
influence politique et stratégique déclinante. Brzezinski, le
géostratège et théoricien par excellence de la suprématie globale
américaine, concède désormais que confrontés à la fin de leur dominance
mondiale, les États-Unis n’ont plus que le « compromis régional » avec
la Russie, la Chine et certains États du Moyen-Orient comme option
viable [25]. L’adhésion de l’Inde et du Pakistan à l’Organisation de la
Coopération de Shanghai (OCS), le même jour que le Brexit, constitue
ainsi tout un symbole. Les craintes que suscitent la tectonique
géopolitique actuelle dans certains cercles de politique étrangère aux
États-Unis transparaissaient nettement sous la plume d’un ancien
ambassadeur américain à Moscou, qui écrivait au lendemain du vote
britannique : « l’Europe s’affaiblit alors que la Russie, ses alliés et
ses organisations multilatérales se consolident, ajoutant même de
nouveaux membres. Poutine, bien sûr, n’a pas provoqué le vote en faveur
du Brexit, mais lui et ses objectifs de politique étrangère sont en
position d’en tirer des avantages considérables (traduction de
l’auteur) » [26]. Dans le même temps, la Chine,
deuxième puissance économique mondiale en produit intérieur brut (PIB)
nominal est, depuis 2014, la première en parité de pouvoir d’achat. De
nombreuses initiatives stratégiques se structurent autour du géant
asiatique, telles que la nouvelle route de la soie et la Banque
Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII), impulsée par
Beijing pour faire contrepoids à la Banque Mondiale, pilier, avec le
Fonds Monétaire International (FMI), de la Pax Americana. Plus important encore, le quasi-monopole du dollar américain sur les
échanges commerciaux semble parvenu à son terme : le Renminbi (ou Yuan)
chinois entrera dans le panier des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du
FMI à compter du 1er octobre 2016. Cette réforme du système financier
international pourrait rétrospectivement apparaitre comme le point de
bascule du centre de gravité mondial. Alors qu’un nombre croissant
d’États effectuent déjà leurs règlements commerciaux en Yuan, son
inclusion dans les DTS lui assurera une convertibilité en n’importe
quelle monnaie et une détention automatique par 188 États. La monnaie
chinoise pourrait ainsi s’affranchir de la tutelle politico-financière
de Washington et éroder graduellement la part du dollar dans le commerce
international, lequel compte pour 87% des échanges commerciaux et 60%
des réserves de change détenues par les banques centrales. Si les États-Unis n’ont pas opposé leur véto à cette évolution, le
Royaume-Uni y aura joué un rôle de premier plan. Le gouvernement
conservateur de David Cameron et la City de Londres ont, en effet,
activement participé à la stratégie d’internationalisation du Yuan de
Beijing par une série de décisions qui s’inscrivent comme autant de
détonations silencieuses dans l’architecture financière internationale.
En octobre 2013, Londres autorise les banques chinoises à opérer à la
City alors que le centre financier est déjà le deuxième centre off-shore
du Renminbi et abrite 60% des transactions internationales libellées en
Yuan. En octobre 2014, le Chancelier de l’échiquier lance la première
émission d’obligations britanniques en Yuan pour un montant de 3
milliards, avec pour objectif de « renforcer la position de la
Grande-Bretagne comme centre de la finance mondiale » [27].
En octobre 2015, la visite en grande pompe du Président Xi Jinping à
Londres entérine la nouvelle « ère dorée » entre les deux nations, alors
que le Royaume-Uni devenait quelques mois plus tôt le premier pays
occidental à intégrer la BAII, contre la volonté des États-Unis [28].
Plusieurs centaines de millions de dollars de contrats décisifs pour un
Royaume désindustrialisé et dépendant de son secteur financier sont
signés pour des projets d’infrastructure (notamment dans le nucléaire et
les chemins de fer). David Cameron s’engage à soutenir au mois de
décembre 2015 l’inclusion du Yuan dans les DTS. Le mois d’octobre 2016 verra donc l’accession officielle de la
monnaie chinoise au statut de monnaie de réserve mondiale et marquera
ainsi l’émergence potentielle d’un nouvel ordre monétaire international.
Grâce à des choix stratégiques résolument tournés vers l’avenir, le
Royaume-Uni s’y trouverait en position privilégiée. L’hypothèse a de
quoi séduire. D’autant qu’avec le pivot vers l’Asie de Washington,
l’objectif de sécurité nationale américain d’endiguement de la Chine se
trouve en opposition objective avec la stratégie financière britannique. Nombre de questions demeurent cependant. Après tout, les
« déclinistes » n’ont-ils pas maintes fois annoncé la fin de l’hégémonie
américaine ? Par-delà les liens historiques et culturels, le
Royaume-Uni est-il véritablement en mesure de s’aliéner son principal
débouché commercial (66.5G$ en 2015, soit 14,5% de ses exportations) ?
