mars 22, 2015

Le "Libéralisme" par Daniel TOURRE

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Clare Rogers Memorial Chapel on the campus of Tulane University.

Le libéralisme, ce Français oublié


Difficile de trouver un terme dont le sens et la philosophie ont été autant déformés que celui de libéralisme

A l’heure actuelle, le mot libéralisme n’est plus guère utilisé en France que par ses détracteurs ou ses faux amis. Un citoyen, dans l’environnement actuel, a donc peu de chances de connaître le vrai libéralisme, sauf s’il s’y est intéressé activement en lisant par lui-même les ouvrages libéraux. Les idées libérales ne sont pourtant pas absentes, mais elles ne sont jamais défendues avec l’étiquette libérale. Beaucoup d’électeurs y compris de gauche exigent parfois des mesures libérales comme Monsieur Jourdain fait de la prose : sans le savoir.
Vidéo par le Collectif Antigone : http://www.collectifantigone.fr/

La Collectif Antigone regroupe des bénévoles pour défendre les idées libérales classiques.

Pour en savoir plus sur le libéralisme : http://dantou.fr/

Les BD viennent du site : http://digitalcomicmuseum.com/

La France, ce grand pays du libéralisme

Pour effrayer l’électeur, le libéralisme est souvent labellisé « anglo-saxon », qualificatif rédhibitoire dans notre douce France. Les anglo-saxons ont brûlé Jeanne d’Arc, fait des misères à Napoléon et boudent Johnny. On le voit, ils ne respectent rien, ils sont capables de tout, en particulier d’imposer insidieusement une idéologie anti-France à notre pays génétiquement étatiste.

Ce joli conte de fées pour étatistes xénophobes ne tient pas la route. Des auteurs anglo-saxons (John Locke, Thomas Paine, Edmund Burke) ont effectivement participé à la tradition libérale, mais au milieu de nombreux auteurs d’Europe continentale, en particulier français. Sans Turgot, Richard Cantillon, Sieyès, Jean-Baptiste Say, Alexis de Tocqueville, Benjamin Constant, Frédéric Bastiat, Gustave de Molinari ou Raymond Aron, le libéralisme n’aurait jamais eu la forme qu’il a aujourd’hui. La France a une grande tradition libérale, reconnue partout… sauf en France.


La France a connu de longues périodes historiques où les idées libérales ont façonné le débat politique et les institutions. Mais l’histoire est écrite par les vainqueurs, et les vainqueurs depuis quelques décennies sont étatistes de droite comme de gauche.

1789, la révolution portée par des idées libérales

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme; ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. » Article II de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789

Quel est le pays dont l’assemblée en 1789 « reconnaît et expose » une déclaration reprenant un à un tous les concepts libéraux ayant émergé au siècle des Lumières ? (Attention c’est un piège : ce pays n’est pas anglo-saxon). Eh oui, avec la Déclaration des Droits de l’homme de 1789, la France se dote d’un document fondateur… libéral (presque) pur sucre. Ce n’est pas le fruit du hasard, l’abbé Sieyès, comme les autres rédacteurs (La Fayette en particulier), a été inspiré par les idées libérales du siècle des Lumières, de Locke à Montesquieu en passant par Voltaire.

Les mesures libérales de la Révolution de 1789 pleuvent comme la pluie sur une île anglo-saxonne : abolition des corporations, rôle de l’État limité à la défense du droit à la liberté, à la sûreté et à la propriété. Longtemps cette paternité était officiellement reconnue, les communistes parlant avec mépris de cette révolution petite-bourgeoise et de ses libertés « formelles ».



Les libéraux à vapeur

« Quand un fonctionnaire dépense à son profit cent sous de plus, cela implique qu’un contribuable dépense à son profit cent sous de moins. Mais la dépense du fonctionnaire se voit, parce qu’elle se fait ; tandis que celle du contribuable ne se voit pas, parce que, hélas! on l’empêche de se faire. Vous comparez la nation à une terre desséchée et l’impôt à une pluie féconde. Soit. Mais vous devriez vous demander aussi où sont les sources de cette pluie, et si ce n’est pas précisément l’impôt qui pompe l’humidité du sol et le dessèche. »

Frédéric Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas
Le XIXesiècle n’est pas en reste en matière de libéralisme « french touch ». Sans doute aiguillonné par un Bonaparte autoritaire et étatiste, les mousquetaires du libéralisme français (Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville, Frédéric Bastiat) et son d’Artagnan Belge (Gustave de Molinari) écrivent parmi les plus belles pages de l’histoire du libéralisme. Ces auteurs classiques reconnus à l’étranger sont largement oubliés par la population française, aidée il est vrai par une éducation d’État toujours soucieuse d’éviter les lectures pouvant semer le doute sur l’attachement éternel des Français à leur État bouffi et centralisé.

Des milieux plus cultivés acceptent toutefois de citer Alexis de Tocqueville ou Benjamin Constant, mais en précisant immédiatement que ces derniers n’ont rien à voir avec l’affreux néolibéralisme économique contemporain. Cette position nuancée doit toutefois s’appuyer sur une absence de lecture des dits auteurs ainsi sauvés de la déchéance « économique ». En lisant leurs livres, la terrible vérité émergerait assez vite : Alexis de Tocqueville comme Benjamin Constant seraient horrifiés de la place qu’a prise l’État dans nos sociétés contemporaines, y compris dans la sphère économique, et certaines de leurs pages semblent avoir été directement dictées par les pires néolibéraux anglo-saxons des dernières années.
Benjamin Constant, libéral et amoureux

« J’ai défendu quarante ans le même principe : liberté en tout, en religion, en littérature, en philosophie, en industrie, en politique, et par liberté j’entends le triomphe de l’individualité tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. »

Benjamin Constant, Ecrits politiques

Bonaparte expulse de France Madame de Staël pour faute de goût impardonnable : pas assez d’enthousiasme napoléonien. Elle se réfugie (dans un château familial, tout de même) à Coppet en Suisse pour y ouvrir un salon intellectuel. On y croise du beau monde européen : Chateaubriand, Byron, Goethe et l’amant passionné bien qu’intermittent de l’hôtesse du lieu : Benjamin Constant (1767–1830).

Benjamin Constant, à fois philosophe et député, aura une influence considérable sur la diffusion du libéralisme en France et en Europe. Dans Principes de politique, il s’oppose d’abord à la vision de Rousseau et sa souveraineté populaire illimitée. Constant expose dans ce livre majeur une vibrante défense des droits individuels. « Au point où commence l’indépendance et l’existence individuelle, s’arrête la juridiction de cette souveraineté.» Marqué par l’épopée napoléonienne autant que par la terreur révolutionnaire, son souci est de protéger les droits individuels des tyrans comme des masses. Il attache ainsi une grande importance au respect d’une constitution politique – pas de décrets arbitraires – ainsi qu’aux procédures judiciaires – pas d’arrestations arbitraires.

Le respect des formes politiques et judiciaires, couplé à une défense de la liberté d’expression pour mettre les politiques sous la surveillance des citoyens instruits, devait permettre d’éviter de retomber dans la tyrannie. En bon libéral, Benjamin Constant n’oublie pas, bien sûr, quelques passages émouvants sur le libre-échange et l’injustice des impôts trop élevés. En France, l’influence de Benjamin Constant se fera sentir jusqu’à la IIIe république : le rédacteur de cette constitution était son éditeur. Mais hélas pour nous, Benjamin-l’optimiste s’est lourdement trompé : que cela soit la tyrannie ou la dictature révolutionnaire, le XXe siècle n’a rien retenu des leçons de la France révolutionnaire ou napoléonienne…

La science économique

La douche froide ne s’arrête pas là pour nos amis courageux. Dès le début du XVIIIème siècle, avec son Essai sur la nature du commerce en général, Richard Cantillon, un Français d’adoption originaire d'Irlande, pose les bases de la science économique libérale sans les erreurs qu’Adam Smith commettra plus tard et qui ouvriront la voie à la valeur travail de Karl Marx. Cantillon entraînera dans sa suite les physiocrates, dont Jacques Turgot, brillant savant et contrôleur général de Louis XVI.

