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octobre 25, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 21/21 (Les racines... )

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Les racines de la démocratie moderne

Le libre marché doit venir d'abord afin d'établir les conditions favorables à la naissance de la démocratie.
Michael Mandelbaum
 
La liberté et la souveraineté du peuple sont les deux composantes de la démocratie, dit Michael Mandelbaum. Le libre marché doit venir d'abord afin d'établir les conditions favorables à la naissance de la démocratie, note-t-il. M. Mandelbaum est professeur de politique étrangère américaine, titulaire de la chaire Christian A. Herter, à l'Ecole de hautes études internationales de l'université Johns Hopkins à Washington ; il est l'auteur de Democracy's Good Name : The Rise and Risks of the World's Most Popular Form of Government [La bonne réputation de la démocratie : Grandeur et risques d'effondrement de la forme de gouvernement la plus populaire du monde] (Public Affairs, 2007).

Au cours des trois dernières décennies, la démocratie a connu une remarquable croissance. En 1900, seuls 10 pays pouvaient être considérés comme des démocraties. Au milieu du siècle, leur nombre était de 30, et ce chiffre n'avait pas changé 25 ans plus tard. En 2005, toutefois, 119 des 190 pays du globe étaient des démocraties. Comment cela s'est-il produit ? La réponse à cette question exige, avant toute chose, que l'on comprenne bien ce qu'est la démocratie.
 
Pour ceux qui emploient ce terme, c'est-à-dire pratiquement tout le monde, la démocratie est un système politique unique, intégré, facilement identifiable. Du point de vue historique, toutefois, comme je le décris dans mon ouvrage Democracy's Good Name : The Rise and Risks of the World's Most Popular Form of Government, la démocratie est issue de la fusion de deux traditions politiques qui, jusqu'à une époque couvrant une bonne part du XIXe siècle, étaient non seulement distinctes, mais largement considérées comme parfaitement incompatibles.
 
Ces deux traditions sont la liberté et la souveraineté populaire. La liberté se situe au niveau individuel alors que la souveraineté populaire appartient à l'ensemble de la communauté. La liberté concerne ce que font les gouvernements ou, plus précisément, ce qu'ils n'ont pas le droit de faire à leurs citoyens, à savoir limiter les libertés individuelles. Quant à la souveraineté du peuple, elle fait référence aux modalités du choix des gouvernants, qui sont choisis par l'ensemble du peuple. Elle répond donc à la question de savoir qui gouverne, et la liberté prescrit des règles déterminant ce que les gouvernants sont autorisés à faire, règles qui imposent des limites à leur pouvoir.
 
Ces deux composantes ont des antécédents historiques distincts. La liberté, la plus ancienne des deux, s'est développée en trois étapes. La liberté économique, sous la forme de la propriété privée, remonte dans la tradition de l'Europe occidentale à l'antiquité romaine. La liberté de religion, dans cette tradition, est née en grande partie du schisme survenu dans l'Europe chrétienne du fait de la réforme protestante des XVIe et XVIIe siècles. La liberté politique a fait son apparition plus tard, la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle étant le premier pays où l'on a pu voir une situation qui ressemblait à la liberté politique moderne, situation où le gouvernement n'exerce pas de contrôle sur l'expression des pensées, les réunions et la participation à la vie politique.
 
La souveraineté populaire a fait irruption dans le monde lors de la Révolution française de 1789, qui a lancé l'idée selon laquelle c'est le peuple, et non pas un monarque héréditaire, qui doit être détenteur du pouvoir souverain. Étant donné les difficultés pratiques qu'il y aurait à ce que l'ensemble du peuple gouverne directement en tous temps, on a conçu un véhicule d'exercice de la souveraineté populaire qui est le gouvernement représentatif, formule selon laquelle le peuple choisit ses représentants au moyen d'élections libres, régulières et ouvertes auxquelles tous les adultes ont le droit de participer.
 
Jusqu'à la deuxième moitié du XIXe siècle, on considérait généralement que la souveraineté populaire étoufferait la liberté. Si le peuple accédait au pouvoir suprême, pensait-on, il saisirait les biens des classes nanties et imposerait à tous un strict conformisme politique et social. Deux ouvrages classiques d'analyse politique du XIXe siècle, l'étude en deux volumes de l'aristocrate français Alexis de Tocqueville intitulée De la démocratie en Amérique et l'essai de l'Anglais John Stuart Mill De la liberté traitent précisément de ce danger. Une fois le XXe siècle arrivé, toutefois, il est clairement apparu que la liberté et la souveraineté populaire pouvaient coexister harmonieusement, comme elles le font actuellement dans de nombreux pays de par le monde. 

Filet de sécurité social
L'une des grandes raisons du succès de la fusion des deux composantes décrites ci-dessus tient à la mise en œuvre, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, de programmes publics de protection sociale qui offraient notamment des pensions de vieillesse, une assurance chômage et des assurances médicales, constituant collectivement ce que l'on a appelé le filet de sécurité social caractéristique de l'État-providence. Étant donné que tous les citoyens ont droit à ces avantages sociaux, l'État-providence a en fait universalisé la distribution des biens, ce qui a eu pour effet de rendre la propriété privée plus acceptable qu'elle ne l'eût été dans d'autres circonstances.
Cette combinaison de la protection sociale, de la liberté et de la souveraineté populaire a beaucoup ajouté au charme de la démocratie. Celle-ci a bénéficié également de l'évolution de l'histoire moderne, durant laquelle ce sont des démocraties qui sont devenues les pays les plus riches et les plus puissants du globe, notamment la Grande-Bretagne au XIXe siècle et les États-Unis au XXe. Il n'est rien qui attire autant que le succès, et comme les pays qui ont le mieux réussi durant la deuxième moitié du XXe siècle sont des démocraties, à savoir les pays d'Europe de l'Ouest, le Japon, les États-Unis et la Grande-Bretagne, cette forme de gouvernement a eu des adeptes.
Toutefois, aspirer à établir un système de gouvernement démocratique est une chose, y parvenir en est une autre. À ce sujet, il convient de s'arrêter sur une différence entre les deux composantes de la démocratie qui revêt une pertinence toute particulière. La souveraineté populaire est un principe politique dont l'application est relativement facile, car on peut organiser des élections libres et à peu de frais pratiquement partout.
 
La liberté, en revanche, est bien plus difficile à instaurer. Elle exige des institutions et, en bonne place parmi celles-ci, un appareil juridique complet en bonne et due forme, ainsi que des gens possédant les connaissances et l'expérience requises pour assurer le fonctionnement de ces institutions. La liberté ne peut fleurir que dans une société où les valeurs sur lesquelles reposent ces institutions, telles que le respect de l'état de droit, sont largement répandues. Ces institutions, ces connaissances et ces valeurs ne peuvent pas naître du jour au lendemain et elles sont difficilement importables de l'étranger. En Grande-Bretagne, par exemple, elles ont été le produit d'une évolution au fil de plusieurs siècles. Ceci pose la double question de savoir d'où viennent les institutions et les pratiques démocratiques, et comment les sociétés d'où elles sont absentes parviennent à s'en doter.
 
La principale source de la démocratie politique, comme je l'explique dans Democracy's Good Name, est une économie fondée sur l'économie de marché. S'il y a eu et s'il existe toujours des pays qui pratiquent l'économie de marché mais pas la démocratie en politique, il n'existe au XXIe siècle aucun pays qui soit une démocratie et dont l'économie ne soit pas axée sur le libre marché. La plupart des pays où la démocratie a fait son apparition durant le dernier quart du XXe siècle, en particulier en Europe méridionale, en Amérique latine et en Asie de l'Est et du Sud-Est, ont une expérience d'au moins une génération en matière de conduite d'une économie de marché. 

Le libre marché, facteur de démocratie
Le libre marché appuie la démocratie de quatre façons distinctes. 
En premier lieu, au cœur de toute économie de marché se situe l'institution de la propriété privée, celle-ci étant elle-même une forme de liberté. Le pays qui possède une économie de marché effective possède donc déjà aussi l'une des composantes essentielles de la démocratie politique.
 
