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novembre 09, 2014

REPENSER L’INDIVIDUALISME avec Alain LAURENT; LE COMMUNAUTARISME : POUR QUOI FAIRE ? d' Angelo PETRONI

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


De nombreux ouvrages parus en France aussi bien qu’aux Etats-Unis depuis quelques années le proclament à l'envi : nous vivons à l'ère de l'individu « incertain », « zappeur » invétéré, d'une part vulnérable, paumé, déboussolé - et de l'autre replié sur lui-même, reclus dans son petit bonheur privé. Avec à la clé une société aussi anomique qu'anémique, « atomisée », vide ou en quête de « sens ». Pour ces publications assurément intéressées à le faire accroire, pas de doute possible : cet état de choses a pour cause majeure le plein règne de l' « individu-roi », d’un individualisme effréné et forcément forcené, et de 1’ « argent-roi », donc d'un capitalisme « sauvage » et débridé. Bref, le plein règne du nouveau « grand satan » de la post-modemité : l'ultra-libéralisme, comme « ils » disent.. 

Au regard des critères rigoureux et classiques qui circonscrivent les réquisits de l'idée d'individualisme (le libre jeu d'acteurs caractérisés par leur indépendance individuelle de décision et d'action, par une autonomie réfléchie et responsable, par leur singularité et enfin par la poursuite de leur intérêt propre), un tel diagnostic apparaît largement dénué de toute pertinence. Les « zombies » et autres clones grégaires à pseudo-autonomie assistée et avides de sécurité, effrayés par la solitude et fuyant leur responsabilité propre, n'ont rien à voir ni avec les rudes Individus souverains, entreprenants et confiants en eux-mêmes, animés d'estime de soi et comptant d'abord sur leur propre force de la vraie tradition individualiste, ni avec les valeurs avérées de celui-ci : effort, mérite, fierté. On en est bien plutôt au degré zéro de l'individualisme, ou du moins réduits à un individualisme alors purement forrnel, dégénéré et caricatural. 

Cela étant, et sans pour autant ramener tout l'actuel jeu de société à ces traits débilitants, il est malheureusement exact que l'ère du soi-disant « individualisme démocratique de masse » se caractérise entre autres par trois tendances dégénérescentes dominantes : 

Un narcissisme hédoniste qui sonne creux : la soumission boulimique aux caprices et pulsions immédiats étant souvent devenue la seule norme, l'individu se trouve alors en proie à l'envie (jouir passivement de tous les « droits » et ne surtout pas voir une tête qui dépasse), à l'ennui et à la peur de ne pas être aimé des autres ; dans ces conditions, « être soi-même » se ramène au culte d'un ego surgonflé par du ... vide car en «manque» de reconnaissance et d'assurance, inapte à la sereine estime de soi et à la vertu (l'effort vers le meilleur) - et aboutit donc à la stérilité intérieure et à l'impasse. 

Un relativisme erratique qui ne mène nulle part: dès lors que s'imposent le bon plaisir et le subjectivisme d'un sujet dépourvu de véritable consistance et de repères objectifs intérieurs, le libre arbitre raisonné disparaît au profit du ... libre arbitraire : tout est bon, tout est vrai et rien ne l'est, tout se vaut (bien que rien ne vaille, ce que je préfère...). 

Le nihilisme contemporain surgit de cette calamiteuse combinaison de narcissisme souffreteux et de relativisme désabusé, de cet effacement de la vertu et d'une hiérarchie lucide des valeurs. Il n'y a effectivement plus de « sens » ... commun lorsque prévalent la haine de soi et l'absence d'un « soi » fort et créateur. Il n'y a plus d'individu digne de ce nom, non plus. Et pas davantage de fructueuse coopération possible ... 

Tout le problème est de savoir comment on en est arrivé là, sans encore une fois sombrer dans l'apocalyptisme. Et s'il faut croire la nouvelle complainte qui monte, accusant l'individualisme libéral et son « laissez-faire » d'être les vecteurs principaux de cette déliquescence des plus paradoxales, puisqu'elle les contaminerait eux-mêmes. 

