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août 09, 2017

Une France en échec, sans courage, 200% Étatique, 0% Libre !!

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes ( notamment ou j'en étais l'administrateur), comme sur vos propres murs respectifs. 
D'avance merci. 

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...

Merci de vos lectures, et de vos analyses. 
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. 
Al,




Sommaire:

A) "Le logiciel France est en mode échec!" - Xavier Guilhou - XAG consulting

B) " La chute du mur de Bruxelles "- Xavier Guilhou - XAG consulting

C) L’enfant sans père - Jacques Garello - ALEPS




  




A) "Le logiciel France est en mode échec!"

Dans un contexte global de redéfinition des leaderships à grande échelle, et aussi à très grande vitesse, la France se singularise par une crise de régime, une crise institutionnelle et une crise sociétale majeure sur fond de récession économique et de montée historique du chômage. Nous avons l’impression de renouer avec les années 1935-39 où le même type de gouvernance s’est employé à ruiner la IIIème République, à affaiblir le pays en divisant les opinions, à réduire ses capacités de défense tout en donnant l’illusion, derrière sa ligne Maginot, d’avoir l’armée la plus redoutée d’Europe.... Nous connaissons la suite et il règne la même impression très désagréable de fuite en avant et d’incompétence que celles qui nous ont amenés à cette « étrange défaite » en 1940. Au-delà ce constat et cette intuition, il règne un climat malsain et délétère de fractalisation de la société qui devient très dangereux. Cela peut nous mener sur des cinétiques violentes sur le plan sociétal, dont seuls les français ont le secret. 

Depuis plusieurs années, et de façon plus flagrante avec le changement de majorité, pour satisfaire une politique sans stratégie mais dominée par des réseaux, des apparatchiks, des lobbies, similaires à ceux des « bouilleurs de crues »1, la France s’est enfoncée dans un processus de désacralisation du pouvoir, de décribilisation de la République et de déni de démocratie. La « normalité » du Président de la République, le niveau de corruption, voire de mensonge d’Etat qui règne au plus haut niveau de l’exécutif, les multiples scandales administratifs, judiciaires et financiers, la présomption de mensonge permanent et de manipulation des opinion, tous ces éléments à charge accumulés depuis des années, jamais traités sur le fond, mal gérés sur la forme, contribuent à dégrader cette relation Etat- nation qui est en France historiquement très fragile et toujours très sensible depuis Richelieu.



1 Voir l’excellente synthèse faite par Jean Garrigues, historien, spécialiste d’histoire politique, qui enseigne à l’université d’Orléans, dans La France de la Ve République 1958-2008 (Armand Colin, 2008) au chapitre « groupes de pression »
http://www.adels.org/territoires/PDFArticlesDuMois/Territoires520ArticleHorsDossier.pdf
  
Ce lien est en train d’éclater une fois de plus. La défiance envers les élites est désormais considérable avec un pouvoir qui ne rassemble plus que 25% de support dans l’opinion2... 62% des français consultés considèrent que le Président actuellement en place est « incompétent »3... Avec de tels niveaux d’alertes, n’importe quel conseil d’administration d’entreprise aurait déjà changé l’exécutif pour ne pas subir une faillite annoncée ! La perte de confiance dans tous les niveaux de gouvernance est l’élément dimensionnant de la crise française. Les niveaux de colère et de déception qui commencent à s’exprimer massivement, et avec une multiplicité de modes d’action sur le terrain, révèlent un niveau historique de rejet des dirigeants du pays, qu’ils soient politiques ou économiques, par une très grande partie de la population. 

Certes, l’encadrement supérieur des administrations et des entreprises n’est pas très sensible à cette rupture sociétale et il n’est pas certain que ces élites comprennent ce qui se passe réellement dans le pays. Depuis trente ans, cette couche très marginale, mais aussi très parisienne, s’est éloignée du destin de la France qu’elle amalgame à celui de la mondialisation. Elle est bercée par la financiarisation de l’économie et est devenue au fil du temps autiste du fait de son niveau de confort et d’enrichissement, non pas par le travail, mais par le fruit de multiples spéculations mobilières et immobilières. Elle a perdu progressivement le sens des réalités et est devenue indifférente à la dégradation globale de la situation sociale et économique. Pire, elle est soumise et résignée à un mode de pensée qu’elle ne maîtrise pas. 

Pour le reste de la population, notamment pour le milieu et le bas des classes moyennes, la situation est inverse. Ces catégories ont cru pendant longtemps aux sirènes de l’ascenseur social, au mythe de l’enrichissement facile grâce à l’endettement et aux stratégies d’effet de levier portées par le monde bancaire et financier, à l’illusion d’une société de loisirs et de consumérisme... Mais depuis quelques années, ces populations sont confrontées aux effets pervers des délocalisations, de la désindustrialisation, du chômage de masse, de la perte de pouvoir d’achat4, de l’endettement, des hausses d’impôt et beaucoup plus grave à l’absence d’avenir, surtout pour leurs enfants. Ces classes moyennes commencent à comprendre depuis quelques temps que la crise de modèle dans laquelle l’Occident est entrée depuis 2006/2008 est durable, mais particulièrement impitoyable pour les faibles, et beaucoup trop indulgente pour les incompétents. La défiance actuelle est assise sur un sentiment profond d’iniquité et d’injustice. 

2 http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/04/21/hollande-perd-six-points-de-popularite-record-des-mecontents_3163593_823448.html
3 http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRPAE93A08720130411
4http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/03/27/une-baisse-historique-du-pouvoir-d-achat_3148535_823448.html 


La situation française dans le paysage international est singulière mais surtout très dangereuse5. Certes, le pouvoir peut faire des pirouettes de communication pour donner l’impression qu’il maîtrise la situation avec une guerre de raid contre 300 djhadistes dans le désert pour détourner le focus médiatique et éviter de prendre en compte la population qui descend dans la rue par centaines de milliers... C’est un biais classique en politique, mais qui n’a fait qu’enkyster les problèmes de fond sur le plan sociétal et ce quelles que soient la nécessité et la légitimité de cette opération militaire sur le fond... Stigmatiser la menace extérieure, avec une instrumentalisation très facile de la germanophobie qui monte dans tous les pays latins, est là aussi un peu facile et léger, surtout quand on connait l’état actuel des finances publiques, de la balance commerciale et le niveau d’endettement du pays... Ouvrir sans discernement nos frontières à certains investisseurs chinois, indiens, qataris pour renflouer tant bien que mal les caisses de l’Etat, ou faire reprendre des passifs pourris de banques ou d’entreprises condamnées par trente ans de perte de compétitivité est là aussi pour le moins suicidaire à terme pour notre souveraineté... 

Actuellement, le pouvoir n’est plus respecté et respectable tant pour la population française que pour l’extérieur. Son mépris du débat, les multiples dénis de démocratie, les trop nombreuses affaires de corruption, l’impunité des courtisans et, surtout, la récurrence permanente du mensonge font qu’il est devenu irrecevable à l’intérieur du pays et méprisé à l’extérieur. Tout ceci est explosif, car les français, qui sont très schizophréniques sur le plan électoral, sont éruptifs quand il y a désacralisation du pouvoir, trahison des clercs, et iniquité de traitement. Les français vont aux urnes en votant la plupart du temps « contre », car ils savent qu’il n’y a pas dans ce pays de véritable contrat social, qu’il n’y a pas de fiabilité fiscale et qu’il n’y a pas de parole politique. Le référendum dans cette pratique infantile de la démocratie est toujours l’occasion de dire « non » à la question posée ! Et comme le suffrage universel est toujours biaisé, il arrive un moment où la situation devient insupportable, surtout lorsque les lobbies gouvernent, que le gouvernement se réunit mais ne décide plus et que le chef de l’Etat n’incarne plus une vision collective. Dans ce cas de figure, le français redevient un « animal politique » redoutable ! Si dans le monde entier on ne retient de l’histoire de France que ses épisodes révolutionnaires, pas toujours très heureux, ce n’est pas fortuit. Beaucoup aujourd’hui dans le monde observent la « cocote minute » française avec une certaine inquiétude tant cette alchimie du peuple et de son souverain est imprévisible...pour le meilleur, mais aussi pour le pire !

5 Cf. Le livre que j’ai écrit juste avant la crise en février 2007, Quand la France réagira..., Chez Eyrolles. 

Tous les symptômes que j’ai évoqués dans l’ouvrage apparaissent désormais au grand jour et ne font que s’amplifier: Cf. Le symptôme « argentin » avec la dette du pays qui sera de 100% du PIB fin 2013, le symptôme « yougoslave » avec la fractalisation de la relation Etat-nation, et le symptôme « libanais » avec la multiplication des zones de non droit ainsi que la radicalisation des questions communautaires et identitaires (cf. la situation à Marseille ou dans nos banlieues parisiennes). La conjugaison des trois est très dangereuse, surtout dans un contexte d’implosion politique et sociétale.

Pourquoi la situation française est-elle aussi dangereuse ? A priori, pour beaucoup nous ne représentons plus grand-chose sur le plan international. Démographiquement, nous sommes devenus un tout petit pays. Certes, économiquement, nous demeurons la 5ème puissance mondiale et avec l’Allemagne nous constituons un verrou incontournable, mais à la seule condition que le mariage de raison tienne. Par ailleurs, stratégiquement nous sommes toujours membre du conseil de sécurité de l’ONU, bien que puissance moyenne sur le plan militaire, mais encore dotée de l’arme nucléaire et de capacités de projections aéromaritimes non négligeables. Pour toutes ces raisons, même si nous sommes devenus marginaux en termes de taille, nous constituons en revanche un risque systémique majeur en cas de défaillance de notre gouvernance. 
 
Le premier risque est celui du krach interne avec une instabilité politique issue d’une multiplicité de pics de colère ingérables et insoutenables. Les évènements en cours depuis plusieurs mois, avec des millions de français dans la rue sur des questions majeures de sociétés, ne peuvent plus être considérés comme nuls et non advenus comme le font certains chroniqueurs ou politiciens. Le déni et le mépris qui sont pratiqués par le pouvoir actuellement ne constituent pas une bonne stratégie. La spirale actuelle peut nous emmener très rapidement, si elle n’est pas contenue et pilotée, dans un chaos politique durable, brutal et ingérable avec des scénarios que même les italiens ne connaissent pas ...

 Le deuxième risque est celui d’un divorce avec l’Allemagne, d’un éclatement brutal de l’Euro et de la fin de l’Union européenne. Personne n’y croit alors que ce scénario n’a jamais été aussi flagrant et imminent. Les conséquences en termes d’ondes de choc et d’impacts stratégiques au niveau mondial sont pour le moment inimaginables. Elles seront supérieures à une crise au Proche-Orient car elles remettront en cause le peu qui reste des architectures de sécurité internationale issue de Yalta et révèleront surtout les fragilités monétaires et financières du traitement de la crise au niveau international depuis 2008. Dans les faits, personne n’a intérêt à un tel krach, mais l’inconcevable n’est pas impensable...  

Le troisième risque est collatéral au sein du monde latin et, du fait de toutes nos relations politiques, démographiques et économiques, avec le monde arabo-africain. Là aussi, nous ne pouvons pas imaginer ce que pourraient être les conséquences d’une implosion de notre gouvernance interne et conjointe à celle du système européen dans cette relation nord- sud qui est actuellement très instable notamment sur le plan identitaire et sécuritaire. 

Par ailleurs, sur le plan géopolitique, nous entrons dans un calendrier très tendu avec les élections iraniennes en juin et allemandes en septembre. Ces deux rendez-vous vont conditionner la stabilité des plaques régionales moyen-orientales et européennes. Pour leur part, les rivages de la Méditerranée sont actuellement au cœur des crises les plus délicates que nous ayons à gérer au niveau mondial. Au nord, les logiques fratricides entre peuples latins et peuples du Saint-empire romain germanique reprennent toute leur place. Cela se traduit par un exil fiscal pour ceux qui veulent se protéger des implosions de système mais aussi par la fuite des cerveaux et des jeunes qui veulent trouver un avenir. A court terme, c’est aussi le signal de la déliquescence du rêve européen et le compte à rebours de l’éclatement de la zone euro. Au sud, derrière les printemps arabes, les logiques frontales entre les différentes voies de l’Islam s’affirment désormais de façon explicite, reléguant les constructions Etat-nation ou les épisodes nationalistes aux rebus de l’histoire. Cela se traduit par un exil politique pour des millions de personnes qui fuient la montée d’un islamisme qui ne masque plus sa radicalisation. A l’est, la zone du Proche et Moyen-Orient s’enfonce dans de multiples guerres civiles qui consacrent définitivement la déconstruction du tracé des frontières issues des accords Sykes-Picot, ainsi que l’échec des gesticulations occidentales. La fragmentation en cours des souverainetés syriennes et irakiennes, l’instrumentalisation et les menaces qui pèsent sur les minorités chrétiennes d’Orient comme sur les kurdes, les risques d’instabilité du royaume de Jordanie et les surenchères des monarchies de la péninsule arabique face aux pressions chiites, avec en toile de fond un désengagement discret mais de plus en pesant des américains au profit du Pacifique, sont des signaux annonciateurs de profonds changements de paradigmes dans les équilibres mondiaux. Au milieu de tout ce maelstrom de crises très hétérogènes, nous avons avec Chypre, le Liban et Israël de véritables laboratoires des nouveaux rapports de force qui s’installent durablement entre les uns et les autres sur ces rivages turbulents. 
 