En second lieu, les libres marchés génèrent des richesses, et de nombreuses études ont démontré que plus un pays est riche, plus il est susceptible d'avoir un régime démocratique. Les gens riches ont le temps qu'il faut consacrer à la participation politique dans les démocraties, temps que les pauvres n'ont pas. La richesse crée ce qui a toujours été historiquement l'armature sociale de la démocratie, à savoir une classe moyenne.
 
En troisième lieu, le libre marché se trouve au cœur même de ce que les sociologues appellent la société civile, qui est constituée des organisations et des groupements de la société ne relevant pas du gouvernement, tels que les syndicats du travail, et les associations religieuses et professionnelles. La société civile est située entre le gouvernement et l'individu. Elle limite le pouvoir du gouvernement et offre l'espace social nécessaire à l'exercice d'activités indépendantes du gouvernement. Les organisations de la société civile dépendent de l'économie de marché pour se procurer les fonds dont elles ont besoin pour fonctionner. Il ne peut y avoir de démocratie sans société civile, ni de société civile sans économie de marché.
 
En quatrième et dernier lieu, le libre marché cultive deux habitudes qui sont essentielles à la vie politique démocratique. La première est la confiance. Les citoyens d'un État démocratique doivent pouvoir faire confiance au gouvernement quant au respect de leurs droits, et les minorités doivent faire confiance à la majorité en sachant que celle-ci ne leur nuira pas et ne les persécutera pas. Dans une économie de marché, acheteurs et vendeurs doivent se faire confiance mutuellement en ce qui concerne l'exécution des contrats qu'ils passent entre eux, faute de quoi il ne saurait y avoir de commerce.
 
L'autre habitude découlant du libre marché qui est essentielle à la démocratie est celle du compromis. On peut en fait définir la démocratie comme le régime politique dans lequel le compromis, et non la violence ou la coercition, est la modalité selon laquelle se règlent les différends qui surviennent inévitablement dans toute société. Dans le déroulement des activités quotidiennes de l'économie de marché, les gens apprennent à transiger : l'acheteur et le vendeur doivent toujours négocier pour parvenir à un compromis sur le prix de l'objet de leur contrat étant donné que le vendeur veut toujours être payé le plus possible, et que l'acheteur veut toujours payer le minimum.
 
À partir du dernier tiers du XXe siècle, on en est venu à considérer pratiquement partout que le libre marché était la meilleure forme d'organisation économique pour aboutir à la prospérité. Toutes les sociétés souhaitent prospérer et elles ont donc, presque toutes, établi ou essayé d'établir un régime économique fondé sur le libre marché. Étant donné que la première tendance tend à promouvoir la seconde, l'expansion du libre marché a fait davantage que tout autre facteur pour favoriser la remarquable expansion de la démocratie de par le monde.


Marché libre

De Wikiberal
 
Dans les théories économiques, un marché libre est un modèle économique idéal dans lequel les échanges sont libérés de toute mesure coercitive, y compris les interventions gouvernementales comme les tarifs, les taxes, et les régulations, à l'exception de celles qui autorisent la propriété privée des terres, des ressources naturelles et du spectre de radiodiffusion, ainsi que la propriété intellectuelle, les entreprises et autres fictions légales.
La philosophie du laissez-faire économique en politique épouse approximativement ces conditions dans le monde réel en éliminant les tarifs, en minimisant et en simplifiant la taxation et en minimisant ou éliminant les règlementations étatiques et les restrictions telles que celles relevant du droit du travail (salaire minimum et conditions de travail, mais pas les lois qui restreignent l'organisation des travailleurs) ainsi que le monopole légal et les lois antitrust. Dans le domaine de l'économie politique, le « marché libre » est simplement le contraire conceptuel d'une économie dirigiste, dans laquelle tous les biens et services sont produits, tarifés et distribués sous la maîtrise de l'État

http://www.contrepoints.org/tag/libre-marche/feed

Libre marché et moralité

D'après mon expérience personnelle, celui qui, à cette époque, essaye de parler de libre marché sur les campus universitaires se trouve enseveli sous une avalanche de critiques envers la mondialisation. L'opposition des enseignants et des étudiants à l'expansion des marchés mondiaux dérive pour une large part d'un sens de l'altruisme, qui dérive de leur souci des questions sociales et morales. Synthétiquement, ils pensent que la mondialisation n'est pas à visage humain. Je pense le contraire. La mondialisation, je le montrerai, conduit non seulement à la prospérité et à sa diffusion mais aussi à des conséquences éthiques et à une plus grande moralité parmi ses acteurs. 

Nombre de ses critiques croient que la mondialisation défait certaines avancées sociales ou éthiques comme la réduction du travail des enfants et de la pauvreté dans les pays pauvres ou la promotion de l'égalité des sexes et la protection de l'environnement dans le monde entier. Cependant, quand j'ai examiné ces questions et d'autres dans mon livre En défense de la mondialisation, j'ai trouvé que les conséquences réelles étaient à l'opposé de ces craintes. 

Par exemple, nombreux sont ceux qui croyaient que les paysans réagiraient aux opportunités apportées par la mondialisation en retirant leurs enfants de l'école et en les faisant travailler. L'expansion du libre marché agirait alors comme une force négative. Mais j'ai montré que c'est l'opposé qui était vrai. Il s'est avéré que, dans de nombreux cas, les gains supplémentaires permis par la mondialisation - bénéfices croissants des planteurs de riz au Vietnam par exemple - ont incité les parents à laisser leurs enfants à l'école. Après tout, ils n'avaient plus besoin du maigre revenu supplémentaire que le travail d'un enfant peut rapporter. 

Considérons l'égalité des sexes : avec la mondialisation, les industries qui produisent des biens et des services échangés sur le marché mondial doivent faire face à une concurrence internationale avivée. Cette concurrence a réduit le fossé béant qui existait dans de nombreux pays en développements entre les salaires payés, à qualification égale, à un homme et à une femme. Pourquoi? Parce que les entreprises confrontées à une concurrence mondiales réalisent rapidement qu'elles ne peuvent se permettre cette préférence masculine. Obligées de réduire leurs coûts et de fonctionner de manière plus efficace, elles passent de plus en plus d'une main d'œuvre masculine chère à une main d'œuvre féminine bon marché. Ce faisant, elles augmentent le salaire des femmes et réduisent celui des hommes. La mondialisation n'a pas encore produit l'égalité salariale mais elle en a certainement réduit l'importance. 

Il y a désormais des preuves nombreuses que la Chine et l'Inde, deux nations avec d'immenses problèmes de pauvreté, ont réussi à croître si rapidement en prenant avantage du commerce et des investissements extérieurs et que, par là, elles ont réduit la pauvreté de façon très importante. La route est encore longue mais la mondialisation a permis d'améliorer les conditions de vie de centaines de millions de leurs habitants. Certains détracteurs ont attaqué l'idée de réduire la pauvreté par la croissance économique, lui reprochant d'être une stratégie conservatrice de trickle-down (NdT: Moins imposer les plus riches en espérant que cela profitera aux plus pauvres). Ils évoquent des images de riches suralimentés et gloutons ou de bourgeois mangeant du gigot quand les serfs et les chiens se contentent des miettes à leurs pieds. En réalité, se concentrer sur la croissance économique est une stratégie activiste qui tire tout le monde vers le haut ("pull-up" strategy). 

Même s'ils reconnaissent que la mondialisation permet généralement l'accomplissement de certains objectifs sociaux, certains critiques soutiennent qu'elle corrode la moralité de ses acteurs. Selon eux, l'expansion du libre marché élargit le domaine sur lequel la poursuite du profit règne et cette recherche du profit rend les individus égoïstes et malfaisants. Cela est à peine plausible. Regardons les bourgeois calvinistes décrits par Simon Schama dans son histoire des Pays-Bas. Ils ont construit leur fortune sur le commerce international mais ont cédé à l'altruisme et non à leurs appétits personnels, montrant ce que Schama appela avec justesse des "embarras de la richesse" ("embarassment of riches"). Une telle auto-limitation peut aussi être observé chez les Jaïns du Gujarat, cet état indien dont était originaire le Mahatma Gandhi. Les richesses que les Jaïns tirèrent de leurs activités commerciales ont servi leurs valeurs et non l'inverse. 

