Nous croyons qu’il suffit de jouer avec la boîte à outils bureaucratique pour avoir un peu
d’espoir de croissance... Nous croyons qu’avec un peu d’inflation ou d’austérité nous allons
remédier aux auto- blocages actuels... Mais cette boîte à outils des techniciens ou experts,
voire imposteurs, de la macro ou de la micro économie, qui alimentent nos modes de
représentations du réel, n’est plus en mesure de répondre à la crise de modèle et de sens
que nous traversons! C’est sur le champ beaucoup plus profond et exigeant de l’espérance
que nous retrouverons la foi dans l’avenir, mais aussi dans l’homme et dans un nouveau
projet de société et de gouvernance plus équitable et juste. Face à la montée des tensions sociétales et à la mise en faillite de notre modèle de société il n’est pas interdit de méditer
cette phrase d’Euripide : « L'homme de cœur est celui qui se fie jusqu'au bout à
l'espérance. Désespérer, c'est lâcheté !» Cette citation est particulièrement d’actualité, elle
nous interpelle sur notre courage et sur notre sens réel de la liberté et de la démocratie.
Xavier Guilhou
B) " La chute du mur de Bruxelles "
« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » La première salve a mis à terre
les premières lignes de l'article 50 du traité de l'UE, à la grande surprise des pays européens qui ne
croyaient pas que le Royaume-Uni oserait, une fois de plus. C'est méconnaître les Britanniques dont
la devise de leurs unités d'élite, les fameux SAS, est, ne l'oublions pas, « Qui ose gagne ! ». L'Union
européenne vient juste de perdre l’adhésion de la 5ème place financière et de la 8ème puissance au
monde1 ainsi que 15 % de son budget, anecdote de l'Histoire. En fait, nous commençons à assister
avec le résultat cinglant de ce référendum à une nouvelle chute d'un mur, celui de Bruxelles !
Tout les chroniqueurs commentent les effets possibles, cherchent les causes, s’agitent autour du
désarroi des politiciens de tous bords qui n’ont pour la plupart rien anticipé, persuadés que les
Britanniques resteraient « raisonnables »... Bien entendu, tout est de la faute de David Cameron, de
la trahison de ces vieux « égoïstes » qui ont voté contre ces pauvres jeunes « cosmopolites », de
l’instrumentalisation de l’immigration par les partisans du « Leave » et bien entendu de ce monstre
orwellien qu’est devenue la technocratie bruxelloise. Tous ces fautifs sont devenus en quelques
heures les nouveaux boucs émissaires à sacrifier sur l’autel de l’Histoire afin d’exorciser cette
« étrange défaite »2 des élites européennes. Ces dernières se sont bunkerisées dans une vision
uniquement économique du référendum alors que la question posée est existentielle et politique.
Elles étaient tout simplement « hors sujet », une fois de plus. De fait, l’état de confusion qui
transparait sur les ondes au lendemain de ce séisme démocratique révèle non seulement l’état de
surprise de nos décideurs mais surtout l’absence sidérale de stratégie. Pour autant, quels que soient
les constats que nous pouvons faire et les développements à venir, que signifie sur le fond ce Brexit?
De quoi s'agit-il?
En fait il n’y a rien de vraiment surprenant3. Nous ne sommes que dans la continuité de ce processus
de déconstruction, auquel nous assistons passivement depuis 30 ans, de tous les protocoles qui ont
permis à notre monde occidental de concentrer les facteurs de pouvoir et de puissance depuis
plusieurs siècles4. Les cadres mis en place au fur et à mesure de tous nos accidents historiques :
traités de Vienne, de Versailles et de Yalta sont désormais tous en logique de défaisance tant en
termes d'autorité et de légitimité que de crédibilité. Derrière la chute du mur de Berlin, les peuples
de l’Europe de l’Est, fortement soutenus par l’Ostpolitik d’Helmut Khôl et la « guerre des étoiles » de
Ronald Reagan, ont provoqué la fin du communisme et la désintégration de l’URSS. Avec la chute du
mur de Bruxelles, qui ne fait que commencer, les peuples de l’Europe de l’Ouest, sous la pression de
la crise financière et des flux migratoires provoquent la fin de l’ultralibéralisme et la désintégration
de l’Union européenne. Nous assistons juste à la mort des deux protocoles, déclinaisons de ces deux
grandes idéologies de masse du siècle dernier que sont le capitalisme et le communisme, incarnées
par les deux grands empires que furent les Etats-Unis et l’Union soviétique, dont la toute puissance
s’est affirmée sur les cendres de nos guerres fratricides en Europe. De la même façon, nous assistons
sur le Proche et Moyen-Orient à la fin des accords Sykes-Picot comme à ceux du pacte du Quincy, qui
furent les avenants des traités de Versailles et de Yalta, avec en contrepartie le retour des empires
centraux...