Le XIXe siècle sera un vrai feu d’artifice de sciences économiques françaises avec Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Charles Coquelin et les auteurs du Journal des économistes, Yves Guyot…

La science économique classique portée par ces auteurs sera ensuite reprise du côté germanique avec Carl Menger puis Ludwig von Mises et Friedrich Hayek.
L’influence de l’Europe continentale, en particulier française, est donc déterminante dans l’évolution de la science économique et dans la compréhension des mécanismes d’une économie de marché.

Malgré ce cocorico libéral, pas question de substituer à la dénonciation de l'ultralibéralisme anglo-saxon celle d'un ultra interventionnisme tout autant anglo-saxon. Pourtant, le paradoxe est réel: de Marx l'exilé à Keynésien l'autochtone, les mauvaises idées économiques - que nous subissons encore aujourd'hui - viennent souvent de l'autre côté de la Manche.


La nature humaine, c’est exercer la raison et le langage et vivre en société

L’homme réduit à l’homo-economicus ? Le libéralisme développe une vision de l’individu et de la vie en société fondée sur le droit naturel

L’une des accusations souvent formulées à l’encontre du libéralisme est de réduire l’Homme à une simple machine économique calculant des profits et pertes pour maximiser son bien-être matériel : l’homo-economicus. Cette accusation est deux fois fausse.

D’abord le concept d’homo-economicus n’appartient pas particulièrement à l’école économique libérale. Au contraire, l’Ecole autrichienne, locomotive libérale en science économique, critique sévèrement ce concept utilisé abondamment par des écoles économiques interventionnistes.

Ensuite et surtout, le libéralisme est d’abord une philosophie du droit et de la politique. Son socle n’est de toute manière pas un concept venant des sciences économiques.

Dans le cadre de la philosophie du droit, le libéralisme s’appuie sur une définition de la nature humaine proche de la philosophie classique grecque : un individu doué de la raison et du langage vivant en société. C’est à partir de cette définition que le libéralisme développe sa vision de l’individu et de la vie en société, à travers la tradition du Droit naturel. Exit l’homo-economicus, place à la nature humaine

Les étages de la fusée « Droit naturel »

« Rejeter le Droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. Or, il est évident et parfaitement sensé de parler de lois et de décisions injustes. En passant de tels jugements, nous impliquons qu’il y a un étalon du juste et de l’injuste qui est indépendant du droit positif et qui lui est supérieur : un étalon grâce auquel nous sommes capables de juger du droit positif. »
Léo Strauss,Droit naturel et Histoire

Etage n° 1 : La raison. Avec la modernité au XVIIIe siècle, la raison devient le meilleur outil capable de connaître et comprendre quelque chose à la nature humaine et au monde extérieur. Cela ne veut pas dire que tout le monde, tout le temps, accède à la vérité. C’est même plutôt le contraire, la raison n’étant pas infaillible ni répartie également. Cela veut juste dire que cette tentative est possible. Cette possibilité est aujourd’hui largement contestée dans les sciences humaines postmodernes pour qui la raison n’est que le jouet passif de la classe sociale, l’histoire, la culture ou l’inconscient.
Etage n° 2 : La nature humaine. D’Aristote à John Locke, en passant par l’École de Salamanque, les penseurs cherchent donc à déterminer ce qui constitue la nature humaine. Les débats qui ont eu lieu remplissent des bibliothèques entières… et ils vont probablement encore remplir dans les prochains siècles des teraoctets de mémoire optique quantique quadridimensionnelle en silicium jupitérien.

Pour les libéraux de la tradition du Droit naturel moderne, la définition la plus concise est : « La nature humaine est d’être un individu doté de la raison, du langage et vivant en société. »
Etage n° 3 : Le Droit naturel. Il s’agit ensuite de déduire les grandes règles du droit respectant cette nature humaine. On peut décliner ces grandes règles sous forme d’interdiction « Ne pas agresser physiquement » ou sous forme de droits (« droit à la sécurité ») comme dans la déclaration des droits de l’Homme de 1 789. Ces grands principes universels guident ensuite un code de lois grâce à l’infinité de situations qui se présentent devant le juge ou le législateur. Ces codes de lois peuvent varier suivant les cultures et les époques, tout en restant dans le cercle de ces principes.

La nature

La « nature » du Droit naturel ne fait pas référence à la nature, aux petits oiseaux, au shampoing à la camomille, à la jungle ou l’herbe verte, mais à une autre définition de ce même mot.

« Nature : ensemble des caractères fondamentaux propres à un être ou à une chose », comme le dit si bien un gros livre un peu ennuyeux à lire de A à Z mais si pratique pour comprendre une langue. La nature d’un pont est par exemple d’enjamber un obstacle. La nature humaine est bien sûr beaucoup plus compliquée à définir que la nature pontaine. Beaucoup d’ailleurs affirment, soit qu’elle n’existe tout simplement pas, soit qu’elle est totalement dominée par la culture.

A contrario, pour les défenseurs du Droit naturel, la raison – même incertaine – permet d’approcher une nature humaine et un droit conforme à cette nature. Les lois particulières à chaque culture, par delà leurs différences, devant être conformes à ce Droit naturel.

L’égalité en droit

La nature humaine, c’est donc d’être un individu doté de la raison et du langage vivant en société. Quelles sont les règles — le Droit naturel — conformes à cette nature humaine ?

D’abord, par définition, tous les êtres humains partagent la même nature humaine. Il n’y a pas plusieurs types de nature humaine, donc il n’y a pas plusieurs types d’êtres humains. Il n’y a pas de sur-être humain, de sous-être humain, d’être humain du haut, d’être humain du bas. Si tous les Hommes partagent la même nature humaine, qui fonde le Droit naturel, ils sont donc égaux devant le droit.

La première règle du Droit naturel, c’est l’égalité en droit, l’égalité devant la loi. Des lois posées par les États qui distingueraient différents types d’êtres humains ne seraient pas conformes au Droit naturel. L’apartheid, les lois antisémites ou les lois de l’Ancien régime protégeant les privilèges de l’aristocratie sont des exemples flagrants d’une telle violation.
Aujourd’hui, sous l’influence du postmodernisme et de sa branche activiste, le politiquement correct, la loi devient différente selon les catégories d’êtres humains : loi sur la parité, discrimination positive, distinctions selon les revenus, les professions.

La sécurité et la propriété de soi

« Article II : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »
Déclaration des Droits de l’Homme de 1789

La première des conditions pour être un individu est d’être vivant (eh oui, avec l’usage de la raison, on fait vraiment des découvertes stupéfiantes… Ça ne rigole pas chez les partisans du Droit naturel). D’une manière générale, on ne peut rien faire sans vivre. Agir et penser nécessitent d’être vivant, y compris d’ailleurs pour se suicider ou pour désirer la mort. Les individus sont les seuls « propriétaires » de leur vie. Un droit conforme à la nature humaine interdit donc l’agression physique.

Personne n’a le droit de vous tuer ou de vous blesser, même si vous êtes très pénible à supporter. Personne ne peut vous interdire de vous tuer doucement (alcool, joint, charcuterie) ou rapidement (euthanasie, scooter), même si vous êtes très sympathique. Le corollaire de ce droit pour un gentilhomme est le devoir de respecter la vie et la sécurité des autres personnes.

La liberté

Vous avez donc un droit à la liberté. Il ne s’agit pas de la liberté métaphysique (liberté par rapport à Dieu, à la nature humaine ou à ses passions), ni d’un droit à la capacité, un droit d’être ou avoir ce que l’on rêve d’être ou avoir (liberté d’être beau et célèbre, liberté d’avoir des vacances à la plage, etc.). Il s’agit de la seule liberté qui puisse être garantie par une loi humaine sans nuire à la liberté des autres : la liberté d’agir ou de penser sans limite autre que la jouissance des même libertés par les autres. Le corollaire de ce droit pour un gentilhomme est le devoir de respecter la liberté des autres personnes.


