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octobre 31, 2025

Alexis de Tocqueville, voyageur et acteur des révolutions libérales.

 

Abbatiale de Saint-Maixent-l’Ecole, Deux-Sèvres.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

Alexis de Tocqueville,

voyageur et acteur des révolutions libérales.

Par Françoise Mélonio, Michel Onfray

& Raymond Boudon.

 

 

Françoise Mélonio : Tocqueville, Gallimard, 2025, 624 p, 27 €.

 

Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, Œuvres II,

La Pléiade, Gallimard, 2001, 1232 p, 68,50 €.

 

Alexis de Tocqueville : Quinze jours au désert, Le Passager clandestin, 2011, 112 p, 16 €.

 

Michel Onfray : Tocqueville et les Apaches, Autrement, 2017, 208 p, 18 €.

 

Raymond Boudon : Tocqueville aujourd’hui, Odile Jacob, 2005 304 p, 29,90 €.

 

 

L’on croit connaître Tocqueville si l’on a dit qu’il est l’auteur de De la démocratie en Amérique, dans laquelle il fait l’éloge de la constitution et de la libre entreprise des Etats-Unis. Tout en s’interrogeant sur la passion démocratique de l’égalité qui peut conduire, via la tyrannie de la majorité et l’état tutélaire, à l’acceptation de la servitude. Mais qui est cet homme, comment est-il devenu le penseur et l’acteur des révolutions libérales que nous connaissons trop peu, par quelles enquêtes et voyages ? Opportunément, Françoise Mélonio nous livre une roborative biographie, quand, quoique l’on puisse trouver ce texte en Pléiade, un éditeur qui se veut « clandestin », ose mettre en avant les Quinze jours au désert américains de notre cher Tocqueville. Aussi verra-t-on comment, au milieu du XIX° siècle,  il considère avec une empathie diverses les Indiens américains, les noirs et les Algériens, ce qui suscite l’ire de Michel Onfray. Reste à considérer, à l’aide Raymond Boudon, l’héritage trop oublié d’un Tocqueville libéral que la France d’aujourd’hui méconnait absurdement.

Les biographies de Tocqueville ne manquent pas ni ne sont sans mérites, telles celles de Brigitte Krulic[1] ou d’Olivier Zunz[2]. Mais elles pâlissent devant l’apparition de celle de Françoise Mélonio, opus tout autant soigneusement documenté, foisonnant, qu’agréable à lire, tout entier en faveur de cet « éducateur de la démocratie ».

Lorsque l’on nait en 1805 dans une famille d’aristocrates normands, l’on a forcément derrière soi « un héritage d’échafaud », mais aussi, après 1815, lors de la Restauration, un père, Hervé, plusieurs fois préfet. Très vite, le jeune homme devient déiste, et au conservatisme de l’aristocratie légitimiste il préfère les valeurs issues des Lumières. Une fois acquis son diplôme de Droit, en 1826, il entame un grand tour en Italie, de Naples à la Sicile, où il est frappé par « le despotisme politique et social ». Nommé juge à Versailles, il se fait en ce milieu un ami de toute la vie : Gustave de Beaumont. Navré par l’étroit conservatisme de Charles X, puis la révolution de 1830, il accepte le régime de Louis-Philippe, tout en restant attaché au concept d’une monarchie parlementaire plus libérale.

 

C’est alors qu’il part, en 1831, avec son ami, en Amérique, sous couvert d’y étudier le système pénitentiaire, dont le taux de récidive et le coût sont plus faibles qu’en France.  Ce qui donnera lieu à une publication en 1833. Mais il s’agit surtout de savoir pourquoi « une vaste république est praticable ici, impraticable là ». Il découvre une démocratie égalitaire unique au monde, mue par la nécessité de faire de l’argent, « critère plus souple que la naissance », et traversée par des courants réformateurs « en faveur de l’abolition de l’esclavage, de l’humanisation des prisons, du droit des femmes et du développement de l’instruction publique ». Il explore les forêts lointaines, le Canada français, Boston, le Mississipi. Le voilà choqué par la pauvreté brutale, minée par l’alcool, des Indiens, par la déportation des tribus, par la ségrégation à l’encontre des Noirs.

C’est en deux parties que parut cet essai devenu classique du libéralisme et de la sociologie : De la Démocratie en Amérique, en 1835 puis 1840. Au-delà de la mission qui l’envoya observer le système pénitentiaire américain, Tocqueville élargit sa réflexion et prit de la hauteur pour offrir une pensée politique d’une étendue considérable. La première partie est essentiellement une analyse de la confédération, quand la seconde est plus critique, non sans proposer des comparaisons avec les modes de vie et les législations de l’ancienne Europe. Mue par la passion de la liberté, avertie des vexations imposées par l’Etat, depuis l’indépendance gagnée de haute lutte sur l’impérialisme anglais, les Etats-Unis d’Amérique usent du libéralisme politique et économique au service du progrès humain, à condition de ne pas souffrir avec excès de la différence entre le riche et le pauvre. L’égalité des conditions, civile et juridique, est un gage de démocratie, ce en quoi Tocqueville est fidèle à Benjamin Constant. Voilà la perspective proposée à l’Europe et à la France.