1 Le Royaume-Uni avec un PIB de 3 000 milliards en 2016 est classé à la 8ème position en termes de parité de
pouvoir d’achat et à la 5ème position en termes de PIB nominal, soit un PIN par habitant de 47 200 $.
Cf. http://www.lemoci.com/fiche-pays/royaume-uni
2 Relire à cet effet « L’étrange défaite » de Marc Bloch
L’Union européenne, qui est née de cette stratégie d’indivision mise en place par les alliés derrière
les accords de Yalta pour empêcher l’Allemagne de redevenir un empire central, ne pouvait pas
survivre à la chute du mur et à la réunification. Ce n’était qu’une question de temps. Les circuits
financiers ont cru avec la chute du communisme que leurs stratégies avaient vaincu le « mal » à coup
de dollars, de dettes et de bulles spéculatives. Persuadés qu’il n’y avait pas d’autre modèle viable et
durable que le seul libéralisme économique, ils ont provoqué par leur vanité et leur cupidité la
désintégration du modèle démocratique européen en moins de deux décennies. Le Brexit n’est que
la résultante de la désanctuarisation de l’Occident au travers de la mondialisation, de l’ouverture des
frontières et de la montée des flux migratoires, ainsi que des excès provoqués par les dérégulations
et la financiarisation de nos économies. La chute de Lehmann Brothers peut être considérée, au
même titre que le fut le retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan en 1988, comme le second signal
annonciateur de la mort de ces stratégies périphériques qui ont contenu l’Europe, certes dans
l’opulence pendant 70 ans, mais dans une impuissance dangereuse et insoutenable face aux
nouvelles réalités mondiales.
Contrairement aux affirmations des politiques et des éditorialistes, les peuples ne sont pas idiots. Ils
peuvent avoir des intuitions salvatrices. Ce n’est pas parce qu’ils ne votent pas comme le
souhaiteraient les élites au pouvoir qu’ils ne doivent pas être entendus et respectés. Le risque de
dénaturer, voire de neutraliser, le peu de démocratie qui demeure encore actuellement dans nos
pays n’a jamais été aussi fort tant au sein des synarchies qui contrôlent les rouages de l’Union
européenne que des collectifs ou partis populistes qui surfent sur l’instabilité des convulsions
politiques et sociétales que nous commençons à connaître. Nous vivons juste le début de la fin du
« plus jamais ça » et le retour de l’imperium allemand sur le continent européen. Pour les Anglais,
cette domination qui s’exprime en grande partie au travers des réglementations et contrôles imposés
par Bruxelles, est tout simplement insoutenable sur le plan existentiel et stratégique. C’est historique
et génétique : le Royaume-Uni, qui a la nostalgie de l’Empire, ne peut admettre d’être le vassal de
l’Allemagne, sous prétexte d’être européen. C’est bien pour cela qu’il n’a jamais souscrit à l’Euro.
Angela Merkel et surtout Wolfgang Schäuble ont parfaitement compris le message.