Les implosions de société qui sont en cours vont dominer durablement cet espace régional avec des risques financiers, sociaux et identitaires qui ne pourront pas être résolus par de simples opérations de communication politique ou par des bricolages populistes. Tout ceci pose la question fondamentale de l’avenir de la démocratie pour nos vieux pays européens, de la robustesse de notre Vème république, surtout quand les institutions sont dénaturées par une forme de despotisme technocratique et quand le politique au sens noble du terme s’est dissout dans le cirque médiatique. Cela pose aussi la question de notre place à terme dans le concert des nations lorsque sur le Pacifique nord, loin de nos rivages méditerranéens, s’expriment d’autres grands jeux qui structurent ce XXIème siècle avec des acteurs qui se moquent de nos tribulations excentriques d’enfants gâtés du bout du monde... Il suffit d’observer ce qui se passe en mer de Chine, au Japon avec l’arrivée de Shinzo Abe qui rallume les tensions nationalistes, entre les deux Corées, dans les pays de l’ASEAN qui sont devenus la première zone de libre échange au monde pour comprendre que notre sort ne dépend plus que de nous-mêmes. Nous ne bénéficions plus de parapluies stratégiques pour nous protéger et nous accompagner et nous ne pouvons plus cacher nos défaillances de gouvernance avec Internet qui charrie instantanément sur tous les écrans du monde la moindre faute, le moindre mensonge. 

La crise que nous devons affronter n’est pas uniquement technique avec la question de la transition énergétique et l’émergence d’une nouvelle révolution industrielle, elle n’est pas seulement financière et économique avec la question du règlement des dettes et de la relation de la croissance. Pour la France, elle est devenue civilisationnelle ! Elle nous interpelle sur nos valeurs, nos croyances, nos principes de vie, sur ce que nous voulons ou ne voulons pas devenir. Tout ceci suppose d’avoir quelque part une volonté ! Certes, là où il y a une volonté il y a un chemin ! Mais c’est bien parce qu’il n’y a plus de volonté mais un abandon de pouvoir et une cruelle absence de vision que nous avons l’impression aujourd’hui d’être englués dans une sorte d’impasse historique. Camus écrivait à ce propos « la société politique contemporaine est une machine à désespérer les hommes ». Et Julien Green dans son journal d’affirmer « Il faut sauver l'espérance. C'est le grand problème de ce siècle ! ». Là est la question majeure de la crise française et c’est là que se trouve la racine de cette « erreur 404 »6 qui est signifiée par cette photo emblématique de ce jeune français avec son masque larmoyant des « anonymous ». C’est cette erreur de protocole qui met aujourd’hui notre logiciel Etat-nation en mode échec ! Il n’y a plus de véritables responsables à l’adresse requise ...
Nous croyons qu’il suffit de jouer avec la boîte à outils bureaucratique pour avoir un peu d’espoir de croissance... Nous croyons qu’avec un peu d’inflation ou d’austérité nous allons remédier aux auto- blocages actuels... Mais cette boîte à outils des techniciens ou experts, voire imposteurs, de la macro ou de la micro économie, qui alimentent nos modes de représentations du réel, n’est plus en mesure de répondre à la crise de modèle et de sens que nous traversons! C’est sur le champ beaucoup plus profond et exigeant de l’espérance que nous retrouverons la foi dans l’avenir, mais aussi dans l’homme et dans un nouveau projet de société et de gouvernance plus équitable et juste. Face à la montée des tensions sociétales et à la mise en faillite de notre modèle de société il n’est pas interdit de méditer cette phrase d’Euripide : « L'homme de cœur est celui qui se fie jusqu'au bout à l'espérance. Désespérer, c'est lâcheté !» Cette citation est particulièrement d’actualité, elle nous interpelle sur notre courage et sur notre sens réel de la liberté et de la démocratie.

Xavier Guilhou






B) " La chute du mur de Bruxelles "


« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » La première salve a mis à terre les premières lignes de l'article 50 du traité de l'UE, à la grande surprise des pays européens qui ne croyaient pas que le Royaume-Uni oserait, une fois de plus. C'est méconnaître les Britanniques dont la devise de leurs unités d'élite, les fameux SAS, est, ne l'oublions pas, « Qui ose gagne ! ». L'Union européenne vient juste de perdre l’adhésion de la 5ème place financière et de la 8ème puissance au monde1 ainsi que 15 % de son budget, anecdote de l'Histoire. En fait, nous commençons à assister avec le résultat cinglant de ce référendum à une nouvelle chute d'un mur, celui de Bruxelles ! 

Tout les chroniqueurs commentent les effets possibles, cherchent les causes, s’agitent autour du désarroi des politiciens de tous bords qui n’ont pour la plupart rien anticipé, persuadés que les Britanniques resteraient « raisonnables »... Bien entendu, tout est de la faute de David Cameron, de la trahison de ces vieux « égoïstes » qui ont voté contre ces pauvres jeunes « cosmopolites », de l’instrumentalisation de l’immigration par les partisans du « Leave » et bien entendu de ce monstre orwellien qu’est devenue la technocratie bruxelloise. Tous ces fautifs sont devenus en quelques heures les nouveaux boucs émissaires à sacrifier sur l’autel de l’Histoire afin d’exorciser cette « étrange défaite »2 des élites européennes. Ces dernières se sont bunkerisées dans une vision uniquement économique du référendum alors que la question posée est existentielle et politique. Elles étaient tout simplement « hors sujet », une fois de plus. De fait, l’état de confusion qui transparait sur les ondes au lendemain de ce séisme démocratique révèle non seulement l’état de surprise de nos décideurs mais surtout l’absence sidérale de stratégie. Pour autant, quels que soient les constats que nous pouvons faire et les développements à venir, que signifie sur le fond ce Brexit? 

De quoi s'agit-il?
En fait il n’y a rien de vraiment surprenant3. Nous ne sommes que dans la continuité de ce processus de déconstruction, auquel nous assistons passivement depuis 30 ans, de tous les protocoles qui ont permis à notre monde occidental de concentrer les facteurs de pouvoir et de puissance depuis plusieurs siècles4. Les cadres mis en place au fur et à mesure de tous nos accidents historiques : traités de Vienne, de Versailles et de Yalta sont désormais tous en logique de défaisance tant en termes d'autorité et de légitimité que de crédibilité. Derrière la chute du mur de Berlin, les peuples de l’Europe de l’Est, fortement soutenus par l’Ostpolitik d’Helmut Khôl et la « guerre des étoiles » de Ronald Reagan, ont provoqué la fin du communisme et la désintégration de l’URSS. Avec la chute du mur de Bruxelles, qui ne fait que commencer, les peuples de l’Europe de l’Ouest, sous la pression de la crise financière et des flux migratoires provoquent la fin de l’ultralibéralisme et la désintégration de l’Union européenne. Nous assistons juste à la mort des deux protocoles, déclinaisons de ces deux grandes idéologies de masse du siècle dernier que sont le capitalisme et le communisme, incarnées par les deux grands empires que furent les Etats-Unis et l’Union soviétique, dont la toute puissance s’est affirmée sur les cendres de nos guerres fratricides en Europe. De la même façon, nous assistons sur le Proche et Moyen-Orient à la fin des accords Sykes-Picot comme à ceux du pacte du Quincy, qui furent les avenants des traités de Versailles et de Yalta, avec en contrepartie le retour des empires centraux... 

1 Le Royaume-Uni avec un PIB de 3 000 milliards en 2016 est classé à la 8ème position en termes de parité de pouvoir d’achat et à la 5ème position en termes de PIB nominal, soit un PIN par habitant de 47 200 $.
Cf. http://www.lemoci.com/fiche-pays/royaume-uni
2 Relire à cet effet « L’étrange défaite » de Marc Bloch
3 Cf. Edito de Xavier Guilhou – septembre 2015 « L’Europe est morte... Vive l’Europe ! » http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/L-Europe-est-morte.pdf
4 Cf. « Qu’est-ce qui nous arrive ? Peut-on encore choisir notre avenir ?
» Réflexions à plusieurs mains avec et sous la direction de Mac Halévy. Editions Laurence Massaro juin 2016.

L’Union européenne, qui est née de cette stratégie d’indivision mise en place par les alliés derrière les accords de Yalta pour empêcher l’Allemagne de redevenir un empire central, ne pouvait pas survivre à la chute du mur et à la réunification. Ce n’était qu’une question de temps. Les circuits financiers ont cru avec la chute du communisme que leurs stratégies avaient vaincu le « mal » à coup de dollars, de dettes et de bulles spéculatives. Persuadés qu’il n’y avait pas d’autre modèle viable et durable que le seul libéralisme économique, ils ont provoqué par leur vanité et leur cupidité la désintégration du modèle démocratique européen en moins de deux décennies. Le Brexit n’est que la résultante de la désanctuarisation de l’Occident au travers de la mondialisation, de l’ouverture des frontières et de la montée des flux migratoires, ainsi que des excès provoqués par les dérégulations et la financiarisation de nos économies. La chute de Lehmann Brothers peut être considérée, au même titre que le fut le retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan en 1988, comme le second signal annonciateur de la mort de ces stratégies périphériques qui ont contenu l’Europe, certes dans l’opulence pendant 70 ans, mais dans une impuissance dangereuse et insoutenable face aux nouvelles réalités mondiales. 

Contrairement aux affirmations des politiques et des éditorialistes, les peuples ne sont pas idiots. Ils peuvent avoir des intuitions salvatrices. Ce n’est pas parce qu’ils ne votent pas comme le souhaiteraient les élites au pouvoir qu’ils ne doivent pas être entendus et respectés. Le risque de dénaturer, voire de neutraliser, le peu de démocratie qui demeure encore actuellement dans nos pays n’a jamais été aussi fort tant au sein des synarchies qui contrôlent les rouages de l’Union européenne que des collectifs ou partis populistes qui surfent sur l’instabilité des convulsions politiques et sociétales que nous commençons à connaître. Nous vivons juste le début de la fin du « plus jamais ça » et le retour de l’imperium allemand sur le continent européen. Pour les Anglais, cette domination qui s’exprime en grande partie au travers des réglementations et contrôles imposés par Bruxelles, est tout simplement insoutenable sur le plan existentiel et stratégique. C’est historique et génétique : le Royaume-Uni, qui a la nostalgie de l’Empire, ne peut admettre d’être le vassal de l’Allemagne, sous prétexte d’être européen. C’est bien pour cela qu’il n’a jamais souscrit à l’Euro. Angela Merkel et surtout Wolfgang Schäuble ont parfaitement compris le message. 

De fait, les Anglais préfèrent revenir aux bases du souverainisme et au vieux bilatéralisme plutôt que de se laisser enfermer dans un pseudo fédéralisme qui n’en n’est pas un. Ce n’est pas le choix des Français qui préfèrent une forme de subordination passive afin de pouvoir couvrir les chèques sans provision de leurs dirigeants qui partent toujours du principe, comme l’avait affirmé Clemenceau au moment des « réparations », que « l’Allemagne paiera ! ». Les Anglais n’ont jamais oublié que l’infantilisme politique des Français face à l’imaginaire dominant allemand a toujours mené l’Europe à la guerre. C’est pour éviter cela, pour travailler la résilience et faire émerger une nouvelle maturité politique de part et d’autre du Rhin, que le traité de l’Elysée a été conçu par les membres fondateurs de l’Union européenne. Mais c’est parce que sur le fond la substance de cette relation franco- allemande s’est progressivement vidée de sa substance que le Brexit a pris cette dimension sismique, au grand étonnement des élites européennes qui vivent dans leurs bulles technocratiques et médiatiques. Ces dernières n’ont pas perçu le décrochage des opinions et les peurs séculaires des peuples qui n’ont rien oublié des convulsions fratricides de ce vieux continent et son potentiel en termes de répliques mortifères. Pourtant tout est là pour rappeler aux peuples la fragilité de leur état entre les commémorations permanentes et les bruits de bottes à seulement deux heures de nos capitales dans les Balkans, sur la Mer noire, sur les rivages de la Méditerranée ou sur la Baltique. 

Quel jeu d’acteurs ?
Il est très plaisant d’observer les politiques déclamer avec beaucoup d’assurance « il nous faut une autre Europe », « il faut inventer une nouvelle Europe », « il faut de nouvelles institutions à l’Europe », comme si notre vieux continent était un sujet fini, homogène et stable. Tous ceux qui ont travaillé sur cet espace savent qu’il n’en n’est rien. Au contraire, c’est sûrement l’espace-temps le plus complexe à gérer sur le plan économique et le plus difficile à piloter sur le plan politique tant la diversité des cultures, des histoires, des peuples est dense et éclatée sur le terrain. De fait, les jeux d’acteurs ne peuvent être simplifiés en observant le seul fonctionnement de l’Union européenne qui ne reste qu’une vitrine virtuelle, les décisions se prenant ailleurs. Il suffit de fréquenter les couloirs de Bruxelles, notamment ceux de la Commission avec ses jeux de lobbies qui dominent en arrière plan chaque négociation, pour comprendre la réalité et la complexité des niveaux d’affrontements intergouvernementaux et surtout l’importance des stratégies nationales, voire régionales, dans ce maelstrom de 27 nations, dont les intérêts particuliers sont de plus en plus supérieurs aux intérêts généraux. Il suffit de suivre les confrontations au cours de ces derniers mois sur l’immigration et sur la non gestion de l’espace Schengen tant sur les rives de la Manche, les rivages de la Méditerranée que sur les marches des pays du groupe de Višegrad, pour avoir une illustration souvent consternante de ces réalités... L’Allemagne n’est pas la dernière à montrer l’exemple sur ces sujets avec sa stratégie unilatérale et sans concessions qui va bien au-delà la question de l’encadrement des déficits budgétaires et les politiques d’austérité tant décriés notamment par les Français... 