Mais cette passion de l’égalité, peut devenir dangereuse pour les libertés des citoyens, encourageant le conformisme et menaçant les différences et réussites individuelles. L’empire de la majorité fait mieux que les bûchers pour détruire les livres subversifs, « elle a ôté jusqu’à la pensée d’en publier ». Ce qui est une préfiguration des concepts d’autocensure et de l’intimidation par la masse.

Bientôt, Tocqueville en arriva au concept de « despotisme démocratique », étant donné l’emprise de la tyrannie de la majorité : « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire (…) Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire (…) il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre-arbitre (…) le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule, il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète (…) un pouvoir unique, tutélaire, tout puissant, mais élu par les citoyens[3] ».

 

Françoise Mélonio n’a pas tort de penser que notre philosophe et sociologue tire de l’Amérique, «  une vision exagérément irénique », du moins par contraste avec la France de son temps. Cependant l’on a compris que la démocratie recèle en son sein de dangereuses espérances…

Moins célèbre est L’Ancien régime et la révolution. Livre d’historien, certes, mais aussi d’analyse politique, qui « traque l’origine du penchant des Français pour les Bonaparte », soit pour les hommes providentiels, voire les tyrans…

Pour revenir à la savante biographie de Françoise Mélonio, grâce à elle l’on sait tout ou presque sur la famille de notre cher Alexis de Tocqueville, ses deux frères, moins brillants, sa carrière judiciaire déçue, son travail de parlementaire. Mais aussi sur sa maîtresse Marie, qu’il finira par épouser, alors que sa fidélité lui permettra de veiller – avec l’ami Beaumont – sur ses manuscrits et leur publication, après la mort précoce de notre sociologue et philosophe politique, en avril 1859, soit à l’âge encore tendre de 54 ans.

Et loin de n’être qu’une biographique narrative, il s’agit là d’une biographie intellectuelle et conceptuelle. C’est « éclairer, à travers un parcours individuel, l’Histoire politique et intellectuelle du XIX° siècle et celle, en amont, de la Révolution », mais plus encore permettre au libéralisme économique et politique de se voir justifiés par l’acuité de l’observation et de la pensée. Tocqueville ne fut romantique que dans sa passion des libertés et des grands espaces américains, mais plus exactement un héritier des Lumières, tant la liberté individuelle et de la presse devait être pour lui le pilier de la démocratie libérale.

Glissons vers des versants méconnus parmi l’œuvre de ce chantre du libéralisme.  Par exemple grâce aux éditions Le Passager clandestin de nous ouvrir des yeux curieux. Car ces Quinze jours au désert sont un précieux journal de voyage dans les profondeurs du Michigan, en 1831. L’auteur parcourt une nature qui le stupéfie par sa vide immensité, en une perspective digne du sublime romantique, où les colons font preuve d’une force physique et morale extraordinaire en vue d’y construire un pays neuf « qui marche à l’acquisition des richesses ». Mais admirant ces villages qui deviennent des villes, déplorant l’abattage des arbres, il est « en quête des sauvages et du désert ». Qui eût cru qu’un tel penseur allait faire preuve de tant d’empathie envers les Indiens, ce « peuple antique, le premier et légitime maître du continent », qu’il allait s’alarmer du comportement des blancs, de leur « égoïsme froid et implacable lorsqu’il s’agit des indigènes » ? Sa première rencontre est pourtant décevante : « Aux vices qu’ils tenaient de nous se mêlait quelque chose de barbare et d’incivilisé qui les rendait cent fois plus repoussants encore ». L’eau de vie qui dévaste leur santé permet aux nouveaux Américains de se déculpabiliser, bien qu’ils la leur vendent… Enfin, il est touché par leur « charme réel », leur fierté, leur bonté, leur attachement à la vie dans la nature, leur « indépendance barbare ». Sans céder au mythe du bon sauvage, Tocqueville, sociologue perspicace, est un humaniste attentif à la condition humaine, y compris des femmes des colons, des métis, ainsi qu’à la variété des religions chrétiennes qui n’empêchent malheureusement pas « le sort final réservé aux races sauvages », soit les massacres, l’exil vers de pauvres pâturages, des réserves arides…


Nous ne partagerons pas forcément les convictions de Tocqueville sur la colonisation de l’Algérie. Pourtant il ne faut en rien oublier que la prise d’Alger, en 1830, fut orchestrée pour mettre fin aux pirateries, pillages et réductions en esclavage par les navires barbaresques venus de ce même port. Ainsi cessèrent enfin ces violences séculaires. Est-ce à dire qu’il fallait compléter la chose par la colonisation de l’Algérie ? Une expédition guerrière coûteuse mobilise des effectifs militaires importants et des moyens financiers considérables. Parmi les personnalités politiques, certaines exigent le retrait des troupes françaises, d’autres préconisent une occupation limitée, d’autres enfin sont en faveur de l’extension de la domination et de la colonisation.