De fait, les Anglais préfèrent revenir aux bases du souverainisme et au vieux bilatéralisme plutôt que
de se laisser enfermer dans un pseudo fédéralisme qui n’en n’est pas un. Ce n’est pas le choix des
Français qui préfèrent une forme de subordination passive afin de pouvoir couvrir les chèques sans
provision de leurs dirigeants qui partent toujours du principe, comme l’avait affirmé Clemenceau au
moment des « réparations », que « l’Allemagne paiera ! ». Les Anglais n’ont jamais oublié que
l’infantilisme politique des Français face à l’imaginaire dominant allemand a toujours mené l’Europe
à la guerre. C’est pour éviter cela, pour travailler la résilience et faire émerger une nouvelle maturité
politique de part et d’autre du Rhin, que le traité de l’Elysée a été conçu par les membres fondateurs
de l’Union européenne. Mais c’est parce que sur le fond la substance de cette relation franco-
allemande s’est progressivement vidée de sa substance que le Brexit a pris cette dimension sismique,
au grand étonnement des élites européennes qui vivent dans leurs bulles technocratiques et
médiatiques. Ces dernières n’ont pas perçu le décrochage des opinions et les peurs séculaires des
peuples qui n’ont rien oublié des convulsions fratricides de ce vieux continent et son potentiel en
termes de répliques mortifères. Pourtant tout est là pour rappeler aux peuples la fragilité de leur état
entre les commémorations permanentes et les bruits de bottes à seulement deux heures de nos
capitales dans les Balkans, sur la Mer noire, sur les rivages de la Méditerranée ou sur la Baltique.
Quel jeu d’acteurs ?
Il est très plaisant d’observer les politiques déclamer avec beaucoup d’assurance « il nous faut une
autre Europe », « il faut inventer une nouvelle Europe », « il faut de nouvelles institutions à
l’Europe », comme si notre vieux continent était un sujet fini, homogène et stable. Tous ceux qui ont travaillé sur cet espace savent qu’il n’en n’est rien. Au contraire, c’est sûrement l’espace-temps le
plus complexe à gérer sur le plan économique et le plus difficile à piloter sur le plan politique tant la
diversité des cultures, des histoires, des peuples est dense et éclatée sur le terrain. De fait, les jeux
d’acteurs ne peuvent être simplifiés en observant le seul fonctionnement de l’Union européenne qui
ne reste qu’une vitrine virtuelle, les décisions se prenant ailleurs. Il suffit de fréquenter les couloirs
de Bruxelles, notamment ceux de la Commission avec ses jeux de lobbies qui dominent en arrière
plan chaque négociation, pour comprendre la réalité et la complexité des niveaux d’affrontements
intergouvernementaux et surtout l’importance des stratégies nationales, voire régionales, dans ce
maelstrom de 27 nations, dont les intérêts particuliers sont de plus en plus supérieurs aux intérêts
généraux. Il suffit de suivre les confrontations au cours de ces derniers mois sur l’immigration et sur
la non gestion de l’espace Schengen tant sur les rives de la Manche, les rivages de la Méditerranée
que sur les marches des pays du groupe de Višegrad, pour avoir une illustration souvent
consternante de ces réalités... L’Allemagne n’est pas la dernière à montrer l’exemple sur ces sujets
avec sa stratégie unilatérale et sans concessions qui va bien au-delà la question de l’encadrement des
déficits budgétaires et les politiques d’austérité tant décriés notamment par les Français...
Dans ce jeu d’acteurs, le Royaume-Uni est maître de l’agenda et piège le vieux continent. Puisqu’il
souhaite redevenir souverain, il n’a pas d’autres choix que de privilégier en premier lieu sa stabilité
politique interne et de contenir les pulsions de séparatismes manifestées par l’Ecosse et l’Irlande du
nord. L’UE attendra que les partis anglais aient d’abord redéfini leur mode de fonctionnement et que
le pays puisse retrouver sa robustesse légendaire. Contrairement à ce que pensent les chroniqueurs,
le Royaume-Uni est en position de force. L’Allemagne n’a pas d’autre choix que de patienter, la
France n’a pas d’autre issue que de s’agiter, l’Italie n’a pas d’autre voie que de se préparer à une
crise majeure. Ces trois pays fondateurs sont de plus contraints par leurs propres agendas électoraux
avec des dirigeants qui sont en perte de crédibilité et de légitimité tant au sein de leurs majorités que
vis-à-vis de leurs électeurs. Ils ne peuvent même pas bénéficier du support de leur principal allié qui
est lui même engagé dans une bataille électorale peu banale pour la fin 2016 avec le duel Trump /
Clinton. Ces convergences d’agendas électoraux ne peuvent que faire le jeu des Anglais !