La propriété

Pour beaucoup de gens, la propriété est le vilain petit canard des droits naturels. Un truc un peu vulgaire et matérialiste par rapport à la liberté. Et surtout quelque chose d’acquis aux dépens des autres. En réalité, la propriété est un magnifique cygne conspué justement parce qu’il est le socle incontournable de la liberté. Dans ce monde matériel, l’usage libre de votre temps implique que vous puissiez échanger ou produire des biens matériels.

Si quelqu’un vous prend ces biens matériels sans votre consentement, cela signifie qu’il a disposé du temps que vous avez mis à les produire ou à les échanger. On ne peut pas être en sécurité, en vie, si l’on ne peut pas disposer du fruit de son travail et de ses échanges pour assurer sa survie. On ne peut pas être libre si l’on vous confisque les ressources que vous avez obtenues par votre travail ou par vos échanges. On ne peut pas être libre si l’on est obligé de quémander à l’Etat ou à ceux qui le dirigent l’usage de ses propres ressources en échange de la soumission ou de l’obéissance. On ne peut pas mener à bien ses projets si ce que l’on possède est confisqué par l’État pour que ce dernier mène à bien ses propres projets, ou plus exactement, les projets des lobbies qui le contrôlent. Le droit à la propriété est donc une conséquence du droit à la liberté et du droit à la sécurité.

Le corollaire de ce droit pour un gentilhomme (ou une gentille femme) est le devoir de respecter la propriété des autres.


Le salaire minimum, une aberration au seul profit du prestige de la classe politique

Le salaire minimum, voilà l'ennemi. Les travailleurs n’ont pas à être reconnaissants à l’État d'un salaire qu’ils ne doivent qu’à leur talent
Dans Action humaine, Ludwig von Mises écrit : 

« L’histoire est un long répertoire de prix-plafonds et de lois contre l’usure. A de nombreuses reprises, des empereurs, des rois, des dictateurs révolutionnaires ont tenté de s’immiscer dans les phénomènes de marché. Des punitions sévères ont été infligées aux réfractaires, négociants et cultivateurs. Bien des gens ont été victimes de poursuites rigoureuses qui soulevaient l’approbation enthousiaste des foules. Rien n’y fit, toutes ces entreprises ont échoué. L’explication que les écrits des juristes, des théologiens et des philosophes offraient de cette faillite s’accordait pleinement avec les opinions des dirigeants et des masses. L’homme, disaient-ils, est intrinsèquement égoïste et pécheur, et les autorités étaient malheureusement trop indulgentes en faisant appliquer la loi. Il ne fallait que davantage de fermeté et de ton péremptoire de la part des gens au pouvoir… »

Les étatistes sont formels, dans un marché libre, les salaires baissent et les loyers augmentent. Toujours.

Les travailleurs qui louent leur habitation sont-ils alors condamnés à être de plus en plus pauvres ?

Non  ! Heureusement, l’Etat nounou, héros solitaire contre tout exploiteur, tel un demi-dieu de l’économie, fixe le salaire minimum pour éviter l’exploitation, puis le loyer maximum pour éviter l’expulsion. Les électeurs rassurés peuvent voter pour leurs sauveurs, une classe politique étatiste infiniment bonne qui les aime et qui les protège. Ce mythe du salaire minimum ou du loyer maximum est l’une des plus grosses fumisteries que les étatistes ânonnent pour justifier leur existence.

La réalité est que les travailleurs ne doivent leur pouvoir d’achat qu’à eux-mêmes, à la force de leur bras et à l’intelligence qu’ils ont entre les oreilles. Ils n’ont pas à être reconnaissants à l’Etat pour un salaire qu’ils ne doivent qu’à leur talent.

Le salaire minimum comme le loyer maximum est une aberration économique au seul profit du prestige de la classe politique – ou des syndicats – et au détriment des plus pauvres.

Le prix plancher

Le prix plancher, officiellement, c’est l’Etat qui, par la seule force de sa volonté, fixe un prix minimum juste et beau à un bien ou à un service (par exemple certains prix agricoles, les prix des livres, le salaire minimum).

C’est très beau, le paranormal au service du juste et du beau. Malheureusement, depuis la pierre philosophale, nous savons tous que la création de richesses par simple contact d’une pierre magique ou d’un texte de loi, c’est rare.

L’Etat est totalement incapable de fixer un prix minimum à une catégorie d’échanges sans supprimer une partie de ces échanges. Si l’État fixe un prix minimum de 10 euros à un journal quotidien, vous n’allez pas vous mettre à acheter le journal à 10 euros, vous allez simplement renoncer à acheter ce journal pour acheter autre chose. Pour ceux qui doivent vendre des journaux, la concurrence est plus dure, les acheteurs sont plus rares. C’est 10 euros ou rien du tout. Les acheteurs peuvent donc faire les difficiles, poser leurs conditions.

Ainsi, l’État ne fixe rien. Il se contente d’interdire l’existence d’échanges de biens ou de services en dessous d’un prix donné. Cela ne signifie absolument pas qu’il a créé ex nihilo des nouveaux échanges à un autre prix pour remplacer ceux dont il a empêché l’existence.

Le salaire minimum

Parmi les nombreux totems de la religion de l’Etat-Dieu, il en est un devant lequel la classe politique fait consciencieusement sa génuflexion bien dans l’axe de la caméra : le salaire minimum. Elle n’a pas beaucoup de mérite à se prosterner avec emphase, ce totem est d’abord à sa gloire et au détriment des travailleurs les plus modestes. En premier lieu, le salaire minimum est immoral : il empêche des échanges souhaités par les deux parties. Si l’échange n’était pas souhaité par l’une ou par les deux parties, il ne serait pas nécessaire de l’interdire, il n’aurait pas lieu de toute manière. Car si le salaire minimum ne force que très marginalement les salaires vers le haut, il empêche d’exister les emplois avec des salaires en dessous du Smic.

Les travailleurs modestes font donc face à un chômage important qui les met dans une concurrence aggravée face aux employeurs. Les étatistes ont tellement conscience de ce phénomène qu’ils se gardent bien de multiplier par deux ou par trois le Smic : cela créerait immédiatement un chômage de masse. Dans le même temps, les étatistes multiplient les emplois payés en dessous du Smic – emplois aidés, stages, suppression des cotisations fiscales, etc – dont ils s’attribuent encore le mérite. Qu’il existe des employeurs cupides, c’est une réalité, mais la meilleure méthode pour limiter leur nuisance, c’est de favoriser la concurrence entre employeurs, y compris pour les bas salaires. Le Smic ne sert ni les travailleurs, ni les patrons. Il ne sert que les étatistes.

Le salaire minimum contre les travailleurs

La propagande sur le salaire minimum est donc parfaitement mensongère : les travailleurs ne doivent rien aux étatistes ni aux syndicats. Si les patrons les payent un certain salaire, c’est parce que leur travail vaut ce salaire, pas parce que l’Etat fixe un salaire minimum.

L’Etat nounou s’attribue ainsi le mérite d’une rémunération qui ne lui doit rien. Beaucoup de salariés sont embauchés au-dessus du Smic, alors que le patron aurait sans doute voulu les payer moins. Le patron n’avait pas le choix : il était en concurrence avec d’autres patrons et ce travail valait ce salaire. Il en est de même avec de nombreux salariés au Smic : leur salaire vaut de toute manière le Smic ou plus, et s’ils sont payés ainsi ce n’est pas par charité, ni par obligation, mais parce que de fait, leur travail a de la valeur.

Ainsi, les étatistes n’hésitent pas à rabaisser les travailleurs en leur faisant croire qu’ils doivent leur pouvoir d’achat à l’Etat nounou. C’est faux, d’autant que dans le même temps les étatistes multiplient les prélèvements : cotisations pour les caisses maladie et de retraite mal gérées et imposées en monopole, pour les organismes de formations inutiles, par l’inflation monétaire.