Rappelons-nous à cet égard que Jacques Marseille[4], pensant d’abord établir les bénéfices de la colonisation en faveur de la France, finit par s’apercevoir qu’au contraire, en exportant hommes, matériaux, capitaux et subventions, l’affaire fut largement déficitaire… L’on se doute que, malgré le travail scrupuleusement documenté de l’historien, une cohorte de bien-pensants gauchisants le vilipende à l’envi.

Pour revenir à notre Tocqueville, alors qu’il était déjà nanti d’une abondante documentation, il est nommé membre d’une commission extraordinaire attachée à l’Algérie. En 1841, puis 1846, son enquête soucieuse lui permet de découvrir villes, villages, de faire connaissance avec la population indigène, et d’abord « l’état social et politique des populations musulmanes et orientales : la polygamie, la séquestration des femmes, l’absence de toute vie publique, un gouvernement tyrannique et ombrageux[5] ». Découvrant également les acteurs français, et sans guère hésiter, Tocqueville approuve la colonisation, y compris avec le recours de tribunaux d’exception qui relèvent du droit de la guerre.


Le prolixe et bavard Michel Onfray, familier une fois de plus de l’emporte-pièce, n’hésite pas à déboulonner la tocquevillienne mémoire, usant du réquisitoire à l’envi. Tocqueville et les Apaches, sous-titré « Indiens, nègres, ouvriers, Arabes et autres hors-la-loi », permet de dévoiler un penseur de la démocratie et de la liberté qui justifie le massacre des Indiens d’Amérique, l’apartheid entre Noirs et Blancs, la violence coloniale en Algérie, le coup de feu contre les ouvriers quarante-huitards. Pour Michel Onfray, « si l’on est blanc, catholique, Européen, propriétaire, Tocqueville est le penseur ad hoc », trois qualificatifs fort exagérément dépréciatifs.

Tocqueville désapprouve moins « la grande plaie » de l’esclavage par empathie humaniste que pour cause d’une rentabilité économique bien moins efficace que la liberté et le salariat. Mais Michel Onfray omet de faire allusion à des pages plus clémentes, plaidant la cause des Noirs du Nord des Etats-Unis : « Ainsi le Nègre est libre, mais il ne peut partager ni les droits, ni les travaux, ni les douleurs, ni même le tombeau de celui dont il a été déclaré l’égal[6] ».

Il est, pour Michel Onfray, celui qui justifie et légitime « ce que l’on nomme aujourd’hui ethnocide ou crime de guerre », en particulier dans le cas de l’Algérie. En effet Tocqueville ne se lasse pas de démonter « que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays » que « des voyages meurtriers [lui] paraissent quelquefois indispensables[7] ». Certes Michel Onfray n’a pas tort de dénoncer un « manuel de guerre coloniale », mais c’est négliger la dangerosité de l’islam et des conquêtes arabes, quoiqu’il écrivit un volume brouillon pas toujours cohérent, néanmoins passablement informé, peu amène envers son objet d’étude, intitulé Penser l’islam[8].

C’est pourtant exiger de Tocqueville qu’en dépit de son inscription dans son siècle il soit en tout parfait et conforme à quelque notion du bien absolu qu’un Onfray ne peut représenter péremptoirement, à l’instar du modeste critique qui joue sur son clavier pour produire cette lecture et cette réflexion.

Le sociologue Raymond Boudon est à juste titre beaucoup plus sensible à la pensée de notre Alexis. Dans Tocqueville aujourd’hui, il se pose les indispensables questions suivantes. « Pourquoi est-il si difficile de réformer l’État français ? Pourquoi y a-t-il beaucoup plus de fonctionnaires en France qu’en Allemagne ? Pourquoi les Américains sont-ils beaucoup plus religieux que les Anglais ou les Français ? Pourquoi le culte de l’égalité prend-il le pas sur celui de la liberté ? » Tocqueville prédisait et expliquait l’apparition du culte des droits de l’homme, l’éclatement des religions, le succès de la littérature facile, les effets pervers de l’État-providence, les résistances au libéralisme. Ce dernier avait vu juste tant les choses ont empirées en notre XXI° siècle. Aussi Raymond Boudon accuse-t-il les intellectuels et gouvernants français de ne pas lire Tocqueville, tant le marxisme et l’étatisme centralisateur obèrent la liberté et la croissance françaises.