Dans ce jeu d’acteurs, le Royaume-Uni est maître de l’agenda et piège le vieux continent. Puisqu’il souhaite redevenir souverain, il n’a pas d’autres choix que de privilégier en premier lieu sa stabilité politique interne et de contenir les pulsions de séparatismes manifestées par l’Ecosse et l’Irlande du nord. L’UE attendra que les partis anglais aient d’abord redéfini leur mode de fonctionnement et que le pays puisse retrouver sa robustesse légendaire. Contrairement à ce que pensent les chroniqueurs, le Royaume-Uni est en position de force. L’Allemagne n’a pas d’autre choix que de patienter, la France n’a pas d’autre issue que de s’agiter, l’Italie n’a pas d’autre voie que de se préparer à une crise majeure. Ces trois pays fondateurs sont de plus contraints par leurs propres agendas électoraux avec des dirigeants qui sont en perte de crédibilité et de légitimité tant au sein de leurs majorités que vis-à-vis de leurs électeurs. Ils ne peuvent même pas bénéficier du support de leur principal allié qui est lui même engagé dans une bataille électorale peu banale pour la fin 2016 avec le duel Trump / Clinton. Ces convergences d’agendas électoraux ne peuvent que faire le jeu des Anglais ! 

En marge de ces jeux de majors, les « petits pays » peuvent surprendre à l’instar de ce qui s’est passé lors de la chute du mur de Berlin. N’oublions pas qu’au-delà la dissolution de la RDA, il y a eu la décomposition de la Tchécoslovaquie en deux pays, la sortie très rapide de la Hongrie du PAVA, puis des pays baltes, ainsi que l’implosion de l’ex Yougoslavie, le tout en quelques mois... Beaucoup pensent que cet effet domino n’est pas possible au sein de l’UE, que la comparaison n’est pas transposable à l’onde de choc du Brexit et que finalement les conséquences seront mieux contenues et maîtrisées car l’Europe est beaucoup plus puissante économiquement que ne l’était l’URSS... Pourquoi pas, les Soviétiques raisonnaient de la même façon, ils étaient persuadés que l’Armée rouge était toute puissante et que personne ne pourrait la défier sur leur espace vital. Au moment de la chute du mur, les dirigeants se sont réunis pour tenter de montrer un front uni, mais ils sont restés atones, contemplant le jeu de domino qui se déroulait sous leurs yeux impuissants. De même, ils ont vu émerger des dirigeants qui étaient inconnus. Il serait peut-être intéressant et prudent de suivre ce que vont faire des pays comme les Pays-Bas, l’Espagne toujours ingouvernable avec un risque de fractalisation régionale, et de façon peut-être inattendue, les pays du groupe de Visegrad ainsi que les pays de la Baltique qui ne partagent absolument pas les postures dominatrices des majors de cette crise. N’oublions pas par ailleurs que la Grèce reste en embuscade et qu’elle pourrait de nouveau relancer une sortie de l’Euro, voire de l’UE, du fait de l’intransigeance de ses créanciers, le passage des échéances de juin ayant été de nouveau très critique... 

Enfin, ne perdons pas de vue, au-delà les jeux internes au sein de l’UE, ce qui se joue sur la périphérie de l’Europe. Le Brexit ne peut que favoriser les postures d’affirmation des puissances centrales sur la Méditerranée orientale (Russie, Turquie, Iran), surtout avec le repositionnement américain, engagé par l’administration Obama, qui est en cours sur le Proche et Moyen orient5. Il ne peut que donner également des idées aux Asiatiques (Chine, Japon, Corée) afin de récupérer au moindre coût nos actifs ou territoires stratégiques fragilisés par les divisions. Nous pouvons leur faire confiance pour savoir utiliser les fenêtres d’opportunité générées par notre absence de stratégie, nos indécisions et notre impuissance. Il suffit de suivre les réunions qui se succèdent à Bruxelles avec désormais les 28 moins un de l’UE pour se rappeler cette phrase de Sénèque résumant ainsi l’effondrement de l’empire romain : « Le Sénat se réunissait mais ne décidait plus ». Les marchés ne s’y trompent pas avec l’équivalent de deux fois la valeur du PIB français détruit en 48h et l’intervention massive des banques centrales, d’autant que le Brexit rouvre le dossier d’une nouvelle crise bancaire mondiale avec en arrière-plan la question de l’état des dettes souveraines et des « shadow banking »6 qui pourraient s’avérer beaucoup plus critique qu’en 2008... Mais nos dirigeants n’y croient pas, à l’instar des dirigeants communistes qui ont mis du temps à comprendre que l’URSS était morte avec la chute du mur de Berlin... Il a fallu 20 ans aux Russes pour l’admettre tant les croyances étaient ancrées dans leurs cerveaux... Il est possible qu’il faudra de nouveau l’espace d’une génération pour amortir les effets de nos propres croyances qui placent les vertus du couple croissance / dette au-dessus de tous les référentiels de vie. 

Où sont les pièges ?
Le premier serait d’imaginer que les Anglais vont revenir sur leur décision, qu’ils rejoindront la rationalité des technocrates bruxellois et qu’ils feront plaisir à nos politiciens afin que ces derniers puissent brandir cette victoire à la Pyrrhus pour tenter de se faire réélire en 2017. Les Anglais ne sont pas aussi irrationnels qu’ils le laissent paraître au travers de leurs débats et postures extravagantes vis-à-vis des peuples de notre vieux continent. Tout choix commence par un renoncement. Il faut parfois savoir perdre pour mieux gagner. Désormais, pour retrouver un peu de souveraineté il y a un coût à payer. Jadis, il fallait passer par une guerre, aujourd’hui il faut juste savoir divorcer entre Etats au bon moment et avec un bon « disagio »7. Nous pouvons faire confiance à la perfide Albion pour savoir gérer ses intérêts. Elle l’a fait récemment à Hong Kong face à la Chine, elle devrait pouvoir le faire face à l’Allemagne. 

Le second serait de sous-estimer les effets dominos, collatéraux et la rapidité des effets en chaîne produits par cette crise. Lors de la chute du mur de Berlin tout le monde a été surpris par la pression des peuples pour aller vers plus de liberté et pour fuir le communisme. Il se peut que le mouvement engagé par le Brexit réveille de nouveau une forte aspiration vers plus de liberté et pour un rejet massif de l’enfermement orwellien imposé par les marchés et les technostructures ultralibérales de Bruxelles. Les signaux faibles sont présents dans tous les pays européens et il suffit de très peu de choses pour que des vagues de fond se révèlent. Après, personne ne peut augurer de ce qu’elles pourront produire. Dans les années 90, elles ont été canalisées par un Helmut Khôl visionnaire au travers l’Ostpolitik et par la reconstruction qui avait été anticipée. Actuellement, personne ne peut affirmer qu’il y a réellement une vision et un pilotage de la crise, du moins pour le moment, les Allemands restant toujours très secrets et prudents sur leurs stratégies moyen / long terme. 

5 Edito Xavier Guilhou : « Grèce, Ukraine, terrorisme, ils n’oseront pas » fév. 2015 http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/Ils%20n%20oseront%20pas.pdf
6 La finance de l'ombre ou shadow banking, finance fantôme ou encore système bancaire parallèle, désigne l'ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l'économie. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/08/25/20002-20150825ARTFIG00105-shadow-banking-tout-comprendre-sur-la-finance-de-l-ombre.php
7 Disagio : terme d'origine italienne, utilisé dans le monde du trading, et désignant la différence pouvant exister entre la valeur nominale d'un bien, et sa valeur réelle.

La troisième serait de surestimer la robustesse de nos sociétés face à cette implosion du système européen. Nos gouvernances sont faibles, très faibles. Nos systèmes bancaires sont très vulnérables malgré toutes les précautions prises pour ne pas réitérer les frayeurs de 2008. Des pans entiers de notre patrimoine économique, notamment en France du fait de notre perte de compétitivité, sont « ramassés » chaque semaine par des investisseurs étrangers. Par ailleurs, les pressions sécuritaires et migratoires au sein de nos sociétés sont de plus en plus vécues comme insupportables par les populations qui ont compris que leurs espaces–temps étaient désormais totalement désanctuarisés. Le Brexit, au-delà l’éclatement de l’Union européenne, pourrait très bien générer des convulsions internes au sein de nos pays, le Royaume-Uni n’étant pas exempt de ce type de pulsions avec les séparatismes écossais et notamment irlandais, qui a alimenté encore très récemment une guerre civile très meurtrière. L’Europe a déjà connu maintes fois ce type de scénario où avant de s’affronter entre pays, les effondrements sur les champs de conviction se sont d’abord traduits par des guerres civiles dramatiques. Tous nos traités, de Westphalie à Yalta, n’ont eu de cesse d’essayer d’apaiser nos divisions et pulsions fratricides8. N’oublions pas que tous ces artifices juridiques sont très fragiles et que tous les demi-siècles ils ont été pulvérisés par les nationalismes et les totalitarismes de toute sorte chaque fois que la lâcheté l’a emporté sur la lucidité et le courage. 

Qui peut faire quoi ?
Tout le monde a bien compris que derrière les résultats du Brexit sonnait le clairon annonçant la mort du « plus jamais ça ». Angela Merkel l’a rappelé en premier dès l’annonce des résultats, consciente de la responsabilité qui pèse sur ses épaules. L’Anglais a certes ouvert la boîte de Pandore, mais qui pouvait le faire mieux que lui ? Il a dans ses gènes cette culture de l’audace et du risque qui le caractérise. Perdre ne lui fait pas peur, c’est juste une question de survie et de dignité... Le Français, malade de l’Europe, comme d’habitude va essayer de jouer toutes les combinaisons et alignements possibles, non pas pour tenter de sauver l’UE dont il se moque, mais pour sauver les élections présidentielles à venir... Il a tout à perdre et constitue indéniablement le maillon faible du dispositif. Sa seule tactique est de prendre tout le monde en otage en jouant médiatiquement la victime idéale afin d’éviter d’être le prochain sur la liste9. Dans cette perspective, plutôt que discourir sur un éventuel « Frexit », il devrait surveiller de près Wolfgang Schäuble qui ne supporte plus notre incapacité à réformer le pays.... 

Quant à l’Allemagne, elle a de nouveau toutes les cartes en main, comme lors de la chute du mur. Aujourd’hui les dirigeants allemands sont face à une nouvelle échéance stratégique avec la mise en échec de cet ultralibéralisme qui a pris les commandes du fonctionnement de notre coexistence européenne. Sauront-ils et auront-ils le temps de mettre en œuvre une stratégie d’apaisement et de reconfiguration politique des institutions et du fonctionnement européen ou seront-ils ceux qui annonceront, comme Gorbatchev et Eltsine pour le communisme, l’acte de décès du rêve européen ? Angela Merkel finira peut-être paradoxalement comme son homologue russe avec un prix Nobel de la paix tout en ayant contribué à rouvrir la boîte de Pandore des convulsions fratricides européennes. Tout repose sur ses épaules, l’Europe étant désormais plus allemande qu’européenne. Dans ce contexte, les Anglais n’ont fait que remettre à l’ordre du jour les vieilles questions de souveraineté et de gouvernance posées depuis 1870 et qui n’ont jamais été véritablement réglées sur le fond. Telle est la morale du Brexit : il ne s’agit que d’un simple retour à la case départ pour tout le monde ! Les masques tombent, l’Histoire toujours tragique frappe de nouveau à nos portes. 

Xavier Guilhou Juillet 2016 

8 Cf. Henri Kissinger. « L’Ordre du monde »,
9 Cf. édito de Xavier Guilhou « Prises d’otage...ou archaïsmes suicidaires » juin 2016 http://www.xavierguilhou.com/Clients/Guilhou/site_xavier.nsf/Libs/PDF.img/$FILE/Prises-otages-ou-archaismes-suicidaires.pdf



  • Edito
    " Brexit, Trump... vous avez dit bizarre, comme c'est étrange "

    Novembre 2016






C) L’enfant sans père 

L’enfant sans père, la famille monoparentale ou unisexuelle : Orwell est dépassé.
Manœuvres, mensonges et reniements marquent le début effectif de l’ère Macron. Ce n’est pas pour surprendre ceux qui avaient su déchiffrer la « pensée complexe » du Président. Cependant, de toutes les révolutions qu’annonce ce quinquennat la plus grave à mes yeux est celle qui prescrit non seulement la destruction de la famille mais surtout le sacrifice des enfants.

De l’Etat Providence , nous sommes en train de passer à l’Etat totalitaire. Le pouvoir politique règle désormais ce qu’il y a de plus intime, de plus personnel dans la vie de tous les Français. Par comparaison, la loi Taubira va paraître anodine, bien que son texte eût prévu des évolutions probables, comme la suppression de toute référence au « père » ou à la « mère » dans les textes législatifs.

Le Président va vraisemblablement suivre l’avis du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) en faveur de l‘ouverture de la Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples unisexuels féminins (les couples masculins devront attendre l’autorisation de la Gestion pour autrui GPA). Que les choses soient claires : ce serait l’autorisation légale de l’ « insémination artificielle avec donneur » (IAD).