Quant à l'influence que la mondialisation continue à avoir sur le caractère moral, permettez moi de citer les merveilleux sentiments de John Stuart Mill. Comme il l'écrivit dans ses Principes d'économie politique (1848): 

Les avantages économiques du commerce sont surpassés par ses effets d’ordre moral et intellectuel. Il est difficile d’estimer trop haut, dans l’état actuel, relativement primitif, de la civilisation, l’avantage de mettre des hommes en contact avec des hommes différents qui ont des habitudes de pensée et d’action autres que les leurs … Il n'est aucune nation qui n'ait pas besoin d'emprunter aux autres. Pas uniquement des talents ou des pratiques mais des traits de caractère essentiels dans lesquels son propre type est inférieur. ... On peut dire sans exagération que l'extension immense et rapide du commerce international, en étant la principale garantie de la paix dans le monde, est la première sécurité permanente pour un progrès ininterrompu des idées, des institutions et du caractères de la race humaine

Dans l'économie mondialisée contemporaine, on voit continuellement des signes du phénomène décrit par Mill. Quand les multinationales japonaises s'étendirent dans les années 1980, les cadres dirigeants masculins emmenèrent avec eux leurs femmes à New York, Londres ou Paris. Quand ces femmes japonaises traditionnelles virent comment les femmes étaient traitées dans les pays occidentaux, elles firent leurs ces idées de droits des femmes et d'égalité. A leur retour au Japon, elles devinrent agents de changement social. De nos jours, la télévision et Internet ont joué un rôle considérable en étendant notre conscience sociale et morale au delà des limites de nos communautés et des états-nations. 

Adam Smith écrivit de façon célèbre sur un "homme européen plein d'humanité" qui "ne dormirait pas ce soir" s'il "devait perdre son petit doigt demain" mais "ronflerait avec la plus profonde sérénité" si une centaine de millions de Chinois étaient "soudainement avalés par un tremblement de terre" car "il ne les avait jamais vu". Les chinois ne nous sont plus invisibles, vivant à l'extérieur de la frontière de ce que David Hume appelait les cercles concentriques de notre empathie. Le séisme de l'été dernier en Chine, dont les conséquences tragiques ont été instantanément retransmises sur nos écrans, a rencontré non l'indifférence du reste du monde mais l'empathie et le sens profond d'une obligation morale envers ces victimes chinoises. Cela était le sommet de la mondialisation.

Jagdish Bhagwati

Nous vous proposons un débat sur le thème "Le marché libre corrode-t-il le caractère moral ?" entre Jagdish Bhagwati, John Gray,Garry Kasparov, Quinqlian He, Michael Waltzer, Michael Novak, Bernard-Henri Levy, Kay S. Hymowitz, Tyler Cowen, Robert B. Reich, Ayaan Hirsi Ali, John C. Bogle et Rick Santorum. Ce débat a été organisé par la Fondation Templeton
Cliquez le lien ci-dessous l'image ci-bas

http://www.libreafrique.org/Debat_Templeton_main

Le marché libre ou bien la guerre

La seule crise, c’est celle de l’anticapitalisme 

 

  

http://www.causeur.fr/le-marche-libre-ou-bien-la-guerre-12017.html

 
« Les gouvernements et parlements européens se sont efforcés, depuis plus de soixante ans, de gêner le jeu du marché, d’intervenir dans la vie économique et de paralyser le capitalisme. […] Ils ont dressé des barrières douanières ; ils ont encouragé l’expansion de crédit et une politique d’argent facile ; ils ont eu recours au contrôle des prix, aux salaires minima et aux procédés subsidiaires. Ils ont transformé la fiscalité en confiscation et expropriation ; ils ont proclamé que les dépenses imprudentes étaient le meilleur moyen d’accroître richesse et bien-être. Mais quand les conséquences inévitables de telles politiques […] devinrent de plus en plus évidentes, l’opinion publique ne porta pas son blâme sur ces politiques chéries, elle accusa le capitalisme. Aux yeux du public, ce ne sont pas les politiques anticapitalistes mais le capitalisme qui est la cause profonde de la dépression économique, du chômage, de l’inflation et de la hausse des prix, du monopole et du gaspillage, du malaise social et de la guerre ».
Nous sommes en 1944. Lorsque Ludwig von Mises écrit ces quelques lignes qui introduisent son Omnipotent Government1 où il décrit les causes de la montée du national-socialisme en Allemagne et les politiques qui ont précipité le monde dans une des guerres les plus destructrices de l’Histoire, les gouvernements du monde libre s’apprêtent à parapher les accords de Bretton-Woods qui entreront en vigueur le 22 juillet et négocient les premiers accords de libre-échange − qui seront signés en 1947 à Genève sous le nom de GATT. Pour ceux qui ont vécu l’entre-deux-guerres, cela ne fait aucun doute : si on veut sauver la paix dans le monde, il faut à tout prix éviter un retour au nationalisme économique, au protectionnisme et aux politiques de dévaluations compétitives.
[...]

octobre 21, 2014

Friedrich August von Hayek, économiste libéral et sa critique.

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Friedrich August von Hayek (1899-1992) a été le penseur le plus profond et le leader international du libéralisme économique durant le vingtième siècle. Il est aujourd'hui la principale référence des adeptes comme des adversaires de cette doctrine et de ses réalisations.




Vie et oeuvres
Né à Vienne en 1899, docteur en droit et science politique, il fonde en 1927, avec Ludwig von Mises, autre grand économiste autrichien de ce temps, l’Institut autrichien de recherche économique et le dirige jusqu’en 1931. Il commence à enseigner à l’Université de Vienne en 1929, au moment où éclate la grande crise de l’entre-deux-guerres, et, s’étant rapidement acquis une grande notoriété, il est recruté dès 1931 par la célèbre London School of Economics où il enseignera jusqu’en 1950. En 1947, il est à l’origine de la fondation de la fameuse Société du Mont Pèlerin (du nom du lieu suisse de sa première réunion) qui réunit aujourd’hui les économistes défenseurs de l’économie de marché et du libéralisme économique du monde entier. De 1950 à 1961, il occupe la chaire de sciences sociales et morales à l’Université de Chicago, puis de 1962 à 1977 une chaire d’économie politique à l’Université de Fribourg en Allemagne, devenue l’un des haut-lieux de la pensée économique libérale en Europe, ainsi qu’à l’Université de Salzbourg en Autriche. En 1974, il obtient le prix Nobel de sciences économiques. Il décède à Fribourg en 1992.
 
Hayek a publié jusqu’à la fin de sa vie de très nombreux et importants livres et articles de théorie économique et de doctrine politique et économique ainsi que de philosophie sociale et morale. Ses ouvrages les plus connus  traduits en français sont:  Prices and Production  1931 ( Prix et production 1975) -  The Road to Serfdom 1944 ( La route de la servitude   1946) - The Conter-Revolution of Science: Studies on the Abuse of Reason 1952 (Scientisme et sciences sociales: essai sur le mauvais usage de la raison 1986) -Constitution of Liberty 1960 (La constitution de la liberté 1994) - Law, Legislation and Liberty, 3 tomes,1973-1979 ( Droit, législation et liberté 1980-1983) - The Fatal Conceit: The Errors of Socialism 1988 ( La présomption fatale: les erreurs du socialisme 1993).
 

