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décembre 05, 2025

Daniel Lacalle: Le déclin des monnaies fiduciaires dans les pays développés

Le déclin des monnaies fiduciaires dans les pays développés 
 
Les gouvernements partent du principe qu'ils peuvent imprimer autant de monnaie qu'ils le souhaitent et qu'elle sera acceptée par la force. Pourtant, l'histoire des monnaies fiduciaires est toujours la même : les gouvernements dépassent d'abord leurs limites d'endettement, puis ignorent tous les signaux d'alarme et finissent par assister à l'effondrement de leur monnaie. 
 
Aujourd'hui, nous assistons en direct au déclin des monnaies fiduciaires des économies développées. Le système de réserves mondial se diversifie lentement mais sûrement, délaissant un système fondé exclusivement sur les monnaies fiduciaires au profit d'un régime mixte où l'or joue un rôle prépondérant. 
 

 
 Les données COFER du FMI montrent que, si le dollar américain reste dominant, sa part des réserves déclarées a diminué pour se situer autour de 50 %. Pour la première fois en 40 ans, l'or a dépassé le dollar et l'euro comme principal actif des banques centrales. 
 
Ce changement historique s'explique. Les économies développées ont atteint leurs limites d'endettement. 
 
 La dette publique se traduit par l'émission de monnaie, et la crédibilité des pays développés en tant qu'émetteurs s'érode rapidement. Tout a commencé lorsque la BCE, la Fed et les principales banques centrales mondiales ont annoncé d'importantes pertes. Leurs actifs affichaient des rendements négatifs, l'inflation et les problèmes de solvabilité étant devenus manifestes. Les économistes et les gouvernements traditionnels ont minimisé ces pertes, les jugeant insignifiantes. Or, elles révélaient l'extrême risque associé aux achats d'actifs effectués les années précédentes.
 
L'inflation constitue une forme de défaut de paiement progressif de facto sur les obligations émises, et les banques centrales mondiales évitent la dette des pays développés car elles anticipent une détérioration des perspectives budgétaires et inflationnistes. La dette souveraine n'est plus un actif de réserve. 
 
 La dette publique mondiale a atteint environ 102 000 milliards de dollars, un nouveau record historique, bien au-dessus des niveaux pré-pandémiques et proche des sommets atteints lors des expansions monétaires les plus agressives. La dette souveraine a alimenté cette hausse phénoménale, des pays comme la France et les États-Unis affichant d'énormes déficits annuels en temps normal. La politique économique de Biden aux États-Unis a été la preuve la plus flagrante d'une politique budgétaire imprudente, avec des déficits records et une augmentation des dépenses de plus de 2 000 milliards de dollars en période de forte reprise économique. 
 
Comment cette perte de confiance s'est-elle produite ? Les États souverains ne disposent pas d'une capacité illimitée d'émettre de la monnaie et de la dette. Ils sont soumis à des limites claires qui, lorsqu'elles sont dépassées, entraînent une perte immédiate de confiance mondiale. Les économies développées ont franchi les trois limites, notamment depuis 2021 : 
 
 La limite économique est atteinte lorsque l’endettement croissant entraîne une baisse de la croissance marginale. Les dépenses publiques ont gonflé le PIB, mais la productivité a stagné et les salaires réels nets sont stagnants, voire en baisse. 
 
 La limite budgétaire résulte de l’éviction des investissements productifs par les charges d’intérêts et les dépenses sociales. Malgré la répression financière, les taux bas et les mesures de relance monétaire, les charges d’intérêts absorbent une part croissante des budgets des pays développés, renchérissant le financement des obligations publiques, même si l’IPC annualisé se modère. 
 
 La limite inflationniste est atteinte lorsque le financement monétaire répété des dépenses publiques érode la confiance dans le pouvoir d’achat de la monnaie fiduciaire et que l’inflation cumulée dépasse la croissance des salaires réels, engendrant une crise du pouvoir d’achat. 
 
 La combinaison récente d’une dette nominale élevée, de charges d’intérêts en hausse et de déficits budgétaires structurels dans les principales économies avancées illustre ce franchissement de toutes les limites. 
 
 Les banques centrales comprennent le fonctionnement de la monnaie fiduciaire et savent que la dette souveraine n’est plus un placement sûr garantissant la stabilité et des rendements économiques réels. En conséquence, les banques centrales ont réagi par une vague sans précédent d'achats d'or. Les achats nets officiels ont dépassé 1 100 tonnes en 2022 et sont restés supérieurs à 1 000 tonnes en 2023 et 2024, soit plus du double de la moyenne annuelle enregistrée entre 2010 et 2021. En 2024, les banques centrales ont officiellement acquis 1 045 tonnes d'or, marquant ainsi la troisième année consécutive au-dessus du seuil des 1 000 tonnes et prolongeant une série de 15 années d'achats nets. Cependant, les achats non officiels seraient nettement plus importants. Des enquêtes montrent qu'environ un tiers des banques centrales mondiales prévoient d'accroître leurs réserves d'or dans les années à venir, et plus des quatre cinquièmes s'attendent à ce que les réserves officielles mondiales d'or continuent de progresser en raison des inquiétudes liées à l'inflation persistante, à la stabilité financière et aux problèmes de solvabilité. 
 
 Cette demande record d'or est une réponse directe au manque de confiance dans la viabilité des engagements en monnaie fiduciaire émis par les États souverains surendettés. L’or ne présente aucun risque de défaut de paiement et n’est pas contrôlé par les banques centrales, ce qui en fait un investissement judicieux lorsque les banques centrales elles-mêmes doutent de la crédibilité à long terme des monnaies des grandes nations.
 
De nombreux gestionnaires de réserves estiment que l'augmentation massive de la masse monétaire par les gouvernements en période de crise, conjuguée à un retour lent aux politiques normales, fait de l'inflation et du contrôle financier des composantes permanentes du système, et non plus de simples solutions temporaires. Ainsi, l'achat de réserves d'or constitue une assurance contre la taxation progressive des épargnants par le biais de taux d'intérêt réels négatifs et de l'inflation. 
 
Un tel scénario n'annonce ni un effondrement imminent du dollar américain ni une dédollarisation, mais une perte de confiance incontestable dans l'ensemble des monnaies fiduciaires, de l'euro et la livre sterling au yen et au dollar. Certes, le dollar américain demeure la monnaie fiduciaire dominante, représentant 89 % des transactions mondiales et détenant 57 % des réserves mondiales. Mais il domine un système monétaire déconnecté des valeurs en déclin. 
 
 
 
Investisseurs et banques centrales s'orientent vers un ordre de réserves hybride où les monnaies fiduciaires coexistent avec une allocation structurellement plus importante à l'or, mais aussi avec une utilisation croissante des cryptomonnaies décentralisées. 
 
Certaines banques centrales sont paniquées. La BCE vise à imposer l'utilisation de l'euro en mettant en œuvre une monnaie numérique de banque centrale, mais cette approche malavisée témoigne à la fois d'un désespoir et d'une volonté de contrôle. 
 
Aucun gouvernement des économies avancées ne souhaite réduire ses dépenses, à l'exception peut-être de l'administration américaine, qui s'y emploie modestement, malgré des signes de perte de confiance dans sa solvabilité. Face à des ratios d'endettement public supérieurs à 100 % du PIB, des déficits primaires persistants et une résistance politique à toute réduction significative des dépenses, les émetteurs de monnaie fiduciaire risquent de rester piégés au-delà des limites économiques, budgétaires et inflationnistes. 
 
Nous vivons une transformation monétaire historique qui aura des conséquences à long terme. Les banques centrales mondiales ne croient plus aux promesses sur papier et exigent de la monnaie réelle. Le premier pays à adopter une politique monétaire et budgétaire saine l'emportera. Les autres perdront.
 