Le prix plafond

Avec le prix plancher (le salaire minimum), l’autre grande habitude des étatistes est de fixer un prix plafond à certains biens (parfois un loyer). Comme le prix plancher, le prix plafond est injuste et inefficace. Le seul moyen de faire diminuer le prix d’un bien est d’augmenter sa profusion. Fixer un prix plafond (sur le logement par exemple) sur une ressource rare n’abolit pas la rareté de la ressource. Quoi qu’en disent les hommes politiques, ils n’ont pas un chapeau magique d’où sortent des lapins à volonté, permettant de faire baisser le prix de ces derniers.

Pour faire baisser le prix des lapins fixé entre personnes libres, il ne suffit pas de déclamer une formule magique : « Lapin, sois moins rare ! » même avec le vocabulaire ronflant, technique et incompréhensible d’une mesure administrative.

Lorsqu’un bien ou un service est rare, il y a trois manières de le partager :

– La violence : le plus gros tape sur le plus petit et prend le bien rare. Méthode longtemps utilisée alors même qu’elle fait très mal (mais c’était avant le libéralisme et la reconnaissance du Droit à la propriété.)

– La queue : spécialité soviétique ou des HLM, le premier arrivé est le premier servi. J’y suis, j’y reste. Enfin « premier arrivé, premier servi », c’est seulement pour les plus faibles ou les plus honnêtes. Les passe-droits, les petites enveloppes ou les coups médiatiques permettent aux plus forts ou aux plus grandes gueules de s’épargner ce genre de désagréments.

– Les prix : chacun en fonction de son envie subjective, de ses moyens, de ce qu’il est prêt à échanger et des envies subjectives des autres, accepte ou non de faire la transaction. Lorsque beaucoup de personnes veulent des lapins ou des logements, d’autres personnes libres changent d’activité pour leur fournir davantage de lapins ou de logements.

Dans une organisation humaine, il n’existe pas de quatrième méthode magique, juste, omnisciente et bonne permettant d’affecter des biens rares. En fixant un prix plafond, l’Etat n’abolit en aucune façon la rareté du bien visé. Il ne répartit pas non plus les biens selon une quatrième méthode. Il se contente de privilégier une méthode d’attribution en tous points inférieure à celle des prix : la queue et ses passe-droits.

Et il empêche le seul processus capable de faire réellement diminuer la rareté de ce bien : faire en sorte que davantage de personnes libres, attirées par l’augmentation du prix, consacrent leur travail, leur intelligence et leur imagination à la production de davantage de lapins, euh… de biens


Le protectionnisme ne fait que traiter 
un symptôme en aggravant la maladie

Ce fléau nommé mondialisation. Difficile d’interdire les échanges avec l'extérieur, dans l’intérêt économique de tous

Dans Action humaine, Ludwig von Mises (1881-1973) écrit : 

 « La philosophie protectionniste est une philosophie de guerre […]. La Société des Nations a fait faillite parce qu’il lui manquait l’esprit du libéralisme authentique. C’était une entente entre des gouvernements animés par l’esprit du nationalisme économique et entièrement voués aux principes de la guerre économique. Pendant que les délégués se complaisaient à tenir des discours sur la bonne volonté entre peuples, les gouvernements qu’ils représentaient infligeaient des dommages abondants à toutes les autres nations… »

Le libéralisme n’avait déjà pas très bonne réputation chez certains bien pensants, et ce « bad boy » n’a rien trouvé de mieux que d’aller traîner avec le nouveau caïd de la planète : la mondialisation. Il y en a qui cherchent vraiment les ennuis !

Car les méfaits de la mondialisation seraient innombrables : elle délocalise le travail des employés nationaux, elle tire les salaires vers le bas, elle augmente le déficit de la balance commerciale, elle désindustrialise notre pays, elle appauvrit les pays pauvres, etc.

Heureusement, des super-héros souverainistes ou socialistes veulent nous interdire d’échanger dans notre intérêt, tout en augmentant leur pouvoir sur nos vies. Pour les libéraux, la mondialisation n’est pas parfaite sur de nombreux plans, mais d’abord, elle est optionnelle. Personne n’est obligé d’acheter des produits étrangers, de travailler pour ou avec des étrangers. Les souverainistes ne veulent pas résister à la mondialisation – ils peuvent déjà le faire –, ils veulent commander aux autres.

Ensuite, une grande partie des méfaits qu’on reproche à la mondialisation sont inexacts ou viennent d’exactions des États eux-mêmes. Revue de détail.

Le déficit commercial

A la messe du journal de 20 h 00, le grand prêtre a un regard soucieux lorsqu’il annonce la terrible nouvelle : « Notre pays a un déficit commercial de (beaucoup) de millions, c’est très très grave et même un peu inquiétant ». Puis il passe la parole à un souverainiste, au regard lui aussi soucieux, mais avec cette pointe de détermination farouche, caractéristique de l’étatiste qui sait ce qu’une politique volontaire peut apporter à l’économie. Le constat est froidement évoqué par cet homme lucide, et la solution d’une logique imparable est chaudement recommandée par cet homme d’action : « Si nous avons un déficit, c’est parce que nous importons trop et que nous n’exportons pas assez, donc il faut limiter les importations avec le protectionnisme et augmenter les exportations grâce à la dévaluation de la monnaie. » La lumière apparaît au bout du tunnel. Non ! Le déficit commercial n’est pas une fatalité et les souverainistes lucides vont nous protéger contre l’ultralibéralisme.

Oui, sauf que le déficit commercial n’est pas en soi un problème, tandis que le protectionnisme comme la dévaluation de la monnaie sont des problèmes. Le souverainiste est finalement surtout très lucide pour augmenter le pouvoir de l’Etat (et le sien) au détriment du peuple au nom de faux problèmes.

La balance commerciale

Une première observation : la balance commerciale comme le déficit commercial sont des créations comptables artificielles dues à l’existence d’une frontière. On pourrait tout aussi facilement calculer la balance commerciale d’une région vis-à-vis des autres ou d’un quartier vis-à-vis du reste de la ville, etc. On peut couper le pays en 2, 3 ou 3 419 morceaux, puis calculer entre ces morceaux des déficits commerciaux, qu’il faudrait corriger en donnant plus de pouvoir aux élus locaux.

Une deuxième observation : un déficit commercial n’est pas forcément une mauvaise chose. L’argent utilisé pour acheter les marchandises à l’étranger peut revenir sous forme d’investissements dans le pays importateur ou de versements de dividendes ou de salaires effectués par des Français à l’étranger. Si votre maison était un pays, elle serait en lourd déficit commercial. Vous passeriez votre temps à importer des biens de consommation mais cela n’aurait pas d’importance : votre travail, votre épargne effectués en dehors de votre appartement vous rapporteraient des devises. La balance commerciale seule n’est pas un signe de bonne ou de mauvaise santé économique.

Ce qui peut poser problème à long terme, c’est lorsque le pays, le quartier ou l’individu s’endettent pour consommer. C’est-à-dire qu’ils échangent un bien ou un service aujourd’hui contre un paiement demain parce qu’ils ne produisent pas assez aujourd’hui pour payer leur consommation. Le déficit commercial n’est pas forcément un problème. C’est un symptôme qui, lorsqu’il est accompagné d’un autre symptôme, la dette pour consommer, est le signe d’une maladie : production trop faible par rapport à la consommation.

Les solutions protectionnistes des souverainistes ne font que traiter un symptôme – le déficit commercial – en aggravant la maladie.

La désindustrialisation

Pour justifier l’interdiction d’échanger entre deux personnes qui ne leur ont rien demandé et qui ne leur font pas de mal, les étatistes s’appuient sur des macro-statistiques, vraies ou fausses, qui s’éloigneraient d’une valeur idéale – connue d’eux seuls – et qu’ils auraient la lourde charge de corriger.

La désindustrialisation est devenue le grand drame national des souverainistes comme des socialistes, qu’ils se proposent de résoudre en taxant les produits étrangers. Le remède est suspect, d’autant que la maladie est incertaine. La « désindustrialisation » est un phénomène mondial. Partout dans le monde la part de l’industrie dans les économies diminue au détriment des services. D’abord grâce à des technologies de plus en plus performantes qui diminuent les besoins de main-d’œuvre dans l’industrie, ensuite parce que de nombreuses industries ont externalisé tout ce qui n’était pas dans leur cœur de métier. Là où hier, un constructeur automobile avait des employés pour faire le ménage et la communication, il aurait plutôt tendance aujourd’hui à faire appel à une société de ménage ou de communication externe. Le même employé faisant le même travail dans la même usine fait aujourd’hui partie du secteur des services.