Critique de l'étatisme et du constructivisme

La démarche intellectuelle de
Hayek s'est caractérisée par un approfondissement continu de sa pensée, de la théorie jusqu'à la philosophie. Il s’est d’abord fait connaître dans les années trente par sa théorie des crises et des fluctuations économiques qui a constitué  la principale alternative totalement contradictoire à la vision que  le grand économiste anglais de l’Université de Cambridge John Maynard Keynes a présentée en 1936 dans sa fameuse Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Alors que pour Keynes la cause fondamentale de la crise et du chômage est l’insuffisance actuelle de l’investissement due à un manque de demande, pour Hayek c’est au contraire un excès d’investissement financé par une expansion monétaire inflationniste et une déformation de la structure des prix et de l’offre dans la phase de croissance accélérée antérieure à la crise. Les conclusions de politique économique sont évidemment diamétralement opposées. C’est la théorie de Keynes et la politique d’expansion budgétaire et monétaire, que Hayek considérait comme une sorte de drogue sociale créant euphorie et accoutumance puis inévitablement nouvel effondrement économique, qui a triomphé dans les années 40 et 50. Mais l’inflation croissante des années 60  suivie de la nouvelle crise mondiale à partir des années 70 ont redonné tardivement toute sa pertinence à la vision hayekienne, qui a connu dès lors un regain d’intérêt spectaculaire dans la théorie économique contemporaine.

Au-delà de la critique de l’interventionnisme keynésien, Hayek a contesté de manière encore plus déterminée la planification et le socialisme collectiviste. Il a d’abord démontré la nécessaire défaillance technique de la direction étatique de l’économie en raison de l’extraordinaire complexité des évolutions et relations économiques dans une économie quelque peu évoluée. Même dotée des ordinateurs les plus puissants, la planification est hors d’état de connaître l’ensemble des données psychologiques et techniques extrêmement variées intervenant dans la production, la distribution et la consommation et plus l’économie est développée plus elle est incapable d’assurer la rationalité à laquelle elle prétend. Si elle tente néanmoins d’imposer ses vues, elle ne peut y parvenir qu’en établissant un régime totalitaire et c’est inévitablement alors la route de la servitude politique et tôt ou tard aussi du chaos économique et social.

Approfondissant toujours davantage sa contestation de l’action de l’Etat dans la société, Hayek mène finalement une croisade contre la philosophie sous-jacente à cette action, ce qu’il appelle le rationalisme constructiviste. Autant celui-ci lui paraît parfaitement applicable au domaine de la nature, autant il considère comme une erreur intellectuelle fondamentale de vouloir le transposer au domaine de la société. Si les savants et les ingénieurs sont capables de transformer la nature pour le bien de l’humanité, les intellectuels et les dirigeants politiques sont hors d’état de réunir la somme des connaissances, des informations et des prévisions qui permettraient d’établir un ordre social satisfaisant. Aucun cerveau humain, écrit-il, ne peut concevoir toute la complexité sociale. Aucune organisation sociale artificielle, construite par les hommes selon des plans prédéterminés, n’est capable de se substituer à l’ordre social spontané, fruit de l’action collective de l’humanité au cours de son histoire sans être pour autant le résultat d’un projet humain précis. La présomption rationaliste Hayek, à Hobbes et à Rousseau et peut-être même déjà à Descartes et trouve naturellement son point culminant dans le scientisme social de Marx et de ses innombrables disciples. 
 
Evolutionnisme et libéralisme
Renouant quant à lui avec la conception empirique et évolutionniste des philosophes écossais du 18è siècle, en particulier
Ferguson, Hume et Smith, Hayek considère que les principales institutions et règles de comportement les plus aptes à assurer la coopération sociale sont nées, comme le marché, la monnaie, le langage, la morale, par sélection naturelle au cours d’une évolution sociale millénaire sans que personne ne les ait consciemment et volontairement construites. Les institutions, écrit-il, sont le produit de l’action des hommes et non de leurs desseins . Elles ne sont certes jamais parfaites et ne doivent pas cesser d’évoluer, mais, parce qu’elles sont le produit de toute l’expérience humaine, elles organisent la vie sociale de manière beaucoup plus efficiente et satisfaisante que les institutions et régulations artificielles prétendument rationnelles. 

Nous ne devons jamais perdre de vue, écrit-il, que c’est le fait même de notre irrémédiable ignorance de la plupart des faits particuliers déterminant les processus sociaux qui est la raison pour laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la forme qu’elles ont .

Les institutions, ajoute Hayek, ont pour mission de promouvoir et d'organiser la coopération sociale des hommes et elles sont donc fondamentalement des mécanismes d'information. C’est en particulier le cas du marché. Adam Smith avait montré qu’il assurait par une sorte de main invisible la concordance des intérêts particuliers et de l’intérêt général et donc le fonctionnement automatique d’une économie même extrêmement complexe. Hayek démontre que cette supériorité en quelque sorte génétique du marché sur le plan ou tout autre instrument de direction étatique tient au fait qu’il est un extraordinaire synthétiseur et transmetteur d’ informations, de savoirs et d’anticipations dispersées et fragmentées entre des millions d’individus et d’entreprises. Il démontre aussi, à l’encontre de certains libéraux attachés à l’intensité de la concurrence, que même imparfait, le marché continue d’assumer ce rôle essentiel de procédure d’information et de découverte et aussi de mécanisme impitoyable de sélection, pourvu que soit assurée la liberté de concurrence. Il appuie ainsi une vision particulièrement libérale de l'économie de marché.   

La vision hayekienne du devenir des sociétés va constituer finalement le nouveau fondement philosophique d’un projet de libération des sociétés modernes, dans lequel Hayek donne à l’Etat essentiellement  le rôle d’assurer la liberté individuelle et la spontanéité de l‘évolution sociale. Cette position se traduit notamment dans la promotion du droit coutumier face à la législation contraignante et au positivisme juridique, de la loi générale face à la réglementation, de l’état de droit face à la démocratie, etc. Il est impossible de résumer brièvement la richesse et l’originalité des analyses philosophiques, juridiques, politiques, économiques et sociologiques qui se trouvent principalement dans les trois tomes de Droit, législation et liberté, auxquels on ne peut que renvoyer le lecteur intéressé aux questions de société.
 
Les thèses de Hayek ne sont naturellement pas restées sans critiques et contestations d’ordre philosophique, épistémologique ou théorique. On lui a reproché notamment d’avoir sous-estimé, dans son explication de la genèse des institutions et régulations sociales par la sélection naturelle, le rôle parfois décisif des conceptions scientifiques et idéologiques et de la volonté humaine dans ce processus historique d’apprentissage. On a contesté sa tendance à considérer automatiquement la survie d’une institution dans le processus de sélection naturelle comme une présomption d’efficacité sociale. On a relevé une certaine incohérence entre sa conception évolutionniste ainsi que son insistance sur les limites de la connaissance humaine et la formulation de certaines de ses propositions de réforme politique et économique. Et il a naturellement subi les critiques de tous les adversaires du libéralisme économique, sans que ceux-ci aient toujours lu attentivement ses ouvrages.
Il n’empêche que Hayek a énormément enrichi la perception et l’interprétation des faits économiques et sociaux, qu’il a largement anticipé et expliqué les défaillances du keynésianisme, qu’il a été l’un des tout premiers économistes à annoncer et à prévoir les causes de l’inévitable effondrement du système communiste et enfin qu’il a contribué puissamment à la défense et illustration de l’économie de marché. Il demeurera incontestablement comme l’un des grands penseurs sociaux du vingtième siècle.


Aussi commentaire de François Bilger:

Dans le même esprit, il y a une apostrophe bien connue de Jacques Rueff: " Soyez libéraux, soyez socialistes, mais soyez honnêtes ". Il voulait dire: on a parfaitement la possibilité d'établir tel "avantage social" ou telle "protection sociale", mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils ont un coût et qu'en définitive ce coût est toujours supporté - toutes choses restant égales par ailleurs - par les salariés eux-mêmes, au mieux par une réduction de leur revenu direct, au pire par le chômage pour un certain nombre d'entre eux.
 