En marge de ces jeux de majors, les « petits pays » peuvent surprendre à l’instar de ce qui s’est passé
lors de la chute du mur de Berlin. N’oublions pas qu’au-delà la dissolution de la RDA, il y a eu la
décomposition de la Tchécoslovaquie en deux pays, la sortie très rapide de la Hongrie du PAVA, puis
des pays baltes, ainsi que l’implosion de l’ex Yougoslavie, le tout en quelques mois... Beaucoup
pensent que cet effet domino n’est pas possible au sein de l’UE, que la comparaison n’est pas
transposable à l’onde de choc du Brexit et que finalement les conséquences seront mieux contenues
et maîtrisées car l’Europe est beaucoup plus puissante économiquement que ne l’était l’URSS...
Pourquoi pas, les Soviétiques raisonnaient de la même façon, ils étaient persuadés que l’Armée
rouge était toute puissante et que personne ne pourrait la défier sur leur espace vital. Au moment de
la chute du mur, les dirigeants se sont réunis pour tenter de montrer un front uni, mais ils sont restés
atones, contemplant le jeu de domino qui se déroulait sous leurs yeux impuissants. De même, ils ont
vu émerger des dirigeants qui étaient inconnus. Il serait peut-être intéressant et prudent de suivre ce
que vont faire des pays comme les Pays-Bas, l’Espagne toujours ingouvernable avec un risque de
fractalisation régionale, et de façon peut-être inattendue, les pays du groupe de Visegrad ainsi que
les pays de la Baltique qui ne partagent absolument pas les postures dominatrices des majors de
cette crise. N’oublions pas par ailleurs que la Grèce reste en embuscade et qu’elle pourrait de
nouveau relancer une sortie de l’Euro, voire de l’UE, du fait de l’intransigeance de ses créanciers, le
passage des échéances de juin ayant été de nouveau très critique...
Enfin, ne perdons pas de vue, au-delà les jeux internes au sein de l’UE, ce qui se joue sur la périphérie
de l’Europe. Le Brexit ne peut que favoriser les postures d’affirmation des puissances centrales sur la
Méditerranée orientale (Russie, Turquie, Iran), surtout avec le repositionnement américain, engagé par l’administration Obama, qui est en cours sur le Proche et Moyen orient5. Il ne peut que donner
également des idées aux Asiatiques (Chine, Japon, Corée) afin de récupérer au moindre coût nos
actifs ou territoires stratégiques fragilisés par les divisions. Nous pouvons leur faire confiance pour
savoir utiliser les fenêtres d’opportunité générées par notre absence de stratégie, nos indécisions et
notre impuissance. Il suffit de suivre les réunions qui se succèdent à Bruxelles avec désormais les 28
moins un de l’UE pour se rappeler cette phrase de Sénèque résumant ainsi l’effondrement de
l’empire romain : « Le Sénat se réunissait mais ne décidait plus ». Les marchés ne s’y trompent pas
avec l’équivalent de deux fois la valeur du PIB français détruit en 48h et l’intervention massive des
banques centrales, d’autant que le Brexit rouvre le dossier d’une nouvelle crise bancaire mondiale
avec en arrière-plan la question de l’état des dettes souveraines et des « shadow banking »6 qui
pourraient s’avérer beaucoup plus critique qu’en 2008... Mais nos dirigeants n’y croient pas, à l’instar
des dirigeants communistes qui ont mis du temps à comprendre que l’URSS était morte avec la chute
du mur de Berlin... Il a fallu 20 ans aux Russes pour l’admettre tant les croyances étaient ancrées
dans leurs cerveaux... Il est possible qu’il faudra de nouveau l’espace d’une génération pour amortir
les effets de nos propres croyances qui placent les vertus du couple croissance / dette au-dessus de
tous les référentiels de vie.
Où sont les pièges ?
