Affichage des articles dont le libellé est illibéralisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est illibéralisme. Afficher tous les articles

octobre 21, 2014

L’antilibéralisme France ?

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Le discours est sans concession. L’homme fait le procès de « l’économie libérale » dont il dénonce la « faillite universelle ». Pour lui, il faut d’ailleurs plus parler « d’apparence de libéralisme », car en réalité « la production et les échanges » sont asservies « aux puissances d’argent » et ont « recours de plus en plus large aux interventions de l'État ». « Cette dégradation, du libéralisme économique, s'explique d'ailleurs aisément. La libre concurrence était, à la fois, le ressort et le régulateur du régime libéral. Le jour où les coalitions et les trusts brisèrent ce mécanisme essentiel, la production et les prix furent, livrés, sans défense, à l'esprit de lucre et de spéculation. Ainsi se déroulait ce spectacle révoltant de millions d'hommes manquant du nécessaire en face de stocks invendus et même détruits dans le seul dessein de soutenir le cours des matières premières. Ainsi s'annonçait la crise mondiale ».

Pour sortir de cette crise, en finir avec un faux libéralisme économique qui en réalité vise à asservir les plus pauvres, l’homme plaide pour que l’économie soit « organisée et contrôlée » par l'État afin de « briser la puissance des trusts et leur pouvoir de corruption. Bien loin donc de brider l'initiative individuelle », il s’agit de « libérer l’économie de ses entraves actuelles en la subordonnant à l'intérêt national. La monnaie doit être au service de l'économie, elle doit permettre, le plein essor de la production, dans la stabilité des prix et des salaires. Une monnaie saine est, avant tout, une monnaie qui permet de satisfaire aux besoins des hommes ».
 
 
Évidemment, « un tel, système implique un double contrôle : sur le plan international, contrôle du commerce extérieur et des changes pour subordonner aux nécessités nationales l'emploi des signes monétaires sur les marchés étrangers. Sur le plan intérieur, contrôle vigilant de la consommation et des prix, afin de maîtriser le pouvoir d'achat de la monnaie, d'empêcher les dépenses excessives et d'apporter plus de justice dans la répartition des produits. Ce système ne porte aucune atteinte à la liberté des hommes si ce n'est à la liberté de ceux qui spéculent, soit par intérêt personnel, soit par intérêt politique. Il n'est conçu qu'en fonction de l'intérêt national ».
Qui a prononcé ces fortes paroles ? Qui dénonce ainsi l’ultralibéralisme et la mondialisation ? Qui propose ainsi de revenir dans la cadre de l’État nation, un État fort qui contrôlera l’économie ? Un dirigeant d’Attac ? De la fondation Copernic ? De la LCR ? Du PC ? De la gauche du PS ? Ou alors des souverainistes de droite et d’extrême droite ? D’Henri Guaino, le conseiller spécial du Président de la République et souverainiste de choc ? On s’y perd, non ?
Allez, je vous donne la réponse, elle décoiffe : il s’agit du Maréchal Pétain, dans un discours du 11 octobre 1940. N’est-il pas frappant de voir à quel point la dénonciation du libéralisme se fait avec les mêmes mots (à part « lucre », daté) du côté des extrêmes de l’échiquier politique ? 





Alors, évidemment, je ne dis pas que les antilibéraux sont pétainistes. Je parle ici d’une filiation idéologique qui interpelle, d’une détestation de l’économie de marché qui se perpétue depuis plus de soixante ans dans le discours (et pas dans la pratique), comme si la défaite de juin 1940 n’avait toujours pas fini de produire ses effets. J’avais déjà sur ce blog et dans Libération dénoncé la pensée d’un Michel Onfray qui incarne parfaitement ce courant de pensée qui est en réalité réactionnaire au vrai sens du mot (y compris dans son regret du passé forcément meilleur que l’avenir). A l’heure où les « nonistes » de gauche se réveillent en recommençant à dénoncer le « libéralisme » du traité de Lisbonne (qui est totalement neutre à cet égard puisqu’il ne fait que réformer les institutions), il n’est pas inutile de réfléchir à nouveau aux sources de cet antilibéralisme qui ne fait florès qu’en France (et au Vénézuela, mais comparaison n'est pas raison ;-).

 
Les solutions pour « briser » le libéralisme sont différentes selon les affinités politiques. Pétain a instauré le retour aux corporations d’avant la Révolution française, révolution bourgeoise et capitaliste dans son essence qui visait justement à libérer l’économie de l’étouffoir d’une réglementation excessive. Il y a d’autres méthodes : le communisme, qui consiste en un contrôle total de l’économie par l’État au nom de l’intérêt général, méthode qui a elle aussi échoué. Un moyen terme a été tenté, en France, juste après la guerre. Ainsi, le programme de 1944 du Conseil national de la résistance (CNR) réclame-t-il « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », « l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État » et « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés ». 

Bref, le CNR réclame un État dirigiste, qui connaîtra son heure de gloire sous De Gaulle, un État qui en réalité n’a pas mis fin au corporatisme hérité du pétainisme. C’est cet État que Valéry Giscard d’Estaing et ses successeurs ont démantelé. C’est ce modèle qui, aujourd’hui, fait se pâmer les antilibéraux, dont 

Michel Onfray qui dénonce le « libéralisme que droite et gauche incarnent en se succédant au pouvoir depuis Pompidou ».
 
Le discours du Maréchal Pétain et les petits cailloux idéologiques qu’il a semés m’inspirent une autre réflexion : l’antilibéralisme (on ne précise jamais « économique », vous le remarquerez) rime en réalité toujours avec l’antilibéralisme politique. Il suffit de voir qui l’incarne aujourd’hui. Mais surtout, les antilibéraux ont toujours réclamé un « État fort » nécessaire pour soi-disant briser l’échine du marché. La Vème République n’a pas dérogé, de ce point de vue. Il faut relire « le coup d’État permanent » d’un certain François Mitterrand pour nous rendre compte dans quel État de droit nous vivons.
 

(Sur plusieurs de ces points, un petit livre à lire que Jean-Marc Vittori –merci à lui- a chroniqué dans les Echos : « la société de la défiance. Comment le modèle français s’autodétruit » par Yann Algan et Pierre Cahuc. Éditions ENS/rue d’Ulm, 102 pages, 5 euros).