Un dernier mot  se méfier des théoriciens en politique.  Hegel constatait au début du 19è siècle: " L'étude théorique, je m'en persuade chaque jour davantage, est en définitive plus déterminante pour le monde que le travail pratique; lorsque la révolution a été portée dans le royaume des idées, elle suit rapidement dans celui des réalités". Prédiction hélas remarquablement illustrée peu après par son grand disciple, Karl Marx. Dans le même registre, le grand adversaire de Hayek, John Maynard Keynes, écrivait à la fin de sa "Théorie Générale": "Nous sommes convaincu qu'on exagère grandement la force des intérêts constitués par rapport à l'empire qu'acquièrent progressivement les idées". Prévision là aussi tout à fait vérifiée par l'énorme influence exercée par les propositions keynésiennes sur la politique économique d'un grand nombre de pays au 20è et même encore au 21è siècles. Oui, il faut se méfier des théoriciens, ils sont capables de vous faire agir, pour le meilleur...ou le pire!

Esclandre à Stockholm. Quand Hayek recevait son prix Nobel il y a 50 ans.

via Damien Theillier

Friedrich Hayek et Gunnar Myrdal ont reçu leur prix Nobel d’économie en 1974, il y a tout juste 40 ans. Chez eux, tout s’opposait : leurs personnalités et leurs convictions.

Source : Jean-Philippe Bidault, Si l’argent m’était conté…, 2012.

 

Friedrich Hayek

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Friedrich Hayek, né Friedrich August von Hayek, (Vienne, Autriche, 8 mai 1899 - Fribourg-en-Brisgau, Allemagne, 23 mars 1992) est un économiste et philosophe de l'école autrichienne, promoteur du capitalisme contre le socialisme ou toute forme d'étatisme trop entreprenante et qui ne respecterait pas la Rule of Law. Il a reçu le Prix Nobel d'économie en 1974 pour ses travaux sur la théorie de la conjoncture.
Il s'est intéressé à de nombreux champs de la connaissance humaine, comme l'économie, le droit, la psychologie[1], la philosophie ou la science politique. Il reste en particulier très connu pour ses ouvrages de philosophie sociale comme La Constitution de la liberté (1960) ou Droit, législation et liberté (1973-1979), ouvrages fondateurs du libéralisme contemporain et dans lesquels il défend la notion d'ordre spontané. Il a également écrit l'ouvrage à succès La Route de la servitude en 1945
Il naît à Vienne au tournant du siècle, dans une famille d'intellectuels. Son père était médecin et botaniste, son grand-père maternel professeur de droit constitutionnel et il était cousin de Ludwig Wittgenstein par sa mère. Esprit précoce, il est surnommé par ses camarades Lex comme Lexicon pour ses connaissances extrêment larges[2]. Il se fait cependant mal au climat rigide du Gymnasium autrichien.
Il sert comme soldat lors de la première guerre mondiale à partir de 1917 sur le front italien puis rejoint en 1918 l'université de Vienne. Il y obtient son doctorat en droit en 1921 et en sciences politiques en 1923. Il est déjà intéressé par de nombreux domaines de la connaissance et étudie l'économie et la psychologie. Il conservera ce souci d'éclectisme toute sa vie et écrivit dans La Route de la servitude : « personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui n'est qu'économiste peut devenir une gêne, si ce n'est un danger. » C'est dans ces années là qu'il se rapproche des idées libérales, par la fréquentation du fameux séminaire privé du principal économiste autrichien de l'époque, Ludwig von Mises, aux côtés de Fritz Machlup. Il suit également les enseignements de Friedrich von Wieser et lit sous la direction de Mises les principaux ouvrages de Carl Menger et d'Eugen von Böhm-Bawerk.
Il commence à travailler auprès de Ludwig von Mises puis rejoint l'université de New-York où il effectue des recherches post-doctorales[3]. Il y rencontre son compatriote Joseph Schumpeter ou l'économiste américain Irving Fisher.
De retour en Autriche, il travaille pour le gouvernement autrichien, l'aidant à résoudre les questions économiques afférentes au traité qui met fin à la Première Guerre mondiale. Il se marie en 1926. En 1927, il fonde avec Ludwig von Mises l'institut autrichien de la conjoncture (Österreichische Konjunkturinstitut). Il le dirigera jusqu'en 1931. En 1929, il devient professeur en économie à l'université de Vienne et publie Geldtheorie und Konjunkturtheorie. Il acquiert par là une certaine notoriété.
Remarqué par le directeur du département d'économie de la London School of Economics, Lionel Robbins, il est invité par ce dernier à y donner une série de quatre conférences en 1931. Le succès est tel qu'il se voit offrir en 1932 la Tooke Chair of Economic Science and Statistics à la LSE[4]. Il poursuit pendant les années 1930 ses travaux sur la théorie du cycle, dans lesquels il approfondit la position autrichienne. Il s'oppose avec force sur ce sujet avec la théorie défendue par John Maynard Keynes à Cambridge, mais c'est la vision keynésienne qui l'emporte, au moins temporairement, dans l'opinion publique.
Il publie en 1931 Prices and Production. Sur les conseils de Gottfried Haberler, il s'intéresse aux idées de Karl Popper, qu'il fait en partie siennes. En 1935, il réfute les arguments des tenants du socialisme de marché (Oskar Lange) dans le débat sur le calcul économique en régime socialiste avec la parution du recueil Collectivist Economic Planning: Critical Studies on the Possibilities of Socialism.
Il acquiert en 1938 la nationalité britannique. La même année, il participe au Colloque Walter Lippmann qui réunit à Paris de nombreux intellectuels libéraux, désireux de « refonder » le libéralisme.
Face à la montée du socialisme, du planisme et du militarisme, il écrit plusieurs articles dans lesquels il dénonce les dangers que cette route représente[5]. Il synthétise sa réflexion sur la question dans son ouvrage majeur de 1944, La Route de la servitude. Dans ce manifeste du libéralisme du XXe siècle qui est encore un best-seller aujourd'hui, il montre comment l'emballement totalitaire qui ravage l'Europe des années 1940 est la conséquence directe des idées collectivistes qui ont prévalues durant l'entre-deux guerres, à rebours des explications du totalitarisme comme nécessaire dégénérescence du capitalisme. Pour Hayek, la socialisation de l'économie et l'intervention massive de l'État sur le marché débouchent sur la suppression des libertés individuelles; il n'existe pas de différence de nature mais seulement de degré entre le communisme et son imitateur le nazisme, entre socialisme et totalitarisme. C'est un succès commercial traduit en 20 langues et ayant connu plus de 30 rééditions aux États-Unis. Son édition abrégée dans le Readers' Digest en 1945 toucha environ 600 000 lecteurs américains et une édition en images est même réalisée[6].
Dans la dynamique de son engagement « politique », il fonde en 1947 la Société du Mont-Pèlerin, dont il sera le président jusqu'en 1961, passant le relais à l'ordolibéral Wilhelm Röpke. En 1950, il quitte la LSE pour l'université de Chicago. Refusé au département d'économie, il enseigne finalement les « social thoughts ». Sa position n'était pas rémunérée mais il était financé par des mécènes comme le Liberty Fund.
Après le succès médiatique (essentiellement aux USA) de La Route et la notoriété de propagandiste qui lui colle à la peau, Hayek essaye de regagner l'estime du monde universitaire et se concentrera sur des questions psychologiques en 1952, l'Ordre sensoriel ou épistémologiques, The Counter-revolution of science, après le « virage » poppérien de 1936 ("Economics and Knowledge", dans Individualisme et ordre économique), développeront ses idées de limitation de la raison individuelle, dans la filiation des Lumières écossaises.
En 1960, La Constitution de la liberté reprend de manière plus positive le cadre normatif (Rule of Law, état de droit) qui sous-tend un ordre politique libéral.
De retour en Europe, il enseigne à Fribourg-en-Brisgau de 1962 jusqu'à sa retraite. Il profite de ces années pour écrire la trilogie des Droit, législation et liberté, tout en intégrant pleinement le paradigme évolutionniste (troisième terme entre nature et culture) que les articles des Studies... avaient préparé, lui permet d'affiner son vocabulaire (catallaxie, kosmos et taxis, nomos/thesis, démarchie) et de constituer une sorte de somme de sa pensée; son dernier ouvrage, La Présomption fatale, est une variation sur le thème de la réfutation du socialisme.
En 1974, il reçoit le Prix Nobel en économie (en même temps que le socialiste Gunnar Myrdal), pour ses travaux des années 1930 sur la théorie du cycle. De plus en plus reconnu, il reçoit en 1991 la Presidential Medal of Freedom, plus haute récompense civile américaine. 