L’économie chinoise n’est-elle pas en proie à un certain nombre de
bulles et ainsi qu’à d’importants problèmes structurels ? Si tant est
qu’une partie de l’establishment britannique soit attirée par un
pivot vers l’est, à quel point l’idée fait-elle consensus parmi les
« élites » demeurant étroitement imbriquées avec l’establishment outre atlantique ? Quel intérêt stratégique la Chine trouverait-elle dans un Royaume-Uni hors UE ? La politique du Royaume-Uni « indépendant » vis-à-vis de Pékin sera
donc le meilleur indicateur de la validité de cette analyse. Le projet
de construction d’une nouvelle centrale nucléaire à Hinkley Point par un
consortium chinois (avec la participation et le savoir-faire du
français EDF) met d’ores et déjà le gouvernement face à un nœud gordien,
dans le contexte d’une affaire d’espionnage impliquant les États-Unis [29].
L’entreprise d’État China General Nuclear Power, investisseur
majoritaire dans le consortium (à hauteur 33%), est poursuivie par le
gouvernement américain pour vol de secrets nucléaires mettant
prétendument en cause le plus haut niveau de l’État chinois. Les
inquiétudes relatives à la sécurité des infrastructures britanniques
suscitées par ce développement contraignaient Theresa May à suspendre
l’exécution du projet de 23G$, pourtant au cœur de la stratégie
énergétique britannique. La lettre de réassurances adressée aux dirigeants chinois [30]
montre bien le dilemme de l’exécutif britannique. Les enjeux
commerciaux sont majeurs : Hinkley Point devrait être la première de
trois centrales construites par la Chine à travers le pays ; d’autres
secteurs de l’économie sont également concernés par des investissements
stratégiques de Pékin. Pour citer l’ambassadeur de Chine à Londres,
l’issue de ce dossier « à un moment historique crucial » des relations
bilatérales pourrait être d’autant plus lourde de conséquences
financières pour le Royaume-Uni qu’il est en voie de quitter l’UE. La
décision finale, repoussée à l’automne 2016, sera donc déterminante et
devrait nous édifier tant sur l’importance de la relation Londres-Pékin
que sur la réalité de la puissance chinoise. L’hypothèse a en tout cas le mérite d’aller au-delà de la conjoncture
internationale qui conduit notamment à faire le lien, répandu dans
l’analyse, entre rejet de l’immigration et crise des migrants à
l’échelle européenne. Elle interroge la matrice géopolitique du Brexit,
exercice sans lequel celui-ci apparait comme un évènement historique
certes, mais sans aucune plus-value ni raison d’être stratégique. Le
pays quitterait tout bonnement l’Union au terme d’un processus de
négociation avec Bruxelles, très vraisemblablement avec un accord
commercial. Cependant, Londres se trouverait rapidement isolée sur le
continent : évoluant déjà hors espace Schengen et hors zone euro, elle
perdrait l’avantage de sa présence au Conseil européen pour peser sur
les sujets de haute politique dans la région et au-delà. Ses dimensions
historique et commerciale mises de côté, la « relation spéciale »
perdrait tout aussi rapidement son intérêt pour Washington, à la faveur
d’une relation consolidée et désormais vitale avec Berlin. Le Brexit
aurait en définitive un bilan stratégique négatif ; un résultat qui
devrait laisser circonspect au vu de la capacité démontrée par le
Royaume-Uni à maintenir la suprématie de sa place financière à travers
l’effondrement de l’empire britannique et deux guerres mondiales.
Conclusion. Brexit : to be or not be ?