Pauvre Tocqueville, si tu revenais parmi nous… Voulant assurer « le mirage de la justice sociale » – selon la formule de Friedrich August Hayek[9] – l’égalité économique, écrêter les riches pour donner aux pauvres assistés et autres immigrés importés par flottilles, notre Etat dévoyé, notoirement incompétent, dévore ses enfants et n’en rejette que les os, à force de se dévouer à une obèse sociale redistributive, non seulement dispendieuse, mais contreproductive, car ruineuse, tant sur le plan de la dette appauvrissante que sur le plan civilisationnel. Voici fleurir, sous nos yeux pour le moins inquiets, pour revenir à notre Tocqueville, « les périls que l’égalité fait courir à l’indépendance humaine[10] ». Reste à longuement méditer sa distinction entre la centralisation administrative, liberticide, et la centralisation politique, indispensable pour la sécurité nationale. Et combien « le résultat général de toutes ces entreprises individuelles dépasse de beaucoup ce qu’aucune administration ne pourrait entreprendre. […] Le plus grand soin d’un gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui[11] ». Nous en sommes bien loin, hélas…

Thierry Guinhut

 La partie sur Quinze jours au désert fut publié

dans Le Matricule des Anges, juin 2011

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Brigitte Krulic : Tocqueville, Folio 2016.

[2] Olivier Zunz : Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie, Fayard, 2022.

[3] Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, IV, VI, Œuvres II, Pléiade, 2001, p 836-838.

[4] Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français, Points, 1989.   

[5] Alexis de Tocqueville : Notes du voyage en Algérie de 1841, Œuvres I, La Pléiade, 2001, p 660.

[6] Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, IV, VI, Œuvres II, Pléiade, 2001, p 398.

[7] Alexis de Tocqueville : Notes du voyage en Algérie de 1841, Œuvres I, La Pléiade, 2001, p 706.

[8] Michel Onfray : Penser l’islam, Grasset, 2016.

[9] Friedrich August Hayek : Droit, législation et liberté, II, PUF, 2013.

[10] Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, IV, VI, Œuvres II, Pléiade, 2001, p 849.

[11] Alexis de Tocqueville : Voyage en Amérique. Cahier non alphabétiques 2 et 3, Œuvres I, Pléiade, 2001, p 66

 

 

Photographie : T. Guinhut.


septembre 28, 2015

L'avenir pourrait-il voir l'émergence d'un gouvernement d'union nationale issu de la société civile?

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Le 18 septembre dernier, un évènement assez inattendu s’est produit sur le plateau de l’émission "On n’est pas couché".

Pour la première fois sans doute depuis que le tandem de débat qui anime les discussions avec les invités existe, ces derniers ont été remis à leur place par un authentique intellectuel dont on ne peut que saluer l'honnêteté et la rigueur intellectuelle qui a été la sienne au cours de cet échange et qui, il faut bien le dire, aura laissé le binôme totalement KO, comme on peut le voir ici et.
Cet échange sur le plateau d'une émission du service public aura permis une nouvelle fois de constater le fossé qui existe au sein de tendances politiques pourtant plutôt similaires au sens large, entre les exécutants du système médiatique et le dernier noyau d'authentiques intellectuels français dont sans aucune hésitation, Michel Onfray fait partie tout comme par exemple Éric Zemmour.
 
L'air totalement sonné, hagard même diront certains, de Léa Salamé ou Yann Moix sur le plateau ce 18 septembre, ne peut pas ne pas nous rappeler la puissance lourde des démonstrations "zemmouriennes" qui mainte fois laissèrent les invités KO. Des états de fait traduisant l'écart cosmique de niveau entre Michel et Éric, et ceux qui sont censés analyser et évaluer leurs réflexions et leur production intellectuelle.

De gauche et de droite, Michel et Éric sont pourtant équipés d'un logiciel de fonctionnement commun, logiciel les rapprochant sans doute en réalité beaucoup plus que ne les éloignent leurs pourtant réelles différences d'orientation politique.

Parmi ces points communs de fond et de forme on peut citer:

— Une authentique maîtrise du verbe.
— Une rhétorique axée sur la stratégie de vérité et l'analyse des faits.
— Une pensée authentiquement cartésienne et donc française.
— Une conscience nationale et/ou populaire affirmée.
— La profonde remise en question des élites politiques ou médiatiques.
— Le refus de cette insupportable menace permanente d'assimilation au Front national.
— La tentative de compréhension des éléments visiblement sur une longue durée historique.
— La tentative de résister à cette nouvelle dictature qu'est devenue l'information de l'instantané, qui favorise l'émotion au détriment de la réflexion.