Le premier serait d’imaginer que les Anglais vont revenir sur leur décision, qu’ils rejoindront la
rationalité des technocrates bruxellois et qu’ils feront plaisir à nos politiciens afin que ces derniers
puissent brandir cette victoire à la Pyrrhus pour tenter de se faire réélire en 2017. Les Anglais ne
sont pas aussi irrationnels qu’ils le laissent paraître au travers de leurs débats et postures
extravagantes vis-à-vis des peuples de notre vieux continent. Tout choix commence par un
renoncement. Il faut parfois savoir perdre pour mieux gagner. Désormais, pour retrouver un peu de
souveraineté il y a un coût à payer. Jadis, il fallait passer par une guerre, aujourd’hui il faut juste
savoir divorcer entre Etats au bon moment et avec un bon « disagio »7. Nous pouvons faire confiance
à la perfide Albion pour savoir gérer ses intérêts. Elle l’a fait récemment à Hong Kong face à la Chine,
elle devrait pouvoir le faire face à l’Allemagne.
Le second serait de sous-estimer les effets dominos, collatéraux et la rapidité des effets en chaîne
produits par cette crise. Lors de la chute du mur de Berlin tout le monde a été surpris par la pression
des peuples pour aller vers plus de liberté et pour fuir le communisme. Il se peut que le mouvement
engagé par le Brexit réveille de nouveau une forte aspiration vers plus de liberté et pour un rejet
massif de l’enfermement orwellien imposé par les marchés et les technostructures ultralibérales de
Bruxelles. Les signaux faibles sont présents dans tous les pays européens et il suffit de très peu de
choses pour que des vagues de fond se révèlent. Après, personne ne peut augurer de ce qu’elles
pourront produire. Dans les années 90, elles ont été canalisées par un Helmut Khôl visionnaire au
travers l’Ostpolitik et par la reconstruction qui avait été anticipée. Actuellement, personne ne peut
affirmer qu’il y a réellement une vision et un pilotage de la crise, du moins pour le moment, les
Allemands restant toujours très secrets et prudents sur leurs stratégies moyen / long terme.
5 Edito Xavier Guilhou : « Grèce, Ukraine, terrorisme, ils n’oseront pas » fév. 2015
http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/Ils%20n%20oseront%20pas.pdf
6 La finance de l'ombre ou shadow banking, finance fantôme ou encore système bancaire parallèle, désigne
l'ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l'économie.
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/08/25/20002-20150825ARTFIG00105-shadow-banking-tout-comprendre-sur-la-finance-de-l-ombre.php
7 Disagio : terme d'origine italienne, utilisé dans le monde du trading, et désignant la différence pouvant exister
entre la valeur nominale d'un bien, et sa valeur réelle.
La troisième serait de surestimer la robustesse de nos sociétés face à cette implosion du système
européen. Nos gouvernances sont faibles, très faibles. Nos systèmes bancaires sont très vulnérables
malgré toutes les précautions prises pour ne pas réitérer les frayeurs de 2008. Des pans entiers de
notre patrimoine économique, notamment en France du fait de notre perte de compétitivité, sont
« ramassés » chaque semaine par des investisseurs étrangers. Par ailleurs, les pressions sécuritaires
et migratoires au sein de nos sociétés sont de plus en plus vécues comme insupportables par les
populations qui ont compris que leurs espaces–temps étaient désormais totalement désanctuarisés.
Le Brexit, au-delà l’éclatement de l’Union européenne, pourrait très bien générer des convulsions
internes au sein de nos pays, le Royaume-Uni n’étant pas exempt de ce type de pulsions avec les
séparatismes écossais et notamment irlandais, qui a alimenté encore très récemment une guerre
civile très meurtrière. L’Europe a déjà connu maintes fois ce type de scénario où avant de s’affronter
entre pays, les effondrements sur les champs de conviction se sont d’abord traduits par des guerres
civiles dramatiques. Tous nos traités, de Westphalie à Yalta, n’ont eu de cesse d’essayer d’apaiser
nos divisions et pulsions fratricides8. N’oublions pas que tous ces artifices juridiques sont très fragiles
et que tous les demi-siècles ils ont été pulvérisés par les nationalismes et les totalitarismes de toute
sorte chaque fois que la lâcheté l’a emporté sur la lucidité et le courage.
Qui peut faire quoi ?