Le Brexit apparait finalement comme un évènement géopolitique
absolument majeur. L’intervention du Président Obama dans la campagne
référendaire etson avertissement à l’effet que le Royaume-Uni se retrouverait « au bout de la file » (« at the back of the queue ») en cas de sortie – perçue par nombre de britanniques comme une menace [31]
– soulignaient déjà l’immensité des enjeux pour l’Europe, les
États-Unis et l’architecture du système international contemporain. Que l’on privilégie l’hypothèse d’un pivot vers l’est de Londres, ou
celle d’un Royaume-Uni tout simplement indépendant au sein du bloc
transatlantique, ce sont les conservatismes de ce que l’on peut
désormais appeler « l’ordre ancien » qui devraient constituer les
principaux obstacles à sa sortie de l’UE. Et ce, à l’intérieur du pays
comme à l’extérieur, le Secrétaire d’État américain John Kerry évoquant
par exemple dès le 28 juin 2016 « un certain nombre de manières » dont
le Brexit pourrait être renversé [32]. Les autorités britanniques semblent en tout cas avoir écarté l’option
d’ignorer le référendum. Le choc des résultats avait initialement paru
plonger le pays dans une profonde crise politique mais le gouvernement
de Theresa May émergeait dès la mi-juillet 2016, avec le leitmotiv « Brexit means Brexit » et des portefeuilles clé dévolus aux Brexiteers
(Boris Johnson aux Affaires étrangères et David Davis ministre du
Brexit). Sauf dégradation radicale du contexte international – par
l’aggravation brutale de la situation économique et financière mondiale,
une escalade militaire en mer de Chine, à la frontière de la Russie, en
Syrie ou ailleurs – le Royaume-Uni devrait donc formellement engager la
procédure de retrait de l’UE conformément à l’article 50 du Traité de
Lisbonne. Aux termes de cette disposition, le calendrier du retrait britannique
s’étalerait sur une période d’au moins deux ans à compter de la
notification au Conseil européen. La forme de l’accord qui formaliserait
les nouveaux rapports euro-britanniques sera tout le sujet des
négociations avec Bruxelles. Un point de blocage émerge néanmoins en
amont, Londres souhaitant un accord sur mesure plutôt qu’une convention
calquée sur les « modèles » norvégien ou suisse, Bruxelles écartant tout
« special deal » et Paris posant la libre circulation des
personnes comme condition de l’accès au marché unique. L’équation se
complique davantage avec la menace d’un nouveau référendum en Écosse si
l’accès au marché unique n’était pas garanti et les inquiétudes de
l’Irlande du Nord relatives à la libre-circulation avec l’Irlande. La raison commerciale devrait toutefois prendre le dessus sur les
postures politiques. En 2015, le Royaume-Uni était le deuxième marché
d’exportation de l’Irlande (16,8G$, 14%) et de la Pologne (13,4G$, 6,8%)
et le troisième de l’Allemagne (98,7G$, 7,4%) et des Pays-Bas (50,9G$,
9%). À tout évènement, le projet de fusion des bourses de Londres et
Frankfort, initié avant le Brexit, devrait assurer aux banques de la
City, moteur de l’économie britannique, l’accès au marché unique [33]. Un certain nombre d’incertitudes demeurent aussi en ce qui concerne
la date précise à laquelle le gouvernement britannique activera
l’article 50. Le premier déplacement officiel de Theresa May à Berlin et
Paris aura permis d’établir que la procédure ne serait pas enclenchée
avant 2017. Le choix du meilleur moment pour Londres s’avère être un
exercice délicat au regard de plusieurs facteurs, notamment juridiques.
Un consensus sur les modalités du retrait et de la négociation semble
tout d’abord devoir être trouvé dans la classe politique. Or, la
légalité même du déclenchement de l’article 50 par l’exécutif sans
l’approbation préalable du parlement est contestée, y compris par des
intérêts privés [34].
Pour le gouvernement, la conclusion ou le retrait d’engagements
internationaux constitue une prérogative royale et relève de sa
compétence. La question devrait être tranchée par les tribunaux au
courant de l’automne 2016. Mais même en cas d’issue favorable, le
soutien des deux chambres demeure indispensable puisque l’abrogation des
traités européens comme la ratification d’une convention de sortie
sont, elles, des prérogatives législatives. Pour ce qui est des déterminants extérieurs, l’horizon temporel
semble obscurci par le renouvèlement des exécutifs français et allemand,
respectivement prévus au printemps et à l’automne 2017, lesquels
seraient susceptibles de changer drastiquement le contexte de
négociations déjà engagées le cas échéant. L’activation de l’article 50
pourrait donc ne pas se produire avant la fin de l’année 2017, ce qui
repousserait le départ effectif du Royaume-Uni au quatrième trimestre
2019. D’autre part, il semble que l’enclenchement formel de la procédure de
sortie puisse avoir des répercussions majeures sur la situation
économique et financière mondiale. Il apparait en effet que
d’importantes banques se préparent à un « hiver nucléaire économique » [35]
consécutif à l’activation de l’article 50. Il se peut très bien que
nous soyons là dans le prolongement du catastrophisme qui a caractérisé
une bonne partie de la campagne en faveur du Remain. Pour autant,
la réaction des opérateurs économiques internationaux devrait
constituer, sous une forme ou une autre, l’un des principaux paramètres
de l’équation britannique. En tout état de cause, le gouvernement de Theresa May ne semble pas
nécessairement pressé par le temps. Si le contrecoup économique du vote
commence à se faire sentir, la baisse de la livre sterling profite aux
exportations et a déjà permis d’atteindre des records touristiques
saisonniers. Mais plus important encore, les vents contraires auxquels
l’UE est désormais confrontée sont tels que c’est une Commission
européenne en position de négociation beaucoup plus faible qui pourrait,
avec le temps, se voir notifier l’avis selon l’article 50.