La « légitimité » d’une telle disposition est double aux yeux de ses partisans : d’une part, c’est « le droit à l’enfant » qui doit être reconnu à toutes les femmes, et pas seulement à celles qui vivent (au moins quelques heures) avec un géniteur, d’autre part « l’égalité des genres » l‘exigerait : une femme n’a pas à se soumettre à un homme pour enfanter.

L’enfant est exclu des préoccupations du CCNE. Le droit à l’enfant efface le droit de l’enfant. L’avortement est déjà pour l’enfant une interdiction de vivre. Maintenant il est autorisé à voir le jour, mais il devra se passer d’un père. Car le père aurait un lourd passé juridique, hérité d’une époque révolue : celui du Code Napoléon qui allait jusqu’à lui donner le statut de chef de famille. Voilà bien longtemps que d’autres mœurs ont remis le père à sa place, et voici maintenant qu’on peut s’en passer totalement.

A l’image de Rousseau, les législateurs ont tendance à croire que leur rôle est de suivre les mœurs. Il est vrai que « morale » (mores) est un concept holiste et imprécis. Mais les règles sociales éprouvées et acceptées sont le résultat d’un ordre spontané, tandis que nos « progressistes » actuels, comme tous les faiseurs de sociétés parfaites, produisent des règles sociales à partir d’un ordre créé. Donc, la morale est décrétée par le pouvoir politique. La loi consacre la morale.

Une telle conception est à mes yeux aux antipodes et de l’éthique, et de la liberté.
L’éthique ne peut se réduire à la pratique sociale, il y a des mœurs barbares (comme jadis le sacrifice des enfants pour le culte de Baal, comme aujourd’hui l’excision des filles). L’éthique n’est pas l’attribut d’une société, elle est le fruit d’une recherche personnelle : recherche du bien, tout comme l’esthétique est recherche du beau. C’est un attribut réservé à l’être humain, et qui le distingue de tout autre être du règne animal. En revanche, il est au-delà de la raison humaine de définir avec précision une éthique commune : ce serait une « présomption fatale ». Le principe thomiste de l‘inconnaissance (négativité), suggère que le progrès fait son chemin par le jeu des essais et erreurs, c’est un guide plus sûr que les projets politiques. Les comités Théodule (au demeurant nommés par décrets), et les lois scélérates (qui prétendent inventer l’homme nouveau) n’ont aucune réussite à leur palmarès; elles ont conduit au contraire à la ruine et à l’asservissement. Malheureusement aujourd’hui l’orgueil humain est à l’œuvre : le progrès technique rend possible ce qui  était naguère impensable. Donc le techniquement possible devient moralement souhaitable. Le clonage, le transhumanisme sont à nos portes. Mais qui maîtriserait ce « progrès », quel sort attendrait les conservateurs hostiles à ce que nous offrirait la science ?

Le respect de l’être humain devrait nous interdire ce chemin liberticide. Car la liberté ne peut s’assortir d’une coercition, fût-elle « éthique», contraignant les individus au bien tel que défini et imposé par le pouvoir politique. Dans toutes les conceptions libérales de l’Etat et contrairement à ce que pensent certains opportunistes, on n’a jamais considéré l’éthique comme partie du domaine régalien. L’éthique n’est pas affaire régalienne. L’anthropologie libérale est celle d’un être humain en recherche d’épanouissement personnel, doté d’une raison insuffisante pour accéder à la perfection, mais de nature à corriger ses erreurs : celles qui diminuent son humanité et le rabaissent à des pulsions animales. Comme le professent nombre de libéraux, je ne crois pas que la liberté soit un principe absolu. La liberté est un chemin, non une fin. Elle nous est donnée pour aller vers ce qu’il y a de plus humain dans notre nature, vers ce qui nous rend plus digne. La liberté est ordonnée à la dignité. Je n’ai pas ici le loisir d’opposer Hayek et Saint Thomas d’Aquin, mais je crois que l’évolution des règles sociales suit une trajectoire implicite orientée par le droit naturel.

Aucun droit positif ne saurait survivre à l’ignorance de la nature humaine et à l’oubli de la dignité, au respect de la vie et à la beauté de l’amour des enfants.

Jacques Garello
 ALEPS


février 11, 2017

Question d'Europe début 2017 - Informations/Visions/Stratégies

Ce site n'est plus sur FB, alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes, comme sur vos propres murs respectifs. D'avance merci. L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses. 

Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.




Sommaire:

A) Pour l’anniversaire de Maastricht, le « Grexit » revient - Figarovox - Coralie Delaume

B) Europe de la défense : « Il faut que les Etats membres soient fortement impliqués » - AEF info - Jean-Pierre Maulny

C) Brexit : les députés britanniques donnent leur feu vert à Theresa May - AFP

D) Les autoroutes ferroviaires restent à la traîne - Le Figaro - AFP/Guillaume Souvant

E) Dérégulation bancaire : Mario Draghi fustige Donald Trump - Le Figaro - Manon Malhère

F) Quel bilan tirer du traité de Maastricht ?  - Le Monde économie - Marie Charrel

G) 23 pays de l’UE violent les règles de qualité de l’air - Euractiv - James Crisptraduit par Marion Candau

H) Guerre et intelligence économique - JDE - Hubert de Langle

I) Le djihadisme, héritier du fascisme, du nazisme et du soviétisme ? - Figarovox - Eric Delbecque

J) Thierry de Montbrial : « La France ne devrait pas avoir honte de défendre ses intérêts » - Figarovox

 

 



A) Pour l’anniversaire de Maastricht, le « Grexit » revient
  
Le 7 février 1992, les Etats membres signaient le traité de Maastricht. Pour Coralie Delaume, après la toute première sortie de l'UE lancée par le Royaume-Uni, la toute première sortie de l'euro pourrait arriver car la situation en Grèce apparaît sans issue.
 
Le sujet n'est plus à la mode. Au cœur de l'actualité européenne, le «hard Brexit» de Theresa May a volé la vedette depuis fort longtemps à la crise grecque, supposée réglée. En France, on parvient à engager des campagnes présidentielles - et même à bâtir des programmes économiques entiers - sans paraître se soucier du cadre européen. Dans ce contexte, il ne viendrait l'idée à personne de remettre sur la table l'épineux sujet grec, surtout pas à quelques mois des élections néerlandaises (mars 2017), de la présidentielle française et des législatives allemandes (septembre). Pourtant, ce dernier pourrait bien s'imposer de lui-même sans demander l'autorisation dans les semaines et mois qui viennent. Selon un récent article du journal allemand Bild en effet, «le Grexit est de retour C'est Wolfgang Schäuble qui semble avoir remis le sujet sur le tapis, à l'issue de l'Eurogroupe du 27 janvier dernier. Schäuble estime comme à son habitude que le gouvernement grec n'en a pas fait assez dans le domaine des «réformes de structure». Le ministre allemand des Finances n'a probablement jamais vraiment renoncé à son idée de «Grexit temporaire» formulée en 2015. Il semble à nouveau vouloir pousser les Grecs vers la sortie, quitte à affirmer sans gêne qu'ils n'ont «pas fait ce qu'ils se sont tant de fois engagés à faire». L'État grec est en cours de démantèlement pur et simple. Pourtant, ce ne sont pas les réformes qui ont manqué en Grèce. Dès 2013, l'OCDE indiquait dans un rapport que le pays avait «le taux le plus élevé de réponse aux réformes structurelles recommandées» et se félicitait des «progrès impressionnants accomplis» (OECD, Economic Survey - Greece, November 2013). C'était bien avant, pourtant, qu'Athènes ne s'engage sur la voie du troisième mémorandum, celui exigé par les Européens après que Tsipras eût capitulé face à ses créanciers mi 2015. Ce troisième mémorandum a repoussé toutes les limites de ce qui se pouvait concevoir en terme de maltraitance économique. Ce troisième mémorandum en effet, véritable «catalogue des horreurs de l'aveu même du journal allemand Der Spiegel, a repoussé toutes les limites de ce qui se pouvait concevoir en terme de maltraitance économique. Outre le fait que «l'aide» de 86 milliards d'euros dont il est la contrepartie - mais qui n'est constituée que de prêts - va alourdir d'autant une dette déjà située à près de 180% du PIB, outre les habituelles hausses d'impôts, la nouvelle baisse des retraites et la énième «flexibilisation» du droit du travail, Athènes s'est fait détrousser de l'infinitésimal reliquat de souveraineté qui lui restait. Comme le rappelle ici la spécialiste du pays Marie-Laure Coulmin Koutsaftis l'État grec est en cours de démantèlement pur et simple. Nombre d'actifs publics sont vendus à l'initiative d'un fonds de droit privé, la Société des Participations Publiques, étroitement contrôlé par les créanciers du pays et présidé par un Français. Le gouvernement hellène a également perdu la main sur son administration fiscale qui s'est muée, le 1er janvier 2017, en «agence des recettes autonome». Outre certaines attributions habituellement dévolues à un ministère du Budget (fiscalité, mesures douanières), lui incombe la sympathique mission de faire main basse sur les habitations principales des débiteurs insolvables pour les vendre. Enfin, un invraisemblable mécanisme adopté en mai dernier et surnommé «la cisaille» permet de faire entrer en vigueur de manière immédiate et mécanique de nouvelles mesures d'austérité s'il apparaît que le budget de l'État s'éloigne de l'objectif d'excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) de 3,5 % fixé pour 2018. Il s'agit donc de «légiférer» en mode automatique, sans consulter le Parlement. Du jamais vu.
 
L'Allemagne, parangon d'intransigeance, ne veut pas entendre parler de coupes dans le stock de dette hellène, surtout pas à l'approche de son scrutin législatif.
Là où le bât blesse, c'est que pour prix de ces réformes au chalumeau, les créanciers promettent de longue date à la Grèce un allègement de son énorme dette publique. Or sur ce point, l'ex- Troïka se déchire. Faucons jusqu'au délire, «les Européens» ne cèdent pas d'un pouce. Même le très modeste toilettage de la dette concédé en décembre dernier a failli être remis en question après qu'Alexis Tsipras a osé accorder un coup de pouce financie r aux retraités de son pays pour Noël sans demander l'autorisation à «l'Europe». L'Allemagne, parangon d'intransigeance, ne veut pas entendre parler de coupes dans le stock de dette hellène, surtout pas à l'approche de son scrutin législatif. Pour autant - et c'est un paradoxe - elle tient absolument à ce que le Fonds monétaire international demeure partie prenante de l'actuel plan «d'aide». Or le Fonds, pour sa part, met de plus en plus de distance entre lui-même et ses acolytes de l'ancienne Troïka. Il menace régulièrement de les quitter car ses statuts lui interdisent en principe de secourir un pays insolvable, ce qui est désormais le cas de la Grèce selon lui.
Le FMI alerte sur l'urgente nécessité de restructurer la dette hellénique et menace, si cela n'intervient pas, de se retirer de l'aventure.
Et ça fait longtemps qu'il le dit. On ne compte plus les rapports dans lesquels le FMI alerte sur l'urgente nécessité de restructurer la dette hellénique et menace, si cela n'intervient pas, de se retirer de l'aventure. En 2013 déjà, il publiait un document sévère relatif à la gestion de la première crise grecque, celle de 2010. Il déplorait qu'à l'époque «la restructuration de la dette [ait] été envisagée par les parties à la négociation mais qu'elle [ait] été exclue par les dirigeants de la zone euro» ( IMF Country Report No. 13/156 - Greece, 06/2013). Deux ans plus tard, le Fonds proposait d'accorder à Athènes «un délai de grâce» de trente ans sur le paiement de sa dette et estimait celle-ci «totalement non viable» (IMF Country Report No. 15/186 - Greece, 14/07/2015). En juillet 2016, le Bureau indépendant d'Évaluation (IEO) du FMI, publiait un bilan assassin rappelant que toutes les modalités de prise de décision habituellement en vigueur au sein du Fonds avaient été contournées dans l'affaire grecque. Pour des raisons politiques, pour satisfaire l'appétence des «Européens» pour une dureté d'airain vis à vis d'Athènes, la direction du FMI aurait sciemment désinformé son Conseil d'administration et conduit l'institution de Washington à opérer un renflouement là où il aurait fallu pratiquer un «haircut» (une coupe dans la dette). Enfin, le tout dernier rapport en date (janvier 2017) vient de réaffirmer de manière catégorique: «La dette grecque est totalement intenable. Même avec une application pleine et entière des réformes approuvées dans le cadre du programme d'aide, la dette publique et les besoins de financement vont devenir explosifs sur le long terme».

C'est avec ce document pour base de travail que devaient se rencontrer lundi, afin de s'entre- exposer une nouvelle fois les uns aux autres leurs inexpugnables divergences, les différents protagonistes: le FMI pour rappeler qu'il faut soit trancher fermement dans la dette grecque, soit prévoir un tour de vis austéritaire supplémentaire. Le gouvernement grec, pour faire valoir qu'il n'irait pas plus loin dans les réformes. Les créanciers européens pour rappeler que décidément, rien ne leur va, ni l'idée de se passer du concours du Fonds, ni celle de se ranger à ses vues en acceptant d'alléger enfin la dette hellène. Que peut-il sortir de ce dialogue de sourds ? Peut-être la fuite pure et simple d'un FMI excédé qui laisserait «les Européens» barboter seuls dans cet hôpital de jour à ciel ouvert. Que peut-il sortir de ce dialogue de sourds? Peut-être la fuite pure et simple, cette fois, d'un FMI excédé qui laisserait «les Européens» barboter seuls dans cet hôpital de jour à ciel ouvert qu'est devenue, vingt-cinq ans tout juste après l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, l'Union économique et monétaire. La décision interviendra dans le courant de ce mois.
 