I - LA FAUSSE PISTE COMMUNAUTARIENNE
Que l'individualisme libéral soit le principal auteur des maux dont souffrirait la modemité, ce fut là longtemps le cheval de bataille enfourché par les socialistes et gauchistes de tous poils, par les tenants de l'extrême-droite et les diverses expressions du catholicisme. L'antienne est désormais reprise et développée avec insistance par le courant communautarien né aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années, et qui commence à essaimer sur le vieux continent. Mais on ne résistera pas en passant au plaisir de rappeler à ceux qui ont la mémoire courte, que de 1920 à 1944 déjà, le salut conjoint dans l'anti- individualisme et la réinvention de la communauté fut le leitmotiv du maurrassisme, du personnalisme. .. « communautaire » à la Mounier puis du pétainisme ... A priori, donc, rien de nouveau sous le soleil : tout cela risque d'avoir un sérieux goût de déjà-vu...et se trouve fortement marqué et connoté sur le plan des tropismes idéologiques. 

1 - Le communautarisme comme remède providentiel à la subversion individualiste/libérale
Pour les communautariens, ce qui fait l'identité humaine, c'est le lien social entendu de manière à la fois très traditionnaliste et très sociologiste : pratiques sociales partagées, contexte historique, traditions communes. Le propre de l'être humain est d'être situé, enraciné, enchâssé dans un groupe ontologiquement premier et érigé en véritable sujet collectif autosubsistant, auquel il appartient (au double sens du terme) corps et âme : l'individu ne s'appartient donc pas et n'existe pas comme entité fondamentalement distincte et autonome. De ce même groupe de référence, il reçoit déjà toute constituée la substance de sa conception du bien, de la « vie bonne » et de la vertu. Sa personne n'est pas autre chose que l'ensemble de ses rôles sociaux constitutifs définis par la communauté. Son identité personnelle et ses fins dépendent avant tout de préconditions sociales et d'une intersubjectivité matricielle initiale. 

L'individu ne possède par suite que secondairement des « droits » par rapport à cette communauté homogène et solidaire. S'il peut « techniquement » s'en émanciper en transcendant contexte et rôles sociaux, il ne doit moralement surtout pas le faire car ce n'est qu'en son sein qu'il peut trouver consistance et épanouissement - et s'en affranchir relèverait d'une perversion subversive nuisant à sa personne et à celle des autres. L'homme du communautarisme n’a le choix qu'entre une apostasie coupable et dissolvante - et le dévouement quasiment oblatif à la conservation d'un bien commun qui l'absorbe. 

On imagine ainsi aisément que dans l'optique communautarienne, l'individualisme libéral incarne un repoussoir radical et soit tenu pour directement responsable de la supposée désintégration sociale ambiante. Censée professer une « neutralité axiologique » et une approche purement « procédurale » des affaires humaines, la société libérale ne pourrait que générer une privatisation généralisée de l'existence qui « atomise », fragmente, isole et déracine les êtres. D'essence séparatiste et dissociatrice, elle saperait et dissoudrait les allégeances et encastrements naturels. Elle induirait des individus désengagés ne pouvant connaître la vie bonne puisque vertu et identité substantielle leur seraient de fait interdits. Foncièrement transgressive, la société libérale agresserait la santé morale des personnes et des communautés - et il conviendrait par conséquent d'en finir avec le type de vie artificielle et pathologique qu'elle impose : donc avec l'ordre libéral lui-même. Pour reconstituer un monde tissé de communautés juxtaposées ou emboîtées. 

2 - Un néo-tribalisme paternaliste et hyper...relativiste
Le projet et le diagnostic communautariens « pèchent » sur deux points majeurs : une présentation intellectuelle falsificatrice des fondements de la société libérale, et l'incapacité à éviter de resombrer dans un retour aux schèmes sociologiques et éthiques de la vie tribale.
Tout d'abord, il est manifestement erroné de prétendre que la société libérale est axiologiquement « neutre », qu'elle se résume à une simple addition de préférences subjectives où tout se réduirait à une quête utilitariste. Si, en première analyse, elle renvoie à une méta-éthique d'apparence neutre seulement chargée d'assurer la coexistence d’une pluralité de conceptions du bien, il est fort clair qu'en impliquant ainsi le respect d'une égalité en droit des individus et en privilégiant leur liberté à la fois comme fin en soi et comme moyen d'accéder au bien, elle pose des valeurs suprêmes et instaure un ... bien commun (condition commune de possibilité d'un accès personnel à un bien singulier) qui sont rien moins que neutres ou dissolvants. Si favoriser des conduites individuelles responsables, justes et tolérantes est réputé « neutre » sur le plan moral, c'est que les mots n'ont plus de sens. Liberté, responsabilité, justice et tolérance sont d'éminents « biens » substantiels - et ils le sont tellement que ce sont eux qui définissent communément ce qu'on appelle une vie civilisée - et qu'ils sont les premiers à être supprimés et niés par les despotismes (ce qui ne paraît jamais être un problème pour les communautariens...). 