 
Daniel Lacalle, docteur en philosophie, économiste et gestionnaire de fonds, est l'auteur du best-seller Liberté ou Égalité (2020)... 


 

Daniel Lacalle

Daniel Lacalle, né le 5 août 1967, est un économiste espagnol. Professeur d'économie, c'est aussi un économiste d'entreprise, à la riche carrière dans le monde de l'investissement dans le pétrole et le gaz.. Il est également l'auteur de plusieurs livres de vulgarisation économique et un contributeur aux médias en ligne et à la télévision. Il est considéré comme un libéral conservateur et a été candidat pour le Parti populaire en Espagne. 

Biographie

Daniel Lacalle est titulaire d'un doctorat en économie, est professeur d'économie mondiale et analyste financier (titulaire du titre CIIA), avec un diplôme de troisième cycle de l'IESE et une maîtrise en recherche économique de l'UCV.

Il est l'auteur de plusieurs livres à succès, notamment Life In The Financial Markets (Wiley, 2014), The Energy World Is Flat (Wiley, 2014, avec Diego Parrilla), Escape From Central Bank Trap (Business Expert Press) et Freedom or Equality (PostHill Press). Il collabore régulièrement avec CNBC, Bloomberg, Mises, Hedgeye, Focus Economics, Sound Money Project US et The Wall Street Journal. Ses livres à succès ont été publiés en espagnol (chez Deusto), ainsi qu'en portugais (Nos Os Mercados) et en chinois.

Daniel Lacalle a plus de 25 ans d'expérience dans le secteur financier, y compris en Afrique du Nord, en Amérique latine et au Moyen-Orient. En 2011, il a été classé parmi les trois meilleurs spécialistes dans l'enquête Extel de Thomson Reuters, la principale enquête auprès des entreprises et des institutions financières. 


Travaux

Daniel Lacalle est reconnu comme un économiste et auteur influent dans le domaine financier dans le monde hispanophone et anglophone.

Son livre Life in the Financial Markets: How They Really Work And Why They Matter To You, publié en 2015, offre une analyse complète et accessible des marchés financiers et de l'industrie des services financiers. Il y examine l'histoire récente de la crise financière et aborde des sujets brûlants tels que les indices dérivés et le trading à haute fréquence. Une section approfondie sur la banque d'investissement est écrite du point de vue d'un praticien expérimenté et apporte des éclaircissements sur plusieurs éléments complexes et trop politisés du système bancaire. L'auteur apporte une perspective d'expert sur les marchés de la dette, les politiques monétaires et l'assouplissement quantitatif, et aide à comprendre les divers problèmes liés à la dette souveraine, à la crise de l'euro et aux politiques d'austérité par rapport à celles de croissance.

Dans Nosotros, los mercados (2013), Daniel Lacalle propose de regarder derrière la façade de la City et met à nu l'absurdité de ceux qui blâment les marchés pour dissimuler leur propre incompétence et lâcheté. Lacalle se démarque par sa propension à contredire et à penser par lui-même. En tant que guide, il plonge le lecteur dans l'univers souvent idéalisé, voire détesté, des hedge funds. Ayant fait sa transition du keynésianisme au libéralisme, il captive ses lecteurs par la simplicité avec laquelle il explique que l'austérité est préférable à la faillite. Son approche claire et directe démystifie les idées préconçues et offre une vision éclairante de la réalité des marchés financiers. Nosotros, los mercados est bien plus qu'un simple manuel. C'est une véritable autobiographie. Daniel Lacalle partage avec ses lecteurs les clés qui animent les grands investisseurs à travers le monde. De manière didactique et divertissante, il démonte les mythes qui entourent l'entité mystérieuse que l'on nomme les marchés. Basé au cœur de la City, où il gère un hedge fund, Lacalle construit un récit captivant et révélateur qui révèle les coulisses de cet univers financier complexe.

Liberté ou égalité : la clé de la prospérité grâce au capitalisme social de Daniel Lacalle, publié en 2020 par Post Hill Press, propose une approche simple et globale de notre économie, prônant l'épargne, l'investissement et l'innovation dans le cadre du capitalisme. Le livre soutient que le capitalisme offre une plus grande prospérité et des opportunités à tous, par opposition au socialisme et à l'interventionnisme inutile, voués à un échec inévitable. L'auteur reconnaît que le capitalisme perd de sa popularité parmi la classe moyenne du monde occidental. Cependant, Daniel Lacalle pense que le capitalisme peut être corrigé pour relever les défis des décennies à venir. Ces défis comprennent les progrès rapides de la technologie et l'utilisation de robots, une population vieillissante, une fiscalité lourde et la viabilité des coûts de l'éducation et des soins de santé.

Dans Viaje a la libertad económica: Por qué el gasto esclaviza y la austeridad libera (2013) (Voyage vers la liberté économique : Pourquoi les dépenses asservissent et l'austérité libère), Daniel Lacalle explore en profondeur le sujet controversé du marché libre et de l'intervention gouvernementale. Il expose de manière convaincante que le marché libre est souvent injustement blâmé pour les problèmes économiques et sociaux, tandis que l'interventionnisme est souvent considéré comme la solution miracle. Lacalle remet en question cette perception répandue en fournissant des arguments solides et en présentant des faits concrets. Il explique comment les politiques interventionnistes peuvent entraîner des conséquences néfastes telles que la stagnation économique, l'inefficacité bureaucratique, l'endettement excessif et la perte de liberté individuelle. Il met en évidence les méfaits des dépenses publiques et souligne comment celles-ci peuvent devenir un fardeau pour la société, limitant les opportunités d'investissement, de croissance et de prospérité.

Le monde de l'énergie à plat : les opportunités à la fin du pic pétrolier

Dans The Energy World is Flat: Opportunities from the End of Peak Oil (2015), Daniel Lacalle et Diego Parrilla offrent une analyse approfondie des marchés internationaux de l'énergie et explorent les implications économiques de la quête continue d'énergie abordable, abondante et propre.

L'un des aspects important du livre est l'examen de l'histoire des marchés de l'énergie, permettant d'établir des parallèles entre les changements passés et actuels. Les auteurs identifient dix forces qui contribuent à l'aplatissement et à la mondialisation du monde de l'énergie, offrant ainsi une perspective éclairante sur les transformations en cours. Le livre tire dix leçons essentielles de la révolution d'Internet et de la bulle des dotcoms, qui peuvent être directement appliquées aux marchés du pétrole brut et de l'énergie. Ces leçons fournissent des pistes intéressantes pour comprendre les dynamiques actuelles et futures de ces marchés en constante évolution.

Les auteurs portent une attention particulière aux développements récents de l'industrie de l'énergie, tels que la révolution du gaz de schiste aux États-Unis. Ils expliquent comment les investisseurs peuvent anticiper les tendances futures du marché de l'énergie en suivant les dépenses en capital et en évaluant les incitations gouvernementales. Cette approche permet aux lecteurs d'appréhender les opportunités et les risques liés à ces développements.

Dans La madre de todas las batallas publié en 2014, Daniel Lacalle offre une analyse approfondie et perspicace du paysage énergétique mondial. Il aborde avec clarté, courage les nombreux défis politiques, économiques et technologiques auxquels le secteur est confronté. Lacalle propose un regard unique et global sur les forces et les équilibres qui façonneront l'avenir du marché énergétique mondial. Son livre propose une perspective passionnante à un moment historique crucial.