 

Pensée 

Epistémologie

Son refus de la planification est également enrichi et étayé par ses réflexions psychologiques sur l'ordre sensoriel. D'après Friedrich Hayek, la perception du monde que capte chaque individu est nécessairement idiosyncrasique. Chaque individu ne peut pas saisir la réalité dans toute sa complexité, il la perçoit en fonction des circonstances de temps et de lieu. De ce fait, comment des gouvernants pourraient-ils légitimement et scientifiquement intervenir dans les choix économiques des individus ?
Contre les constructivistes de gauche et de droite, le philosophe et économiste a livré un combat qui se situe également sur le plan juridique et institutionnel. A la suite d'Adam Ferguson et des autres auteurs phares des Lumières écossaises, Hayek a montré sa préférence pour des instances "résultant de l'action des hommes, mais non de leurs desseins". Selon lui, la meilleure garantie pour la préservation de la liberté et le maintien d'une société civilisée réside dans la défense d'un ordre spontané qui permet "la mise en ordre de l'inconnu", et n'émanant pas d'un cerveau planificateur - sans pour autant se confondre avec une sorte d'organisme naturel. Hayek s'inscrit donc dans une logique évolutionniste, qu'il oppose au constructivisme socialiste et conservateur. C'est aussi pourquoi il considère que l'ordre juridique ne peut découler du droit public, mais ne peut être que la forme évolutive prise par le droit privé dans son continuel processus d'essais et d'erreurs.

Economie

Ses thèses sur le malinvestissement et le rôle du crédit dans le développement des crises économiques s'opposent au keynésianisme : il cherche à montrer comment les politiques keynésiennes de croissance économique, basées sur l'utilisation du budget public et des agrégats, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et chômage (telle la stagflation des années 1970).
Développant la théorie des fluctuations économiques (vision « autrichienne » des cycles) déjà esquissée par Ludwig von Mises, il soutient que les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales et que la seule façon d'en sortir est de laisser jouer les forces du marché. L'économie se trouve comparée dans cette théorie à la nature, son fonctionnement repose alors sur des lois, comme dans les sciences dures. La meilleure solution pour Hayek sera donc de laisser l'économie suivre sa tendance naturelle qui fonctionnne parfaitement seule.
Il s'oppose aux intellectuels socialistes ou constructivistes, qui croient que l'on peut refaire le monde à partir d'un projet de société théorique. Plus généralement, il combat toutes les idées affirmant qu'il est possible et souhaitable d'agir sur l'économie au nom de l'intérêt général, dont il récuse l'existence (cf. Droit, législation et liberté, vol. II). Il cherche à expliquer notamment comment l'intervention étatique dans le marché ne génère qu'inflation, chômage, récession ou dépression.
Friedrich Hayek a eu une influence considérable sur de nombreux économistes et chercheurs en sciences sociales, comme par exemple Israel Kirzner. En France, il est représenté par l'école libérale aixoise (Jacques Garello, Jean-Pierre Centi, Gérard Bramoullé) et l'école libérale parisienne (Pascal Salin, Henri Lepage, Bertrand Lemennicier). A Montpellier, le regretté professeur de Droit, Christian Mouly présenta son apport scientifique.

Politique

 Comme la plupart des libéraux depuis Tocqueville, Hayek considère que la démocratie est un moyen, et non une fin en soi : « Que dans le monde occidental, le suffrage universel des adultes soit considéré comme le meilleur arrangement, ne prouve pas que ce soit requis par un principe fondamental » (dans Constitution de la liberté). Elle a uniquement l'avantage de permettre l'alternance politique sans violence. Elle se doit cependant d'éviter la démagogie et l'atteinte aux droits individuels qui résulterait d'un débordement inconsidéré de la démocratie hors du champ restreint où elle doit s'appliquer.

Définissant ce qui sépare le régime démocratique du libéralisme, il note :
Le libéralisme exige que tout pouvoir - et donc aussi celui de la majorité - soit soumis à des limites. La démocratie conduit au contraire à considérer l'opinion de la majorité comme la seule limite aux pouvoirs gouvernementaux. La différence entre les deux principes apparaît avec évidence si l'on envisage ce à quoi ils s'opposent respectivement : le gouvernement autoritaire pour la démocratie, le totalitarisme pour le libéralisme.
Il ajoute que la démocratie couplée à l'étatisme, tend à devenir totalitaire. Il considère que les citoyens des sociétés occidentales ont cessé d'être autonomes en devenant dépendants des bienveillances de l'État. Il est néanmoins à noter que Hayek ne s'est jamais considéré comme un chantre de l'État minimal. Tout critique qu'il fut envers les politiques interventionnistes, il estimait que l'État était habilité à contrôler les poids et mesures, à lever des impôts, à garantir la construction et l'entretien des routes, etc. De même, il était favorable à un revenu minimum !
Pour éviter la dérive totalitaire inhérente à la démocratie illimitée, Hayek propose un système baptisé « démarchie ». A côté d'une assemblée parlementaire uniquement chargée d'exécuter les vœux de la population (mais restreinte à la représentation des personnes ne dépendant pas de l'État), il juge indispensable d'instituer une sorte de Sénat, qui détiendrait l'exclusivité de la fonction législative (celle-ci étant réservée à l'élaboration de règles de conduite générales). Cette Chambre haute serait composée de "nomothètes" âgés de 45 à 60 ans, dont un quinzième serait renouvelable annuellement. Par ailleurs, une Cour constitutionnelle composée d'anciens membres de l'Assemblée législative couronnerait cette architecture institutionnelle.

Éthique

L'éthique semble étrangement absente de la pensée de Hayek, tout du moins si on tient compte de l'importance qu'elle revêt pour d'autres libéraux ou libertariens (Kant, Rothbard, Hoppe, etc.). La raison en est que Hayek refuse une approche constructiviste et fait davantage confiance à la "morale traditionnelle". Pour lui, l'éthique ne peut être une création intellectuelle, c'est le produit catallactique d'une évolution culturelle. Pour cette raison, les règles de conduite que la "morale traditionnelle" incorpore sont économiquement les plus efficaces.[7]



 Critique du Réseau Voltaire

« Démocratie de marché »

Friedrich von Hayek, pape de l’ultra-libéralisme

 L’économiste autrichien Friedrich von Hayek s’est appliqué à discréditer toute forme de régulation de l’économie au motif que celle-ci est trop complexe pour que l’on prétende l’organiser. Sa théorie de « l’État minimal » est devenue la religion du Parti républicain états-unien en opposition aussi bien au « New Deal » des démocrates qu’au marxisme des soviétiques. Son école, financée par les fondations des grandes multinationales, s’est structurée autour de la Société du Mont-Pèlerin, et a obtenu sept fois le prix Nobel d’économie. Elle a inspiré les gouvernements de Pinochet, Reagan et Thatcher.