On ajoutera en outre que dans la société libérale, rien n’empêche qui que ce soit de s'associer volontairement à d’autres pour vivre de manière communautaire pour leur propre compte. Et que les tendances relativistes/nihilistes relevées au début ont certainement plus pour cause l'emprise de l'étatisme et la persistance d'une culture collectiviste préjudiciables à l'exercice raisonné d'une véritable responsabilité individuelle. 

Quant au modèle communautarien, il apparaît à un tel point véhiculer des anti-valeurs ... dissolvantes (de la liberté responsable) et des anti-concepts cognitifs qu'on se demande comment à l'orée du troisième millénaire des esprits avisés peuvent oser proposer une aussi triviale réédition du vieux holisme tribal (à moins que ce ne soit une expression supplémentaire de la débâcle millénariste ?). 

Les excellentes raisons de lui récuser toute validité sociologique, éthique et politique - et ceci au nom des valeurs cardinales dont s'est nourrie la civilisation occidentale dans son évolution historique vers la société ouverte (Bergson, Popper, Hayek ...) - ne manquent pas. On peut les articuler comme suit : 

Sacralisation de l'héritage social collectif, ce qui implique une conception ultra-déterministe de l'être humain ainsi réduit à l'état de « produit social », une assignation à résidence forcée et surveillée dans le groupe d'origine et un recours à un conditionnement extorquant le « consentement » (?) à cet enfermement. 

Viol des fondements de la nature humaine à laquelle est déniée le droit élémentaire de librement user de sa capacité d'autodétermination ; l'encastrement d'autorité dans la communauté est une ... castration de l'individu, dont l'issue logique est le sacrifice de soi au groupe. 

Contravention aux réquisits les plus évidents de l'éthique, laquelle, si elle va sans s'asseoir sur une liberté de choix, se trouve dès lors dépourvue de tout sens véritable et devient proprement immorale. 

Flou total dans la réponse à la simple question : de quelle communauté concrète parle-t-on toujours ? Quelle est donc ma prétendue communauté d'assignation ? Le clan familial ? Le quartier ou le village où je vis ? La corporation professionnelle ou l'entreprise où je travaille ? Mon (?) ethnie ou, pendant qu'on y est, ma race ? Ma religion (et si je n'en ai pas ?) ? La nation ? Ou tout cela à la fois ? Quel encerclement ! Et si d'aventure toutes ces appartenances se contredisaient ? 

Confusionnisme latent : avoir quelque chose en commun (des valeurs, par exemple), que ce soit d'ailleurs choisi ou non, n'entraîne pas nécessairement une vie communautaire ni l'appartenance à une communauté assimilable à une entité. 

Réification animiste de la communauté dissociée de ses membres et hypostasiée, dans la plus pure tradition holiste, en entité autonome surplombant les êtres humains agissants et seuls vivants, on n'appartient pas par nature à une communauté, on la constitue. 

Dérive vers un hyper-relativisme de groupe : sans aucun souci critique de rechercher une vérité universelle, les traditions et coutumes d'un groupe toujours historiquement contingentes sont érigées en « vérités » locales de fait. C'est la mort de la liberté rationnelle de l'esprit. 

Impérialisme idéologique sous-jacent dans la référence à un « bien commun » substantiel qui, compte tenu de la diversité naturelle des conceptions du bien, ne peut qu'être que l'imposition coercitive d'une d'entre elles par certains et parce que cela satisfait leurs fantasmes ou leurs rêves de pouvoir paternaliste. 

Mise en place obligée de fantastiques dispositifs de contrôle social inquisitoriaux afin de prévenir ou de sanctionner désobéissances, insoumissions, déviances et dissidences : dans le micro-despotisme quotidien du communautarisme, la chasse aux esprits libres et autres hérétiques est ouverte en permanence .Il faudra bien rééduquer les nouveaux asociaux. 

En définitive et globalement parlant, la solution communautarienne ne peut pas aboutir à autre chose qu'à une retribalisation du vivre-ensemble ainsi qu'à une sorte de communisme culturel et moral. Derrière cet idéal du « kibboutz » se tapit la nostalgie de la société close et le désir d'y faire régresser tout le monde. Il suffit de substituer « classe » ou « race », ces autres collectifs à fixation jouisseuse, pour découvrir un schème sociologique bien connu à l'oeuvre. Autant dire qu'avec le communautarisme et la tentation totalitaire douce qui l'anime, la communauté des hommes libres chère à Aristote n'est pas en vue. 