La « désindustrialisation » ne se traduit donc même pas par une baisse de la production industrielle, nos industries produisent plus aujourd’hui, mais avec moins de monde.

La baisse des salaires

Quoi de plus beau qu’un souverainiste, dans le soleil levant, prenant la tête d’une croisade pour protéger les bas salaires de l’affreuse mondialisation libérale, un subtil mélange de Jean Valjean, d’Ivanhoé et de l’abbé Pierre au service des ouvriers ? Cette image héroïque se base d’abord sur un gros, gros, gros malentendu.

Le salaire nominal, ce n’est pas le pouvoir d’achat. Un ouvrier qui gagne 100 euros par jour avec un chariot de course moyen à 80 euros par jour est plus prospère qu’un ouvrier qui gagne 200 euros par jour avec le même chariot moyen qui coûte 250. Le salaire nominal peut parfois effectivement baisser avec le libre-échange, mais cela se traduit dans le même temps par une baisse encore plus importante du prix des biens et des services. Sans la mondialisation, les prix des biens exploseraient, des téléphones portables jusqu’aux voitures en passant par le matériel médical. Les Ivanhoé du protectionnisme devraient bien expliquer cela à leurs protégés : 

« Vous allez gagner plus, mais vous pourrez acheter beaucoup moins. »

D’autant que le protectionnisme s’appuie sur une méthode simple : taxer les produits étrangers. Sauf que là aussi l’expression est trompeuse. Ce ne sont pas les produits étrangers qui sont taxés, ce sont ceux qui les achètent. On n’a jamais vu un paquet de T-shirts chinois sortir 300 euros pour les donner à la douane française. Ceux qui payent la taxe sont ceux qui achètent les T-shirts : les Français, souvent d’ailleurs les plus modestes.

 L’altermondialisme

Certains messages de l’altermondialisme sont des petites lumières sympathiques : la réduction de la pauvreté, l’importance des choix des personnes même lorsqu’ils ne sont pas conformes aux goûts de la majorité, certaines critiques pertinentes sur le rôle et les actions des institutions internationales. Le problème est que dès que l’on va au-delà de cette jolie petite lumière, on découvre rapidement les vieilles dents décrépites du marxisme, la lutte des classes, un constructivisme mondial via des taxes ou des interdits, un étatisme omniprésent, le mépris des droits fondamentaux au profit d’une liste de droits créances approximative et changeante. Ces vieilles dents ont déjà fait des méchantes morsures à l’humanité, en la maintenant dans la misère ou en asservissant des personnes libres.

Cela étant, si les libéraux refusent l’alter-monde néo-marxiste, cela ne signifie pas qu’ils trouvent la mondialisation satisfaisante. Au contraire, pour les libéraux, les progrès à accomplir à l’échelle mondiale sont immenses en ce qui concerne le respect des droits naturels – sûreté, liberté, propriété –, la démocratie, le droit, les distorsions dues à la monnaie, la lutte contre la corruption, l’éducation… Raison de plus pour ne pas appliquer à l’échelle mondiale ce qui n’a jamais marché à l’échelle nationale, régionale, continentale…

Par Daniel Tourre
Source L'Opinion


Daniel Tourre

De Wikiberal
Daniel Tourre, né en 1971 à Paris, est un auteur libéral français. Il fait partie des 100 auteurs du livre Libres ! 100 idées, 100 auteurs.  
l passe une partie de son enfance en Île-de-France et, suivant les déplacements de ses parents, à Madagascar et au Portugal.
Militant dans le milieu libéral au lycée et à l’université, il étudie la physique théorique à Strasbourg puis à Groningen (Pays-Bas) et St Andrews (Écosse).
Il débute ensuite une carrière en indépendant sur l’informatique bancaire où il se forme sur l’économie, la gestion des risques bancaires et les problèmes monétaires.
En 2007, considérant que le libéralisme n’est ni de droite, ni de gauche, il adhère le même jour au PS et à l’UMP afin de défendre cette doctrine en interne dans les deux grands partis de gouvernement. Il s’investit aussi dans un nouveau parti libéral, Alternative Libérale, dont il est le candidat pour les législatives dans le Ve arrondissement de Paris en 2007.
Il accompagne la création du Parti Libéral Démocrate qu’il quitte début 2012 pour animer la campagne présidentielle fictive de Frédéric Bastiat (www.bastiat2012.fr).
Il vit aujourd’hui avec sa femme à Nancy tout en travaillant à Paris et au Luxembourg. 


Pulp Libéralisme

En 2012, Daniel Tourre publie Pulp Libéralisme, La tradition libérale pour les débutants, aux éditions Tulys.
Ce livre présente de manière humoristique les bases philosophiques du libéralisme classique ainsi que des notions de sciences économiques. Il est divisé en 36 courts chapitres répondant à des clichés communs sur le libéralisme.
Distrayant, il est illustré par près de 230 vignettes kitsch de bandes dessinées américaines des années 1950 (super-héros, robots, monstres improbables, demoiselles en détresse...) dont le contenu des bulles a été modifié.
Il s’appuie aussi sur plusieurs centaines de citations courtes d’auteurs majeurs du libéralisme, permettant d’identifier les ouvrages permettant d’aller plus loin à ceux qui le souhaitent. 


Citations

  • « Une pièce d’or, trouvée au fond de l’eau dans un galion naufragé, a conservé sa valeur pendant 400 ans, sans banque centrale, sans experts et sans ministres de l’Economie. Les crustacés sont manifestement plus compétents pour garder une monnaie saine, moins arrogants et moins coûteux qu’une banque centrale ».
  • « En France, il n'y a pas de problèmes économiques, il y a juste des taxes qui n'ont pas encore été trouvées. »
  • « L'État mammouth veut votre bien. Le maximum de votre bien. »

Liens externes

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mars 21, 2015

Revue de presse sur l'ouvrage de Chantal Delsol « Populisme. Les demeurés de l’Histoire »

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.






 Le Figaro : Plaidoyer pour le populisme

Les jeunes gens qui voudraient connaître un de ces admirables professeurs que fabriquait la France d’avant — et qui la fabriquaient en retour — doivent lire le dernier ouvrage de Chantal Delsol. Tout y est : connaissance aiguë du sujet traité ; culture classique ; perspective historique ; rigueur intellectuelle ; modération dans la forme et dans la pensée, qui n’interdit nullement de défendre ses choix philosophiques et idéologiques. Jusqu’à cette pointe d’ennui qui se glisse dans les démonstrations tirées au cordeau, mais que ne vient pas égayer une insolente incandescence de plume. L’audace est dans le fond, pas dans la forme. On s’en contentera.