Quelle suite les États membres donneront-ils à un éventuel départ de ce «tiers séparateur» qu'est en réalité le Fonds?
Les Grecs, pour leur part, semblent (re)commencer à envisager une sortie de l'euro. D'anciens ministres d'Alexis Tsipras se font entendre. Comme le rapporte Médiapart l'ex ministre des Affaires européennes Nikos Xydakis a récemment affirmé que l'omerta sur la question monétaire devait être levée. «Il ne doit pas y avoir de tabou quand nous parlons du destin de la nation. Nous sommes arrivés au point où le peuple est au bout de son endurance. Je crois que nous avons besoin d'une discussion politique nationale en profondeur», a-t-il affirmé. Yanis Varoufakis pour sa part, ne mâche pas ses mots dans la tribune qu'il signe ici le 4 février. Il accuse le ministre allemand Wolfgang Schäuble de manigancer un Grexit hostile. Puis il enjoint le gouvernement de son pays à prendre les devants, lui suggère de tourner le dos aux créanciers et de restructurer unilatéralement certains titres de dette, l'invite à mettre en place un système de paiement parallèle. Cette «double monnaie Varoufakis en avait préparé l'avènement au printemps 2015, alors qu'il était encore ministre des Finances du gouvernement Syriza. Le projet n'a jamais vu le jour. Que de temps gaspillé s'il devait s'imposer maintenant. Que de mesures d'austérité votées pour rien.... Est-ce à dire pour autant qu'un éventuel Grexit serait forcément un désastre? Tout dépend de l'aide que recevra Athènes si elle choisit de faire le
grand saut. La situation internationale a changé depuis 18 mois. Le nouveau pouvoir américain ne fait pas mystère de son hostilité à la construction européenne. S'il n'a pas encore été nommé à ce poste et si sa candidature doit d'abord être acceptée par des Européens qui traîneront nécessairement des pieds, Ted Malloch, le candidat de Donald Trump au poste d'ambassadeur américain auprès de l'UE désormais connu pour ses diatribes hostiles à l'Union et à l'euro, n'hésite pas à affirmer «Je ne veux pas parler à la place des Grecs, cependant, du point de vue d'un économiste, il y a très fortes raisons pour la Grèce de quitter l'euro». Au point, pour les États-Unis, d'aider la Grèce à franchir le pas le cas échéant? Difficile, pour l'heure, d'y voir clair dans le jeu américain. Ce que l'on peut dire, en revanche, c'est que la crise grecque est de retour. Après la toute première sortie de l'Union (celle de la Grande-Bretagne), la toute première sortie de l'euro pourrait elle aussi se produire très bientôt.
  
Coralie Delaume est essayiste. Elle anime depuis 2011 le blog «L'arène nue » consacré au projet européen. Elle a publié Europe, les États désunis (Michalon, 2014) et, avec l'économiste David Cayla est économiste, La fin de l'Union européenne (Michalon, 2016).



B) Europe de la défense : « Il faut que les Etats membres soient fortement impliqués »

Pourquoi le sujet de l’Europe de la défense revient-il dans le débat aujourd’hui ?
L’idée d’une Europe de la défense n’est pas neuve : elle a émergé avec le traité de Maastricht en 1992, en même temps que la question d’une politique étrangère commune. C’est en 1999, après le sommet franco-britannique de Saint-Malo qu’on a souhaité que l’Europe de la défense soit prise en charge par l’Union européenne. Mais depuis le traité de Lisbonne, les progrès en matière d’Europe de la défense sont faibles, il faut le reconnaître. En réalité, c’est le Brexit qui a relancé l’Europe de la défense. La France et l’Allemagne se demandaient comment faire pour éviter que l’Europe n’éclate et le thème de la défense et de la sécurité a été choisi (lire sur AEF). Il y avait déjà eu une première étape à l’Europe de la défense quand François Hollande a été élu en 2012, son ministre de la Défense Jean-Yves le Drian a décidé de relancer cette idée. Parmi les propositions qui ont émergé au sommet européen de décembre 2016, le fonds européen de la défense est une idée lancée par François Hollande et reprise par Jean-Claude Juncker (lire sur AEF). François Hollande et Jean-Yves Le Drian avaient pour idée de relancer l’Europe de la défense car certains problèmes ne peuvent plus être pris en compte au niveau national : ça concerne les questions de terrorisme et de migrations, et plus largement, les besoins en matière de capacités militaires. Il y a également l’attitude russe aux frontières est de l’Union qui pose problème, et, de manière générale, la montée des tensions. Enfin, les Américains demandent que les Européens fassent plus pour leur défense. Cela ne date pas de Donald Trump : Obama faisait déjà la même demande. 

La Commission européenne a dévoilé, le 30 novembre 2016, un "plan d’action européen de la défense". Que recouvre-t-il concrètement ?
Le plan de relance de l’Europe de la défense comprend notamment l’idée d’un fonds européen de défense, dont un volet recherche et un volet "capability window", c’est-à-dire un fonds commun pour les programmes d’armement, qui serait alimenté par les États membres. On peut considérer que sur le principe, le volet recherche est entériné, il faut maintenant l’appliquer. Pour les autres sujets, qui sont abordés dans les conclusions du sommet européen de décembre et qui sont liés à l’implémentation de la stratégie globale de l’Union européenne dans son volet défense, il y a encore du travail. Cela concerne la coopération structurée permanente prévue dans le traité de Lisbonne mais jamais mise en place, ou la coordination des planifications de défense des États membres. Ce sont des travaux qui vont se faire durant les six premiers mois de l’année 2017, avec une difficulté : il faut que les États membres soient fortement impliqués. Le risque, c’est que tout s’arrête avec l’élection présidentielle française en avril et les élections fédérales allemandes en septembre, or ce sont les deux pays qui poussent pour relancer cette Europe de la défense. 

La France et l’Allemagne sont-ils les deux seuls pays engagés dans la construction d’une Europe de la défense ?
On a une très forte impulsion, non seulement de la France et de l’Allemagne, mais aussi de la Commission européenne. La nouveauté, c’est que ce n’est pas une impulsion avec une logique libérale mais avec une logique politique de souveraineté. D’où l’emploi par la Commission européenne des termes "autonomie stratégique", ce qui est tout à fait nouveau. Les initiatives politiques existent, mais il y a encore des détails à régler. Si, par le biais du fonds européen, on peut emprunter au niveau de l’Union européenne, cela conduit à mutualiser la dette. On sait que l’Allemagne est réticente à ce principe. Le débat sur la mise en pratique de ces propositions va également être impacté par les décisions que pourra prendre Donald Trump. Cela peut être un accélérateur comme un sujet de division entre Européens. 

De nouveaux traités au sein de l’Union européenne seront-ils nécessaires ?
L’idée de départ est de ne rien créer et d’utiliser les traités existants pour éviter des divisions supplémentaires. Un nouveau traité serait un plan B, mais ce serait surtout un échec signifiant que l’on n’a pas pu avancer à 28. À ce moment-là, un certain nombre de pays pourraient décider d’avancer seuls en matière d’Europe de la défense. Mais cela se révélera peut-être inévitable. 

Une mutualisation des équipements militaires est-elle possible ? N’y a-t-il pas un risque que certains pays de l’Union paient pour les autres ?
Il y aura toujours un niveau national et un niveau européen. Par exemple, la force nucléaire de dissuasion française, même si on considère qu’elle vient renforcer la sécurité de l’Europe, nous allons la conserver au niveau national. La mutualisation vient surtout du fait que les défis auxquels on doit faire face ne sont pas des défis qui s’arrêtent aux frontières. Pour ce qui est des budgets, il faut rapporter le budget de défense au PIB. Les petits ne sont pas nécessairement ceux qui font le moins : en Pologne, la part du PIB consacré à la défense est importante. L’Allemagne est un des seuls pays qui augmente sensiblement son budget de la défense, même si ce pays part de plus loin que les autres. Le déséquilibre est plus en termes de participation aux opérations extérieures que de budget. C’est à ce niveau que nous avons le sentiment de payer pour les autres. 

Faut-il favoriser la coopération industrielle européenne pour construire l’Europe de la défense ?
C’est une des idées du volet "capacités" du fonds européen de défense. Il est prévu que les dépenses de ce fonds affectées à des programmes d’armement en coopération soient exonérées du pacte de stabilité afin d’inciter à la coopération européenne en matière d’armement. C’est un très bon incitatif pour mieux mutualiser nos dépenses et accroître les capacités militaires de l’Europe. 

Que pensez-vous de la proposition de fonds européen de sécurité et de défense de l’ancien ministre de l’Économie Thierry Breton (lire sur AEF) ?
Le projet de la Commission pourrait représenter environ 10 milliards d’euros par an d’équipements mis en commun. Le projet de Thierry Breton concerne l’ensemble des budgets de défense des pays de l’Union européenne, soit environ 190 milliards d’euros. L’incitatif dans sa proposition est très politique et c’est une bonne chose. Mais cela risque d’être difficile, voire impossible à mettre en place. La proposition de la Commission européenne, même si elle est très en deçà, est un pas en avant, mais qui n’aurait sans doute pas vu le jour s’il n’y avait pas eu le projet de Thierry Breton. En ce sens, il faut saluer sa proposition. 

Qu’est-ce qui pourrait stopper la création de cette Europe de la défense ?
Si les partis d’extrême droite arrivent au pouvoir, on va avoir beaucoup de mal à lancer le chantier. L’autre risque est que Donald Trump essaie de diviser les Européens. Il l’a déjà fait avec les Britanniques, il peut être tenté de diviser les Européens de l’Est et du Nord avec ceux du sud, notamment en forçant les pays de l’Est à abandonner l’Europe de la défense sous peine de ne plus être protégés face à la menace russe. Visiblement, l’ensemble européen est pour lui un danger car c’est un bloc économique qui peut contester la suprématie des États-Unis. 

François Hollande a annoncé que les célébrations des 60 ans du traité fondateur de l’Union européenne à Rome en mars seraient l’occasion de faire avancer l’Europe de la défense. Que peut-on espérer ?
Je pense qu’on peut attendre une déclaration très forte des pays de l’Union européenne. Le fait de nommer, par exemple, tout ce que recouvre l’Europe de la défense sous le terme "Union de défense" permettrait de donner plus de visibilité à ce qui existe aujourd’hui. Cela serait un signal politique fort qui manque aujourd’hui.

Jean-Pierre Maulny




C) Brexit : les députés britanniques donnent leur feu vert à Theresa May

Les députés britanniques ont adopté dans la soirée du mercredi 8 février le projet de loi du gouvernement conservateur de Theresa May autorisant le déclenchement du Brexit, une étape clé vers la sortie du Royaume-Uni de lUnion européenne (UE). Les députés de la Chambre des communes ont approuvé le texte par 494 voix contre 122. Ce projet de loi, soumis au Parlement après que le gouvernement y a été contraint par la Cour suprême en janvier, doit maintenant être examiné par la Chambre des lords, qui devrait l’adopter. L’adoption définitive du texte ne devrait pas intervenir avant plusieurs semaines, mais Mme May a répété qu’elle déclencherait avant le 31 mars l’article 50 du traité de Lisbonne, qui lancera deux années de négociations entre Londres et Bruxelles menant vers la sortie de l’UE. Pour étouffer toute rébellion dans les rangs de la majorité conservatrice, la première ministre a promis, mardi, que le Parlement se prononcerait sur les termes du Brexit avant le résultat final des négociations, sans toutefois que cela puisse remettre en cause la sortie du giron européen. « Nous introduirons une motion. Cette motion sera dans l’accord final », a-t-elle déclaré, mercredi, au Parlement. Et ce « avant que le Parlement européen ne débatte et valide l’accord final ». « Ce sera un vote important », a estimé le secrétaire d’Etat au Brexit, David Jones. « Il laissera le choix entre sortir de l’UE avec ou sans un accord négocié » avec Bruxelles. Mais le député libéral-démocrate (centre) Tom Brake a refusé d’y voir une concession de la part du gouvernement. 

DES AMENDEMENTS REJETÉS
Lundi, dans ce même souci d’éviter toute rébellion chez les élus conservateurs avant le vote de mercredi, Mme May a mis en garde les députés tentés de voter certains amendements visant à réduire la marge de manœuvre du gouvernement. « Ce n’est pas le moment d’entraver la volonté du peuple britannique », a-t-elle déclaré devant la Chambre des communes, où certains élus s’inquiètent de la sortie du Royaume-Uni du marché unique européen annoncée par Mme May. Message reçu puisque, mardi soir, la Chambre a rejeté un amendement des travaillistes, qui souhaitaient voir accorder au Parlement un droit de veto sur le futur accord entre Londres et Bruxelles. Les parlementaires ont également rejeté, mercredi, un amendement du parti Libéral-démocrate réclamant la tenue d’un référendum sur l’accord de sortie de l’UE. Si plus des deux tiers des députés se sont opposés au Brexit lors de la campagne du référendum du 23 juin 2016, la majorité d’entre eux estime désormais difficile de s’opposer à la volonté des électeurs, qui se sont prononcés à 52 % pour une sortie de l’UE. Le Parlement écossais, dominé par les indépendantistes du Parti national écossais (Scottish National Party, SNP), a voté symboliquement, mardi, à une majorité écrasante contre le projet de loi du gouvernement britannique autorisant Theresa May, à lancer le processus du Brexit. Ce vote, acquis par 90 voix contre le projet et 34 pour, n’a aucun poids à Londres. La Cour suprême a statué en janvier : seul le Parlement à Westminster devait être consulté sur le Brexit, s’opposant à une consultation des parlements régionaux.