II - LA VOIE ROYALE DE L 'OBJECTIVISME RANDIEN ... ‘AMELIORE’
Alors qu'Ayn Rand est désormais exclusivement connue comme « prophète » d'une éthique et d'une épistémologie objectivistes centrées sur l'affirmation de la vertu de l'égoïsme rationnel, la première période de sa carrière littéraire et intellectuelle (1934-1948) a été essentiellement placée sous le signe d'une revendication et d'une célébration de l'individualisme. C'est à celle-ci qu'il faut revenir pour comprendre en quoi l'objectivisme qui s'est ensuite greffé dessus pour en approfondir et mieux cadrer le sens peut offrir la solution de juste mesure permettant de dépasser les débordements antagonistes mais complices des relativismes du subjectivisme irrationnel d'une part, et du communautarisme néo-tribal de l'autre. 

1 - L'individualisme selon Ayn Rand
« Je crois que l'homme sera toujours un individualiste, qu'il le sache ou non, et je désire faire mon devoir de le lui faire comprendre », « Je peux dire que tous les livres que j'écrirai jamais seront toujours voués à la défense de la cause de l'individu » (Ayn Rand Letters, 28/7/1934 et 5/7/1943) : comme le répète de plus aussi par ailleurs Ayn Rand tout au long de cette période, la vocation de son oeuvre est d'être une dense et permanente profession de foi individualiste. A tel point qu'entre 1940 et 1944, son grand projet est d'écrire un pamphlet intitulé The Individualist Manifesto ou The Individualist Credo ou encore The Moral Basis of Individualism - qui finira par être publié sous forme de digest dans le ... Reader’s Digest de janvier 1944 sous le titre The Only Path to Tomorrow. 

La conception randienne en la matière se déploie à partir d'une alternative paradigmatique fondatrice : « le conflit entre l'individualisme et le collectivisme » - une question qui concerne d'abord « la relation de l'homme aux autres hommes ». Si le collectivisme renvoie bien sûr au primat du groupe sur l'individu et a naturellement partie liée avec l'altruisme et le tribalisme - ces bêtes noires randiennes - l'individualisme selon Ayn Rand est un « code moral basé sur le droit inaliénable de l'homme de vivre pour lui-même et pour son propre compte » (Letters, 17/4/1947). 

Si elle insiste d'emblée sur la nature foncièrement éthique de l'individualisme (« L'individualiste absolu est l'homme moral par excellence » - précepte illustré dans le célèbre plaidoyer pro domo d'Howard Roark dans The Fountainhead, « L'individualisme, qui signifie un genre de vie basé sur des droits individuels inaliénables, ne peut qu'être bien »), il s'ensuit que tout ce qui se réfère à un collectif quelconque - groupe ou ... communauté - est proprement immoral. Car « chaque homme existe de par son propre droit et non pour le compte du groupe» (17/4/47). Raison pour laquelle l'individualisme, en exprimant le propre de la nature humaine et de ses plus hautes exigences, vaut par lui-même et non pour ses conséquences positives (démocratie, prospérité). 

2 - L'éthique objectiviste : la vertu de l'égoïsme rationnel
Bien que cet approfondissement s'amorce dès The Fountainhead, ce n'est qu'à partir du début des années 50 qu'Ayn Rand commence à vouloir préserver l'individualisme de toute dérive subjectiviste en le « calant » sur le socle objectif des exigences d'une nature humaine définies par l'usage nécessaire et privilégié de la raison ainsi que par l'inhérence immanente de droits naturels. 

Dès 1946, elle note que « c'est seulement sur la base de la morale de l'individualisme (dont la raison est le critère fondamental - la morale a un fondement objectif) que chaque homme est libre de décider de ce qui est bien pour lui et seulement pour lui ». Et il est revenu à Nathaniel Branden d'expliciter ainsi ce recentrement de l'individualisme sur l'éthique de l'égoïsme rationnel : « Un homme qui cherche à fuir la responsabilité de conduire sa vie par sa propre pensée et ses propres efforts, et qui souhaite survivre en conquérant, gouvernant et exploitant les autres, n'est pas un individualiste. Un individualiste est un homme qui vit pour son propre compte et par son propre esprit. ..Un individualiste est avant tout et en tout un être de raison.. la rationalité est la précondition de l'indépendance et de la confiance en soi » (The Objectivist Newsletter, avril 1962). 