La pensée économique et politique de Friedrich A. von Hayek s’est imposée comme fondement idéologique de l’ordre libéral. Elle est à la fois le produit d’une histoire particulière et d’un réseau relationnel qui s’est développé à l’ombre des grandes fondations états-uniennes.
Hayek est né à Vienne, en 1899. Sa jeunesse autrichienne est marquée par un climat politique difficile, des grèves massives paralysent le pays. Il assiste à la désorganisation du régime doublement menacé par le populisme, souvent antisémite, et par le socialisme révolutionnaire radicalisé par l’introduction des thèses marxistes. Dans ce contexte, il se passionne pour les thèses de la Société fabienne, un courant réformiste et socialiste anglais, créé par Béatrice et Sidney Webb, et préconisant une révolution spirituelle. Parallèlement, il est initiée à la philosophie de Ludwig Wittgenstein, principal « animateur » du Cercle de Vienne.
Hayek participe aux séminaires de l’économiste Ludwig Von Mises qui réunit autour de lui des disciples qui contribueront à diffuser la bonne parole libérale en France (Jacques Rueff, conseiller du général de Gaulle), en Italie (Luigi Einaudi), en Allemagne (Wilhelm Röpke, Ludwig Erhard), et dans une moindre mesure aux États-Unis (Murray, Rothbard).
À l’époque, Mises défend des idées à contre-courant des thèses dominantes de l’intelligentsia autrichienne, Hayek le qualifie de « libéral intransigeant isolé ». Il est l’initiateur de la critique du planisme qui, selon lui, ne peut constituer une solution économique adéquate en raison de la complexité des calculs économiques et du manque d’information. Dans son ouvrage majeur, Socialism, il prédit l’échec des expériences socialistes : la planification ne peut conduire qu’au chaos ou à la stagnation. Professeur à Vienne (1913-1938), puis à New York (1945-1969), Mises est le fondateur du courant néo-autrichien qui se développe durant les années soixante-dix. Proche des réseaux états-uniens en Europe de l’ouest (la Fondation Rockefeller et le National bureau of economic research ont financé deux de ses livres publiés en 1944, Omnipotent Government : the Rise of the Total State and Total War et Bureaucraty). Cherchant à diffuser ses théories, appuyé par des industriels et des fondations, Mises a construit une organisation officieuse, une ébauche de la Société du Mont-Pèlerin, représentée par ses élèves dans plusieurs pays d’Europe de l’ouest.

La théorie politique néo-libérale

Hayek, dans la continuité de la tradition libérale initiée par Adam Smith, défend une conception minimale de l’État. Son apport particulier correspond à la critique radicale de l’idée de « justice sociale », notion dissimulant, selon lui, la protection des intérêts corporatifs de la classe moyenne. Il préconise la suppression des interventions sociales et économiques publiques. L’État minimal est un moyen d’échapper au pouvoir de la classe moyenne qui contrôle le processus démocratique afin d’obtenir la redistribution des richesses par la fiscalité.
Son programme est exposé dans Constitution de la liberté (1960) : déréglementer, privatiser, diminuer les programmes contre le chômage, supprimer les subventions au logement et les contrôles des loyers, réduire les dépenses de la sécurité sociale, et enfin limiter le pouvoir syndical. L’État n’a pas le droit d’assurer la redistribution, surtout en fonction d’un quelconque critère de « justice sociale ». Son rôle est réduit à la fourniture d’un cadre juridique garantissant les règles élémentaires de l’échange. En 1976, il va jusqu’à proposer la dénationalisation la monnaie, c’est-à-dire la privatisatisation des banques centrales nationales pour soumettre la création monétaire aux mécanismes du marché. D’autres prises de positions semblent nuancer la radicalité de son libéralisme, il préconise par exemple la création d’un revenu minimum, mais cette proposition doit être pensée comme une réhabilitation de la loi anglaise des indigents et non comme la marque d’un « socialisme hayèkien » [1] .
La théorie développée par Hayek est fondée sur une croyance partagée par tous les libéraux, des classiques jusqu’aux partisans des thèses autrichiennes. La métaphore de la « main invisible », qui assure dans la pensée d’Adam Smith l’adéquation de l’offre et de la demande sur les différents marchés, illustre parfaitement ce présupposé commun qu’ils cherchent tous à démontrer à partir de différents postulats : équilibre général de Walras, redéveloppé par Pareto ; ordre spontané du marché ou catallaxie pour l’école autrichienne. Celle-ci est le résultat d’actions non concertées et non le fruit d’un projet conscient. L’ordre du marché n’est pas voulu, pas planifié, il est spontané. Cette conception de l’économie sert de justification à la critique de l’interventionnisme qui génère des déséquilibres, des perturbations dans la catallaxie. Hayek considère que les keynésiens font de l’État un « dictateur économique ».
La philosophie politique de Hayek est finalement très proche des thèses développée par Locke. L’État défend le droit naturel de propriété et est limité par les clauses individualistes d’un hypothétique contrat-fondateur. Le droit devient alors l’instrument de protection de l’ordre spontané du marché. Ce qui importe donc principalement, c’est la défense du libéralisme économique. Le libéralisme politique est absorbé. Les idées démocratiques sont reléguées à un rang secondaire. Cela a poussé Hayek à des déclarations aux allures de provocation. D’après lui, la démocratie ne constitue pas un système politique infaillible : elle « est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle » [2] . Mieux vaut un régime non-démocratique garantissant l’ordre spontané du marché qu’une démocratie planificatrice. Ce raisonnement justifiera la présence des « Chicago boys » au Chili. La pensée de Hayek est un mélange de conservatisme (critique de la démocratie inspirée de la dénonciation de la Révolution française d’Edmund Burke) et de libéralisme (Adam Smith). Il met en garde contre la démocratie illimitée qui conduit irrémédiablement au règne de la démocratie totalitaire [3]. En fait Hayek est obsédé par les classes moyennes qui contrôlent les régimes démocratiques : « Il y a une grande part de vérité dans la formule d’après laquelle le fascisme et le national-socialisme seraient une sorte de socialisme de la classe moyenne » [4] . De plus, il craint les pauvres dont les réactions sont imprévisibles. Il réclame un revenu minimum « ne serait-ce que dans l’intérêt de ceux qui entendent être protégés contre les réactions de désespoir des nécessiteux » [5] . Bien que refusant d’adhérer à l’idée de justice sociale, Hayek développe une conception particulière de la justice, libérale mais aussi conservatrice, même s’il s’en défend dans un article intitulé Pourquoi je ne suis pas conservateur ?.
Les idées radicales de Hayek, ses attaques contre l’interventionnisme économique ne peuvent être comprises sans un retour au contexte historique de l’après-guerre : l’élaboration d’un nouvel avatar du libéralisme correspond à une critique totale du keynésianisme triomphant. Hayek, inspiré par la pensée économique de Mises, rejette aussi bien le collectivisme préconisé par le marxisme d’État que l’intervention économique dans les sociétés capitalistes. Reprenant les idées de Mises, il critique la possibilité de planifier l’économie dont la complexité s’oppose à tout calcul rationnel. Ces prises de position contre la « troisième voie démocratique et sociale » symbolisée par le New deal rooseveltien et le travaillisme anglais expliquent la marginalisation des ultra-libéraux au début des années 50, notamment au sein de la plus puissante des organisations d’intellectuels anti-communistes, le Congrès pour la liberté de la culture.

Hayek en marge de la « Guerre froide culturelle »