Jean-Marc Vittori

De Wikiberal
 
Jean-Marc Vittori, né en 1958, est un journaliste français, éditorialiste au journal économique Les Échos depuis 2003. Il écrit généralement sur la macro-économie et la théorie économique.
Avant de rejoindre Les Echos, il a également exercé dans d'autres journaux économiques tels Challenges, L'Expansion (qu’il a dirigé en 2001-2002) ou Le Nouvel Économiste.
Il défend généralement des idées proches d'un libéralisme classique assez interventionniste.
Il est diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d'une maîtrise ès sciences économiques (Paris I).
Dans L'effet sablier, il pronostique la fin des classes moyennes. La pyramide devient un sablier. Il analyse les forces à l’œuvre, qui expliquent cette "fin du milieu" : le rôle de l'ordinateur et d'Internet, et la disparition du modèle pyramidal dans l'organisation des entreprises et dans leur production.
Il est en général critique à l'égard de la France, qui refuse de se réformer. Ainsi, examinant les "grands leviers qui existent pour accroître le pouvoir d’achat" :
Viennent ensuite les impôts et cotisations sociales payées par les ménages. Ici la masse est énorme. Près de 300 milliards d’euros de cotisations sociales, près de 160 milliards d’impôts sur le revenu et le patrimoine... (...) Là encore, la vraie solution est bien connue : c’est la réforme de l’État. D’autres pays y sont arrivés. En France, il reste encore du pain sur la planche. (Dictionnaire d’économie à l’usage des non-économistes)
Si nous voulons vraiment comprendre le monde d’aujourd’hui, il est urgent de dépasser le cliché d’une économie triste ou horrible. L’économie, c’est d’abord des histoires d’hommes et de femmes qui produisent, échangent, consomment et rêvent. C’est ensuite des entreprises, des objets, des institutions publiques, des lieux. C’est enfin des idées, des penseurs, des concepts. 
« La révolution de l’information débouche sur une organisation radicalement différente à la fois du travail et de la société. Au cœur, il n’y a plus l’usine mais le projet. » 

 

Réflexions sur l’antilibéralisme, cette obsession française

Nicolas Lecaussin : 
 
« En France, le mot 
“social” est la clef de la réussite politique, 
alors que le mot “libéral” est tabou »
Pour de nombreux Français, le libéralisme est la cause de tous les maux de la planète et l’origine, surtout, de tous leurs malheurs. Les politiques l’ont très bien compris, car tous les candidats (une dizaine) à l’élection présidentielle de 2012 ont fait campagne contre le libéralisme économique (pardon, il faut dire « ultralibéralisme » ou « libéralisme sauvage »). C’est une position typiquement française que l’on ne rencontre pas chez nos partenaires européens, chez lesquels l’un des candidats au moins se déclare « libéral ».
 
En France, augmenter les impôts et les dépenses sous-entend faire de la « politique sociale ». En France, le mot « social » est la clef de la réussite politique, alors que le mot « libéral » est tabou, car il risquerait de nuire à toute carrière politique. Durant les dernières années de sa présidence, Nicolas Sarkozy a tout fait pour que l’on n’accole pas cette étiquette à son image. « Je ne suis pas le Président des riches », répétait-il à longueur de journée, en démontrant qu’il était favorable à une politique « sociale » mais pas « libérale ». Dans la France antilibérale, Nicolas Sarkozy est resté comme le Président libéral. Quelle méprise ! Parti avec de belles intentions pour réformer la France, l’ancien Président n’aura finalement réalisé qu’une sorte de « perestroïka » à la française, qui a échoué tout en décrédibilisant le libéralisme et ses réformes. Il était aussi peu attaché à la politique de Margaret Thatcher que ne l’est François Hollande à celle de Tony Blair.
 
Synonyme d’une accusation terrible et inexcusable
L’antilibéralisme n’est pas un phénomène étudié, bien qu’il soit extrêmement répandu en France. Les antilibéraux se rassemblent en un pot-pourri complet (vous verrez, cher lecteur, la liste en est inépuisable…). Dans le monde politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par la gauche, le centre et la droite, les idées antilibérales sont omniprésentes. Etre « libéral » est devenu le synonyme d’une accusation terrible et inexcusable, tandis que l’adjectif « libéral » est l’insulte suprême. Les économistes sont en France, à quelques exceptions près, des antilibéraux convaincus et ne s’en cachent pas. Et que dire des intellectuels, de gauche et de droite, en général, qui ont toujours fait de l’antilibéralisme leur principal cheval de bataille. Après avoir fait semblant d’oublier les inepties marxistes, nos « élites » ont décidé de se consacrer à la lutte contre l’« ultralibéralisme » et le « capitalisme sauvage ». La crise de 2008-2009 les ayant revigorés, nombreux sont ceux qui reviennent aux vieilles lunes de la lutte des classes et de l’exploitation des ouvriers. Et même si les médias ont beaucoup évolué depuis les années 1990-2000, certains sont encore ancrés dans leurs certitudes « sociales » et « étatistes ». Cependant, Internet et le câble ont amené un changement de cap, qui a permis la création de nombreuses chaînes de télévision, car bien entendu, la ligne éditoriale ne pouvait rester totalement figée.
 
Le rejet de la mondialisation, principal fonds de commerce du FN
Mais en dépit de ces changements, il faut dire que certains réflexes idéologiques perdurent : les dérèglements économiques et financiers ont été présentés, par tous, comme les principales causes de la crise que nous continuons à vivre ; alors que l’Etat, avec ses interventions et ses réglementations, était présenté comme le remède. Une entente tacite s’est faite sur les origines de cette crise et les thérapies à y appliquer. Le traitement par le libéralisme a été écarté à l’unanimité, et le plus souvent, on s’obstine encore à appliquer les mêmes recettes que par le passé : hausses des impôts et interventions de l’Etat, alors que celles-ci ont largement montré leurs limites. Il est de fait que, plus on dépense pour « la lutte contre le chômage », plus celui-ci augmente. De même, plus on donne de l’argent pour la politique de la ville, plus les problèmes des banlieues deviennent insolubles. Plus on tente de faire du « logement social », plus les Français ont des difficultés à se loger. On crie aux conséquences « néfastes » de l’immigration et l’on met en cause le libéralisme, comme le fait le Front national, alors que c’est l’Etat-providence qui en est le responsable !
 
L’antilibéralisme a bien nourri aussi le Front national, car avec son rejet de la mondialisation, c’est son principal fonds de commerce aujourd’hui. Il n’existe aucun autre parti dont le discours soit plus étatiste, plus antilibéral et plus antimondialiste que celui du FN. A l’inverse, ces dogmes n’occupent pas en priorité l’esprit des autres principaux partis populistes européens. Le PVV néerlandais, dirigé par Geert Wilders, est obsédé par exemple par la condamnation du Coran, mais sur l’un des murs de son bureau, il y a tout de même un portrait de Margaret Thatcher. Tandis que l’UKIP britannique, bien qu’anti-européenne, se prononce fermement en faveur d’une zone de libre-échange. Quant au Parti du progrès en Norvège, il est entré au gouvernement et son chef en est devenu le ministre des Finances.
 