A gauche, cette rupture est plus visible qu'à droite tant les 30 dernières années ont vu la totale victoire culturelle, morale et politique de la culture initiée par mai 68, une prise de pouvoir qui s'est affirmée au cours des années 1980. Une nouvelle gauche née sur les cendres du parti communiste et qui au cours des décennies suivantes s'est transformée en une nébuleuse sociale-démocrate sans idéologie et dont les principaux représentants n'ont plus que pour compétence leur aptitude à subsister au sein de la grande kermesse médiatique, cet espace oligarchique transnational au sein duquel, fondamentalement, le peuple n'existe pas, pas plus du reste que n'y existe la nation française.
 
A ce titre et pour se convaincre de la dépendance des premiers envers les seconds, une lecture attentive des excellents dossiers de l'Observatoire des Journalistes et de l'information permet de mieux comprendre ces nouvelles interactions.

Les dynamiques qui ont pris naissance en amont de mai 68 et ont abouti à ce Maïdan français avaient pour corolaire historique naturel d'entraîner la disparition totale de l'ancienne gauche, que l'on peut qualifier de plutôt nationale, populaire et cohérente. Une disparition rendue nécessaire pour permettre la prise de pouvoir de cette Nouvelle Gauche qui, sous couvert d'aspirations sociétales fort séduisantes et d'une soi-disant sacro-sainte liberté individuelle, avait surtout pour raison et finalité historique de s'accorder avec l'hyper économisme dominateur et transnational.
 
L'histoire politique de notre pays de 1981 à 2015 n'aura finalement été qu'une succession de trahisons et de reniements opérés par les enfants de mai 68, ces libertaires capitalistes qui ont soutenu les processus économiques destructeurs (pour le petit peuple) et parfois antidémocratiques de la construction européenne, que l'on pense respectivement à l'instauration de l'espace Schengen en 1995 ou au référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Nul doute que pour cette caste, l'entrée en vigueur du traité transatlantique soutenu par tous les socialistes européens sera vraisemblablement un soulagement mais aussi et surtout, au fond, un aboutissement.
 
De nombreux points communs avec notre classe politique, qui a au cours des quatre dernières décennies évolué de telle façon que notre président est devenu une sorte de VRP, et notre Assemblée nationale, chambre d'enregistrement des décisions américaines. Un comble alors que la France, en tant qu'Etat indépendant, devrait avoir à sa tête un président qui ne pense qu'aux intérêts supérieurs de la nation et une Assemblée qui valide les grandes directions insufflées par le chef de l'Etat.
 
Pourtant, ici et là, de nouvelles dynamiques apparaissent. Les Français sont visiblement de plus en plus nombreux à mesurer l'incompétence de leur classe politique et à comprendre que la solution ne viendra pas d'en haut mais d'en bas, du peuple. Nombreux sont ceux qui envisagent désormais de nouvelles figures politiques issues pourquoi pas de la société civile. De tels scénarios ont du reste déjà été envisagés, que ce soit avec Michel Onfray et Éric Zemmour.

L'avenir pourrait-il voir l'émergence d'un gouvernement d'union nationale issu de la société civile?

octobre 25, 2014

Libéraux réveillez-vous !! Nos intellectuels brandissent la "Révolution" néo "Lumières" !!

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



En ces temps de fanatisme et de désarroi idéologique, l'appel à la raison et à l'esprit de libre examen apparaît plus actuel que jamais. "Marianne" a interrogé d'éminents intellectuels et ils sont unanimes : 

l'esprit des Lumières doit être ranimé d'urgence. 
Enquête.
 
Et si l'avenir était de nouveau aux Lumières ? Plus que jamais notre monde a besoin de philosophes, proclame André Glucksmann dans son dernier ouvrage. Et de Voltaire, plus que de tout autre. Et des Lumières plus que de toute autre école de pensée. Le philosophe Emmanuel Kant, au coucher de soleil du siècle des Lumières, parvint à en exprimer, lui qui en fut le plus génial représentant, le noyau central. Les Lumières, explique-t-il, consistent dans la « sortie de l'homme de sa minorité », son accession à sa majorité, et le déclassement des tuteurs. Bref, en l'autonomie. Sapere aude, « Ose savoir », en est le mot d'ordre. Qu'en pensent les quelques intellectuels éminents que nous avons interrogés ? Cette philosophie des Lumières a-t-elle encore, comme Glucksmann l'affirme, comme Elisabeth Badinter nous l'a confirmé avec un enthousiasme contagieux, quelque chose à dire aujourd'hui ? Peut-elle, dans la crise qui ébranle le monde contemporain, être d'un quelconque secours ? 