Au fondement anthropologique et ontologique de la perspective
objectiviste, il y a la double reconnaissance de l'existence, objective et universelle, d'une nature humaine et de son individuation radicale et première. Dans la réalité, il n'existe que des individus, chacun d'entre eux devant s'efforcer d'actualiser à sa manière singulière cette nature commune qui les pourvoit originellement d'une capacité spécifique de réflexion (conscience + raison) et du droit d'en librement user afin de réaliser la fin de tout être humain : d'abord (sur)vivre, puis mais corrélativement accéder au bonheur dans l'accomplissement de soi. 

Pour Ayn Rand, vivre en tant qu'être humain - individuellement et rationnellement - c'est entreprendre de vivre pour soi et donc par soi, en propriétaire responsable de soi. Cette finalité éminemment « égoïste », qui fait de chaque individu une fin en soi, implique le déploiement de vertus et la définition d'un code de valeurs propres à en permettre la réalisation. Ce que seule la raison peut assurer dans un contexte de liberté de choix et d'intégrité créatrice de l'individu. 

L'éthique objectiviste fait ainsi de la pratique de l'égoïsme « rationnel » puisqu'il découle logiquement des spécificités de la nature humaine et ne peut opérer efficacement que dans la prise en compte cohérente et rigoureusement conceptualisée du réel) une vertu, où self-interest et self-esteem s'enrichissent interactivement. Ce qu'Aristote, dont Ayn Rand se recommande explicitement, a fort magistralement exposé dans le livre IX de l'Ethique à Nicomaque. 

3 - Une contribution aristotélicienne à l'édification d'une communauté d'hommes libres
Interdisant logiquement de faire de l'individu un animal social sacrificiel livré aux calculs utilitaires et hédonistes des prédateurs et autres prècheurs d'altruisme, l'éthique objectiviste offre le meilleur point d'appui possible pour amener les individus à entretenir des relations de respect et d’estime mutuels ainsi qu'une fructueuse coopération volontaire et contractuelle. L'égoïsme vertueux qu'elle prône se révèle fondamentalement bienveillant pour autrui : plus et mieux je poursuis mon intérêt rationnel propre, et plus et mieux les autres s'en trouvent. Et « négativement », car exempts de toute spoliation- coercition, et « positivement », car ils bénéficient des résultats de ma confiance et de ma créativité communes ou à un bien commun minimal et « ouvert » définissant une méta-éthique permettant d'accorder ensemble les souverainetés individuelles. 

Pour la première fois dans l'histoire de l’Humanité les individus sont potentiellement libres et responsables du choix de leur conception du bien - ce qui contrarie évidemment aussi bien ceux qui préfèrent demeurer cloîtrés dans un statut de mineurs ou de grands enfants devant être pris en charge, et ceux, les prédateurs paternalistes, qui risquent d'être privés de l'occasion d'exercer leurs talents de tuteurs hypocritement « égoïstes ». 

L'alternative est donc claire : 

- Ou bien, armés des principes venant d'être énoncés et qu'une éducation appropriée à la responsabilité de soi devrait instiller précocement dans les esprits, on s'efforce résolument d'entrer dans un monde vraiment civilisé, où L’égoïsme randien implique le déploiement de vertus et la définition d’un code de valeurs propres à en permettre la réalisation une civilité raisonnée et ouverte sert de matrice à la coexistence et la coopération des individualités singulières ... 
 
- Ou bien l'on régresse soit dans une sorte d'anarchie erratique (subjectivisme, nihilisme, relativisme), soit dans une franche retribalisation juxtaposant une multiplicité de communautés chacune bien close sur l'arbitraire collectivisé des appartenances et des coutumes. 

Dans ces deux derniers cas, rien ne pourra empêcher les vrais hommes libres (l'inverse de l'animal social) de faire sécession, d'entrer en dissidence et de se constituer en .. communauté discrète et éclatée de rebelles civilisés refusant de se laisser aller à la facilité comme d'appartenir et de communier en rond ... 

Par Alain LAURENT



Alain Laurent

De Wikiberal
 
Alain Laurent, né en 1939, est un philosophe, sociologue et essayiste français, aux positions libertariennes et libérales-conservatrices.