Bizarre modèle qui produit 
des millions de chômeurs…
« Je ne suis pas gagné par le libéralisme, c’est tout le contraire, puisque c’est l’Etat qui prend les initiatives », a affirmé François Hollande de son côté, lors de la conférence de presse du 14 janvier dernier. Comme si le libéralisme était une maladie contagieuse et que l’Etat était le seul recours pour s’en débarrasser ! Le paradoxe en France, c’est que plus l’Etat se montre impuissant, plus on fait appel à lui, en rejetant les remèdes libéraux ! D’ailleurs, toutes les catastrophes de l’Etat sont imputées à l’économie de marché. On défend même certains privilèges au nom de l’antilibéralisme. Et lorsqu’un ministre de la Culture a la volonté de réformer le statut des intermittents du spectacle, il est accusé d’être « le valet du libéralisme ». François Hollande s’est aussi vite empressé de rappeler que le modèle social français n’était pas « négociable » (ce qu’a fait comprendre aussi Manuel Valls). Bizarre modèle qui produit des millions de chômeurs et fait fuir à l’étranger des dizaines de milliers de Français.
 
Une partie de la droite française 
dans l’ornière étatiste
Lorsque l’UMP propose, fin décembre 2013, quelques réformes, bien timides par rapport à celles que d’autres pays ont engagées, la gauche au pouvoir crie à l’attaque par libéralisme interposé. « Le programme de l’UMP est thatchérien », ose affirmer Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national u-du PS (interview accordée au Parisien du 29 décembre 2013). En France, Margaret Thatcher est vouée aux gémonies, alors que le dictateur Hugo Chavez est encensé. Pour Victorin Lurel, notre ministre des pays d’Outre-Mer : « Chavez, c’est de Gaulle plus Léon Blum. » Mais le programme économique de l’UMP fait peur aussi à ses propres membres : Alain Juppé et François Baroin. Ces deux derniers le jugent trop « libéral ». Pourtant, il ne s’agit pas d’un épouvantail libéral : fin des 35 heures, baisse des charges et de la dépense publiques (130 milliards d’euros sur 5 ans seulement). C’est une partie de la droite française qui s’enfonce dans l’ornière étatiste, laquelle paralyse et condamne la France depuis tant d’années.
 
Mais même Pierre Gattaz, président du Medef, affreusement caricaturé chez Les Guignols de l’info en paranoïaque ultralibéral, n’hésite pas à prendre ses distances à l’égard d’un libéralisme économique qui fait peur et dont les conséquences, selon ses détracteurs, pourraient être catastrophiques : « Je ne suis pas un libéral suicidaire » (Les Echos, 20 janvier). Quand des affaires terribles éclaboussent les plus hautes sphères de l’Etat et de nombreux politiques (ceux-là mêmes qui nous donnent des leçons de morale et veulent réguler le capitalisme), on continue à s’en prendre au libéralisme économique.
 
La France isolée 
face à la « dictature libérale »
Un autre paradoxe de cette obsession antilibérale française, c’est que celle-ci perdure au moment où, partout ailleurs dans le monde, les idées libérales gagnent du terrain. Depuis la chute du communisme, en effet, la très grande majorité des Etats sur la planète a choisi son camp : celui de la démocratie libérale. En France, on continue à croire au mythe de la « dictature néolibérale » et l’on se méfie de la mondialisation qui « appauvrit » les pauvres et enrichit les riches. On exècre aussi le pouvoir imaginaire des multinationales, lesquelles seraient devenues plus puissantes que les Etats ; enfin, on se protège de la « main invisible » du marché (je n’ai jamais compris que l’on puisse accuser cette chose que l’on ne voit pas). Mais pourquoi cette obsession ! ?
 
Car je refuse de croire aux thèses invoquant la tradition étatiste et égalitariste de la France. C’est vrai, nous avons eu la Révolution, mais on oublie trop souvent qu’elle était libérale à l’origine et qu’elle encourageait la propriété privée en initiant de vraies réformes économiques. On cite Colbert, de Maistre, Rousseau, Maurras Certes ! Mais il y a eu aussi Turgot, Constant, Tocqueville, Bastiat, Say.
On peut dire que l’explication par des origines intellectuelles ne tient pas à l’examen des faits. Je pense en revanche qu’il existe chez les Français, peut-être dans leurs gènes, une forme d’antilibéralisme tenace. Elle peut s’expliquer d’abord par la peur de la concurrence et des libertés économiques. Napoléon III, en 1860, a dû se battre pour signer le traité de libre-échange avec l’Angleterre. Les ministres et les industriels, n’en voulant pas, l’accusaient d’être le « fossoyeur de l’industrie française » (Arnaud Montebourg dirait la même chose aujourd’hui). En fin de compte, le traité a été signé dans le plus grand secret.
 

Alain Madelin : «Les Français n’ont pas l’offre libérale qu’ils méritent»

Les Français plébiscitent l'Etat dans son rôle régalien
 
Ainsi, contrairement à l’opinion médiatiquement dominante, les Français sont libéraux. Le libéralisme sort en tête. Loin devant le socialisme, la droite ou la gauche. D’autant plus remarquable que ce sondage intervient au lendemain d’une crise majeure où – fort injustement – le libéralisme a été mis au banc des accusés et où les leaders politiques censés être les plus libéraux ont proclamé le « retour de l’État », multiplié interventions et dépenses publiques, légitimé le protectionnisme et fait l’éloge des frontières. 
 
 
 
Cela étant, ce libéralisme instinctif des Français apparaît bien confus. Certes, plus de deux Français sur trois pensent que le droit de propriété ou la liberté d’expression sont bien garanties en France. C’est un peu moins pour la liberté d’entreprendre (et encore moins pour les entrepreneurs qui vivent les limites de cette liberté). Cela pourrait être mieux pour une France qui se dit volontiers la patrie des droits de l’Homme et où 27 % disent aimer l’entreprise, 96 % l’initiative et 94 % la responsabilité.
 
Les Français disent aimer presqu’autant  l’Etat que le libéralisme. Certes, l’Etat qu’ils semblent privilégier, c’est d’abord l’Etat régalien. Celui qui assure la sécurité des personnes et des biens – un Etat défaillant pour 56 % des Français – ou l’égalité devant la loi et la Justice – défaillant pour 66 % des Français. Un Etat dont trois Français sur quatre voudraient sans doute aussi qu’il assure la protection des données sur Internet, plutôt que de généraliser et banaliser les écoutes. 
 