Informations complémentaires

Publications

  • 2013,
    • a. "Nosotros, los mercados", Editorial Deusto
    • b. "Viaje a la libertad económica: Por qué el gasto esclaviza y la austeridad libera", Editorial Deusto
  • 2014, "La madre de todas las batallas. Editorial Deusto
  • 2015,
    • a. avec Juan Torres López, Emilio Ontiveros, "Hablando se entiende la gente", Editorial Deusto
    • b. "Acabemos con el paro", Editorial Deusto
    • c. avec Diego Parrilla, "The Energy World is Flat: Opportunities from the End of Peak Oil", Wiley
    • d. "Life in the Financial Markets: How They Really Work And Why They Matter To You", Wiley
  • 2016, "La Pizarra de Daniel Lacalle, las diez reformas esenciales para una España de futuro", Editorial Deusto
  • 2017, "El porqué de los populismos", Editorial Deusto
  • 2018, "Escape from the Central Bank Trap: How to Escape From the $20 Trillion Monetary Expansion Unharmed", Business Expert Press; 2nd edición
  • 2020, "Freedom or Equality: The Key to Prosperity Through Social Capitalism", Post Hill Press
  • 2022, "Haz crecer tu dinero: Mi experiencia con los mejores inversores del mundo", Editorial Deusto

 https://www.wikiberal.org/wiki/Daniel_Lacalle

août 09, 2017

Une France en échec, sans courage, 200% Étatique, 0% Libre !!

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes ( notamment ou j'en étais l'administrateur), comme sur vos propres murs respectifs. 
D'avance merci. 

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...

Merci de vos lectures, et de vos analyses. 
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. 
Al,




Sommaire:

A) "Le logiciel France est en mode échec!" - Xavier Guilhou - XAG consulting

B) " La chute du mur de Bruxelles "- Xavier Guilhou - XAG consulting

C) L’enfant sans père - Jacques Garello - ALEPS




  




A) "Le logiciel France est en mode échec!"

Dans un contexte global de redéfinition des leaderships à grande échelle, et aussi à très grande vitesse, la France se singularise par une crise de régime, une crise institutionnelle et une crise sociétale majeure sur fond de récession économique et de montée historique du chômage. Nous avons l’impression de renouer avec les années 1935-39 où le même type de gouvernance s’est employé à ruiner la IIIème République, à affaiblir le pays en divisant les opinions, à réduire ses capacités de défense tout en donnant l’illusion, derrière sa ligne Maginot, d’avoir l’armée la plus redoutée d’Europe.... Nous connaissons la suite et il règne la même impression très désagréable de fuite en avant et d’incompétence que celles qui nous ont amenés à cette « étrange défaite » en 1940. Au-delà ce constat et cette intuition, il règne un climat malsain et délétère de fractalisation de la société qui devient très dangereux. Cela peut nous mener sur des cinétiques violentes sur le plan sociétal, dont seuls les français ont le secret. 

Depuis plusieurs années, et de façon plus flagrante avec le changement de majorité, pour satisfaire une politique sans stratégie mais dominée par des réseaux, des apparatchiks, des lobbies, similaires à ceux des « bouilleurs de crues »1, la France s’est enfoncée dans un processus de désacralisation du pouvoir, de décribilisation de la République et de déni de démocratie. La « normalité » du Président de la République, le niveau de corruption, voire de mensonge d’Etat qui règne au plus haut niveau de l’exécutif, les multiples scandales administratifs, judiciaires et financiers, la présomption de mensonge permanent et de manipulation des opinion, tous ces éléments à charge accumulés depuis des années, jamais traités sur le fond, mal gérés sur la forme, contribuent à dégrader cette relation Etat- nation qui est en France historiquement très fragile et toujours très sensible depuis Richelieu.



1 Voir l’excellente synthèse faite par Jean Garrigues, historien, spécialiste d’histoire politique, qui enseigne à l’université d’Orléans, dans La France de la Ve République 1958-2008 (Armand Colin, 2008) au chapitre « groupes de pression »
http://www.adels.org/territoires/PDFArticlesDuMois/Territoires520ArticleHorsDossier.pdf
  
Ce lien est en train d’éclater une fois de plus. La défiance envers les élites est désormais considérable avec un pouvoir qui ne rassemble plus que 25% de support dans l’opinion2... 62% des français consultés considèrent que le Président actuellement en place est « incompétent »3... Avec de tels niveaux d’alertes, n’importe quel conseil d’administration d’entreprise aurait déjà changé l’exécutif pour ne pas subir une faillite annoncée ! La perte de confiance dans tous les niveaux de gouvernance est l’élément dimensionnant de la crise française. Les niveaux de colère et de déception qui commencent à s’exprimer massivement, et avec une multiplicité de modes d’action sur le terrain, révèlent un niveau historique de rejet des dirigeants du pays, qu’ils soient politiques ou économiques, par une très grande partie de la population. 

Certes, l’encadrement supérieur des administrations et des entreprises n’est pas très sensible à cette rupture sociétale et il n’est pas certain que ces élites comprennent ce qui se passe réellement dans le pays. Depuis trente ans, cette couche très marginale, mais aussi très parisienne, s’est éloignée du destin de la France qu’elle amalgame à celui de la mondialisation. Elle est bercée par la financiarisation de l’économie et est devenue au fil du temps autiste du fait de son niveau de confort et d’enrichissement, non pas par le travail, mais par le fruit de multiples spéculations mobilières et immobilières. Elle a perdu progressivement le sens des réalités et est devenue indifférente à la dégradation globale de la situation sociale et économique. Pire, elle est soumise et résignée à un mode de pensée qu’elle ne maîtrise pas. 

Pour le reste de la population, notamment pour le milieu et le bas des classes moyennes, la situation est inverse. Ces catégories ont cru pendant longtemps aux sirènes de l’ascenseur social, au mythe de l’enrichissement facile grâce à l’endettement et aux stratégies d’effet de levier portées par le monde bancaire et financier, à l’illusion d’une société de loisirs et de consumérisme... Mais depuis quelques années, ces populations sont confrontées aux effets pervers des délocalisations, de la désindustrialisation, du chômage de masse, de la perte de pouvoir d’achat4, de l’endettement, des hausses d’impôt et beaucoup plus grave à l’absence d’avenir, surtout pour leurs enfants. Ces classes moyennes commencent à comprendre depuis quelques temps que la crise de modèle dans laquelle l’Occident est entrée depuis 2006/2008 est durable, mais particulièrement impitoyable pour les faibles, et beaucoup trop indulgente pour les incompétents. La défiance actuelle est assise sur un sentiment profond d’iniquité et d’injustice. 

2 http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/04/21/hollande-perd-six-points-de-popularite-record-des-mecontents_3163593_823448.html
3 http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRPAE93A08720130411
4http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/03/27/une-baisse-historique-du-pouvoir-d-achat_3148535_823448.html 


La situation française dans le paysage international est singulière mais surtout très dangereuse5. Certes, le pouvoir peut faire des pirouettes de communication pour donner l’impression qu’il maîtrise la situation avec une guerre de raid contre 300 djhadistes dans le désert pour détourner le focus médiatique et éviter de prendre en compte la population qui descend dans la rue par centaines de milliers... C’est un biais classique en politique, mais qui n’a fait qu’enkyster les problèmes de fond sur le plan sociétal et ce quelles que soient la nécessité et la légitimité de cette opération militaire sur le fond... Stigmatiser la menace extérieure, avec une instrumentalisation très facile de la germanophobie qui monte dans tous les pays latins, est là aussi un peu facile et léger, surtout quand on connait l’état actuel des finances publiques, de la balance commerciale et le niveau d’endettement du pays... Ouvrir sans discernement nos frontières à certains investisseurs chinois, indiens, qataris pour renflouer tant bien que mal les caisses de l’Etat, ou faire reprendre des passifs pourris de banques ou d’entreprises condamnées par trente ans de perte de compétitivité est là aussi pour le moins suicidaire à terme pour notre souveraineté... 