Le paradoxe des Lumières
Rien de plus paradoxal que le succès historique des Lumières. Leur déclin philosophique fut, du vivant même de Kant, dès le dernier quart du XVIIIe siècle, rapide. Leur éclipse laissa la place au romantisme, tandis que grandissaient dans le ciel des idées les étoiles de Hegel et de Marx, puis de Schopenhauer et de Nietzsche, puis de Wittgenstein et de Heidegger, de plus en plus éloignées de celles de Voltaire, de Montesquieu et de Diderot. En 1800 déjà, l'horloge de la vie culturelle n'était plus à l'heure des Lumières. Curieusement, en dépit de ce déclin, leur poids politique s'accrut. L'heure philosophique des Lumières passée, commença leur heure politique, qui dure encore : que réclamait, d'ailleurs, le printemps arabe, sinon le programme politique des Lumières ? Les combats de la IIIe République, pour l'école publique et obligatoire, pour la laïcité, pour un suffrage vraiment universel, pour l'abolition de l'esclavage, pour la liberté d'expression, pour la justice sociale, étaient des tentatives pour faire passer dans la réalité historique des idées venues des Lumières. Jaurès lui-même était plus proche de Rousseau et de Diderot que de Marx : en 1900, le fondateur de l'Humanité juge les idées du Manifeste du Parti communiste dépassées depuis quarante ans. Les Lumières constituèrent l'armature du grand récit républicain à la française, de type rationaliste, qui épousa le roman national, plutôt de type romantique. Cette union fut la IIIe République, dont la nostalgie étendit son ombre jusqu'à la campagne de Chevènement en 2002, et peut-être au-delà. Autrement dit, c'est aux temps de Hegel, qui jugeait le moment des Lumières dépassé, de Marx, ce contempteur de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de Nietzsche, le titan de la pensée opposé à la démocratie et à l'égalité, que grandit puis s'impose, en France, en décalage avec la vie de la haute culture, une politique des Lumières. C'est autour d'elle que se construisit l'exception française, qui était intellectuelle, politique et sociale, dont Claude Nicolet se fit l'historien - aujourd'hui en lambeaux. 



Pourquoi avons-nous tant aimé les Lumières ?
Qu'avaient donc à apporter les Lumières pour que nous les aimions tant ? 
Réponse : un ensemble de valeurs, un projet de civilisation, un idéal humain et politique desquels toutes les sociétés devraient essayer de s'approcher, un horizon collectif universel. Autrement dit, selon les mots de l'écrivain Boualem Sansal, « un formidable logiciel pour améliorer la vie ». Améliorer la vie depuis la base de toute vie collective, la conception que la société se fait de l'homme, qui sert de fondation à l'édifice civilisationnel. La dignité de l'homme, de tout homme, est la source d'où découlent toutes les idées et projets des Lumières. Tout suit d'un coup de force, une sorte de révolution copernicienne anthropologique : le passage d'un théocentrisme à un anthropocentrisme. La vraie révolution, qui précéda d'un siècle la Révolution française, est là : Dieu n'est plus le centre ; le centre, c'est l'homme ! L'homme ne dépend plus de Dieu, il s'autodétermine ! Que l'homme soit majeur, qu'il n'ait plus besoin de tuteur, comme dit Kant, est la formulation de cette révolution anthropologique qui fonde toutes celles qui vont suivre. Sans révolution anthropologique, pas de Révolution française. Pas de droits de l'homme, ni de suffrage universel ! Pas d'abolition de l'esclavage ! Ainsi, les Lumières sont-elles l'entrée dans un mouvement de libération et d'émancipation dont les conséquences se sont ensuite déployées en cascade : développement des sciences, laïcité, souveraineté populaire, suffrage universel, démocratisation de l'éducation, émancipation des femmes, droits humains, égalité des droits. Cet ensemble est habité par une foi aussi solide que la foi du charbonnier chez les catholiques : la foi dans la raison engendre la foi dans la science et dans le progrès. Or, nous avertit Elisabeth Badinter, « la raison est ce qui unit les hommes ». Le savoir est politique : il libère de l'oppression, il brise les chaînes, il vide les galères. Unir ? Ce verbe est un appel pour notre temps, qui est celui de la division (n'est-ce pas, les nationalistes catalans, les nationalistes écossais ?) et de la montée des communautarismes ethnico-religieux (que de nombreux islamo-gauchistes ont accompagnée et accompagnent encore). C'est bien parce que raison et savoir sont politiques qu'il faut, aux yeux de Diderot, « rendre la philosophie populaire ». L'Encyclopédie vise au-delà de la seule connaissance, elle vise l'émancipation. L'effet politique : l'universalisme des Lumières, nous dit Elisabeth Badinter, « a fait rentrer dans l'humanité des gens, par exemple les juifs, les Noirs, les femmes, qui n'y étaient pas ». Boualem Sansal le constate aussi : les Lumières ont permis « à des milliards d'êtres humains de vivre comme des hommes ». En donnant l'autonomie aux hommes, en brisant les chaînes qui les attachent à des tuteurs, les Lumières les font entrer dans l'humanité. Qu'en disent les intellectuels d'aujourd'hui ? Pour Luc Ferry, « les quatre piliers des Lumières sont l'esprit critique, héritier du cartésianisme, le rationalisme, le souci de l'expérience (l'observation) et la volonté d'en faire profiter le peuple ». Mais, nuance-t-il, en prenant l'Allemagne nazie pour exemple, la culture ne protège pas de l'horreur. Il est vrai que l'on faisait jouer du Beethoven et du Bach dans les camps nazis. Le philosophe Rémi Brague, lui, affirme : « le mérite des Lumières réside dans l'audace de penser par soi-même », quand leur « défaut est sans doute de sous-estimer les difficultés de ce projet ». Réticent à Voltaire et à Rousseau, Michel Onfray se dit partisan des « ultras des Lumières », ceux que Philippe Raynaud appelle, après son collègue américain Jonathan Israel et son étude magistrale du même nom, « les Lumières radicales ». Onfray l'avoue :