Mais s’ils semblent rejeter massivement l’Etat providence, les Français disent aussi à 55% souhaiter que l’Etat intervienne davantage en matière économique. Contradiction ? Manifestement, il y a un besoin de protection et un attachement aux services publics que - le sondage le montre – les Français n’ont guère envie de voir privatiser. Fort heureusement, au-delà d’une telle opposition entre public et privé, il existe des techniques de délégation de service public ou de concession qui permettent de mettre l’efficacité du privé au service des missions d’intérêt général et d’offrir une liberté de choix. 
 
Il serait intéressant de sonder les Français sur des propositions libérales concrètes, sur des libertés d’agir ou de choisir, choisir l’école de ses enfants, faire ses courses le dimanche, proposer des services concurrents des services publics avec les mêmes contraintes… On y retrouverait sans doute deux Français sur trois. Le problème, c’est que s’il y a une attente de libéralisme, il n’existe pas aujourd’hui d’offre politique libérale.
 

Alain Madelin

De Wikiberal
 
Alain Madelin est un homme politique français, né le 26 mars 1946 à Paris (XIIe arrondissement).  
Fils de Gaétan Madelin, ouvrier spécialisé de Renault et d'Aline, femme de ménage, il passe son enfance à Belleville, à Paris.
Choqué par les accords d'Évian, il s'engage dès ses 16 ans pour la cause nationaliste et devient famillier des bagarres avec les militants d'extrême gauche. En 1963 il est à la Fédération des Etudiants Nationalistes où il est responsable de l'action militante, il sera blessé à l'entrée du lycée Turgot dans une bagarre entre lycéens communistes et membres de la FEN. En 1964, alors qu'il étudie le droit à Assas, il est l'un des fondateurs du mouvement Occident, mouvement étudiant d'extrême droite, avec Gérard Longuet et Patrick Devedjian. Revenant sur cette époque, il déclare qu'il s'agit d'un
«anticommunisme militant, extrême et passionné, qui a accompagné une bonne partie de ma vie d'étudiant. Et comme à ce moment-là, la France de l'anticommunisme était marginalisée, nous avons été systématiquement confinés à l'extrême droite. En face, ils étaient pour Mao et Pol Pot, pour les Gardes rouges et pour les Khmers rouges. Je ne regrette pas de ne pas avoir choisi ce camp-là. »
Le 12 janvier 1967, Occident opère une action commando contre des militants d'extrême gauche qui distribuent des tracts à la faculté de Rouen. Le commando, dont fait partie Madelin, laisse sur le carreau, cinq blessés, dont un grave, crâne fracturé et même percé d'un coup de clé à molette. Ironie du sort, ce blessé grave n'est autre qu'un futur journaliste du Monde : Serge Bolloch.
Les militants d'Occident affrontent les manifestants de mai 68 ; à l'issue de la crise le groupuscule est dissous.
À l'automne 1968, Alain Madelin retourne à la faculté de droit d'Assas, et adhère aux Républicains indépendants de Valéry Giscard d'Estaing. Il obtient une licence de droit. L'avocat prête serment en 1971, mais ne coupe pas vraiment les ponts. Il travaille dans différents instituts et organismes patronaux, notamment avec Georges Albertini, un ex-lieutenant du collaborationniste Marcel Déat, qui fut un des derniers ministres du maréchal Pétain.
Il intègre l'état-major de Valéry Giscard d'Estaing, qui est élu président en 1974. (idem en 1981)
En 1978, Alain Madelin est élu député d'Ille-et-Vilaine et devient vice-président du Conseil régional de Bretagne ; il fait sensation en arrivant sans cravate dans l'hémicycle.
Lorsque la droite gagne les élections législatives en 1986 et que débute la première cohabitation, Jacques Chirac le nomme ministre de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme. Le scénario se répète lorsque la droite gagne les élections législatives en 1993 et qu'Édouard Balladur, premier ministre de la seconde cohabitation, nomme Alain Madelin ministre des Entreprises et du Développement économique.
Son passage laisse deux traces notables : d'une part les contrats de retraite dit « Madelin », permettant aux non-salariés de se constituer une retraite par capitalisation ; d'autre part une simplification des démarches de création d'entreprise, avec la mise au point du statut d'entreprise unipersonnel (EURL et EARL).
En 1995, Alain Madelin est élu maire de Redon.
Lorsque l'UDF se range derrière Édouard Balladur à l'élection présidentielle de 1995, il choisit de soutenir Jacques Chirac. Élu, ce dernier le nomme ministre de l'Économie et des Finances mais ses positions le mènent à la démission au bout de trois mois et il est remplacé par Jean Arthuis. Lors de son passage au ministère il ne fait pas montre d'un libéralisme excessif : il approuve une hausse importante des impôts ; il signe avec d'autres ministres la "loi anti-Reichman", destinée à empêcher les gens de s’assurer librement en-dehors de la sécurité sociale (loi jamais été appliquée en l'état, et rapidement remaniée, puisque contraire aux dispositions communautaires).
À la victoire de la gauche en 1997, il prend la tête du Parti républicain. À l'été 1997, il renomme ce parti en Démocratie Libérale.
Il se présente à l'élection présidentielle de 2002, mais ne parvient pas à atteindre le seuil de 5% des voix qui lui permettrait de se faire rembourser ses frais de campagne : financièrement acculé, il rejoint avec son parti l'UMP en 2002.
Avec Henri Lepage, il a fondé dans les années 90 le (futur cyber) Institut Euro 92, qui constitue depuis lors une réserve inestimable d'articles portant sur des sujets aussi variés que la monnaie, l'environnement, la santé, ou encore l'histoire des idées libérales.
Il a continué à prendre part à la vie intellectuelle française avec les cercles libéraux.
Il est aujourd'hui avocat au barreau de Paris, divorcé, et a trois enfants.
Depuis novembre 2007, il préside le Fonds mondial de solidarité numérique créé en 2005 sous l'égide du Président sénégalais Abdoulaye Wade.