Actuellement, le pouvoir n’est plus respecté et respectable tant pour la population française que pour l’extérieur. Son mépris du débat, les multiples dénis de démocratie, les trop nombreuses affaires de corruption, l’impunité des courtisans et, surtout, la récurrence permanente du mensonge font qu’il est devenu irrecevable à l’intérieur du pays et méprisé à l’extérieur. Tout ceci est explosif, car les français, qui sont très schizophréniques sur le plan électoral, sont éruptifs quand il y a désacralisation du pouvoir, trahison des clercs, et iniquité de traitement. Les français vont aux urnes en votant la plupart du temps « contre », car ils savent qu’il n’y a pas dans ce pays de véritable contrat social, qu’il n’y a pas de fiabilité fiscale et qu’il n’y a pas de parole politique. Le référendum dans cette pratique infantile de la démocratie est toujours l’occasion de dire « non » à la question posée ! Et comme le suffrage universel est toujours biaisé, il arrive un moment où la situation devient insupportable, surtout lorsque les lobbies gouvernent, que le gouvernement se réunit mais ne décide plus et que le chef de l’Etat n’incarne plus une vision collective. Dans ce cas de figure, le français redevient un « animal politique » redoutable ! Si dans le monde entier on ne retient de l’histoire de France que ses épisodes révolutionnaires, pas toujours très heureux, ce n’est pas fortuit. Beaucoup aujourd’hui dans le monde observent la « cocote minute » française avec une certaine inquiétude tant cette alchimie du peuple et de son souverain est imprévisible...pour le meilleur, mais aussi pour le pire !

5 Cf. Le livre que j’ai écrit juste avant la crise en février 2007, Quand la France réagira..., Chez Eyrolles. 

Tous les symptômes que j’ai évoqués dans l’ouvrage apparaissent désormais au grand jour et ne font que s’amplifier: Cf. Le symptôme « argentin » avec la dette du pays qui sera de 100% du PIB fin 2013, le symptôme « yougoslave » avec la fractalisation de la relation Etat-nation, et le symptôme « libanais » avec la multiplication des zones de non droit ainsi que la radicalisation des questions communautaires et identitaires (cf. la situation à Marseille ou dans nos banlieues parisiennes). La conjugaison des trois est très dangereuse, surtout dans un contexte d’implosion politique et sociétale.

Pourquoi la situation française est-elle aussi dangereuse ? A priori, pour beaucoup nous ne représentons plus grand-chose sur le plan international. Démographiquement, nous sommes devenus un tout petit pays. Certes, économiquement, nous demeurons la 5ème puissance mondiale et avec l’Allemagne nous constituons un verrou incontournable, mais à la seule condition que le mariage de raison tienne. Par ailleurs, stratégiquement nous sommes toujours membre du conseil de sécurité de l’ONU, bien que puissance moyenne sur le plan militaire, mais encore dotée de l’arme nucléaire et de capacités de projections aéromaritimes non négligeables. Pour toutes ces raisons, même si nous sommes devenus marginaux en termes de taille, nous constituons en revanche un risque systémique majeur en cas de défaillance de notre gouvernance. 
 
Le premier risque est celui du krach interne avec une instabilité politique issue d’une multiplicité de pics de colère ingérables et insoutenables. Les évènements en cours depuis plusieurs mois, avec des millions de français dans la rue sur des questions majeures de sociétés, ne peuvent plus être considérés comme nuls et non advenus comme le font certains chroniqueurs ou politiciens. Le déni et le mépris qui sont pratiqués par le pouvoir actuellement ne constituent pas une bonne stratégie. La spirale actuelle peut nous emmener très rapidement, si elle n’est pas contenue et pilotée, dans un chaos politique durable, brutal et ingérable avec des scénarios que même les italiens ne connaissent pas ...

 Le deuxième risque est celui d’un divorce avec l’Allemagne, d’un éclatement brutal de l’Euro et de la fin de l’Union européenne. Personne n’y croit alors que ce scénario n’a jamais été aussi flagrant et imminent. Les conséquences en termes d’ondes de choc et d’impacts stratégiques au niveau mondial sont pour le moment inimaginables. Elles seront supérieures à une crise au Proche-Orient car elles remettront en cause le peu qui reste des architectures de sécurité internationale issue de Yalta et révèleront surtout les fragilités monétaires et financières du traitement de la crise au niveau international depuis 2008. Dans les faits, personne n’a intérêt à un tel krach, mais l’inconcevable n’est pas impensable...  

Le troisième risque est collatéral au sein du monde latin et, du fait de toutes nos relations politiques, démographiques et économiques, avec le monde arabo-africain. Là aussi, nous ne pouvons pas imaginer ce que pourraient être les conséquences d’une implosion de notre gouvernance interne et conjointe à celle du système européen dans cette relation nord- sud qui est actuellement très instable notamment sur le plan identitaire et sécuritaire. 

Par ailleurs, sur le plan géopolitique, nous entrons dans un calendrier très tendu avec les élections iraniennes en juin et allemandes en septembre. Ces deux rendez-vous vont conditionner la stabilité des plaques régionales moyen-orientales et européennes. Pour leur part, les rivages de la Méditerranée sont actuellement au cœur des crises les plus délicates que nous ayons à gérer au niveau mondial. Au nord, les logiques fratricides entre peuples latins et peuples du Saint-empire romain germanique reprennent toute leur place. Cela se traduit par un exil fiscal pour ceux qui veulent se protéger des implosions de système mais aussi par la fuite des cerveaux et des jeunes qui veulent trouver un avenir. A court terme, c’est aussi le signal de la déliquescence du rêve européen et le compte à rebours de l’éclatement de la zone euro. Au sud, derrière les printemps arabes, les logiques frontales entre les différentes voies de l’Islam s’affirment désormais de façon explicite, reléguant les constructions Etat-nation ou les épisodes nationalistes aux rebus de l’histoire. Cela se traduit par un exil politique pour des millions de personnes qui fuient la montée d’un islamisme qui ne masque plus sa radicalisation. A l’est, la zone du Proche et Moyen-Orient s’enfonce dans de multiples guerres civiles qui consacrent définitivement la déconstruction du tracé des frontières issues des accords Sykes-Picot, ainsi que l’échec des gesticulations occidentales. La fragmentation en cours des souverainetés syriennes et irakiennes, l’instrumentalisation et les menaces qui pèsent sur les minorités chrétiennes d’Orient comme sur les kurdes, les risques d’instabilité du royaume de Jordanie et les surenchères des monarchies de la péninsule arabique face aux pressions chiites, avec en toile de fond un désengagement discret mais de plus en pesant des américains au profit du Pacifique, sont des signaux annonciateurs de profonds changements de paradigmes dans les équilibres mondiaux. Au milieu de tout ce maelstrom de crises très hétérogènes, nous avons avec Chypre, le Liban et Israël de véritables laboratoires des nouveaux rapports de force qui s’installent durablement entre les uns et les autres sur ces rivages turbulents. 
 