Hayek est nommé professeur à la London school of economics en 1931, puis à Chicago en 1950. En 1962, il devient professeur d’économie politique en Allemagne fédérale... Ce parcours universitaire ne doit rien au hasard : la London school of economics, financée par la fondation Rockefeller, et l’université de Chicago sont des bastions de l’économie libérale. Il constitue ainsi un réseau politique et intellectuel international. Il a su rassembler des libéraux, des conservateurs britanniques et américains, mais ses théories ont aussi été diffusées dans toute l’Europe de l’ouest. Proche de Raymond Aron [6] qui popularise ses thèses en France, il se veut un « libéral intransigeant » engagé à la fois contre le soviétisme et le fascisme.
La rhétorique de l’anti-totalitarisme constitue une fois de plus l’instrument idéologique privilégié des intellectuels engagés dans le Congrès pour la liberté de la culture, organisation pilotée par la CIA de 1950 à 1967. Cependant, à partir de 1955, les ultra-libéraux menés par Hayek sont marginalisés face aux « travaillistes », représentants d’une « troisième voie » social-démocrate, qui contribuent à redéfinir les orientations idéologiques du Congrès pour la liberté de la culture. Un nouveau programme émerge de la conférence internationale de Milan [7] .
À Paris, Josselson, avec le soutien de la fondation Rockefeller, recrute et finance les participants. La liste des intervenants est approuvée par un comité composé de Raymond Aron, Michel Collinet, Melvin Lasky, Sidney Hook, Denis de Rougemont... Cinq orateurs sont cooptés [8]. Ils sont chargés de donner les lignes directrices de l’idéologie anti-communiste du Congrès pour la liberté de la culture lors de la séance inaugurale. La conférence de Milan va rendre évidente la fracture entre les deux tendances. Les architectes de l’organisation, pour la plupart des intellectuels new-yorkais issus des rangs trotskistes, tentent de rallier des libéraux, mais surtout des hommes de la gauche non-communiste (comme Léon Blum en France). En 1955, le Congrès s’engage ouvertement dans la voie social-démocrate ; le succès du discours inaugural de Hugh Gaitskell, leader travailliste anglais, témoigne de cette orientation. Pour lui, le Welfare state est compatible avec la démocratie politique, thèse en parfaite contradiction avec les théories autrichiennes de Mises. Le quatrième orateur, Hayek, prend la parole au nom des ultra-libéraux et rappelle que la propriété est l’unique droit qui vaille la peine d’être défendu, faisant ainsi référence aux droits sociaux évoqués par Hugh Gaitskell [9]. La conférence de Milan se conclut par la victoire idéologique des « travaillistes » et par la marginalisation des ultra-libéraux qui se replient sur les think tanks, organisations chargées de convertir les élites économiques à la philosophie néo-libérale.

Du colloque Walter Lippman à la Société du Mont-Pèlerin : la naissance d’un think tank international

Le colloque Walter Lippman [10] (1938) auquel participent Mises et Hayek est l’occasion de rassembler des universitaires libéraux hostiles au fascisme, au communisme et à toutes les formes d’interventionnisme économique de l’État. Le livre de Walter Lippman [11]. En 1920, il fonde le New Republic, il devient ensuite éditorialiste au New York Herald Tribune. À partir du début des années 60, il écrit dans Newsweek. Sa pensée politique libérale et conservatrice a influencé les intellectuels du Congrès pour la liberté de la culture.]] , The Good Society, constitue le manifeste temporaire, en attendant La route de la servitude, de ce groupe d’intellectuels relativement marginalisés à l’époque du keynésianisme triomphant. Selon Walter Lippman, le collectivisme est la racine commune des totalitarismes fasciste et communiste. Les gouvernements des démocraties occidentales, en s’engageant dans des politiques économiques de relance, cèdent à la tentation du planisme car il n’existe pas -cette idée constitue la clé de voûte de la philosophie autrichienne initiée par Mises- de « voie moyenne » entre le libéralisme et le collectivisme. Ainsi Louis Rougier [12], professeur de philosophie à l’université de Besançon et principal organisateur de la réunion déclare : « Le drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de gauche qui rêvent d’une démocratie politique et d’un planisme économique sans comprendre que le planisme implique l’État totalitaire. Le drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de droite qui soupirent d’admiration devant les régimes totalitaires, tout en revendiquant les avantages d’une économie capitaliste, sans se rendre compte que l’État totalitaire dévore la fortune privée, met au pas et bureaucratise toutes les formes d’activité économique du pays ». Hommes de droite et hommes de gauche sont ainsi renvoyés dos-à-dos suivant un argument unique : le planisme est totalitaire. La pensée de Hayek repose sur le même principe vulgarisé dans le célèbre Route de la servitude. Le raisonnement justifie la construction d’une avant-garde libérale capable de lutter intellectuellement (dans un premier temps) contre l’hégémonie des pratiques inspirées de la pensée de Keynes.
Le colloque Walter Lippman aboutit à un projet international de promotion du libéralisme. Lippman, Hayek et Röpke sont chargés de créer des organisations aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse.
En 1947, dans la logique du plan Lippman, Hayek participe activement à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin qui « constitue en quelque sorte la maison-mère des think tanks néo-libéraux » [13]. Un homme d’affaire suisse, Albert Hunold, permet de concrétiser les propositions de Hayek qui désire mettre en place un « forum libéral international » et de Wilhem Röpke qui cherche à lancer une revue internationale. Hunold réunit des industriels et des banquiers suisses afin de financer le think tank libéral [14] . Il rassemble des intellectuels issus de courants variés mais qui partagent la même croyance dans l’équilibre spontané du marché : des monétaristes comme Milton Friedman [15], des membres de l’école du Public choice (James Buchanan) ainsi que des personnalités associées au courant néo-autrichien. Les réunions internationales sont financées, dans un premier temps, par les fondations Relm et Earhart [16]. La Société du Mont-Pèlerin reçoit ensuite le soutien de l’ultra-conservatrice fondation John Olin, Lilly endowment, la fondation Roe, le Scaife family charitable trust et la Fondation Garvey.
La société du Mont-Pèlerin prêche durant vingt-cinq ans dans le désert. Les idéologues néo-libéraux demeurent isolés dans un contexte de consensus interventionniste. Il faudra attendre la crise du keynésianisme pour que les idées de Hayek s’imposent parmi les élites politiques. La Grande-Bretagne constituera le terrain de la mise en pratique des mesures préconisées.
Fondé en 1955, l’Institute of Economic Affairs (IEA) travaille à vulgariser les thèses de Hayek et du monétarisme en ciblant principalement les milieux patronaux (qui restent longtemps méfiants) et financiers. Ralph Harris, qui fut directeur de l’organisation, est anobli dès 1979 par Margaret Thatcher.

La « révolution conservatrice » britannique

À la fin des années soixante, on décèle les premiers signes de la crise de société qui va faire basculer la Grande-Bretagne vers la « révolution conservatrice » orchestrée par Margaret Thachter. La stagflation, combinaison inédite de chômage et d’inflation, conduit à remettre en question le paradigme keynésien (notamment l’équation de Philips qui conclut sur l’arbitrage entre inflation et chômage). Avec la crise, les théories de la Société du Mont-Pèlerin et de l’IEA se développent et reçoivent un accueil de plus en plus favorable dans les cercles patronaux et politiques. Les deux organisations diffusent les idées de la primauté de la lutte contre l’inflation, du caractère utopique des politiques de plein-emploi, de la sur-puissance syndicale, des conséquences nocives des politiques économiques. En 1970, l’IEA publie la thèse quantitative de la monnaie de Milton Friedman qui constitue une condamnation radicale de la politique monétaire keynésienne. Friedman préconise la réduction des déficits de l’État afin de contrôler l’augmentation de la masse monétaire.
Dans les années soixante-dix, qui sont les années de la conversion pour de nombreux hommes politiques britanniques, on assiste à un rapprochement entre les conservateurs et les libéraux, un mariage entre les héritiers de Burke et de Smith.
Afin de soutenir cette dynamique de conversion libérale, des membres du Parti conservateur (dont Margaret Thatcher et Keith Joseph) créent le Centre for Policy Studies, en 1974. En 1977, une autre organisation voit le jour : l’Adam Smith Institute. La Grande-Bretagne entre dans une période de « révolution conservatrice ». La victoire de Thatcher en 1979 consacre la réussite des think tanks néo-libéraux. Des membres de ces organisations tels que Geoffrey Howe et Nicholas Ridley constituèrent les piliers des gouvernements conservateurs [17].
Cette rapide histoire des think tanks néo-libéraux souligne le poids politique des conceptions économiques de Hayek. À partir de la Société du Mont-Pèlerin, il a su imposer son idée de l’État (minimal, sans aucun pouvoir d’intervention économique) et du marché (« laisser-faire »). Preuve de son hégémonie intellectuelle, il reçoit le prix Nobel en 1974, puis le voit attribuer à six de ses amis ultra-libéraux : Milton Friedman (1976), George Stigler (1982), James Buchanan, Maurice Allais (1988), Ronald Coase (1991) et Gary Becker (1992). D’une certaine façon, c’est le programme qu’il avait formulé dans son ouvrage La Constitution de la liberté, qui s’est imposé comme « pensée économique unique » à la fin du XXe siècle.

 


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