Notre auteur a choisi comme thème de sa leçon le populisme. Thème dangereux. Pour elle. Dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert revisité aujourd’hui, on aurait aussitôt ajouté au mot populisme : à dénoncer ; rejeter ; invectiver ; ostraciser ; insulter ; néantiser. Non seulement Chantal Delsol ne hurle pas avec les loups, mais elle arrête la meute, décortique ses injustes motifs, déconstruit son mépris de fer. À la fin de sa démonstration, les loups ont perdu leur légitimité de loups. « Que penser de ce civilisé qui, pour stigmatiser des sauvages, les hait de façon si sauvage ? »

Pourtant, les loups sont ses pairs, membres comme elle de ces élites culturelles, universitaires, politiques, ou encore médiatiques, qui depuis des siècles font l’opinion à Paris ; et Paris fait la France, et la France, l’Europe. Chantal Delsol n’en a cure. Elle avance casquée de sa science de la Grèce antique. Se sert d’Aristote contre Platon. Distingue avec un soin précieux l’idiotès de l’Antiquité grecque, qui regarde d’abord son égoïste besoin, au détriment de l’intérêt général du citoyen, de l’idiot moderne, incapable d’intelligence. Dépouille le populiste de l’accusation de démagogie. Renvoie vers ses adversaires la férocité de primate qui lui est habituellement attribuée par les donneurs de leçons démocratiques :
« Dès qu’un leader politique est traité de populiste par la presse, le voilà perdu. Car le populiste est un traître à la cause de l’émancipation, donc à la seule cause qui vaille d’être défendue. Je ne connais pas de plus grande brutalité, dans nos démocraties, que celle utilisée contre les courants populistes. La violence qui leur est réservée excède toute borne. Ils sont devenus les ennemis majuscules d’un régime qui prétend n’en pas avoir. Si cela était possible, leurs partisans seraient cloués sur les portes des granges. »
Chantal Delsol analyse avec pertinence le déplacement des principes démocratiques, depuis les Lumières : la raison devient la Raison ; l’intérêt général de la cité, voire de la nation, devient celui de l’Humanité ; la politique pour le peuple devient la politique du Concept. Les progressistes veulent faire le bien du peuple et s’appuient sur lui pour renverser les pouvoirs ancestraux ; mais quand ils découvrent que le peuple ne les suit plus, quand ils s’aperçoivent que le peuple juge qu’ils vont trop loin, n’a envie de se sacrifier ni pour l’humanité ni pour le règne du concept, alors les élites progressistes liquident le peuple. Sans hésitation ni commisération. C’est Lénine qui va résolument basculer dans cette guerre totale au peuple qu’il était censé servir, lui qui venait justement des rangs des premiers « populistes » de l’Histoire. Delsol a la finesse d’opposer cette « dogmatique universaliste » devenue meurtrière à l’autre totalitarisme criminel du XXe siècle : le nazisme. Avec Hitler, l’Allemagne déploiera sans limites les « perversions du particularisme ». Ces liaisons dangereuses avec la « bête immonde » ont sali à jamais tout regard raisonnablement particulariste. En revanche, la chute du communisme n’a nullement entaché les prétentions universalistes de leurs successeurs, qu’ils s’affichent antiracistes ou féministes ou adeptes de la théorie du genre et du « mariage pour tous ». Le concept de l’égalité doit emporter toute résistance, toute précaution, toute raison.

Alors, la démocratie moderne a tourné vinaigre : le citoyen, soucieux de défendre sa patrie est travesti en idiot : celui qui préfère les Autres aux siens, celui qui, il y a encore peu, aurait été vomi comme traître à la patrie, « émigré » ou « collabo », est devenu le héros, le grand homme, le généreux, l’universaliste, le progressiste. De même l’égoïste d’antan, l’égotiste, le narcissique, qui préférait ses caprices aux nobles intérêts de sa famille, au respect de ses anciens et à la protection de ses enfants, est vénéré comme porte-drapeau flamboyant de la Liberté et de l’Égalité. Incroyable renversement qui laisse pantois et montre la déliquescence de nos sociétés : « Le citoyen n’est plus celui qui dépasse son intérêt privé pour se mettre au service de la société à laquelle il appartient ; mais celui qui dépasse l’intérêt de sa société pour mettre celle-ci au service du monde... Celui qui voudrait protéger sa patrie face aux patries voisines est devenu un demeuré, intercédant pour un pré carré rabougri ou pour une chapelle. Celui qui voudrait protéger les familles, au détriment de la liberté individuelle, fait injure à la raison. La notion d’intérêt public n’a plus guère de sens lorsque les deux valeurs primordiales sont l’individu et le monde. »

Les élites progressistes ont déclaré la guerre au peuple. En dépit de son ton mesuré et de ses idées modérées, Chantal Delsol a bien compris l’ampleur de la lutte : « Éduque-les, si tu peux », disait Marc-Aurèle. Toutes les démocraties savent bien, depuis les Grecs, qu’il faut éduquer le peuple, et cela reste vrai. Mais chaque époque a ses exigences. « Aujourd’hui, s’il faut toujours éduquer les milieux populaires à l’ouverture, il faudrait surtout éduquer les élites à l’exigence de la limite, et au sens de la réalité. » Mine de rien, avec ses airs discrets de contrebandière, elle a fourni des armes à ceux qui, sous la mitraille de mépris, s’efforcent de résister à la folie contemporaine de la démesure et de l’hubris [la démesure en grec].

Quand ils découvrent que le peuple ne les suit plus, quand ils s’aperçoivent que le peuple juge qu’ils vont trop loin, n’a envie de se sacrifier ni pour l’humanité ni pour le règne du concept, alors les élites progressistes liquident le peuple.

Sud-Ouest : Ce diable de populisme
Le nouvel essai de Chantal Delsol n’est pas franco-français. On a bien sûr en tête, en le lisant, l’exemple du Front national, surtout à l’heure où la classe politique se dispute à nouveau sur l’attitude à tenir en ce dimanche de second tour électoral dans une circonscription du Doubs. Mais le propos de cette intellectuelle libérale et catholique, à la pensée claire et ferme, va au-delà de nos contingences puisqu’il s’agit de s’interroger sur la démocratie.

Celle-ci est-elle fidèle à ses valeurs lorsqu’elle ostracise un courant politique ? Car tel est le sort des partis ou mouvements décrits sous le terme « populistes ». Et dans la bouche de ceux qui les combattent, le mot ne désigne pas un contenu précis, mais claque comme une injure. Du coup, aucun de ces partis — très divers — ne revendique l’adjectif, sauf par bravade, alors qu’au XIXe siècle, le populisme n’avait pas de connotation péjorative et s’affichait sans complexes, en Russie avec les « Narodniki » ou aux États-Unis avec les « Granger ».

Car c’est à une réflexion historique d’ampleur que se livre Chantal Delsol. Des tribuns de la plèbe dans l’Antiquité aux courants protestataires qui agitent notre Europe de 2015, l’essayiste s’interroge sur les raisons qui font que la démocratie, dont Aristote explique — contre Platon — qu’elle n’est pas fondée sur le règne de la vérité, mais sur celui de l’opinion, en est arrivée à diaboliser des expressions politiques se réclamant justement de ce « peuple » qui est pourtant sa raison d’être.

L’explication qui vient à l’esprit, ce sont les dérives totalitaires de ceux qui ont utilisé la démocratie pour la détruire. Bien sûr, l’auteur se range parmi ceux qui encouragent les démocraties à se défendre. Mais les « populismes » que dénoncent aujourd’hui les élites sont-ils vraiment ennemis de la démocratie ? Chantal Delsol ne le croit pas. Selon elle, ce que veulent ces partis contestataires, c’est précisément un débat démocratique où puissent se faire entendre d’autres opinions que les dominantes. Bref, une alternative.

Credo de l’enracinement
Or, tout se passe comme si certaines opinions n’étaient pas jugées recevables, notamment celles qui privilégient l’enracinement des individus et des sociétés à rebours du credo dominant des élites, celui de l’émancipation et du dépassement des cadres et repères traditionnels. Présentées comme une « frileuse » tendance au repli identitaire, ces opinions répandues dans les milieux « populaires » sont qualifiées de « populistes ». Cela les disqualifie d’avance alors qu’elles sont porteuses de leur sagesse propre ; et cela fait de ceux qui les affichent non pas des enfants, comme feraient des technocrates qui considèrent la politique comme une science inaccessible au vulgaire (et donc récusent la démocratie), mais des idiots dont les idées n’ont pas droit de cité.

Risque de « démagogie »
Non seulement il y a là une perversion de la démocratie, qui est par nature la confrontation d’idées entre gens ayant également voix au chapitre ; mais il y a aussi un risque, celui de dessécher le débat public ou le radicaliser. Bien sûr, Delsol soupèse l’autre risque, inhérent à la démocratie depuis ses origines grecques, et que dénonçait déjà Platon, celui de la « démagogie ». Mais la démocratie étant le pire système... à l’exception de tous les autres, il faut en accepter aussi les inconvénients...