D) Les autoroutes ferroviaires restent à la traîne

Le transport de camions sur des trains, dit «autoroutes ferroviaires», est encore très loin de l'objectif en volume fixé pour 2020 et n'est toujours pas rentable malgré d'importantes aides publiques, selon le rapport annuel de la Cour des comptes publié mercredi. Les deux «autoroutes ferroviaires» en activité en 2015 ont transporté «environ 70.000 unités en 2015», ce qui reste «nettement en deçà de l'objectif de 500.000 camions fixé pour 2020» lors du Grenelle de l'environnement fin 2007, relèvent les magistrats de la rue Cambon. La ligne reliant la France à l'Italie (175 km via le tunnel du Mont-Cenis) «ne parvient pas à monter en puissance»: moins de 30.000 poids lourds par an, soit 2% seulement du trafic transalpin... mais tout de même 9 millions d'euros de pertes en 2015, comblées «sans enthousiasme» par les deux pays. Ce régime de subvention, qui prévaut à titre «transitoire» depuis 2003, est censé prendre fin en 2018, la Cour des comptes appelant à «mettre en oeuvre la mise en concession» avant cette date. 

La ligne Perpignan-Luxembourg, seule à l'équilibre
Le rapport pointe par ailleurs «l'échec coûteux» de l'itinéraire atlantique (1050 km entre Hendaye et les Hauts de France), pour lequel l'État et les collectivités ont engagé 69,3 millions d'euros, «dont une quarantaine dépensés en pure perte». Seule la ligne Perpignan-Luxembourg est parvenue à «un équilibre d'exploitation fragile», sans subvention mais avec des investissements publics dans les terminaux ferroviaires, en particulier au Boulou (Pyrénées- Orientales), pour un montant estimé à 70 millions d'euros en dix ans. Reste néanmoins à «évaluer le bénéfice socio-économique et environnemental» de cet itinéraire emprunté chaque année par 40.000 camions. Enfin, le prolongement de cette ligne vers Calais, qui a bénéficié de 18 millions d'euros d'aide de l'État, «peine à démarrer» en raison de la présence de migrants cherchant à entrer dans le port pour rejoindre la Grande-Bretagne. Son activité avait été suspendue en juillet après «trois mois de fonctionnement difficile». La reprise du trafic a toutefois été annoncée mardi.

Un meilleur raccordement ferroviaire aux grands ports maritimes
Le Cour des comptes aborde aussi l'amélioration de la desserte ferroviaire des principaux grands ports maritimes français. Le but? Renforcer leur compétitivité européenne. Le fret ferroviaire est «moins présent en 2014 qu'en 2006» (-16%) et son développement «doit devenir une priorité» pour les acheminements à destination et en provenance des ports, estime la juridiction financière. Elle constate dans son rapport que l'objectif de doublement de la part relative du fret ferroviaire et fluvial, qui était prévu pour 2015, «n'a pas été atteint pour l'ensemble des sept grands ports maritimes» (Dunkerque, le Havre, Rouen, Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille). Ainsi, «le potentiel du transport fluvial est sous-exploité alors qu'il apparaît fiable, sécurisé et compétitif». Et le nombre de sillons ferroviaires réservés aux marchandises reste «encore trop faible comparé aux besoins, la priorité étant largement donnée au trafic passager», observe l'institution. Elle préconise par exemple «d'accélérer le tronçon de la ligne nouvelle Paris-Normandie», prévu pour arriver à Rouen en 2030 et au Havre entre 2030 et 2050. La Cour estime que le calendrier des travaux pour le contournement par Serqueux-Gisors prévu en 2020 est tardif. En termes d'investissements, elle estime aussi qu'un «redéploiement des crédits en faveur de l'amélioration des accès aux ports maritimes est essentiel à la compétitivité des ports par rapport à leurs concurrents». Car, selon elle, les grands ports français n'ont pas atteint le niveau de performance de leurs homologues européens malgré la réforme portuaire engagée en 2008 pour améliorer leur compétitivité. Après la crise financière (2008/2009), «les trafics ont continué à baisser en France alors qu'ils sont repartis à la hausse au niveau européen», déplore l'institution.

Guillaume Souvant



E) Dérégulation bancaire : Mario Draghi fustige Donald Trump

«La dernière chose dont nous ayons besoin à l'heure actuelle est un assouplissement de la régulation», a prévenu Mario Draghi, lors d'un débat avec les députés du Parlement européen, lundi à Bruxelles. Vendredi dernier, le nouveau président américain a signé deux décrets ordonnant la révision de la réglementation financière et bancaire mise en place au lendemain de la crise de 2008. C'est en particulier la fameuse loi «Dodd Frank», adoptée en 2010 sous Barack Obama, avec comme objectif d'éviter une nouvelle crise et de protéger les consommateurs de produits financiers. Globalement, cette loi renforce la surveillance des banques et leur impose des conditions d'exercice plus strictes, notamment pour les activités risquées. Ces deux décrets, très bien accueillis par les banquiers américains de Wall Street, ont provoqué l'ire des démocrates. Et ils risquent d'accroître encore un peu plus la tension entre la nouvelle Administration de Donald Trump et les Européens, qui ont également serré la vis aux banques européennes en adoptant une quarantaine de règles. Non sans difficulté: elles avaient suscité un intense lobbying bancaire à Bruxelles et d'âpres négociations entre les États membres de l'Union. «L'idée de retrouver les conditions qui étaient en place avant la crise est préoccupante, a averti Mario Draghi. Nous n'assistons pas au développement de risques significatifs pouvant peser sur la stabilité financière grâce à l'action entreprise par les législateurs, les régulateurs et les superviseurs depuis que la crise a éclaté.» L'industrie bancaire européenne insiste, elle, sur la nécessité d'avoir des règles du jeu équitables au niveau international. Une réglementation plus souple offrirait en effet un avantage concurrentiel aux institutions financières américaines.

Manon Malhère



F) Quel bilan tirer du traité de Maastricht ?

Au fil des ans, il est devenu le symbole d’une Europe dysfonctionnelle et coupée des peuples, aujourd’hui montrée du doigt par les mouvements eurosceptiques. Le 7 février, les pays membres fêteront, dans la discrétion, les 25 ans de la signature du traité de Maastricht. Et pourtant, en approfondissant la construction de l’Union européenne, ce texte fondateur a jeté les bases qui mèneront à l’adoption de l’euro, dix ans plus tard. Parmi les nombreuses règles qu’il a fixées, la plus célèbre – et critiquée est celle instaurant la limite de 3 % du produit intérieur brut (PIB) pour le déficit public, et de 60 % du PIB pour la dette publique.  

« Ces seuils ont été fixés un peu arbitrairement pour assurer la convergence économique des pays membres », rappelle Grégory Claeys, chercheur au think tank bruxellois Bruegel.

 Les dirigeants européens imaginaient que cela suffirait à éviter les crises. La récession de 2008 a brutalement montré qu’ils avaient tort. 

1. Ce traité a-t-il fonctionné ? 

« Dresser un bilan du traité de Maastricht est complexe, car cela dépend des points de vue, explique Eric Dor, économiste à l’IESEG. Son principal apport est d’avoir permis l’instauration de l’euro, auquel les Européens sont très attachés, en dépit de la crise. »  

Pour le reste,les experts se montrent plutôt critiques. D’abord, parce que nombre de pays – à commencer par la France et l’Allemagne ont rapidement foulé du pied les critères des 3 % et 60 % du PIB pour le déficit et la dette. Mais même s’ils avaient été respectés, ces critères n’auraient pas permis d’éviter que les écarts se creusent entre les Etats. 

 « Les vingt-cinq dernières années ont prouvé que les règles budgétaires communes ne suffisent pas pour empêcher les dérives économiques et les bulles financières », détaille M. Claeys

Exemple : au début des années 2000, une énorme bulle immobilière s’est formée en Espagne, alors que le pays était l’un des meilleurs élèves au regard des critères de Maastricht. De même, en dépit des règles européennes, l’endettement des ménages et des entreprises au Portugal ou en Irlande s’est envolé. Autant de déséquilibres qui éclateront au grand jour en 2008.  

« Il faut dire que Maastricht, privé de volet social, n’a instauré aucun système de redistribution permettant de corriger ces divergences », détaille Patrick Artus, chez Natixis.

 Et surtout, aucun mécanisme permettant de résoudre les crises, en particulier lorsqu’un Etat est menacé de faillite. Les leaders européens l’ont compris trop tard, lorsque la Grèce a frôlé la banqueroute, en 2010. Puis lors de la crise des dettes souveraines, en 2012. 

2. Comment les règles budgétaires ont-elles évolué depuis ?
Depuis la crise, les pays membres ont multiplié les textes pour compléter le traité de Maastricht et renforcer l’architecture de la zone euro. L’ennui, c’est qu’ils ont accouché d’une usine à gaz si compliquée qu’il est impossible d’en faire le tour : « two pack », « six pack », « semestre européen »... « La gouvernance économique européenne est devenue bien trop complexe », explique régulièrement l’économiste Agnès Bénassy-Quéré, dans les notes qu’elle rédige pour le Conseil d’analyse économique (CAE). Aujourd’hui, les pays membres doivent présenter leurs budgets très en amont à la Commission européenne, qui donne son avis. Mais les sanctions en cas de dérive sont rarement appliquées. Désormais, aussi, les déséquilibres macroéconomiques (comme les bulles) sont censés être mieux surveillés. Une bonne chose. Mais les critères pour les mesurer sont si nombreux que la procédure est totalement inefficace. En outre, les règles de Maastricht ont été affinées. Désormais, les Etats membres doivent par exemple afficher un déficit public structurel inférieur à 0,5 % du PIB lorsque leur dette est inférieure à 60 % du PIB, et inférieur à 1 % lorsque la dette dépasse les 60 %.

 « En théorie, cette règle est très pertinente, car le déficit structurel ne prend pas en compte les aléas liés à la conjoncture », explique M. Claeys.  

Prenons l’exemple d’un pays tombé en récession. La baisse des recettes fiscales et les dépenses de crise telles que l’aide aux chômeurs creuse mécaniquement son déficit conjoncturel jusqu’à 4, 6 % ou 8 % du PIB. Mais, tant que son déficit structurel ne dépasse pas les 0,5 %, il ne sera pas contraint d’entamer sur- le-champ une cure d’austérité. Ce qui, en temps de crise, ne fait qu’aggraver encore la récession. 

 « L’ennui, c’est que personne ne sait vraiment calculer ce déficit structurel, et que les erreurs en la matière sont trop grandes pour que l’on puisse appliquer cette règle correctement», regrette M. Claeys.«En outre, la grande complexité de ces nouvelles procédures les rend inaccessibles pour les gouvernements eux-mêmes comme pour les citoyens, ce qui pose un problème de contrôle démocratique », souligne M. Dor

3. Comment les améliorer ?
Les propositions pour rendre ces procédures budgétaires plus efficaces ne manquent pas. Trois grands courants s’affrontent. Les eurosceptiques réclament la sortie des traités – voire de l’euro –, afin que les gouvernements retrouvent la pleine maîtrise de leur budget. Tant pis pour la convergence. Pour une partie des économistes allemands, il convient au contraire de revenir aux règles de Maastricht, mais, cette fois, en s’assurant qu’elles soient vraiment appliquées par tous, quitte à muscler les sanctions. Le courant fédéraliste estime plutôt que l’euro ne survivra qu’à condition que l’on simplifie toutes les procédures budgétaires, et qu’on les complète enfin par des mécanismes de solidarité. Par exemple, en créant un fonds européen qui viendrait en aide aux pays les plus affectés en cas de crise. Ou une assurance-chômage commune minimale, qui lisserait les écarts entre pays. Les candidats à l’élection présidentielle française y vont eux aussi de leurs propositions mais la plupart restent très floues. Le Républicain François Fillon veut réduire l’influence de la Commission sur le budget. Jean-Luc Mélenchon souhaite la sortie pure et simple des traités. Marine Le Pen, la présidente du Front national, s’est fait plus discrète sur la sortie de l’euro, sans y renoncer. Elle réclame « le rétablissement d’une monnaie nationale ». Benoît Hamon, le candidat du Parti socialiste, désire réécrire les textes, afin que les investissements et dépenses d’avenir soient exclus du calcul du déficit public. Problème : il n’est pas toujours simple de différencier les investissements des dépenses courantes de fonctionnement. Les salaires des chercheurs d’un centre public d’innovation sont-ils une dépense d’avenir, par exemple ? En Europe, personne n’est d’accord. Emmanuel Macron, enfin, soutient l’instauration, à terme, d’un « gouvernement de la zone euro », doté d’un budget propre. Un bond fédéral auquel aucun pays n’est pour l’instant prêt...

Marie Charrel



G) 23 pays de l’UE violent les règles de qualité de l’air

Les règles européennes en matière de qualité de l’air sont bafouées dans plus de 130 villes à travers 23 des 28 pays de l’UE, a révélé la Commission européenne le 6 février.