 « Je préfère l'athéisme de l'abbé Meslier, le matérialisme de La Mettrie, le rationalisme d'Helvétius, l'anticléricalisme de Holbach et l'hédonisme de Diderot. » 

Les chemins de la désillusion
Les Lumières sont habitées par l'optimisme. Le monde culturel du XVIIIe siècle dans son entier est traversé par l'optimisme. Il s'agit d'une forme nouvelle d'optimisme, différent de celui qui prévalait au siècle précédent chez Leibniz et que Voltaire railla sans pitié dans Candide, ce conte philosophique que Glucksmann nous enjoint de relire de toute urgence. Ce n'est plus un optimisme théologique, c'est un optimisme historique, politique et anthropologique. L'optimisme théologique (« tout est bien dans le meilleur des mondes possibles ») s'accommodait d'un pessimisme anthropologique, conséquence du péché originel. 

L'optimise des Lumières est d'abord anthropologique, ce qui l'autorise à se passer de tout optimisme théologique. Quand le philosophe espagnol (et basque) Fernando Savater nous dit que « les Lumières fondent le droit de tout citoyen à rechercher le bonheur terrestre », il indique cette transformation de l'optimisme. Que de déceptions depuis la fin du XVIIIe siècle ! Les guerres devinrent des boucheries de masse. L'horizon de paix perpétuelle dessiné par Kant est apparu comme un mirage philosophique. La religion du progrès, Pierre-André Taguieff le montre, s'est essoufflée. Des projets politiques annonçant l'émancipation devinrent aussi bien des fanatismes meurtriers que des totalitarismes implacables. Au sein d'un pays extrêmement cultivé, le nazisme vit le jour. Dans l'après-guerre, au cœur du terrible XXe siècle, qui ne put être un siècle heureux comme le XVIIIe l'avait été, au sein du siècle des camps et des génocides, d'Auschwitz et du goulag, des SS et des khmers rouges, des terres labourées de sang, des despotismes de fer, de Hiroshima et de l'environnement dévasté, le pessimisme s'est installé, d'autant plus que les dernières causes (le tiers-mondisme, les guerres de libération nationale, wagons de queue de l'histoire telle que les Lumières l'entendaient) en lesquelles l'époque voulait encore croire montraient leur ambiguïté et tournaient mal. Adorno et Horkheimer ne furent pas les seuls à épingler cette dialectique de la raison qui retourne les Lumières en leur contraire. 