Djiby Sow est politologue et juriste de droit
international public, diplômé de l’Université de Montréal. Il
s’intéresse aux questions de sécurité internationale et de lutte contre
le terrorisme, notamment dans la région du Sahel et en Afrique de
l’Ouest. Son ouvrage intitulé « La légalité de l’intervention militaire
française au Mali. Contribution à l’étude du cadre juridique de la lutte
armée contre le terrorisme international » est paru en février 2016 aux
éditions L’Harmattan.
[1]
Nicolas Dupont-Aignant, Député de l’Essone, Président de Debout la
France, « Le mur de Bruxelles est tombé ! - Message aux amis de Debout
la France », 25 juin 2016, en ligne. [2]
La Commission européenne avait prévu de soustraire l’accord à la
ratification des parlements nationaux. Mais sous pression, Angela
Merkel, suivie de la France, avait annoncé que le traité serait soumis
au Bundestag. Dans un revirement tout à fait inattendu, le Président de
la commission Jean-Claude Juncker a proposé d’étendre la consultation à
tous les parlements nationaux. v. « EU Commission : CETA should be
approved by national parliaments », dw.com (Deutsche Welle), 5 juillet
2016, en ligne. [3]
Ce mécanisme permet aux entreprises étrangères de poursuivre un État
partie à un traité d’investissement devant un tribunal arbitral
international si elles estiment que l’action dudit État est de nature à
porter préjudice à la pleine rentabilité de leur(s) investissement(s).
Le concept des tribunaux d’investissement a permis aux négociateurs
canadiens et européens de contourner les résistances politiques
suscitées par l’ISDS et d’aller de l’avant. Le mécanisme demeure
cependant un des points d’achoppement des négociations du traité de
libre-échange entre l’UE et les États-Unis. v. l’analyse du professeur
David Schneiderman, « A CETA investment court is not the solution »,
Theglobeandmail.com, 5 mars 2016, en ligne. [4]
Note de la rédaction : Dans une large mesure, cette « Europe à la
carte » est depuis longtemps un réalité au vu des différences des
engagements des Etats membres à l’égard de la Convention Schengen, de
l’euro ou de l’OTAN. [5] v. Soeren Kern, « Could Italy Bring Down the Euro ? », Gatestone Institute, 14 juillet 2016, en ligne. [6] « Le patron de la DGSI craint une guerre civile en France », Directmatin.fr, 12 juillet 2016, en ligne. [7]
Le projet d’approfondissement s’articule autour de trois axes :
sécurité, immigration, croissance et union monétaire. v. Jean-Marc
Ayrault and Frank-Walter Steinmeier, « A strong Europe in a world of
uncertainties », en ligne. [8]
« Sommet de l’OTAN : la Russie n’est ‘pas un adversaire, pas une
menace’, selon Hollande », Lemonde.fr, 8 juillet 2016, en ligne. [9] « Germany’s economy minister : U.S.-EU free trade talks have failed », Reuters.com, 28 août 2016, en ligne. [10]
Cécile Ducourtieux, « Tafta : la France réclame l’arrêt des
négociations sur le traité de libre-échange transatlantique »,
Lemonde.fr, 30 aout 2016, en ligne. [11]
Le vice-président américain Joe Biden déclarera à ce sujet dans une
intervention à l’université Harvard : « il est vrai qu’ils ne voulaient
pas le faire. Mais encore une fois, ce fut sous le leadership de
l’Amérique et à l’insistance du Président des États-Unis, allant parfois
jusqu’à quasiment embarrasser l’Europe [pour la contraindre à] se lever
et à accuser des coups économiques pour imposer des coûts [à la Russie]
(traduction de l’auteur) ». United States of America, The White House,
« Remarks by the Vice President at the John F. Kennedy Forum », 3
octobre 2014, en ligne. [12]
Tim Sculthorpe, « Britain and Russia must ’normalise’ their relations,
Boris Johnson tells his counterpart in the Kremlin »,
Thedailymail.co.uk, 11 aout 2016, en ligne et Arnaud Dubien, « Russie :
vers une levée des sanctions fin 2016 ? », Institut des Relations
Internationales et Stratégiques [IRIS], 23 mai 2016, en ligne. [13]
North Atlantic Treaty Organization [NATO], « After-Dinner Speech by
Admiral Giampaolo di Paola, Chairman of the Military Committee,
honouring SHAPE Officers’ Association’s 50th Annual Symposium in Mons »,
16 octobre 2010, en ligne. [14] United States of America, The White House, « Statement by the President on the UK Referendum », 24 juin 2016, en ligne. [15]
Pascal Boniface, « L’Otan a besoin de faire valoir une menace »,
Institut des Relations Internationales et Stratégiques [IRIS], 9 juin
2016, en ligne. [16]
« Putin : ‘We know when US will get new missile threatening Russia’s
nuclear capability’ », Rt.com (Russia Today), 18 juin 2016, en ligne. [17]
v. notamment Keir A. Lieber et Daryl G. Press, « The Rise of U.S.