Figaro Magazine : « Non, le populisme n’est pas la démagogie »
Marine Le Pen aux marches de l’Élysée en 2017 ? La Gauche radicale au pouvoir en Grèce ? Le populisme semble avoir de beaux jours devant lui... Mais que faut-il entendre exactement par ce mot ? Et comment a-t-il été instrumentalisé par les élites en place ? La philosophe Chantal Delsol nous l’explique.

— Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle de 2017, mais battue au second tour selon un sondage CSA ; explosion du terrorisme islamique fondamentaliste sur notre territoire ; avènement de la gauche radicale en Grèce... De quoi ces événements sont-ils le symptôme ?

Chantal Delsol — La concomitance de ces événements est le fruit d’un hasard, on ne saurait les mettre sur le même plan, et pourtant ils sont révélateurs d’un malaise des peuples. Que Marine Le Pen arrive au second tour est à présent presque une constante dans les différents sondages. Comme dans le roman de Houellebecq, il est probable cependant qu’on lui préférera toujours même n’importe quel âne ou n’importe quel fou : mon travail sur le populisme tente justement d’expliquer ce rejet incoercible.

Le terrorisme issu du fondamentalisme islamique ressortit quant à lui à un problème identitaire. Pour ce qui est des attentats, depuis des décennies, les grands partis s’entendent à étouffer la vérité, à tout lisser à l’aune du politiquement correct, c’est ainsi qu’on refuse de voir les problèmes dans nos banlieues où Les Protocoles des Sages de Sion sont couramment vendus, et que l’on persiste à imputer l’antisémitisme au seul Front national, alors qu’il est depuis bien longtemps le fait de l’islamisme. À force de tout maintenir sous une chape de plomb, il ne faut pas s’étonner que la pression monte et que tout explose.

En ce qui concerne la Grèce, c’est la réaction d’une nation qui en a assez d’être soumise aux lois européennes. C’est une gifle administrée à une technocratie qui empêche un pays de s’organiser selon son propre modèle. On observe une imparable logique dans l’alliance de la gauche radicale avec le parti des Grecs indépendants dès lors que ces deux formations sont souverainistes, qu’elles refusent l’austérité, et sont animées d’une semblable volonté de renégociation de la dette.

Rien d’étonnant non plus à voir Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon saluer quasi de concert le nouveau Premier ministre grec, les extrêmes se retrouvant sur ce même créneau. Centralisatrice et souverainiste, Marine Le Pen a, au reste, gauchisé son programme économique. La souffrance identitaire des banlieues, tout comme l’émergence d’une France périphérique, ou bien encore la revendication par les Français de leurs propres racines et, par-delà nos frontières, le réveil du peuple en Grèce, sont autant de preuves de l’échec du politique.

— D’où cette montée des populismes, pourtant âprement décriée...
Le vocable est devenu aujourd’hui synonyme de démagogie, mais ce n’est qu’un argument de propagande. Il est employé comme injure pour ostraciser des partis ou mouvements politiques qui seraient composés d’imbéciles, de brutes, voire de demeurés au service d’un programme idiot, ce terme d’idiot étant pris dans son acception moderne : un esprit stupide, mais aussi, dans sa signification ancienne, un esprit imbu de sa particularité. L’idiotès grec est celui qui n’envisage le monde qu’à partir de son regard propre, il manque d’objectivité et demeure méfiant à l’égard de l’universel, à l’inverse du citoyen qui, lui, se caractérise par son universalité, sa capacité à considérer la société du point de vue du bien commun. L’idiot grec veut conserver son argent et refuse de payer des impôts. Il cultive son champ et se dérobe face à la guerre, réclamant que l’on paye pour cela des mercenaires. À l’écoute des idiotès, les démagogues grecs attisaient les passions individuelles au sein du peuple, jouant sur le bien-être contre le Bien, le présent contre l’avenir, les émotions et les intérêts primaires contre les intérêts sociaux, si bien qu’au fond, les particularités populaires peuvent être considérées comme mauvaises pour la démocratie. Voilà l’origine. Rien de plus simple, dès lors, pour nos modernes élites, de procéder à l’amalgame entre populisme et démagogie, avec ce paradoxe que les électeurs des « populismes » seront les premiers à se sacrifier lors d’une guerre, car ils ne renonceront jamais à leurs racines ni au bien public, au nom de valeurs qu’ils n’ont pas oubliées. Il est absolument normal qu’une démocratie lutte contre la démagogie, qui représente un fléau mortifère, mais ici il ne s’agit pas de cela : les électeurs des « populismes » ne sont pas des gens qui préfèrent leurs intérêts particuliers au bien commun, ce sont des gens qui préfèrent leur patrie au monde, le concret à l’universel abstrait, ce qui est autre chose. Et cela, on ne veut pas l’entendre.

Chez les Grecs, comme plus tard chez les chrétiens, l’universel (par exemple celui qui fait le citoyen) est une promesse, non pas un programme écrit, c’est un horizon vers lequel on tend sans cesse. Or il s’est produit une rupture historique au moment des Lumières, quand l’universalisme s’est figé en idéologie avec la théorie émancipatrice : dès lors, toute conception ou attitude n’allant pas dans le sens du progrès sera aussitôt considérée non pas comme une opinion, normale en démocratie, mais comme un crime à bannir. Quiconque défendra un enracinement familial, patriotique ou religieux sera accusé de « repli identitaire », expression désormais consacrée. C’est la fameuse « France moisie ». Les champs lexicaux sont toujours éclairants...

— Diriez-vous que nous vivons dans un nouveau terrorisme intellectuel ?
Un terrorisme sournois, qui se refuse à considérer comme des arguments tout ce qui défend l’enracinement et les limites proposées à l’émancipation. On appelle populiste, vocable injurieux, toute opinion qui souhaite proposer des limites à la mondialisation, à l’ouverture, à la liberté de tout faire, bref à l’hubris en général. L’idéologie émancipatrice fut le cheval de bataille de Lénine, populiste au sens premier du terme (à l’époque où populiste signifiait populaire — aujourd’hui, la gauche est populaire et la droite populiste, ce qui marque bien la différence), ne vivant que pour le peuple ; mais quand il dut reconnaître que ni les ouvriers ni les paysans ne voulaient de sa révolution, limitant leurs aspirations à un confort minimal dans les usines, à la jouissance de leurs terres et à la pratique de leur religion, il choisit délibérément la voie de la terreur. Il s’en est justifié, arguant que le peuple ne voyait pas clair.

Mutatis mutandis, c’est ce que nous vivons aujourd’hui avec nos technocraties européennes et, particulièrement, nos socialistes qui estiment connaître notre bien mieux que nous. M. Hollande et Mme Taubira nous ont imposé leur « réforme de civilisation » avec une telle arrogance, un tel mépris, que le divorce entre les élites et le peuple est désormais patent. À force de ne pas l’écouter, la gauche a perdu le peuple. L’éloignement de plus en plus grand des mandataires démocratiques pousse le peuple à se chercher un chef qui lui ressemble, et on va appeler populisme le résultat de cette rupture. Si par « gauche » on entend la recherche de la justice sociale, à laquelle la droite se consacre plutôt moins, le peuple peut assurément être de gauche, mais dès lors que l’élite s’engouffre dans l’idéologie, le peuple ne suit plus, simplement parce qu’il a les yeux ouverts, les pieds sur terre, parce qu’il sait d’instinct ce qui est nécessaire pour la société, guidé qu’il est par un bon sens qui fait défaut à nos narcissiques cercles germanopratins. Ce n’est pas au cœur de nos provinces qu’on trouvera les plus farouches défenseurs du mariage entre personnes du même sexe, de la PMA, de la GPA, voire du transhumanisme. Je ne suis pas, quant à moi, pour l’enracinement à tout crin (n’est-ce pas cette évolution qui a fini par abolir l’esclavage au XIXe, et par abolir récemment l’infantilisation des femmes ?), mais il faut comprendre que les humains ne sont pas voués à une liberté et à une égalité anarchiques et exponentielles, lesquelles ne manqueront pas de se détruire l’une l’autre, mais à un équilibre entre émancipation et enracinement. Équilibre avec lequel nous avons rompu. C’est une grave erreur.