Tout le monde a bien compris que derrière les résultats du Brexit sonnait le clairon annonçant la
mort du « plus jamais ça ». Angela Merkel l’a rappelé en premier dès l’annonce des résultats,
consciente de la responsabilité qui pèse sur ses épaules. L’Anglais a certes ouvert la boîte de
Pandore, mais qui pouvait le faire mieux que lui ? Il a dans ses gènes cette culture de l’audace et du
risque qui le caractérise. Perdre ne lui fait pas peur, c’est juste une question de survie et de dignité...
Le Français, malade de l’Europe, comme d’habitude va essayer de jouer toutes les combinaisons et
alignements possibles, non pas pour tenter de sauver l’UE dont il se moque, mais pour sauver les
élections présidentielles à venir... Il a tout à perdre et constitue indéniablement le maillon faible du
dispositif. Sa seule tactique est de prendre tout le monde en otage en jouant médiatiquement la
victime idéale afin d’éviter d’être le prochain sur la liste9. Dans cette perspective, plutôt que discourir
sur un éventuel « Frexit », il devrait surveiller de près Wolfgang Schäuble qui ne supporte plus notre
incapacité à réformer le pays....
Quant à l’Allemagne, elle a de nouveau toutes les cartes en main, comme lors de la chute du mur.
Aujourd’hui les dirigeants allemands sont face à une nouvelle échéance stratégique avec la mise en
échec de cet ultralibéralisme qui a pris les commandes du fonctionnement de notre coexistence
européenne. Sauront-ils et auront-ils le temps de mettre en œuvre une stratégie d’apaisement et de
reconfiguration politique des institutions et du fonctionnement européen ou seront-ils ceux qui
annonceront, comme Gorbatchev et Eltsine pour le communisme, l’acte de décès du rêve européen ?
Angela Merkel finira peut-être paradoxalement comme son homologue russe avec un prix Nobel de
la paix tout en ayant contribué à rouvrir la boîte de Pandore des convulsions fratricides européennes.
Tout repose sur ses épaules, l’Europe étant désormais plus allemande qu’européenne. Dans ce
contexte, les Anglais n’ont fait que remettre à l’ordre du jour les vieilles questions de souveraineté et
de gouvernance posées depuis 1870 et qui n’ont jamais été véritablement réglées sur le fond. Telle
est la morale du Brexit : il ne s’agit que d’un simple retour à la case départ pour tout le monde ! Les
masques tombent, l’Histoire toujours tragique frappe de nouveau à nos portes.
Xavier Guilhou
Juillet 2016
8 Cf. Henri Kissinger. « L’Ordre du monde »,
9 Cf. édito de Xavier Guilhou « Prises d’otage...ou archaïsmes suicidaires » juin 2016
http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/Prises-otages-ou-archaismes-suicidaires.pdf
- Edito
" Brexit, Trump... vous avez dit bizarre, comme c'est étrange "
Novembre 2016
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C) L’enfant sans père
L’enfant sans père, la famille monoparentale ou unisexuelle : Orwell est dépassé.
Manœuvres, mensonges et reniements marquent le début effectif de
l’ère Macron. Ce n’est pas pour surprendre ceux qui avaient su
déchiffrer la « pensée complexe » du Président. Cependant, de toutes les
révolutions qu’annonce ce quinquennat la plus grave à mes yeux est
celle qui prescrit non seulement la destruction de la famille mais
surtout le sacrifice des enfants.
De l’Etat Providence , nous sommes en train de passer à l’Etat
totalitaire. Le pouvoir politique règle désormais ce qu’il y a de plus
intime, de plus personnel dans la vie de tous les Français. Par
comparaison, la loi Taubira va paraître anodine, bien que son texte eût
prévu des évolutions probables, comme la suppression de toute référence
au « père » ou à la « mère » dans les textes législatifs.
Le Président va vraisemblablement suivre l’avis du CCNE (Comité
Consultatif National d’Ethique) en faveur de l‘ouverture de la
Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux
couples unisexuels féminins (les couples masculins devront attendre
l’autorisation de la Gestion pour autrui GPA). Que les choses soient
claires : ce serait l’autorisation légale de l’ « insémination
artificielle avec donneur » (IAD).