La pollution de l’air est la plus grande cause environnementale de morts prématurées dans l’Europe urbaine, et le transport en est la principale source. « La Commission continue de s’inquiéter du manque de progrès sur les plafonds fixées par la législation européenne dans les États membres », a déclaré l’exécutif, dans une communication publiée hier. La directive 2008 sur la qualité de l’air, en cours de révision, oblige les États membres à réduire l’exposition aux particules fines d’environ 20 % d’ici à 2020, par rapport au niveau de 2010. La directive sur les plafonds d’émission nationaux limite certaines émissions, donc celles des particules fines et d’oxyde d’azote (NOx) au niveau national. Une version révisée de la directive est en train d’être examinée par le Conseil des ministres et le Parlement européen. En 2013, à travers l’UE, le dioxyde d’azote (NO2), qui est principalement produit par la circulation, a provoqué 68 000 morts prématurées.
L’ozone (O3) a tué 16 000 personnes et les matières particulaires (PM2.5) ont provoqué 436 000 morts dans la même année. Les particules PM2.5, de petits grains de poussière et de suie microscopiques produits par la combustion de combustibles fossiles, peuvent entrer dans les poumons et les vaisseaux sanguins. 
 
Action en justice
Ces deux dernières années, la Commission a lancé une action en justice contre 12 États membres pour avoir échoué à appliquer les normes de qualité de l’air pour le dioxyde d’azote. L’Autriche, la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni font face à de possibles amendes. Des activistes écologistes au Royaume-Uni ont remporté une victoire à la Cour suprême face au gouvernement britannique pour son non-respect des limites européennes.
Des poursuites semblables sont attendues à travers toute l’UE. La Commission a lancé d’autres procédures d’infraction pour les particules PM10, qui sont plus grandes que les PM2.5. La Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, le Portugal, la Pologne, la Roumanie, la Suède, la Slovaquie, la Slovénie font face à des poursuites judiciaires. Des cas ont été portés devant la Cour de justice de l’UE contre la Bulgarie et la Pologne en 2015. Le 6 février, l’exécutif a lancé un examen de la mise en œuvre de la politique environnementale, qui devrait améliorer le respect des règles européennes. Selon le commissaire en charge de l’environnement, Karmenu Vella, une mise en œuvre correcte des lois environnementales pourrait permettre à l’économie européenne d’économiser 50 milliards d’euros chaque année en coûts liés à la santé ou en coûts directs sur l’environnement. L’exécutif prévoit d’identifier et de résoudre les problèmes avec les pays de l’UE avant qu’ils ne deviennent urgents. Karmenu Vella n’a toutefois pas voulu nommer et rejeter la faute sur un pays en particulier. « Parfois nous utilisons la carotte et parfois nous utilisons le bâton. Cette fois-ci nous avons choisi d’utiliser la carotte », a-t-il déclaré aux journalistes. La Commission a publié 28 rapports par pays, qui analysent les progrès réalisés sur la gestion des déchets, l’économie circulaire, la qualité de l’eau et la protection de la nature. L’exécutif prévoit de discuter des résultats avec chaque État membre et de lancer un instrument pour aider les pays à partager leur expertise. 

Économie circulaire
Pour l’exécutif, la prévention des déchets est un défi de taille pour toute l’UE. Six pays ne sont pas parvenus à limiter l’enfouissement de déchets municipaux biodégradables.
 La Commission a retiré et un an plus tard, en 2015, a proposé une nouvelles version de son paquet économie circulaire sur les déchets, le recyclage et les décharges. Karmenu Vella réfute l’affirmation selon laquelle la décision de supprimer le vieux paquet a retardé la mise en place d’une meilleure gestion des déchets au niveau national. « Je ne pense pas que nous ayons créé un retard quelconque quand nous avons retiré le paquet économie circulaire. Le fait est que nous sommes revenus avec un paquet beaucoup plus ambitieux, et un plan d’action. Je ne pense pas que le travail sur la gestion des déchets a été interrompu à cette période », a-t-il déclaré. 

CONTEXTE
La pollution de l'air comprend plusieurs matières particulaires : la fumée, la saleté et la poussière issues des grosses particules (PM10) ; les métaux et fumées toxiques issues de la fonte de métaux, des gaz d'échappement, des centrales nucléaires et de l'incinération des déchets (matières à fines particules PM2.5). La directive de 2008 sur la qualité de l'air vise à harmoniser et à renforcer la réglementation européenne en matière de normes pour la pollution et l'air.
 Elle est en cours de révision. Selon cette directive, les États membres sont tenus de réduire l'exposition aux matières à fines particules de 20 % en moyenne d'ici 2020, par rapport aux niveaux de 2010. La plupart des politiques appliquées proviennent de la stratégie sur la qualité de l'air, qui vise à réduire les émissions de dioxyde de soufre (SO2) de 82 %, les émissions d'oxyde d'azote (NOx) de 60 %, les émissions de composés organiques volatiles de 51 %, les émissions d'ammoniac (NH3) de 27 %, et les particules primaires de 59 % par rapport aux niveaux de 2000. Les groupes de protection de la santé pensent que les coûts engendrés par la réduction des émissions, grâce à des filtres de fumées d'usine, des véhicules propres et l'adoption de carburants renouvelables, seraient plus que compensés en évitant les complications liées à la mauvaise qualité de l'air. La directive sur le plafond d'émission national (PEN) faisait partie du paquet législatif. Elle prévoit des plafonds d'émissions à atteindre d'ici 2020 pour six polluants atmosphériques, comme les matières particulaires et l'oxyde d'azote.

 James Crisptraduit par Marion Candau

 

H) Guerre et intelligence économique

A l'occasion de la sortie de ce livre qui nous propose une analyse synthétique de l' école de pensée qui a fortement influencé les institutions françaises au travers de l’intelligence économique, nous avons rencontré Christian Harbulot qui en a été a été l’un des précurseurs.


Christian Harbulot : J’ai été à contre-courant de la pensée dominante depuis le début de ma réflexion entamée au milieu des années 80. La guerre économique était un sujet tabou. Parler des problématiques d’accroissement de puissance était politiquement incorrect. La création de l’Ecole de Guerre Economique a permis peu à peu de sortir du ghetto cognitif et de faire passer un certain nombre de messages dans le monde académique et dans la société en général. Aujourd’hui, lorsque je compare certains écrits, je pense avoir eu plus raison qu’un Bertrand Badie dans l’analyse des matrices du monde contemporain. La question de la puissance est un enjeu dans les relations internationales. L’information joue un rôle déterminant dans les rapports de force géostratégiques, géoéconomiques et sociétaux. Ces deux constats sont le point de départ de mes travaux qui débutent avant la fin de la guerre froide. A la fin du XIXe siècle, une partie de la classe dirigeante britannique n’a pas hésité à sacrifier une partie de l’infrastructure industrielle de la Grande Bretagne pour chercher de nouvelles sources d’enrichissement. Les Etats-Unis vécurent un scénario relativement similaire un siècle plus tard. Mais sans aboutir au même résultat. La renaissance du nationalisme économique n’est pas le fruit de l’excentricité de M.Donald Trump.
Elle signifie d’abord et avant tout la fin d’un processus de mondialisation désynchronisé des logiques de puissance. Ce constat amplifie la légitimité de la démarche suivie par l’Ecole de Guerre Economique créée il y a vingt ans.
Le livre de M. Gagliano est un regard extérieur sur une approche française et c’est là son intérêt principal. Il n’est pas prisonnier de l’esprit de chapelles qui mine le système français depuis de nombreuses années. Gagliano ne s’est pas enlisé dans la langue de bois officielle qui domine souvent les écrits sur les sujets que j’aborde. Il a su lire entre ses lignes et a bien capté le fil rouge de mon cheminement dans l’exploration des questions liées à l’intelligence économique. En tant qu’italien, Gagliano n’a pas une grille de lecture conformiste et il a su capter le côté atypique des fondateurs de ce qui pourrait être défini un jour comme une école française. Il n’est pas courant de voir des officiers généraux sortis du cadre opérationnel, construire un modèle de pensée avec un ancien subversif et les jeunes talents qui les entouraient. L’histoire de l’EGE reste à écrire mais sa production de connaissances, son réseau de 1300 anciens et ses contacts et partenariats à l’étranger permettent de se faire une idée de son rayonnement comme le démontre la consultation de son site (ege.fr) ainsi que des sites périphériques qu’elle anime (infoguerre.fr, knowckers.org ou le portail de l’IE). Cette école de pensée est reconnue à l’international par rapport à ce qu’elle apporte comme innovation, en particulier dans de nouveaux domaines comme celui de la guerre de l’information. La lecture de l’ouvrage de Gagliano est une manière de s’informer en sortant des sentiers battus. C’est la force d’une écriture européenne qui ne s’est pas arrêtée aux visions figées du monde contemporain. 

GUERRE ET INTELLIGENCE ECONOMIQUE dans la pensée de Christian HARBULOT
De Giuseppe GAGLIANO, préface de Nicolas MOINET
Format 16 x 24, 96 pages N&B - 1ère édition (dec 2016) ISBN 979-10-93240-19-0



I) Le djihadisme, héritier du fascisme, du nazisme et du soviétisme ?
 
Eric Delbecque a lu l'ouvrage Une guerre sans fin du député Pierre Lellouche consacré à la menace planétaire de l'islamisme radical. Il y voit une contribution riche, fournie et cohérente à l'étude du phénomène «totalitaire» du 21e siècle.

Le livre de Pierre Lellouche, Une guerre sans fin (éd. du Cerf) est apparemment celui d'un néoconservateur à l'américaine... Il y dénonce très classiquement le relativisme moral dont font preuve une partie des Occidentaux vis-à-vis des salafistes, et il appelle à une réaction bien davantage musclée contre tous les soutiens de l'intégrisme islamiste. L'ancien ministre s'assume en faucon extrêmement résolu qui déteste franchement toute complaisance - dans le débat hexagonal au premier chef - envers ce qui mine la confiance de l'Occident en lui-même. Pour aller au fond des choses, on peut même avoir l'impression qu'il n'est pas loin d'adhérer à la thèse du «choc des civilisations» de Samuel Huntington. Il est pourtant nécessaire de dépasser les apparences. Si l'on peut trouver ses positions tranchantes, il n'en reste pas moins que son analyse présente un grand mérite: celle de la cohérence. De plus, enracinée dans un travail de fond impressionnant, elle déploie une vision parfaitement lucide du salafisme djihadiste. Il ne cesse, à juste titre, de le qualifier de totalitarisme. Le djihadisme incarne au XXIe siècle la menace fasciste et totalitaire. De ce point de vue, son décryptage est incontestable: le djihadisme s'impose comme l'héritier du fascisme, du nazisme et du soviétisme. Il incarne au XXIe siècle la menace fasciste et totalitaire. Il ne s'agit pas de sombrer dans l'anachronisme, mais de noter une filiation et une identité de nature, où plutôt de constater qu'une analogie est possible. Ces quatre idéologies dérivent d'une matrice commune, un modèle holiste de fonctionnement social dans lequel l'individu n'est rien. Quelle est l'étape suivante de son raisonnement? Que l'immigration massive en Europe de populations qui ne partagent pas nos idées et nos codes culturels (notamment la laïcité et les valeurs démocratiques) fragilise le tissu social et favorise la propagation du fondamentalisme (qui constitue aux yeux de Pierre Lellouche l'une des véritables menaces contre laquelle il convient de lutter, le djihadisme en constituant une conséquence mécanique). Deux sociétés distinctes cohabitent sur le même territoire, elles vivent côte à côte, mais s'éloignent de plus en plus l'une de l'autre. Il pose donc le constat suivant: deux sociétés distinctes cohabitent sur le même territoire, elles vivent côte à côte, mais s'éloignent de plus en plus l'une de l'autre. «La première continue de rechercher toujours plus de droits individuels, en évacuant toute contrainte morale, religieuse et bien entendu nationale, mais s'inquiète confusément de «ne plus se sentir chez elle». La seconde, poussée par les plus jeunes, rejette en bloc ce modèle et cherche au contraire, autour de la religion, à conforter des règles morales et sociales fortes». Faut-il conclure que le député juge irréconciliables les différentes communautés sur le territoire national? Non. Il explique très clairement que le noeud gordien à trancher est celui du choix de la loi qui s'applique en dernier ressort: celle de la République ou celle de la Charia. C'est au sein de la communauté musulmane de France que doit se régler cette question. Ce qui doit être établi une fois pour toutes, c'est que les convictions religieuses appartiennent à la dynamique de l'intériorité, et ne régulent pas l'existence de la cité, espace d'interaction d'une galaxie de consciences aux perceptions du monde les plus variées. Une culture élémentaire les rassemble néanmoins, qui repose sur quelques règles affirmant la liberté de conscience, l'égalité homme/femme, et la désirabilité de société ouvertes. Pierre Lellouche appelle parallèlement à en finir avec la repentance et la négation de notre Histoire. Par ailleurs, Pierre Lellouche appelle parallèlement à en finir avec la repentance et la négation de notre Histoire. Il encourage aussi à la responsabilité, comme dans ces lignes fortes: «Tant que l'Europe n'aura pas accepté d'appréhender le monde tel qu'il est, en acceptant ses bouleversements et ses menaces, tant qu'elle n'aura pas réinvesti le registre de la puissance et du recours à la force, elle sera incapable de distinguer ses amis de ses ennemis. Nous ne ferons rien pour les premiers et rien contre les autres. Et la France devra prendre ses responsabilités, au besoin seule. La solitude dans l'action valant mieux, pour une grande nation, que l'immobilisme des puissances éteintes». L'ouvrage impressionne par sa densité et les connaissances de l'auteur en matière de relations internationales. Les perspectives analytiques qu'il ouvre sur l'approfondissement du fonctionnement de l'échiquier de la puissance mondiale, allant des Etats-Unis à la Russie en passant par l'ensemble des pays du Moyen-Orient, excitent la curiosité et le désir de raisonner dans de vastes horizons stratégiques. Personnalité souvent caricaturée, Pierre Lellouche affirme dans ces pages - de manière magistrale - que sa pensée mérite une écoute attentive, qu'il excède de loin le niveau habituel des réflexions de nos politiciens, et qu'affirmer un désaccord avec certaines de ses conclusions exige d'affuter ses arguments... 