Nuclear Primacy », Foreignaffairs.com, Mars/avril 2006, en ligne. [18] « Bulgaria says will not join any NATO Black Sea fleet after Russian warning », Reuters.com, 16 juin 2016, en ligne. [19]
Justin Huggler, « German foreign minister condemns NATO’s ‘loud
sabre-rattling and warmongering’ against Russia », Nationalpost.com, 19
juin 2016, en ligne. [20]
v. notamment Tim Oliver, « A European Union Without the United Kingdom.
The Geopolitics of a British Exit from the EU », LSE Ideas, Strategic
Update 16.1, February 2016, en ligne. [21]
v. notamment James Traub, « It’s Time for the Elite to Rise Up Against
the Ignorant Masses », Foreignpolicy.com, 28 juin 2016, en ligne. [22]
Une étude de l’université Oxford à paraître en septembre 2016 a montré
que sur la période du 20 février au 20 avril 2016, 45% des journaux
nationaux assuraient une couverture favorable au Leave contre seulement
27% favorable au Remain. v. Megan Izzo, « Newspaper study finds
pro-Brexit bias », Oxfordstudent.com, 29 mai 2016, en ligne ; Jess
Staufenberg, « EU referendum : The Sun urges readers to vote Leave as
Rupert Murdoch applies pressure », Theindependant.co.uk, 14 juin 2016,
en ligne. [23] « Sun editor defends ’Queen backs Brexit’ headline as watchdog rules it inaccurate », Theguardian.com, 18 mai 2016, en ligne. [24] v. notamment la contribution de Badia Benjelloun, « La dérive des continents », Dedefensa.org, 28 juin 2016, en ligne. [25] Zbigniew Brzezinski, « Toward a global realignment », The National Interest, 17 avril 2016, en ligne. [26] Michael McFaul, « How Brexit is a win for Putin », Washingtonpost.com, 25 juin 2016, en ligne. [27]
Pierre Fay, « Le Royaume-Uni prépare la première émission obligataire
en yuan, hors de Chine », Lesechos.fr, 9 octobre 2014, en ligne.. [28] Nicholas Watt, « US Anger at Britain joining Chinese-led investment Bank AIIB », Theguardian.com, 13 mars 2015, en ligne. [29] Robin Pagnamenta, Sean O’Neil, « Chinese Hinkley backer is accused of espionage », Thetimes.co.uk, 11 août 2016, en ligne. [30] Georges Keate, « May sends trade letter to China amid Hinkley row », Thetimes.co.uk, 16 août 2016, en ligne. [31] Andrew Roberts, « Britain and Obama’s ‘Back of the Queue’ », 17 juin 2016, wsj.com (The Wall Street Journal), en ligne. [32] « Brexit can be curbed in ‘number of ways’, says John Kerry – video », The Guardian.com, 29 juin 2016, en ligne. [33] « Fusion approuvée entre Deutsche Börse et la Bourse de Londres », Ledevoir.com, 5 juillet 2016, en ligne. [34] « Top law firm to challenge UK government on Brexit », dw.com (Deutsche Welle), 4 juillet 2016, en ligne. [35] Spriha Srivastsava, « Banks are preparing for an ‘economic nuclear winter’ », CNBC.com, 29 août 2016, en ligne.