— N’entrevoyez-vous pas une possibilité de sortie du purgatoire pour le populisme ?
Ne serait-ce que par son poids grandissant dans les urnes, il sera de plus en plus difficile de rejeter ses électeurs en les traitant de demeurés ou de salauds, et cela d’autant plus qu’une forte frange de la France périphérique définie par le géographe Christophe Guilluy vote désormais Front national. Marine Le Pen se banalise et, toutes proportions gardées, son parti apparaît de plus en plus comme une sorte de post-RPR, celui qui existait il y a vingt ans, avec les Séguin, Pasqua et autres fortes têtes centralisatrices et souverainistes — la presque seule différence étant dans l’indigence des élites FN : qui, parmi nos intellectuels, se réclame aujourd’hui de ce parti ? Mon analyse est que l’Europe court derrière une idéologie émancipatrice qui, au fond, est assez proche d’une suite du communisme, la terreur en moins : un dogme de l’émancipation absolue, considérée non plus comme un idéal, mais comme un programme. Ainsi sont récusées toutes les limites, ce qui rend la société d’autant plus vulnérable à des éléments durs comme le fondamentalisme islamique. Depuis quelques années, un fossé immense se creuse entre des gens qui, du mariage pour tous au transhumanisme, n’ont plus de repères, et des archaïsants qui veulent imposer la charia. Mais nous ne voulons rien entendre. Nous ne voulons pas comprendre que ces archaïsants sont des gens qui réclament des limites. Il est pathétique de penser que devant le vide imposé par la laïcité arrogante, cet obscurantisme irréligieux, le besoin tout humain de religion vient se donner au fondamentalisme islamique — dans le vide imposé, seuls s’imposent les extrêmes, parce qu’ils ont tous les culots.

Dans ce contexte, il n’est pas impossible que les pays anglo-saxons, et notamment les États-Unis, s’en sortent mieux que nous, car il y perdure une transcendance et nombre de règles fondatrices repérables dans les constitutions, et qui structurent les discours politiques.

— Au point qu’une certaine américanisation de nos mœurs pourrait nous retenir ?
Si paradoxal que cela paraisse, je répondrai par l’affirmative. Au fond, même si l’on en constate les prodromes chez les Anciens, et notamment dans La République de Cicéron, le progrès émancipateur est venu du christianisme, mais il ne saurait demeurer raisonnable sans une transcendance au-dessus. Je dirais que l’élan du temps fléché allant au progrès, qui est né ici en Occident, a été construit pour avancer sous le couvert de la transcendance, qui garantit son caractère d’idéal et de promesse, l’enracine toujours dans la terre, et l’empêche de dériver vers des utopies mortifères. Tranchez la transcendance pour ne conserver que l’émancipation et vous voilà à bord d’un bateau ivre. C’est pourquoi je préfère les Lumières écossaises et américaines, qui sont biblico-révolutionnaires, aux Lumières françaises, forcément terroristes.

— À propos de limites, comment analysez-vous l’adoption par le président de la République et le gouvernement du slogan : « Je suis Charlie » ?
Le pouvoir a surfé sur la vague, avec succès d’ailleurs, mais on n’était que dans la communication et l’artifice : gros succès pour la réunion des chefs d’État, avec une manifestation dont les chiffres augmentaient avant même que les gens ne soient sur place ! François Hollande a fait en sorte que sa cote grimpe dans les sondages, et tel fut le cas, mais tout cela risque de se déballonner dès lors que le pays se retrouvera avec ses soucis majeurs. Quant à la caricature de Mahomet réitérée après l’attentat, même avec son caractère ambigu et doucereux, elle demeure pour le milliard six cent millions de musulmans — presque un quart de la population planétaire — une provocation. Il est étrange de voir des gens qui se disent constamment éloignés de l’idée du « choc de civilisations » en train de susciter, avec enthousiasme (par bravade, par sottise : voyez l’âge mental de ces dessins...), une guerre de civilisations...

FigaroVox : « L’Union européenne est une variante du despotisme éclairé »
La certitude de détenir la vérité conduit les dirigeants de l’UE à négliger le sentiment populaire, argumente l’universitaire.
— Faut-il analyser les élections en Grèce comme un réveil populiste ?
Il est intéressant de voir que le parti Syriza n’est pas appelé « populiste » par les médias, mais « gauche radicale ». Le terme « populiste » est une injure, et en général réservé à la droite. Ce n’est pas une épithète objective. Personne ne s’en prévaut, sauf exception. On ne peut donc pas dire de Syriza qu’il est populiste. Et cela affole les boussoles de nos commentateurs : le premier à faire un pied de nez à l’Europe institutionnelle n’est pas un parti populiste…

— Comment expliquer la défiance des peuples européens qui s’exprime d’élections en sondages vis-à-vis de l’Union européenne ?
Les peuples européens ont le sentiment de n’être plus maîtres de leur destin, et ce sentiment est justifié. Ils ont été pris en main et en charge par des super-gouvernants qui pensent connaître leur bien mieux qu’eux-mêmes. C’est ni plus ni moins une variante du despotisme éclairé, ce qui à l’âge contemporain s’appelle une technocratie : le gouvernement ressortit à une science, entre les mains de quelques compétents.

Avant chaque élection, on dit aux peuples ce qu’ils doivent voter, et on injurie ceux qui n’ont pas l’intention de voter correctement. S’ils votent mal, on attend un peu et on les fait voter à nouveau jusqu’à obtenir finalement le résultat attendu. Les instances européennes ne se soucient pas d’écouter les peuples, et répètent que les peuples ont besoin de davantage d’explications, comme s’il s’agissait d’une classe enfantine et non de groupes de citoyens.

L’Action française 2000 : Les Lumières contre le populisme, les Lumières comme messianisme
Extrait de son entretien :

« Le moment des Lumières est crucial. C’est le moment où le monde occidental se saisit de l’idéal émancipateur issu du christianisme, et le sépare de la transcendance : immanence et impatience qui vont ensemble – le ciel est fermé, tout doit donc s’accomplir tout de suite. C’est surtout vrai pour les Lumières françaises. Ce qui était promesse devient donc programme. Ce qui était un chemin, lent accomplissement dans l’histoire terrestre qui était en même temps l’histoire du Salut, devient utopie idéologique à accomplir radicalement et en tordant la réalité. Pour le dire autrement : devenir un citoyen du monde, c’était, pour Socrate (et pour Diogène, ce Socrate devenu fou), un idéal qui ne récusait pas l’amour de la cité proche (dont Socrate est mort pour ne pas contredire les lois). Être citoyen du monde, pour les chrétiens, c’était une promesse de communion, la Pentecôte du Salut.

Mais pour les révolutionnaires des Lumières, dont nos gouvernants sont les fils, être citoyen du monde signifie tout de suite commencer à ridiculiser la patrie terrestre et les appartenances particulières – la famille, le voisinage, etc. Lénine a bien décrit comment s’opère le passage dans Que faire ? – il veut faire le bien du peuple, mais il s’aperçoit que le peuple est trade-unioniste, il veut simplement mieux vivre au sein de ses groupes d’appartenance, tandis que lui, Lénine, veut faire la révolution pour changer le monde et entrer dans l’universel : il va donc s’opposer au peuple, pour son bien, dit-il. C’est le cas de nos élites européennes, qui s’opposent constamment au peuple pour son bien (soi-disant). Pour voir à quel point l’enracinement est haï et l’universel porté aux nues, il suffit de voir la haine qui accompagne la phrase de Hume citée par Le Pen “Je préfère ma cousine à ma voisine, ma sœur à ma cousine, etc.”, pendant qu’est portée aux nues la célèbre phrase de Montesquieu : “Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime.” Or nous avons besoin des deux, car nous sommes des êtres à la fois incarnés et animés par la promesse de l’universel. »

« Populisme. Les demeurés de l’Histoire » de Chantal Delsol, aux Éditions du Rocher, à Monaco,
en 2015, 267 pages, 17,90 €.
Chantal Delsol est membre de l’Institut, philosophe et historienne des idées. 




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