Les implosions de société qui sont en cours vont dominer durablement cet espace régional avec des risques financiers, sociaux et identitaires qui ne pourront pas être résolus par de simples opérations de communication politique ou par des bricolages populistes. Tout ceci pose la question fondamentale de l’avenir de la démocratie pour nos vieux pays européens, de la robustesse de notre Vème république, surtout quand les institutions sont dénaturées par une forme de despotisme technocratique et quand le politique au sens noble du terme s’est dissout dans le cirque médiatique. Cela pose aussi la question de notre place à terme dans le concert des nations lorsque sur le Pacifique nord, loin de nos rivages méditerranéens, s’expriment d’autres grands jeux qui structurent ce XXIème siècle avec des acteurs qui se moquent de nos tribulations excentriques d’enfants gâtés du bout du monde... Il suffit d’observer ce qui se passe en mer de Chine, au Japon avec l’arrivée de Shinzo Abe qui rallume les tensions nationalistes, entre les deux Corées, dans les pays de l’ASEAN qui sont devenus la première zone de libre échange au monde pour comprendre que notre sort ne dépend plus que de nous-mêmes. Nous ne bénéficions plus de parapluies stratégiques pour nous protéger et nous accompagner et nous ne pouvons plus cacher nos défaillances de gouvernance avec Internet qui charrie instantanément sur tous les écrans du monde la moindre faute, le moindre mensonge. 

La crise que nous devons affronter n’est pas uniquement technique avec la question de la transition énergétique et l’émergence d’une nouvelle révolution industrielle, elle n’est pas seulement financière et économique avec la question du règlement des dettes et de la relation de la croissance. Pour la France, elle est devenue civilisationnelle ! Elle nous interpelle sur nos valeurs, nos croyances, nos principes de vie, sur ce que nous voulons ou ne voulons pas devenir. Tout ceci suppose d’avoir quelque part une volonté ! Certes, là où il y a une volonté il y a un chemin ! Mais c’est bien parce qu’il n’y a plus de volonté mais un abandon de pouvoir et une cruelle absence de vision que nous avons l’impression aujourd’hui d’être englués dans une sorte d’impasse historique. Camus écrivait à ce propos « la société politique contemporaine est une machine à désespérer les hommes ». Et Julien Green dans son journal d’affirmer « Il faut sauver l'espérance. C'est le grand problème de ce siècle ! ». Là est la question majeure de la crise française et c’est là que se trouve la racine de cette « erreur 404 »6 qui est signifiée par cette photo emblématique de ce jeune français avec son masque larmoyant des « anonymous ». C’est cette erreur de protocole qui met aujourd’hui notre logiciel Etat-nation en mode échec ! Il n’y a plus de véritables responsables à l’adresse requise ...
Nous croyons qu’il suffit de jouer avec la boîte à outils bureaucratique pour avoir un peu d’espoir de croissance... Nous croyons qu’avec un peu d’inflation ou d’austérité nous allons remédier aux auto- blocages actuels... Mais cette boîte à outils des techniciens ou experts, voire imposteurs, de la macro ou de la micro économie, qui alimentent nos modes de représentations du réel, n’est plus en mesure de répondre à la crise de modèle et de sens que nous traversons! C’est sur le champ beaucoup plus profond et exigeant de l’espérance que nous retrouverons la foi dans l’avenir, mais aussi dans l’homme et dans un nouveau projet de société et de gouvernance plus équitable et juste. Face à la montée des tensions sociétales et à la mise en faillite de notre modèle de société il n’est pas interdit de méditer cette phrase d’Euripide : « L'homme de cœur est celui qui se fie jusqu'au bout à l'espérance. Désespérer, c'est lâcheté !» Cette citation est particulièrement d’actualité, elle nous interpelle sur notre courage et sur notre sens réel de la liberté et de la démocratie.

Xavier Guilhou






B) " La chute du mur de Bruxelles "


« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » La première salve a mis à terre les premières lignes de l'article 50 du traité de l'UE, à la grande surprise des pays européens qui ne croyaient pas que le Royaume-Uni oserait, une fois de plus. C'est méconnaître les Britanniques dont la devise de leurs unités d'élite, les fameux SAS, est, ne l'oublions pas, « Qui ose gagne ! ». L'Union européenne vient juste de perdre l’adhésion de la 5ème place financière et de la 8ème puissance au monde1 ainsi que 15 % de son budget, anecdote de l'Histoire. En fait, nous commençons à assister avec le résultat cinglant de ce référendum à une nouvelle chute d'un mur, celui de Bruxelles ! 

Tout les chroniqueurs commentent les effets possibles, cherchent les causes, s’agitent autour du désarroi des politiciens de tous bords qui n’ont pour la plupart rien anticipé, persuadés que les Britanniques resteraient « raisonnables »... Bien entendu, tout est de la faute de David Cameron, de la trahison de ces vieux « égoïstes » qui ont voté contre ces pauvres jeunes « cosmopolites », de l’instrumentalisation de l’immigration par les partisans du « Leave » et bien entendu de ce monstre orwellien qu’est devenue la technocratie bruxelloise. Tous ces fautifs sont devenus en quelques heures les nouveaux boucs émissaires à sacrifier sur l’autel de l’Histoire afin d’exorciser cette « étrange défaite »2 des élites européennes. Ces dernières se sont bunkerisées dans une vision uniquement économique du référendum alors que la question posée est existentielle et politique. Elles étaient tout simplement « hors sujet », une fois de plus. De fait, l’état de confusion qui transparait sur les ondes au lendemain de ce séisme démocratique révèle non seulement l’état de surprise de nos décideurs mais surtout l’absence sidérale de stratégie. Pour autant, quels que soient les constats que nous pouvons faire et les développements à venir, que signifie sur le fond ce Brexit? 

De quoi s'agit-il?
En fait il n’y a rien de vraiment surprenant3. Nous ne sommes que dans la continuité de ce processus de déconstruction, auquel nous assistons passivement depuis 30 ans, de tous les protocoles qui ont permis à notre monde occidental de concentrer les facteurs de pouvoir et de puissance depuis plusieurs siècles4. Les cadres mis en place au fur et à mesure de tous nos accidents historiques : traités de Vienne, de Versailles et de Yalta sont désormais tous en logique de défaisance tant en termes d'autorité et de légitimité que de crédibilité. Derrière la chute du mur de Berlin, les peuples de l’Europe de l’Est, fortement soutenus par l’Ostpolitik d’Helmut Khôl et la « guerre des étoiles » de Ronald Reagan, ont provoqué la fin du communisme et la désintégration de l’URSS. Avec la chute du mur de Bruxelles, qui ne fait que commencer, les peuples de l’Europe de l’Ouest, sous la pression de la crise financière et des flux migratoires provoquent la fin de l’ultralibéralisme et la désintégration de l’Union européenne. Nous assistons juste à la mort des deux protocoles, déclinaisons de ces deux grandes idéologies de masse du siècle dernier que sont le capitalisme et le communisme, incarnées par les deux grands empires que furent les Etats-Unis et l’Union soviétique, dont la toute puissance s’est affirmée sur les cendres de nos guerres fratricides en Europe. De la même façon, nous assistons sur le Proche et Moyen-Orient à la fin des accords Sykes-Picot comme à ceux du pacte du Quincy, qui furent les avenants des traités de Versailles et de Yalta, avec en contrepartie le retour des empires centraux... 

1 Le Royaume-Uni avec un PIB de 3 000 milliards en 2016 est classé à la 8ème position en termes de parité de pouvoir d’achat et à la 5ème position en termes de PIB nominal, soit un PIN par habitant de 47 200 $.
Cf. http://www.lemoci.com/fiche-pays/royaume-uni
2 Relire à cet effet « L’étrange défaite » de Marc Bloch
3 Cf. Edito de Xavier Guilhou – septembre 2015 « L’Europe est morte... Vive l’Europe ! » http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/L-Europe-est-morte.pdf
4 Cf. « Qu’est-ce qui nous arrive ? Peut-on encore choisir notre avenir ?
» Réflexions à plusieurs mains avec et sous la direction de Mac Halévy. Editions Laurence Massaro juin 2016.