 
 Vision de Jean Quatremer
 
Le droit du travail est le résultat d'un rapport de forces, la sécurité sociale est lié à la Résistance et à la puissante armée communiste qui aurait pu déclencher une guerre civile. L'avortement, c'est aussi le résultat d'une lutte (lisez les mémoires de Simone Veil), je vous rappelle que mai 68 était passé par là et que VGE après Chaban a compris qu'il fallait donner de nouveaux droits aux citoyens. L'Etat, naturellement, est oppressif. Ces temps-ci, il le devient de plus en plus car les citoyens le demandent massivement, de la lutte anti-immigration clandestine à l'antiterrorisme.

ll est urgent de relire Marx (dont l'analyse de l'Etat et de l'économie reste pertinente) et les auteurs libéraux! Qu'est-ce que l'Etat? Que représente-t-il? Le bien en soi? Evidemment pas. L'Etat, ce sont des individus issus des classes privilégiées (elles sont étendues aujourd'hui, je le reconnais). Regardez ce que vient de faire Sarkozy: 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus aisées sous les applaudissements béats des foules. L'Etat, donc, accorde-t-il des droits aux plus démunis juste pour leur faire plaisir? Non, c'est le résultat de luttes sociales, d'un rapport de force. Les conquêtes sociales ont été arrachées les unes après les autres par des citoyens, des individus décidés à se battre et à se montrer solidaire. Le libéralisme, ce n'est pas l'amour du "privé", cela n'a rien à voir. Ce n'est pas non plus le chacun pour soi. Le libéralisme, ce n'est pas l'hyper marché (si j'ose dire), où le plus fort l'emporte toujours. L'Europe est une société libérale où l'Etat joue le rôle d'arbitre. Mais il n'arbitre en faveur des plus démunis que si on lui tort le bras.
 


Schuman a voté avec les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain avec 568 autres députés. Et la quasi totalité de l'administration lui a prêté serment. Tout comme François Mitterrand... Le traumatisme du pétinisme est profond en France. Cela étant, les hommes qui ont fait l'Europe, si ma mémoire est bonne, ont tous participé à la Seconde guerre mondiale dans un camp ou dans l'autre, voire dans les deux... Ce n'est pas de cela dont il est question dans ce post, mais des racines de l'antilibéralisme français.

L'Allemagne, par exemple, a inventé bien plus tôt que la France la sécurité sociale, et les trusts allemands contrôlaient largement l'économie (c'est pour cela qu'il y a des articles antitrusts dans le traité CECA et dans le traité CEE: il a fallu que Konrad Adenauer force la main de son ministre des finances pour les faire accepter). Les Allemands et les Français ont, en outre, tiré des leçons radicalement différente de la guerre: méfiance vis-à-vis de l'Etat central en Allemagne, dont la puissance a été rendu responsable de la guerre, renforcement de l'Etat en France dont la faiblesse a été rendu responsable de la défaite. "L'antilibéralisme" est minoritaire en Allemagne, pas en France où même la droite répugne à se dire "libérale".

Rédigé par: Jean Quatremer

Psychanalyse de l'antilibéralisme : les Français ont -ils le droit d'avoir peur?

 Le débat intellectuel et public français cherche ses nouveaux repères. Après l'échec des régimes communistes, les idées marxistes sont aujourd'hui frappées de discrédit. Leur emprise s'est relâchée : les substituts altermondialiste ou populiste ne sont pas les seules alternatives. En réalité, le nouveau contexte libère l'espace de la pensée politique en autorisant la remise au débat du libéralisme. La France se déclare quasi unanimement anti-libérale dans un monde devenu libéral. L'antilibéralisme, ce véritable ciment d'une idéologie française, vient à nouveau d'être illustré par le rejet du référendum constitutionnel et du contrat de première embauche censé apporter une réponse à la grave crise du chômage des jeunes. Pourtant, la plupart de ses gouvernements, de gauche comme de droite, ont conduit, sans parfois oser l'avouer, nombre de réformes inspirées par le libéralisme - à commencer par l'adhésion à l'Europe et à ses règles. Pourtant, inventé par la France au Siècle des Lumières, le libéralisme irrigue profondément les racines de notre Révolution et de notre République, se distinguant de sa définition anglo-saxonne. En éclairant son passé et en lui restituant son importance, c'est toute l'histoire de notre démocratie qui pourra apparaître sous un jour nouveau. Le divorce entre l'opinion française et le libéralisme paraît ainsi relever d'un vaste malentendu qu'il faut aujourd'hui dissiper. Que s'est-il donc passé ? De quelles frustrations ce paradoxe est-il révélateur ? Comment le libéralisme, synonyme de la gauche progressiste en France jusqu'au début du XIXe siècle - et encore aujourd'hui presque partout ailleurs que chez nous - s'est-il trouvé rejeté à la droite - voire à l'extrême droite - de notre échiquier politique ? Comment notre société s'est-elle édifiée un aussi monumental tabou ? Le moment est venu de faire la psychanalyse de cette peur irraisonnée qui gangrène depuis trop longtemps la pensée politique de notre pays. Pour s'implanter durablement dans notre pays, le libéralisme doit redevenir populaire.
(date de publication : septembre 2006) 

Voir aussi: 
https://www.contrepoints.org/tag/antiliberalisme
 

Antilibéralisme

De Wikiberal
 
Le terme d'antilibéralisme désigne un ensemble de courants politiques hétérogènes, réunis par l'opposition aux idées libérales. 
Les alternatives proposées sont différentes, et rejoignent en général les courants de pensée ou tendances suivants :
Ludwig von Mises s'est intéressé à la « psychologie de l'antilibéralisme » dans Libéralisme (1927) [1]. Il distingue deux causes :
  • le ressentiment, la jalousie sociale, qui va jusqu'à préférer une misère uniformément répartie aux inégalités sociales existantes, car il serait indécent d'être riche quand il y a tant de pauvres ;
  • le fantasme névrotique, conséquence sans doute d'un échec personnel, d'une insatisfaction, d'une ambition déçue, qui pousse l'antilibéral à se réfugier dans un « monde meilleur », sur la base d'un discours politique plus ou moins utopique (altermondialiste, marxiste, nationaliste, écologique)... C'est ainsi que le messianisme marxiste fait miroiter l'utopie d'une société égalitaire, d'un pays de Cocagne où tout est abondant, où le travail se fait dans la joie, etc. Le « mensonge salvateur » permet à l'antilibéral de droite ou de gauche de supporter l'état de choses actuel, tout en lui fournissant un certain nombre de boucs émissaires commodes qui le déchargent de sa responsabilité : c'est la faute de la société, des riches, des apatrides, des étrangers, des entreprises, etc.
L'historien Pierre Rosanvallon emploie le terme d'illibéralisme pour désigner les régimes de pouvoir fort (Second Empire, Cinquième République). Il considère que c'est le bonapartisme qui est « la quintessence de la culture politique française », « la clef de compréhension de l’illibéralisme français ».

octobre 17, 2014

L'Illibéralisme français, un semblant d'explication!