A lire absolument.

Eric Delbecque est président de l'Association pour la compétitivité et la sécurité économique (ACSE) et directeur du département intelligence stratégique de SIFARIS. Avec Christian Harbulot, il vient de publier L'impuissance française: une idéologie? (éd. Uppr, 2016).





J) Thierry de Montbrial : « La France ne devrait pas avoir honte de défendre ses intérêts »
 
Le fondateur de l'Institut français des relations internationales tourne le dos à une diplomatie des «valeurs» et plaide en faveur d'un retour à la notion d'intérêt national. Ainsi, la France pourra préserver son identité et maintenir sa place dans le monde. 

La France a-t-elle encore une politique étrangère ?
Il faut d’abord se souvenir de l’objectif fondamental d’une politique étrangère. Il s’agit d’assurer la survie d’une unité politique, à moyen et long terme. Or, les concepts de survie, de sécurité et d’identité sont profondément liés. Assurer la sécurité, c’est préserver l’identité. On n’échappe pas à cette question, même si elle a été mise de côté pendant des années. En témoigne le débat encore très feutré sur le multiculturalisme. Est-ce bien ou est-ce mal ? En tout cas, c’est aujourd’hui mal vécu et il faut en tenir compte. Le mal-être de la France est l’une des explications de sa difficulté à définir une politique étrangère. 

Vous plaidez pour revenir à une notion « d’intérêt national ».
Oui, c’est fondamental. La notion d’intérêt national est la traduction opérationnelle de la préservation de l’identité et de l’intégrité. Cet intérêt se décline et il ne doit pas être identifié aux valeurs, une déformation des deux quinquennats précédents. L’exemple type est l’intervention au Mali. Ce fut une bonne décision, qui était dans l’intérêt national de la France puisqu’une déstabilisation du Sahel et de l’Afrique du Nord serait lourde de menaces pour nous. Pourtant, François Hollande a tenu à expliquer que l’on n’intervenait pas pour nos intérêts, mais au nom de valeurs et de principes. C’est surprenant, choquant même. On donne l’impression d’avoir honte de défendre l’intérêt national. Tous les pays de la planète en parlent sans complexes, et la France serait la seule à ne pas oser prononcer le mot ? 

Cette notion n’induit-elle pas inévitablement un certain repli sur soi ?
L’intérêt national ne doit pas se comprendre dans un sens trop étroit. Un grand pays doit contribuer à façonner son environnement. Et l’on en vient aux notions de gouvernance, d’alliances ou d’action au sein de l’Union européenne ou de l’ONU. 

Des Etats-Unis à la Chine, la plupart des puissances n’ont guère de difficultés à définir leurs intérêts « nationaux » ou « vitaux ». Pourquoi est-ce si compliqué en France ?
Il y a une idéologie en France, issue de la Révolution. La France est LE pays des droits de l’Homme. Là-dessus, nous sommes en concurrence avec les Etats-Unis. Nous sommes en effet les deux seules nations au monde à prétendre être des phares universels. Ce souci des droits de l’Homme honore la France. Mais nous continuons à mettre de manière compulsive cette dimension en avant, alors que nos moyens d’agir ne cessent de se réduire. Les Etats-Unis, eux, jouent sur les deux claviers. Ils invoquent toujours l’universalité des droits de l’Homme. Mais dans le même temps avancent leurs intérêts les plus tangibles, qu’ils soient sécuritaires ou commerciaux. Nous ne savons pas faire cela. 

Vous plaidez donc pour une école « réaliste » de politique étrangère ?
Je pense qu’il faut savoir faire la différence entre des sujets essentiels sur le plan des idées, comme la relation entre Islam et démocratie par exemple, et les questions opérationnelles. Le problème est que l’on en est venu à confondre politique étrangère et discours sur les valeurs. 

Faut-il donc relire Machiavel ?
Il y a trente-six façons de lire Machiavel... Et je n’oppose pas réalisme et idéalisme. Dans le brouillard des combinaisons, on se perd dans les calculs. Il faut donc un phare, l’idéal. Sinon, on finit par faire n’importe quoi. Dire que la fin justifie les moyens est inacceptable. Il faut un guide éthique, moral, une boussole pour éclairer l’action en général. Ceci étant posé, dans le court et le moyen terme, il est très important d’être réaliste, ce qui ne veut pas dire cynique. Il s’agit de regarder les réalités telles qu’elles sont. Et d’agir avec une claire conscience des conséquences de ses actes. C’est l’éthique de responsabilité, tout aussi nécessaire. 

En disant cela, avez-vous en tête des interventions armées dont nous n’aurions pas mesuré toutes les conséquences ?
Oui, bien sûr. En Libye par exemple, ce principe de responsabilité n’a pas été suivi. Et on voit aujourd’hui le désastre qui en résulte. Il y a un principe de précaution à observer. Pourquoi en parle-t-on pour les médicaments ou l’alimentation et ne l’applique-t-on pas à la politique internationale ? Je pense ainsi qu’en Syrie, l’erreur de Barack Obama n’est pas d’avoir décidé de ne pas intervenir. Cela n’aurait fait qu’aggraver le chaos à partir du moment où l’on n’aurait pas assumé les conséquences de nos actes, en mettant dans la bataille hommes et argent. L’erreur d’Obama est d’avoir parlé de lignes rouges, sans les faire respecter après. Ce genre de discours non suivi d’effets sape la crédibilité. 

Si elle ne s’énonce pas forcément en 140 signes, la politique internationale semble de plus en plus assujettie à l’accélération du temps médiatique...
Oui, elle se résume de plus en plus souvent à la façon dont on réagit à des chocs externes. Et ce n’est pas cela, une vraie politique étrangère. Elle doit s’inscrire dans la durée. Ce facteur temporel est essentiel. Les Chinois ont-ils une vision ? La réponse est oui. Les Etats-Unis ? Oui aussi. Quelle est notre vision ? D’être des missionnaires, des disciples de Saint-Paul ? Et en donnant quel sens à cette mission ? 

Le sens est une chose, les moyens en sont une autre. Ne nous font-ils pas cruellement défaut ?
On ne peut avoir une politique étrangère ambitieuse sans les moyens économiques adéquats. Si la France reste incapable de faire les réformes qu’elle esquive depuis tant d’années, le discours sur les valeurs deviendra de plus en plus un discours d’impuissance. C’est le drame actuel. On a l’impression de faire de la politique en disant seulement où est le bien et le mal. On se réfugie dans le logos sur les valeurs. 

Faut-il donc s’accommoder de régimes autoritaires, au nom de la stabilité ?
Si l’on prend la question du Proche-Orient, le réalisme suggère que la priorité est le rétablissement d’un certain ordre, insatisfaisant du point de vue des valeurs, mais préférable à un chaos qui s’aggrave et s’exporte. Evidemment, nous préférerions des démocraties tempérées en Libye et en Syrie. Mais à court terme, le nouvel ordre ne sera pas de ce type. Pour l’heure, il est difficile d’échapper au dilemme chaos-régime fort. Il faut un travail en finesse. Nous sommes obligés de travailler avec des régimes que l’on n’aime pas, mais nous devons tout faire pour ne pas encourager leurs penchants autocratiques. Tocqueville a bien montré que les régimes autoritaires ne sont jamais aussi vulnérables que lorsqu’ils essaient de se réformer. Mais que, quand ils ne se réforment pas, ils finissent par éclater. 

Comment « gérer » la question russe, revenue sur le devant de la scène jusqu’à devenir un sujet de politique intérieure ?
Nous sommes dans une situation très désagréable, pour tout le monde. C’est devenu un sujet totalement passionnel. On est sommés d’être « pour » ou « contre », ce qui est une réduction toujours dangereuse. Il faut calmer le jeu, dépassionner tout cela et tenter de rétablir des relations apaisées pour travailler ensemble sur des sujets d’intérêt commun. Aujourd’hui, tout ce qui avait été construit, y compris quand l’URSS était encore debout, a sauté. Nous sommes arrivés à un degré catastrophique de défiance et de propagande. Les Russes et les Européens ont en commun d’avoir besoin d’un minimum d’ordre. Ne devons-nous pas avoir un certain degré de coopération avec eux pour combattre le terrorisme islamique ? 

Pourquoi en est-on arrivés là ?
Sans doute parce que nous avons confondu géopolitique et politique étrangère. Il ne faut pas confondre les termes, car on confond alors les notions. La géopolitique reste l’idéologie relative au territoire. Quand Brzezinski disait que l’Ukraine était le pivot pour le contrôle du continent eurasiatique, il faisait de la géopolitique. Et ce qui s’est passé en Ukraine, avec la velléité d’y étendre l’OTAN, a été la conséquence de cette idéologie. Cela a été perçu comme un danger mortel par les Russes. 

L’idée d’une « menace russe » revient pourtant en force.
Là encore, regardons les choses calmement. Le PIB de la Russie se situe loin derrière celui de l’Italie. Alors, la menace impérialiste russe me semble à relativiser. Il faut ramener les choses à leurs proportions. La Russie est active, certes. Mais c’est un pays à la démographie faiblissante et à l’économie très fragile. 

L’Europe est-elle encore le « levier d’Archimède » de la France, selon les mots du général De Gaulle ?
Aujourd’hui, l’Europe est en péril, c’est une évidence. Les Allemands ne le montrent pas trop, mais ils sont terrifiés par la situation française. Si nous continuons à mettre des rustines sans faire les bonnes réformes économiques, alors la zone euro éclatera. Cela pourrait prendre cinq ou dix ans, mais cela arriverait. Et ce serait le vrai début de la fin pour l’Union européenne. Or, une explosion de l’Europe signifie retourner des décennies en arrière en termes géopolitiques. Et, dix ou vingt ans plus tard, on pourrait voir revenir la guerre en Europe. 

Que faire, alors ?
D’abord, les principaux Etats européens doivent s’entendre sur la réalité de ce risque. Ensuite, il faut se concentrer sur les points les plus importants. Donc sur les questions sécuritaires et économiques. Il faut être clair sur les fondamentaux mais pas dogmatique sur les institutions. Que la Commission se recentre sur l’essentiel et arrête de se disperser sur des détails. Et, bien sûr, il faut partir de la France et de l’Allemagne. L’avènement de Trump a le mérite de nous rappeler le principe gaullien fondamental : on ne peut s’en remettre à des nations extérieures pour sa sécurité sur le long terme. D’où la nécessité de conserver un outil de défense robuste. 

La montée du fait religieux est-elle un défi pour la politique étrangère ?
Quand on parle de religion, il faut distinguer quatre niveaux d’appréciation du sujet. Le niveau anthropologique, fondamental, qui recouvre le rapport personnel de l’individu au spirituel ; le niveau ethnologique, qui voit l’identité d’une nation marquée par la religion ; le niveau sociologique, avec l’influence du patrimoine culturel ; et le niveau politique, avec la manipulation de la religion. En distinguant ces niveaux, on évite de tomber dans des bagarres inutiles. Le niveau politique seul doit nous intéresser. 

Pourquoi ce fait religieux a-t-il autant investi le champ politique ?
Dans des pays appartenant sociologiquement au monde musulman, et qui ont fait autrefois partie de l’espace colonial européen, tous les systèmes politiques qui ont été essayés ont échoué. Qu’ils soient inspirés du marxisme ou tout simplement autoritaires. Il n’est resté comme principe idéologique que la religion. Le succès de la religion sur le plan politique, c’est ce qui reste quand tout a échoué. 

En quoi l’arrivée au pouvoir de Donald Trump va-t-elle bouleverser la politique internationale ?
Trump a une manière de s’exprimer choquante, très déconcertante tout au moins, mais il ne dit pas que des bêtises. Nous allons avoir un paysage nettoyé des attachements routiniers hérités de la Seconde Guerre mondiale. Cela, c’est fini. Mais ce qui n’est pas fini, c’est la réalité des intérêts. Trump va se rendre compte de certaines interdépendances. Et réaliser que l’on a tous intérêt à une certaine stabilité, qu’une Europe trop faible et chaotique n’est pas une bonne chose pour l’Amérique. Ceci étant dit, il ne fera pas de cadeaux. Il raisonne en termes de rendements visibles, à court et moyen terme, sans vision de temps long. Il n’a pas d’états d’âme, pas de passion idéologique et une vision assez étroite. Mais je ne crois pas à la catastrophe, à la fin, pour tous les accords commerciaux et les alliances. Il y aura un certain entre-deux, mais je ne vois pas Trump en chef d’orchestre de la désagrégation du monde.

Thierry de Montbrial







 
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