L’Union européenne, qui est née de cette stratégie d’indivision mise en place par les alliés derrière les accords de Yalta pour empêcher l’Allemagne de redevenir un empire central, ne pouvait pas survivre à la chute du mur et à la réunification. Ce n’était qu’une question de temps. Les circuits financiers ont cru avec la chute du communisme que leurs stratégies avaient vaincu le « mal » à coup de dollars, de dettes et de bulles spéculatives. Persuadés qu’il n’y avait pas d’autre modèle viable et durable que le seul libéralisme économique, ils ont provoqué par leur vanité et leur cupidité la désintégration du modèle démocratique européen en moins de deux décennies. Le Brexit n’est que la résultante de la désanctuarisation de l’Occident au travers de la mondialisation, de l’ouverture des frontières et de la montée des flux migratoires, ainsi que des excès provoqués par les dérégulations et la financiarisation de nos économies. La chute de Lehmann Brothers peut être considérée, au même titre que le fut le retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan en 1988, comme le second signal annonciateur de la mort de ces stratégies périphériques qui ont contenu l’Europe, certes dans l’opulence pendant 70 ans, mais dans une impuissance dangereuse et insoutenable face aux nouvelles réalités mondiales. 

Contrairement aux affirmations des politiques et des éditorialistes, les peuples ne sont pas idiots. Ils peuvent avoir des intuitions salvatrices. Ce n’est pas parce qu’ils ne votent pas comme le souhaiteraient les élites au pouvoir qu’ils ne doivent pas être entendus et respectés. Le risque de dénaturer, voire de neutraliser, le peu de démocratie qui demeure encore actuellement dans nos pays n’a jamais été aussi fort tant au sein des synarchies qui contrôlent les rouages de l’Union européenne que des collectifs ou partis populistes qui surfent sur l’instabilité des convulsions politiques et sociétales que nous commençons à connaître. Nous vivons juste le début de la fin du « plus jamais ça » et le retour de l’imperium allemand sur le continent européen. Pour les Anglais, cette domination qui s’exprime en grande partie au travers des réglementations et contrôles imposés par Bruxelles, est tout simplement insoutenable sur le plan existentiel et stratégique. C’est historique et génétique : le Royaume-Uni, qui a la nostalgie de l’Empire, ne peut admettre d’être le vassal de l’Allemagne, sous prétexte d’être européen. C’est bien pour cela qu’il n’a jamais souscrit à l’Euro. Angela Merkel et surtout Wolfgang Schäuble ont parfaitement compris le message. 

De fait, les Anglais préfèrent revenir aux bases du souverainisme et au vieux bilatéralisme plutôt que de se laisser enfermer dans un pseudo fédéralisme qui n’en n’est pas un. Ce n’est pas le choix des Français qui préfèrent une forme de subordination passive afin de pouvoir couvrir les chèques sans provision de leurs dirigeants qui partent toujours du principe, comme l’avait affirmé Clemenceau au moment des « réparations », que « l’Allemagne paiera ! ». Les Anglais n’ont jamais oublié que l’infantilisme politique des Français face à l’imaginaire dominant allemand a toujours mené l’Europe à la guerre. C’est pour éviter cela, pour travailler la résilience et faire émerger une nouvelle maturité politique de part et d’autre du Rhin, que le traité de l’Elysée a été conçu par les membres fondateurs de l’Union européenne. Mais c’est parce que sur le fond la substance de cette relation franco- allemande s’est progressivement vidée de sa substance que le Brexit a pris cette dimension sismique, au grand étonnement des élites européennes qui vivent dans leurs bulles technocratiques et médiatiques. Ces dernières n’ont pas perçu le décrochage des opinions et les peurs séculaires des peuples qui n’ont rien oublié des convulsions fratricides de ce vieux continent et son potentiel en termes de répliques mortifères. Pourtant tout est là pour rappeler aux peuples la fragilité de leur état entre les commémorations permanentes et les bruits de bottes à seulement deux heures de nos capitales dans les Balkans, sur la Mer noire, sur les rivages de la Méditerranée ou sur la Baltique. 

Quel jeu d’acteurs ?
Il est très plaisant d’observer les politiques déclamer avec beaucoup d’assurance « il nous faut une autre Europe », « il faut inventer une nouvelle Europe », « il faut de nouvelles institutions à l’Europe », comme si notre vieux continent était un sujet fini, homogène et stable. Tous ceux qui ont travaillé sur cet espace savent qu’il n’en n’est rien. Au contraire, c’est sûrement l’espace-temps le plus complexe à gérer sur le plan économique et le plus difficile à piloter sur le plan politique tant la diversité des cultures, des histoires, des peuples est dense et éclatée sur le terrain. De fait, les jeux d’acteurs ne peuvent être simplifiés en observant le seul fonctionnement de l’Union européenne qui ne reste qu’une vitrine virtuelle, les décisions se prenant ailleurs. Il suffit de fréquenter les couloirs de Bruxelles, notamment ceux de la Commission avec ses jeux de lobbies qui dominent en arrière plan chaque négociation, pour comprendre la réalité et la complexité des niveaux d’affrontements intergouvernementaux et surtout l’importance des stratégies nationales, voire régionales, dans ce maelstrom de 27 nations, dont les intérêts particuliers sont de plus en plus supérieurs aux intérêts généraux. Il suffit de suivre les confrontations au cours de ces derniers mois sur l’immigration et sur la non gestion de l’espace Schengen tant sur les rives de la Manche, les rivages de la Méditerranée que sur les marches des pays du groupe de Višegrad, pour avoir une illustration souvent consternante de ces réalités... L’Allemagne n’est pas la dernière à montrer l’exemple sur ces sujets avec sa stratégie unilatérale et sans concessions qui va bien au-delà la question de l’encadrement des déficits budgétaires et les politiques d’austérité tant décriés notamment par les Français... 

Dans ce jeu d’acteurs, le Royaume-Uni est maître de l’agenda et piège le vieux continent. Puisqu’il souhaite redevenir souverain, il n’a pas d’autres choix que de privilégier en premier lieu sa stabilité politique interne et de contenir les pulsions de séparatismes manifestées par l’Ecosse et l’Irlande du nord. L’UE attendra que les partis anglais aient d’abord redéfini leur mode de fonctionnement et que le pays puisse retrouver sa robustesse légendaire. Contrairement à ce que pensent les chroniqueurs, le Royaume-Uni est en position de force. L’Allemagne n’a pas d’autre choix que de patienter, la France n’a pas d’autre issue que de s’agiter, l’Italie n’a pas d’autre voie que de se préparer à une crise majeure. Ces trois pays fondateurs sont de plus contraints par leurs propres agendas électoraux avec des dirigeants qui sont en perte de crédibilité et de légitimité tant au sein de leurs majorités que vis-à-vis de leurs électeurs. Ils ne peuvent même pas bénéficier du support de leur principal allié qui est lui même engagé dans une bataille électorale peu banale pour la fin 2016 avec le duel Trump / Clinton. Ces convergences d’agendas électoraux ne peuvent que faire le jeu des Anglais ! 