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Sommes-nous sortis de cette culture illibérale ? Bien des éléments de notre actualité politique ou socio-économique sont là pour conduire à donner une réponse négative à cette question. Mais ce serait peut-être déjà beaucoup que d’avoir progressé dans la compréhension de ses termes.
Par Pierre ROSANVALLON, dans "Fondements et problèmes de l' "illibéralisme" français"
 
 
 
Voici ci-dessous l'historique de cette vision illibérale que bon nombre de français sont inconsciemment victime, tout comme nous autres, libéraux à devoir en permanence leur expliquer, tout du moins tenter de le faire. Pourrions-nous penser que les causes ne soient uniquement liées d'une part par rapport à une éducation judéo-chrétienne, d'autre part par une idéologie collectiviste; certes nous en sommes arrivés  et adaptés de part ces deux raisonnements. Cependant quelle évolution a permis d'en arriver à ce jour en cette situation? Les libéraux n'en serait ils pas aussi la cause, différentes mouvances qui se sont constituées, bien souvent respectivement radicalisées. Qu'est-ce donc cette notion "illibérale"?
 
On appellera " illibérale " une culture politique qui disqualifie en son principe la vision libérale. Il ne s’agit donc pas seulement de stigmatiser ce qui constituerait des entorses commises aux droits des personnes, marquant un écart plus ou moins dissimulé entre une pratique et une norme proclamée. Le problème est plus profondément de comprendre une étrangeté constitutive.

On peut caractériser en une première approximation l’illibéralisme de la culture politique française par sa vision moniste du social et du politique ; une de ses principales conséquences étant de conduire à une dissociation de l’impératif démocratique et du développement des libertés. Formulé dans ces termes très généraux, le constat n’est pas en lui-même très original. Il est même d’une certaine façon parfaitement banal. Mais c’est justement cette banalité qui fait problème, repliée qu’elle est généralement sur la dénonciation paresseuse d’un " jacobinisme " chargé de tous les maux. Cornélius Castoriadis disait un jour que le danger que la " langue de caoutchouc " faisait courir à l’intelligence était aussi menaçant que celui de la " langue de bois ". On est tenté de l’approuver quand on considère l’usage appauvrissant et vague qui est fait de cette notion de jacobinisme. Cette dernière a surtout pour inconvénient de marquer un point d’arrêt de la réflexion, de la clore dès son commencement en instituant une sorte de péché originel de la politique française dans lequel s’abîmeraient platement ses malheurs aussi bien que ses dévoiements.


Il vaux mieux aller plus profond et penser avec Tocqueville que c’est dans un lien trouble entre le vieux et le neuf que se sont nouées les idiosyncrasies nationales. Mais ce n’est, par contre, peut-être pas dans les termes d’une continuité, telle que l’expose l’auteur de
L’Ancien régime et la Révolution qu’il faut considérer ce rapport. Il s’agit plutôt d’une figure d’opposition-incorporation. Le monisme français apparaît dans cette perspective comme le produit en tension d’un rationalisme politique et d’une exacerbation de la souveraineté, paradoxalement également critiques l’un et l’autre de l’absolutisme monarchique. Essayons de le montrer.
 
 
 
I – Le rationalisme politique à la française comme illibéralisme

Dans la plupart des pays, l’élargissement du droit de suffrage a été indexé sur les progrès du gouvernement représentatif. L’histoire du suffrage universel, en d’autres termes, s’est inscrite dans une histoire des libertés. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, la lutte contre l’absolutisme se traduit ainsi par une demande d’amélioration des procédures de représentation politique. Rien de tel dans la France du XVIIe. C’est d’abord au nom d’un impératif de rationalisation que s’instruit le procès de la monarchie absolue. L’œuvre des physiocrates exprime remarquablement, au milieu du XVIIIe siècle, la nature et les fondements de cette approche, que Turgot et Condorcet incarneront après eux. La liberté ne procède pas pour eux d’une protection de la loi positive mais d’une organisation conforme à la nature (l’oppression prenant à l’inverse nécessairement sa source dans les égarements de la volonté humaine). Cette vision de la liberté dans son rapport à la loi repose sur une épistémologie de la connaissance centrée sur la notion d’
évidence. Le point est fondamental.

L’évidence exprime en effet la généralité, au-delà donc de toutes les discordes, les équivoques, les indéterminations, les particularités. " Quand les hommes sont malheureusement privés de l’évidence, écrit Le Mercier de la Rivière, l’opinion proprement dite est le principe de toutes forces morales : nous ne pouvons plus alors ni connaître aucune force, ni compter sur elle. Dans cet état de désordre nécessaire, l’idée d’établir des contre-forces pour prévenir les abus arbitraires de l’autorité souveraine, est évidemment une chimère : l’opposé de l’arbitraire, c’est l’évidence ; et ce n’est que la force irrésistible de l’évidence qui puisse servir de contreforce à celle de l’arbitraire et de l’opinion ". Les physiocrates sont sur ce point des disciples de Malebranche. Ils ont lu et médité
De la recherche de la vérité et s’appuient sur son auteur pour disqualifier la volonté et l’opinion. C’est un moyen commode de déplacer ou d’éviter le problème de l’auto-institution du social. Devant l’évidence, nécessité et volonté fusionnent en effet. "L’évidence doit être le principe même de l’autorité parce qu’elle est celui de la réunion des volontés ", dit Le Mercier. Elle est l’équivalent du principe d’unanimité, forme de la raison universelle. C’est un mode d’accès à la vérité et à l’intérêt général qui n’implique aucunement la délibération ou l’expérimentation.

Le " libéralisme " à la française articule ainsi de façon très particulière le culte de la loi et l’éloge de l’État rationalisateur, la notion d’État de droit avec celle de puissance administrative. L’avènement d’un État rationnel constitue dans cette perspective une condition de la liberté : loi, État et règle générale finissent par se superposer. Dans le seconde moitié du XVIIIe siècle, ce rationalisme politique ne constitue pas seulement une doctrine, il trouve un point d’appui et une forme de mise en œuvre dans les transformations concrètes de l’appareil administratif. Après 1750, le vieux monde des officiers commence en effet à reculer devant l’ascension des commissaires, marquant une inflexion décisive dans l’évolution de l’administration vers une organisation moderne. Le despotisme éclairé et le libéralisme à la française trouvent un terrain de rencontre ambigu dans un tel processus de rationalisation de l’appareil d’État, laissant vide l’espace intellectuel occupé par le libéralisme anglais.


C’est à partir de là qu’il faut comprendre l’hostilité latente à Montesquieu, à qui beaucoup reprochent de s’appuyer sur des principes " gothiques " pour combattre l’absolutisme. C’est aussi à partir de là qu’on peut analyser le rapport des Lumières françaises à l’Angleterre ou à l’Amérique.