Le retour des Lumières
Peut-on se revendiquer, malgré les désillusions causées par l'histoire des deux siècles passés, malgré les dégâts du progrès, malgré la dialectique de la raison, héritier des Lumières dans le monde contemporain ? Assurément, affirme André Comte-Sponville - pour reprendre à notre compte leur matérialisme, leur rationalisme et leur humanisme. Luc Ferry se montre précis : « Je me sens héritier de l'idée républicaine, qui sort directement des Lumières. » L'universitaire Philippe Raynaud nous déclare rester « un homme des Lumières », précisant que « les formes actuelles de la barbarie [le] poussent à le rester ». Le fanatisme et les régimes autoritaires rendent nécessaires, à ses yeux, cette revendication. Nous pourrions ajouter : le nouvel obscurantisme, celui qui croît en parallèle à l'obscurantisme islamiste, l'obscurantisme économique (l'économie se faisant l'alpha et l'oméga de l'existence, dévorant tout sur son passage). Héritier, est-ce le bon mot ? Rémi Brague se dit s'en sentir plus « boursier » qu'héritier. Elisabeth Badinter lui préfère celui de « disciple » - disciple des Lumières au cœur des combats du monde contemporain. Sans doute est-ce pour toutes ces raisons, et aussi pour résister à la montée de l'islamisme, que Boualem Sansal nous dit « adhérer pleinement aux Lumières », ce qui est à la fois être leur héritier et être leur disciple. Pourquoi un retour des Lumières ? Pour résister : assurer le salut de ce qui est menacé comme jamais - la laïcité, l'école, la solidarité nationale, ce qui reste de gratuité -, pour empêcher la destruction de ce qui s'est bâti au nom des Lumières. Boualem Sansal en appelle aux Lumières, car, dit-il, « la société est menacée dans sa cohérence, son unité, sa résilience, sa capacité de s'adapter ». Ecole de la critique, les Lumières sont aussi une école de la résistance. Toute civilisation guérit de ses désillusions. Peut-être même en devient-elle plus forte... Ni le pessimisme ni le cynisme postmoderne ne peuvent répondre aux défis qui menacent de mort la civilisation - qui ont pour noms : islamisme, économie mafieuse, fanatisme économiciste, dévastation de la planète, abrutissement des hommes, hybris capitaliste. En détresse, notre époque doit scander : « SOS Lumières ! » L'urgence historique, qui est une question de vie ou de mort, impose un retour aux Lumières, voire un retour des Lumières, le renversement du pessimisme dans un nouvel optimisme. Un optimisme déluré, débarrassé de sa naïveté, qui culminait dans la foi dans le progrès, animant des Lumières déniaisées par les leçons de l'histoire. 


 
Robert Redeker

 

 

 

Lumières françaises

De Wikiberal
 
Le mot Lumières définit métaphoriquement le mouvement intellectuel, culturel et philosophique qui a dominé, en Europe et particulièrement en France, le XVIIIe siècle auquel il a donné, par extension, son nom de siècle des Lumières. Les Lumières ont marqué le domaine des idées et de la littérature par leurs remises en question fondées sur la « raison éclairée » de l’être humain et sur l’idée de liberté. Les plus illustre représentants et meilleurs champions des Lumières habitent Paris : ils se disent philosophes ou physiocrates ou citoyens de la République des Lettres. Les idées de ces grands écrivains sont malheureusement fluctuantes, contradictoires, heurtées, déconcertantes.


Les mirages de la philosophie

Voltaire d'abord séduit par le despotisme éclairé aurait ensuite penché vers le régime anglais - cru libéral voire parlementaire - mais en 1770-1771, il soutient le coup d'autorité du chancelier Maupeou et admire l'austère réformateur que les encyclopédistes accusent de tyrannie. Denis Diderot possède une espèce de sagesse juste-milieu que l'on retrouvera plus tard dans le parti radical-socialiste.
Tous deux nous ont légué la somme des préjugés communs au temps des Lumières. Le premier est la Raison fondement des postulats, soutien de toute méthode, séduisante finalité. Appliquée à la religion, elle devient le déisme ; au pluralisme religieux, la tolérance ; au moteur des sociétés humaines l'idée de progrès chantée par Condorcet et Turgot ; dans l'instruction publique, elle lutte contre les préjugés.
Vexé d'être éloigné de la politique, l'écrivain à la mode critique le régime, crée des utopies. Les meilleurs d'entre eux (Montesquieu) sont voués à l'abstraction. On magnifie la Prusse de Frédéric II ou la Russie de Catherine II pour irriter le gouvernement de Versailles. Il est de règle de confondre mécénat et bon gouvernement : les philosophes créent le mirage russe en France, voyant dans la tsarine une nouvelle Minerve. Le souverain modèle trouve une illustration fameuse dans les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon. Le mythe du monarque philosophe se précise avec Pierre Ier. Le despotisme est légitime dès qu'il est employé à des vues de progrès (éloge du tsar défunt par Fontenelle en 1725 à l'Académie des sciences, l'Histoire de Charles XII de Voltaire). Les monarques éclairés sont passés maîtres dans l'utilisation du vocabulaire des philosophes : ils parlent volontiers de bonheur. La Raison devient un fourre-tout au service d'un prince omnipotent.
Dans l'Europe des Lumières, l'action psychologique du despotisme éclairé a besoin de la République des Lettres. Que serait le roi de Prusse sans Voltaire ? On composerait plusieurs volumes en réunissant les lettres de Voltaire aux princes et aux ministres. Il flatte sans relâche et sans fatigue. Grimm et Diderot ne sont que des petits maîtres : le premier distribue l'encens partout, le second le réserve à Catherine II. Grâce aux encyclopédistes, le XVIIIe siècle vit sur la foi de cette fausse équation : Monarchie éclairée = Lumières. En réalité, l'État de la raison devient la raison d'État et l'État est moins au service des Lumières que les Lumières à la disposition de l'État.

Daniel Lindenberg : Le procès des Lumières

Essai sur la mondialisation des idées
samedi 7 novembre 2009, par Thibaut Gress
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