En marge de ces jeux de majors, les « petits pays » peuvent surprendre à l’instar de ce qui s’est passé lors de la chute du mur de Berlin. N’oublions pas qu’au-delà la dissolution de la RDA, il y a eu la décomposition de la Tchécoslovaquie en deux pays, la sortie très rapide de la Hongrie du PAVA, puis des pays baltes, ainsi que l’implosion de l’ex Yougoslavie, le tout en quelques mois... Beaucoup pensent que cet effet domino n’est pas possible au sein de l’UE, que la comparaison n’est pas transposable à l’onde de choc du Brexit et que finalement les conséquences seront mieux contenues et maîtrisées car l’Europe est beaucoup plus puissante économiquement que ne l’était l’URSS... Pourquoi pas, les Soviétiques raisonnaient de la même façon, ils étaient persuadés que l’Armée rouge était toute puissante et que personne ne pourrait la défier sur leur espace vital. Au moment de la chute du mur, les dirigeants se sont réunis pour tenter de montrer un front uni, mais ils sont restés atones, contemplant le jeu de domino qui se déroulait sous leurs yeux impuissants. De même, ils ont vu émerger des dirigeants qui étaient inconnus. Il serait peut-être intéressant et prudent de suivre ce que vont faire des pays comme les Pays-Bas, l’Espagne toujours ingouvernable avec un risque de fractalisation régionale, et de façon peut-être inattendue, les pays du groupe de Visegrad ainsi que les pays de la Baltique qui ne partagent absolument pas les postures dominatrices des majors de cette crise. N’oublions pas par ailleurs que la Grèce reste en embuscade et qu’elle pourrait de nouveau relancer une sortie de l’Euro, voire de l’UE, du fait de l’intransigeance de ses créanciers, le passage des échéances de juin ayant été de nouveau très critique... 

Enfin, ne perdons pas de vue, au-delà les jeux internes au sein de l’UE, ce qui se joue sur la périphérie de l’Europe. Le Brexit ne peut que favoriser les postures d’affirmation des puissances centrales sur la Méditerranée orientale (Russie, Turquie, Iran), surtout avec le repositionnement américain, engagé par l’administration Obama, qui est en cours sur le Proche et Moyen orient5. Il ne peut que donner également des idées aux Asiatiques (Chine, Japon, Corée) afin de récupérer au moindre coût nos actifs ou territoires stratégiques fragilisés par les divisions. Nous pouvons leur faire confiance pour savoir utiliser les fenêtres d’opportunité générées par notre absence de stratégie, nos indécisions et notre impuissance. Il suffit de suivre les réunions qui se succèdent à Bruxelles avec désormais les 28 moins un de l’UE pour se rappeler cette phrase de Sénèque résumant ainsi l’effondrement de l’empire romain : « Le Sénat se réunissait mais ne décidait plus ». Les marchés ne s’y trompent pas avec l’équivalent de deux fois la valeur du PIB français détruit en 48h et l’intervention massive des banques centrales, d’autant que le Brexit rouvre le dossier d’une nouvelle crise bancaire mondiale avec en arrière-plan la question de l’état des dettes souveraines et des « shadow banking »6 qui pourraient s’avérer beaucoup plus critique qu’en 2008... Mais nos dirigeants n’y croient pas, à l’instar des dirigeants communistes qui ont mis du temps à comprendre que l’URSS était morte avec la chute du mur de Berlin... Il a fallu 20 ans aux Russes pour l’admettre tant les croyances étaient ancrées dans leurs cerveaux... Il est possible qu’il faudra de nouveau l’espace d’une génération pour amortir les effets de nos propres croyances qui placent les vertus du couple croissance / dette au-dessus de tous les référentiels de vie. 

Où sont les pièges ?
Le premier serait d’imaginer que les Anglais vont revenir sur leur décision, qu’ils rejoindront la rationalité des technocrates bruxellois et qu’ils feront plaisir à nos politiciens afin que ces derniers puissent brandir cette victoire à la Pyrrhus pour tenter de se faire réélire en 2017. Les Anglais ne sont pas aussi irrationnels qu’ils le laissent paraître au travers de leurs débats et postures extravagantes vis-à-vis des peuples de notre vieux continent. Tout choix commence par un renoncement. Il faut parfois savoir perdre pour mieux gagner. Désormais, pour retrouver un peu de souveraineté il y a un coût à payer. Jadis, il fallait passer par une guerre, aujourd’hui il faut juste savoir divorcer entre Etats au bon moment et avec un bon « disagio »7. Nous pouvons faire confiance à la perfide Albion pour savoir gérer ses intérêts. Elle l’a fait récemment à Hong Kong face à la Chine, elle devrait pouvoir le faire face à l’Allemagne. 

Le second serait de sous-estimer les effets dominos, collatéraux et la rapidité des effets en chaîne produits par cette crise. Lors de la chute du mur de Berlin tout le monde a été surpris par la pression des peuples pour aller vers plus de liberté et pour fuir le communisme. Il se peut que le mouvement engagé par le Brexit réveille de nouveau une forte aspiration vers plus de liberté et pour un rejet massif de l’enfermement orwellien imposé par les marchés et les technostructures ultralibérales de Bruxelles. Les signaux faibles sont présents dans tous les pays européens et il suffit de très peu de choses pour que des vagues de fond se révèlent. Après, personne ne peut augurer de ce qu’elles pourront produire. Dans les années 90, elles ont été canalisées par un Helmut Khôl visionnaire au travers l’Ostpolitik et par la reconstruction qui avait été anticipée. Actuellement, personne ne peut affirmer qu’il y a réellement une vision et un pilotage de la crise, du moins pour le moment, les Allemands restant toujours très secrets et prudents sur leurs stratégies moyen / long terme. 

5 Edito Xavier Guilhou : « Grèce, Ukraine, terrorisme, ils n’oseront pas » fév. 2015 http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/Ils%20n%20oseront%20pas.pdf
6 La finance de l'ombre ou shadow banking, finance fantôme ou encore système bancaire parallèle, désigne l'ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l'économie. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/08/25/20002-20150825ARTFIG00105-shadow-banking-tout-comprendre-sur-la-finance-de-l-ombre.php
7 Disagio : terme d'origine italienne, utilisé dans le monde du trading, et désignant la différence pouvant exister entre la valeur nominale d'un bien, et sa valeur réelle.

La troisième serait de surestimer la robustesse de nos sociétés face à cette implosion du système européen. Nos gouvernances sont faibles, très faibles. Nos systèmes bancaires sont très vulnérables malgré toutes les précautions prises pour ne pas réitérer les frayeurs de 2008. Des pans entiers de notre patrimoine économique, notamment en France du fait de notre perte de compétitivité, sont « ramassés » chaque semaine par des investisseurs étrangers. Par ailleurs, les pressions sécuritaires et migratoires au sein de nos sociétés sont de plus en plus vécues comme insupportables par les populations qui ont compris que leurs espaces–temps étaient désormais totalement désanctuarisés. Le Brexit, au-delà l’éclatement de l’Union européenne, pourrait très bien générer des convulsions internes au sein de nos pays, le Royaume-Uni n’étant pas exempt de ce type de pulsions avec les séparatismes écossais et notamment irlandais, qui a alimenté encore très récemment une guerre civile très meurtrière. L’Europe a déjà connu maintes fois ce type de scénario où avant de s’affronter entre pays, les effondrements sur les champs de conviction se sont d’abord traduits par des guerres civiles dramatiques. Tous nos traités, de Westphalie à Yalta, n’ont eu de cesse d’essayer d’apaiser nos divisions et pulsions fratricides8. N’oublions pas que tous ces artifices juridiques sont très fragiles et que tous les demi-siècles ils ont été pulvérisés par les nationalismes et les totalitarismes de toute sorte chaque fois que la lâcheté l’a emporté sur la lucidité et le courage. 