Si les fruits du régime anglais – la tolérance et la liberté – sont unanimement appréciés, les principes sur lesquels il repose sont loin de recueillir le même assentiment. Il ne faut pas se tromper sur l’anglophilie des Lumières : elle est politique et non philosophique, comme en témoignent bien les
Lettres anglaises de Voltaire. De la même façon, les Lumières ont soutenu l’émancipation américaine tout en prenant rapidement leurs distances vis-à-vis de l’œuvre constitutionnelle des Américains, trouvant qu’elle restait trop marquée par l’esprit de la " Common law " anglaise et de la balance des pouvoirs. Dans sa fameuse lettre au Docteur Price (22 mars 1778), Turgot reproche ainsi à ce dernier de rester prisonnier des " bases fausses de la très ancienne et très vulgaire politique ". L’opposition entre le rationalisme à la française et le libéralisme anglais trouve plus tard sa formulation classique dans les notes que Condorcet et Dupont de Nemours ajoutent en 1789 à la traduction française de l’ouvrage de Livingston, Examen du gouvernement d’Angleterre, comparé aux constitutions des États-Unis. Les deux philosophes français y exposent de façon très claire les fondements de leur hostilité au parlementarisme à l’anglaise. L’existence du Parlement, argumentent-ils, ne garantit aucunement la protection des individus. " Le mal d’un gouvernement arbitraire, insistent-ils, n’est pas dans celui qui l’exerce ; il est dans l’arbitraire ". Le Parlement, en effet, peut tout autant qu’un monarque absolu prendre des résolutions dommageables. Il y a certes d’excellentes lois en Angleterre, " mais ces lois sont accidentelles. Elles ne tiennent pas à la Constitution britannique ". L’autorité législative doit être strictement limitée à leurs yeux. " Les nations et les philosophes ont encore des idées très confuses sur l’autorité législative, notent-ils. L’autorité de faire toute espèce de lois, même celles qui seraient absurdes et injustes, ne peut être délégués à personne ; car elle n’appartient même pas au corps entier de la société ". Ils retrouvent là l’essentiel des arguments de Quesnay et de Le Mercier de la Rivière.

Le principe libéral de protection des personnes et des biens ne s’appuie aucunement sur le développement des procédures représentatives dans cette conception ; il trouve un enracinement suffisant dans l’édification d’un pouvoir Un et Raisonnable. Il n’y a guère de place également pour la représentation dans un tel dispositif et l’idée de droit de suffrage est même absolument étrangère à cet univers. La discussion entre gens éclairés d’où germe la Raison suffit à produire les conditions de la liberté. " Que signifie ce nom de
représentation ? demande par exemple Suard. Qu’est-ce que des représentants peuvent représenter sinon l’opinion publique ? Que les débats naissent donc et qu’ils durent tant que cette opinion est incertaine […]. On ne se divise en partis ni à la vue d’une partie d’échecs, ni à la lecture de deux solutions du même problème de géométrie ". Louis Sébastien Mercier reprend aussi ce thème dans L’an 2440. " Les États généraux que nous avons perdus, écrit-il, sont remplacés par cette foule de citoyens qui parlent, qui écrivent et qui défendent au despotisme d’altérer trop considérablement la constitution libre et ancienne des Français ". Au modèle anglais de la protection des libertés par l’existence de contre pouvoirs issus de la représentation politique des principales forces sociales du pays, s’oppose ainsi au XVIIIe siècle le modèle du rationalisme politique à la française.

La liberté est ainsi pensée contre le libéralisme pour parler abruptement.


Ce rationalisme politique a-t-il été défait par l’éloge de la volonté qui marque la culture politique révolutionnaire ? Non. Il a plutôt subsisté
en tension avec l’idée de souveraineté du peuple. Car la tension des principes – l’évidence versus la volonté, la raison versus le nombre – a d’une certaine manière été dépassée dans une commune célébration de l’unité. C’est une même façon de penser la généralité comme totalité et d’en disqualifier tout mode d’appréhension pluriel. La façon de concevoir la souveraineté du peuple, pour dire les choses autrement, s’est appuyée sur la même vision du social que celle dont procédait l’éloge de l’État rationalisateur.

II – Une façon de penser l’intérêt général et la souveraineté qui disqualifie les corps intermédiaires


Dans son fameux discours sur le veto royal du 7 septembre 1789, Sieyès a eu les mots extraordinaires que l’on sait pour dénoncer le risque de voir la France transformée en une " chartreuse politique ". Pour accomplir l’œuvre révolutionnaire, il lui semblait, en effet, qu’il fallait ériger la nation en une puissance aussi compacte et indécomposable que l’avait été la puissance déchue du monarque. Ce principe d’opposition s’est ainsi doublé d’une véritable réappropriation, comme si le problème était finalement d’opérer une sorte de " régénération " de l’État rationalisateur (distingué du pouvoir absolutiste par sa capacité à la généralité). C’est ainsi cette culture réappropriée du rationalisme politique qui fait le lien entre le vieux et le neuf de la culture politique française. C’est donc naturellement autour d’une vision commune de l’intérêt général que se joue cette continuité. De Turgot à Le Chapelier une même disqualification des corps intermédiaires l’a sous-tendue.


" Il n’y a plus de corporations dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. " En résumant dans ces termes constamment cités le sens du fameux décret du 14 juin 1791 portant suppression des maîtrises et jurandes, Le Chapelier a bien suggéré la nature de la modification des rapports entre l’État et la société dont la Révolution marquait l’avènement.


L’anticorporatisme théorique de la culture politique révolutionnaire et les effets des dispositions juridiques de 1791 se sont conjugués pour conduire l’État à combler le vide de sociabilité et le déficit de régulation engendrés par la mise hors la loi des corporations, comme de toutes les autres formes de corps intermédiaires. Il est apparu comme la seule figure incarnant l’intérêt général en même temps qu’il résumait en lui la sphère publique. Il n’y avait pas de place pour l’idée associative dans ce contexte ou, du moins, y avait-il une contradiction insurmontable entre le principe libéral de la liberté d’association, reconnu en théorie, et le refus politique et philosophique de voir se constituer des formes d’organisations sociales pouvant prétendre incarner une certaine dimension publique. D’où le procès permanent en suspicion légitime de tous les corps intermédiaires instruit au XIXe siècle. " Toutes les corporations tendent à l’aristocratie ", disait-on pendant la Révolution, montrant à quel point la notion de privilège était alors étroitement associée à celle d’intérêt particulier. Les conditions de la rupture avec l’Ancien Régime, la simplification de l’opposition entre le vieux et le neuf ont alors conduit à une vision systématiquement négative des groupes de pression, entraînant une radicalisation de la séparation entre l’État et la société civile.