La « légitimité » d’une telle disposition est double aux yeux de ses
partisans : d’une part, c’est « le droit à l’enfant » qui doit être
reconnu à toutes les femmes, et pas seulement à celles qui vivent (au
moins quelques heures) avec un géniteur, d’autre part « l’égalité des
genres » l‘exigerait : une femme n’a pas à se soumettre à un homme pour
enfanter.
L’enfant est exclu des préoccupations du CCNE. Le droit à l’enfant
efface le droit de l’enfant. L’avortement est déjà pour l’enfant une
interdiction de vivre. Maintenant il est autorisé à voir le jour, mais
il devra se passer d’un père. Car le père aurait un lourd passé
juridique, hérité d’une époque révolue : celui du Code Napoléon qui
allait jusqu’à lui donner le statut de chef de famille. Voilà bien
longtemps que d’autres mœurs ont remis le père à sa place, et voici
maintenant qu’on peut s’en passer totalement.
A l’image de Rousseau, les législateurs ont tendance à croire que
leur rôle est de suivre les mœurs. Il est vrai que « morale » (mores)
est un concept holiste et imprécis. Mais les règles sociales éprouvées
et acceptées sont le résultat d’un ordre spontané, tandis que nos
« progressistes » actuels, comme tous les faiseurs de sociétés
parfaites, produisent des règles sociales à partir d’un ordre créé.
Donc, la morale est décrétée par le pouvoir politique. La loi consacre
la morale.
Une telle conception est à mes yeux aux antipodes et de l’éthique, et de la liberté.
L’éthique ne peut se réduire à la pratique sociale, il y a des mœurs
barbares (comme jadis le sacrifice des enfants pour le culte de Baal,
comme aujourd’hui l’excision des filles). L’éthique n’est pas l’attribut
d’une société, elle est le fruit d’une recherche personnelle :
recherche du bien, tout comme l’esthétique est recherche du beau. C’est
un attribut réservé à l’être humain, et qui le distingue de tout autre
être du règne animal. En revanche, il est au-delà de la raison humaine
de définir avec précision une éthique commune : ce serait une
« présomption fatale ». Le principe thomiste de l‘inconnaissance
(négativité), suggère que le progrès fait son chemin par le jeu des
essais et erreurs, c’est un guide plus sûr que les projets politiques.
Les comités Théodule (au demeurant nommés par décrets), et les lois
scélérates (qui prétendent inventer l’homme nouveau) n’ont aucune
réussite à leur palmarès; elles ont conduit au contraire à la ruine et à
l’asservissement. Malheureusement aujourd’hui l’orgueil humain est à
l’œuvre : le progrès technique rend possible ce qui était naguère
impensable. Donc le techniquement possible devient moralement
souhaitable. Le clonage, le transhumanisme sont à nos portes. Mais qui
maîtriserait ce « progrès », quel sort attendrait les conservateurs
hostiles à ce que nous offrirait la science ?
Le respect de l’être humain devrait nous interdire ce chemin
liberticide. Car la liberté ne peut s’assortir d’une coercition,
fût-elle « éthique», contraignant les individus au bien tel que défini
et imposé par le pouvoir politique. Dans toutes les conceptions
libérales de l’Etat et contrairement à ce que pensent certains
opportunistes, on n’a jamais considéré l’éthique comme partie du domaine
régalien. L’éthique n’est pas affaire régalienne. L’anthropologie
libérale est celle d’un être humain en recherche d’épanouissement
personnel, doté d’une raison insuffisante pour accéder à la perfection,
mais de nature à corriger ses erreurs : celles qui diminuent son
humanité et le rabaissent à des pulsions animales. Comme le professent
nombre de libéraux, je ne crois pas que la liberté soit un principe
absolu. La liberté est un chemin, non une fin. Elle nous est donnée pour
aller vers ce qu’il y a de plus humain dans notre nature, vers ce qui
nous rend plus digne. La liberté est ordonnée à la dignité. Je n’ai pas
ici le loisir d’opposer Hayek et Saint Thomas d’Aquin, mais je crois que
l’évolution des règles sociales suit une trajectoire implicite orientée
par le droit naturel.
Aucun droit positif ne saurait survivre à l’ignorance de la nature
humaine et à l’oubli de la dignité, au respect de la vie et à la beauté
de l’amour des enfants.
Jacques Garello
ALEPS