Qui peut faire quoi ?
Tout le monde a bien compris que derrière les résultats du Brexit sonnait le clairon annonçant la mort du « plus jamais ça ». Angela Merkel l’a rappelé en premier dès l’annonce des résultats, consciente de la responsabilité qui pèse sur ses épaules. L’Anglais a certes ouvert la boîte de Pandore, mais qui pouvait le faire mieux que lui ? Il a dans ses gènes cette culture de l’audace et du risque qui le caractérise. Perdre ne lui fait pas peur, c’est juste une question de survie et de dignité... Le Français, malade de l’Europe, comme d’habitude va essayer de jouer toutes les combinaisons et alignements possibles, non pas pour tenter de sauver l’UE dont il se moque, mais pour sauver les élections présidentielles à venir... Il a tout à perdre et constitue indéniablement le maillon faible du dispositif. Sa seule tactique est de prendre tout le monde en otage en jouant médiatiquement la victime idéale afin d’éviter d’être le prochain sur la liste9. Dans cette perspective, plutôt que discourir sur un éventuel « Frexit », il devrait surveiller de près Wolfgang Schäuble qui ne supporte plus notre incapacité à réformer le pays.... 

Quant à l’Allemagne, elle a de nouveau toutes les cartes en main, comme lors de la chute du mur. Aujourd’hui les dirigeants allemands sont face à une nouvelle échéance stratégique avec la mise en échec de cet ultralibéralisme qui a pris les commandes du fonctionnement de notre coexistence européenne. Sauront-ils et auront-ils le temps de mettre en œuvre une stratégie d’apaisement et de reconfiguration politique des institutions et du fonctionnement européen ou seront-ils ceux qui annonceront, comme Gorbatchev et Eltsine pour le communisme, l’acte de décès du rêve européen ? Angela Merkel finira peut-être paradoxalement comme son homologue russe avec un prix Nobel de la paix tout en ayant contribué à rouvrir la boîte de Pandore des convulsions fratricides européennes. Tout repose sur ses épaules, l’Europe étant désormais plus allemande qu’européenne. Dans ce contexte, les Anglais n’ont fait que remettre à l’ordre du jour les vieilles questions de souveraineté et de gouvernance posées depuis 1870 et qui n’ont jamais été véritablement réglées sur le fond. Telle est la morale du Brexit : il ne s’agit que d’un simple retour à la case départ pour tout le monde ! Les masques tombent, l’Histoire toujours tragique frappe de nouveau à nos portes. 

Xavier Guilhou Juillet 2016 

8 Cf. Henri Kissinger. « L’Ordre du monde »,
9 Cf. édito de Xavier Guilhou « Prises d’otage...ou archaïsmes suicidaires » juin 2016 http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/Prises-otages-ou-archaismes-suicidaires.pdf



  • Edito
    " Brexit, Trump... vous avez dit bizarre, comme c'est étrange "

    Novembre 2016






C) L’enfant sans père 

L’enfant sans père, la famille monoparentale ou unisexuelle : Orwell est dépassé.
Manœuvres, mensonges et reniements marquent le début effectif de l’ère Macron. Ce n’est pas pour surprendre ceux qui avaient su déchiffrer la « pensée complexe » du Président. Cependant, de toutes les révolutions qu’annonce ce quinquennat la plus grave à mes yeux est celle qui prescrit non seulement la destruction de la famille mais surtout le sacrifice des enfants.

De l’Etat Providence , nous sommes en train de passer à l’Etat totalitaire. Le pouvoir politique règle désormais ce qu’il y a de plus intime, de plus personnel dans la vie de tous les Français. Par comparaison, la loi Taubira va paraître anodine, bien que son texte eût prévu des évolutions probables, comme la suppression de toute référence au « père » ou à la « mère » dans les textes législatifs.

Le Président va vraisemblablement suivre l’avis du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) en faveur de l‘ouverture de la Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples unisexuels féminins (les couples masculins devront attendre l’autorisation de la Gestion pour autrui GPA). Que les choses soient claires : ce serait l’autorisation légale de l’ « insémination artificielle avec donneur » (IAD).

La « légitimité » d’une telle disposition est double aux yeux de ses partisans : d’une part, c’est « le droit à l’enfant » qui doit être reconnu à toutes les femmes, et pas seulement à celles qui vivent (au moins quelques heures) avec un géniteur, d’autre part « l’égalité des genres » l‘exigerait : une femme n’a pas à se soumettre à un homme pour enfanter.

L’enfant est exclu des préoccupations du CCNE. Le droit à l’enfant efface le droit de l’enfant. L’avortement est déjà pour l’enfant une interdiction de vivre. Maintenant il est autorisé à voir le jour, mais il devra se passer d’un père. Car le père aurait un lourd passé juridique, hérité d’une époque révolue : celui du Code Napoléon qui allait jusqu’à lui donner le statut de chef de famille. Voilà bien longtemps que d’autres mœurs ont remis le père à sa place, et voici maintenant qu’on peut s’en passer totalement.

A l’image de Rousseau, les législateurs ont tendance à croire que leur rôle est de suivre les mœurs. Il est vrai que « morale » (mores) est un concept holiste et imprécis. Mais les règles sociales éprouvées et acceptées sont le résultat d’un ordre spontané, tandis que nos « progressistes » actuels, comme tous les faiseurs de sociétés parfaites, produisent des règles sociales à partir d’un ordre créé. Donc, la morale est décrétée par le pouvoir politique. La loi consacre la morale.

Une telle conception est à mes yeux aux antipodes et de l’éthique, et de la liberté.
L’éthique ne peut se réduire à la pratique sociale, il y a des mœurs barbares (comme jadis le sacrifice des enfants pour le culte de Baal, comme aujourd’hui l’excision des filles). L’éthique n’est pas l’attribut d’une société, elle est le fruit d’une recherche personnelle : recherche du bien, tout comme l’esthétique est recherche du beau. C’est un attribut réservé à l’être humain, et qui le distingue de tout autre être du règne animal. En revanche, il est au-delà de la raison humaine de définir avec précision une éthique commune : ce serait une « présomption fatale ». Le principe thomiste de l‘inconnaissance (négativité), suggère que le progrès fait son chemin par le jeu des essais et erreurs, c’est un guide plus sûr que les projets politiques. Les comités Théodule (au demeurant nommés par décrets), et les lois scélérates (qui prétendent inventer l’homme nouveau) n’ont aucune réussite à leur palmarès; elles ont conduit au contraire à la ruine et à l’asservissement. Malheureusement aujourd’hui l’orgueil humain est à l’œuvre : le progrès technique rend possible ce qui  était naguère impensable. Donc le techniquement possible devient moralement souhaitable. Le clonage, le transhumanisme sont à nos portes. Mais qui maîtriserait ce « progrès », quel sort attendrait les conservateurs hostiles à ce que nous offrirait la science ?

Le respect de l’être humain devrait nous interdire ce chemin liberticide. Car la liberté ne peut s’assortir d’une coercition, fût-elle « éthique», contraignant les individus au bien tel que défini et imposé par le pouvoir politique. Dans toutes les conceptions libérales de l’Etat et contrairement à ce que pensent certains opportunistes, on n’a jamais considéré l’éthique comme partie du domaine régalien. L’éthique n’est pas affaire régalienne. L’anthropologie libérale est celle d’un être humain en recherche d’épanouissement personnel, doté d’une raison insuffisante pour accéder à la perfection, mais de nature à corriger ses erreurs : celles qui diminuent son humanité et le rabaissent à des pulsions animales. Comme le professent nombre de libéraux, je ne crois pas que la liberté soit un principe absolu. La liberté est un chemin, non une fin. Elle nous est donnée pour aller vers ce qu’il y a de plus humain dans notre nature, vers ce qui nous rend plus digne. La liberté est ordonnée à la dignité. Je n’ai pas ici le loisir d’opposer Hayek et Saint Thomas d’Aquin, mais je crois que l’évolution des règles sociales suit une trajectoire implicite orientée par le droit naturel.

Aucun droit positif ne saurait survivre à l’ignorance de la nature humaine et à l’oubli de la dignité, au respect de la vie et à la beauté de l’amour des enfants.

Jacques Garello
 ALEPS


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