Cette philosophie de l’intérêt général a souvent été exposée. De là procèdent, on le sait bien, les réticences à reconnaître le fait syndical (il ne l’est formellement qu’en 1884) et les lenteurs pour organiser le droit d’association (en 1901). Tout a été dit d’une certaine façon sur ce point. Depuis deux siècles, les Français n’ont cessé d’entretenir un rapport particulièrement équivoque à l’idée d’intérêt général. La haine du corporatisme et la dénonciation des intérêts particuliers, en tant qu’ils symbolisent en 1789 l’Ancien Régime, ont induit dans notre pays une conception abstraite de l’intérêt général. D’où l’impossibilité française de le penser comme un compromis entre des intérêts particuliers, sur le mode anglais ou allemand, ce qui explique pour une large part le fait que la société française ait raté son rendez-vous avec la social-démocratie comme avec le libéralisme pluraliste.


Dans l’ordre politique, les hommes de 1789 avaient d’ailleurs appréhendé la question des partis dans le même esprit antipluraliste. Le 30 septembre 1791, à la veille de sa séparation, l’Assemblée constituante vote ainsi un dernier décret qui met hors la loi les sociétés populaires : " Nulle société, club, association de citoyens ne peuvent avoir, sous aucune forme, une existence politique. " Pour les hommes de 1789, les partis sont dans l’ordre politique l’équivalent des jurandes ou des corporations dans l’ordre économique : un écran perturbateur du bon fonctionnement social et de la poursuite de l’intérêt général. Fait significatif, c’est d’ailleurs le même homme, Le Chapelier, qui rapporte sur le décret du 30 septembre et qui avait été l’instigateur de la suppression des corporations le 14 juin 1791. Lorsqu’il présente le décret sur les sociétés populaires, Le Chapelier lie de façon très significative son projet à la situation politique, expliquant que les sociétés populaires ne s’étaient justifiées qu’en tant qu’instruments de conquête du pouvoir. " Tandis que la Révolution a duré, notait-il, cet ordre de choses a presque toujours été plus utile que nuisible. Quand une nation change la forme de son gouvernement, tout ce qui accélère une révolution doit être mis en usage. C’est une fermentation momentanée qu’il faut soutenir et même accroître […]. Mais lorsque la Révolution est terminée, alors il faut que tout rendre dans l’ordre le plus parfait. " Le raisonnement est partagé par tous les constituants, seule diverge l’appréciation que certains portent sur l’étape dans laquelle se trouve le processus révolutionnaire (Robespierre défend ainsi les sociétés populaires en notant : " Je ne crois pas que la Révolution soit finie "). Les hommes de la Révolution ne reconnaissent que la légitimité
temporaire de partis exprimant un antagonisme purement historique entre les forces de la réaction et celles du mouvement. Leur existence, en d’autres termes, n’est justifiée que dans une société qui n’est pas encore pleinement entrée dans la modernité post-révolutionnaire.
 
III – Le bonapartisme comme clef de l’histoire politique française

Ces analyses amènent à considérer le bonapartisme comme la quintessence de la culture politique française. C’est en effet en lui qu’ont prétendu fusionner le culte de l’État rationalisateur et la mise en scène d’un peuple-Un. Le bonapartisme est aussi pour cela la clef de compréhension de l’illibéralisme français. Il le radicalise, en effet, d’une certaine manière, en mettant brutalement à nu ses ressorts les plus profonds.


On ne peut se contenter pour cela de considérer le césarisme, celui du Second Empire tout particulièrement, comme un simple accident de l’histoire. Il ne marque pas un écart circonstanciel à une " bonne " démocratie française, faisant coexister de façon perverse le mépris des libertés avec une célébration – certes trompeuse – de la souveraineté du peuple.


Le césarisme ne se réduit pas à la coexistence fâcheuse de deux éléments. Le terme de démocratie illibérale n’est intéressant à utiliser que s’il ne se limite pas au caractère descriptif de son énoncé. Il est pour cela important d’approfondir la nature de la raison illibérale qui est à l’œuvre dans cette forme politique. Le trait marquant du césarisme est que les libertés publiques y sont réduites au nom même d’une certaine conception de l’exigence démocratique. Il ne s’agit donc nullement d’une simple contradiction qui serait ou non dissimulée. La démocratie illibérale est en ce sens une pathologie interne à l’idée démocratique. Elle procède de trois éléments que j’ai longuement analysés dans
La Démocratie inachevée. La prétention, d’abord, à réduire l’indétermination démocratique par une philosophie et une pratique de la représentation-incarnation. L’affirmation, ensuite, de l’illégitimité de toute définition du public qui déborde l’espace des institutions légales. Le rejet, enfin, de tous les corps intermédiaires politiques accusés de perturber l’expression authentique de la volonté générale. La démocratie illibérale radicalise bien de la sorte le monisme révolutionnaire tout en l’associant à une résolution utopique du problème de la représentation.

La République a-t-elle rompu avec cela en rétablissant les libertés et en écartant le spectre du pouvoir personnel ? Rien n’est moins sûr. La culture politique républicaine n’est à certains égards qu’un bonapartisme aseptisé et édulcoré.
 
 
De Wikiberal

Les différentes fonctions de l'État

Pierre Rosanvallon distingue quatre grandes fonctions de l'État:
Depuis la fin des années 80, l'État perd de son pouvoir pour plusieurs raisons:
  • Il se désengage de l'économie en privatisant les entreprises publiques, la Sécurité Sociale voit son rôle diminuer, la mondialisation augmente la contrainte extérieure et diminue le pouvoir d'intervention de l'État dans l'économie.
  • Il n'intervient plus autant dans la prise de décision publique, il perd son pouvoir « par le haut », avec la construction européenne; et son pouvoir « par le bas », avec la décentralisation.
Pierre Rosanvallon, né à Blois en 1948, est un historien, sociologue et intellectuel français. Ses travaux portent principalement sur l'histoire de la démocratie, et du modèle politique français, et sur le rôle de l'État et la question de la justice sociale dans les sociétés contemporaines1.
Il occupe depuis 2001 la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France2 tout en demeurant directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Il a été l'un des principaux théoriciens de l'autogestion associée à la CFDT. Dans son livre, L'âge de l'autogestion, il défend un héritage philosophique savant, venu à la fois de Marx et de Tocqueville, et annonce une « réhabilitation du politique » par la voie de l'autogestion.


Voir la vision aussi de Vincent Bénard,
(Institut Hayek), cliquez l'image

Le triste état du libéralisme Français

"L'image de la France, pays des lumières et des droits de l'homme, patrie de Voltaire, Tocqueville et Montesquieu, a encore la vie dure. Mais le fait est que la France est certainement aujourd'hui l'une des démocraties où les droits fondamentaux de l'individu, au sens de 1789, sont les moins bien respectés."

http://www.lecri.fr/wp-content/uploads/2009/09/Vincent-Benard.jpghttp://www.objectifliberte.fr/2010/08/le-triste-etat-du-liberalisme-francais.html
 
Powered By Blogger