Présentation

Il a une formation de sociologue, avec une thèse sur les clubs de vacances menée sous la direction de Georges Friedmann et soutenue en juin 1971. Il en tira un livre, Libérer les vacances. Il a ensuite enseigné la philosophie dans des lycées de la région parisienne.
Il a également une importante activité d'éditeur : il a été ainsi directeur de la collection « Iconoclastes », co-dirigée avec Pierre Lemieux, aux éditions Les Belles Lettres. Depuis 2004, il dirige une nouvelle collection aux Belles Lettres: La Bibliothèque classique de la liberté, où sont rééditées des œuvres connues et moins connues de Wilhelm von Humboldt, Frédéric Bastiat, Ludwig von Mises, etc. Chaque texte est introduit par une présentation consistante (15 à 20 pages) signée par un spécialiste confirmé de l’auteur et suivi à la fois d’une notice bio-bibliographique et d’un index minimal.
Il a fondé et il anime la société de pensée Raison, Individu, et Liberté, ainsi que la French Ayn Rand Society. Il travaille d'ailleurs sur une biographie intellectuelle d'Ayn Rand, ainsi que sur une Anthologie des textes libéraux à paraître chez Robert Laffont (Collection Bouquins).
Il a été nominé pour le Prix libéraux.org 2008.

 

Individualisme

De Wikiberal
 
L'individualisme est une conception politique, sociale et morale qui tend à privilégier les droits, les intérêts et la valeur de l'individu par rapport à ceux du groupe et de la communauté. Son principe est que l'individu est la seule entité sur laquelle peut se mesurer la valeur morale d'une action.
Ceci implique que les jugements de valeur portés sur des actions sont fondés sur la nature de l'homme. L'individualisme est donc une éthique rationaliste qui ne se fonde pas sur les religions en tant que sources morales. Par ailleurs, dans toute réflexion, et notamment politique, l'individualisme rejette la substitution de l'individu par le groupe, procédé souvent employé injustement pour promouvoir les sacrifices individuels au profit d'autrui. Par exemple, la notion d'intérêt général d'une société est trompeuse et invalide, car elle n'est pas définissable à partir de concepts réels.
L'individualisme vise à ériger en norme suprême l'individu, quel qu'il soit : l'individu forme une réalité autonome, particulière et distincte de toute communauté politique. L'individualisme tend à reconnaître la prééminence tant axiologique que chronologique de l'individu sur la société ainsi que sur l'État. Toute organisation sociale relevant, en effet, clairement de l'artifice, une nation, par exemple, ne peut imposer un empire excessif sur la vie des individus qui la composent. La nation, dans une optique individualiste, est assimilable à une simple série d'individus associés en vue de vivre plus heureusement. L'individualisme est un humanisme dans l'exacte mesure où cela revient, à la fois, à affirmer sans ambages et à défendre la primauté de l'individu sur la multitude.
Dans le domaine de la philosophie politique, le représentant de l'individualisme est le libertarianisme, qui ne tolère pas l'initiation de la violence, sauf dans le but de se protéger de l'agression. La propriété privée, issue du travail mêlé à des ressources matérielles, est l'autre aspect important de la pensée libertarienne et correspond au besoin humain naturel d'agir sur son environnement pour le rendre favorable au maintien de sa vie et à la réalisation de son bonheur.
Dans La Vertu d'Egoisme, la philosophe et romancière américaine Ayn Rand propose et formalise l'égoïsme en tant qu'éthique. Il s'agit d'un courant de pensée individualiste. Parmi les valeurs défendues par Ayn Rand, la justice, la responsabilité et l'indépendance, matérielle et intellectuelle, sont caractéristiques de l'individualisme.

Erreurs courantes

L'individualisme libéral ne nie pas la nature sociale de l'homme, comme le prétend parfois le collectivisme. Il affirme cependant que :
  • l'homme "précède" toute entité sociale, quelle qu'elle soit (famille, nation...) ; les phénomènes sociaux n'existent que par les individus qui y participent, et les entités sociales n'ont d'existence qu'en raison de la nature sociale de l'homme ;
  • l'homme seul, en tant qu'agent moral qui opère des choix, est une fin et non un moyen ; toute institution sociale doit être jugée non pas pour son intérêt en soi ou selon sa finalité, mais sur l'effet qu'elle a sur chaque individu.
Le libéralisme ne fait pas primer l'individu sur la "société", puisque cette société est précisément constituée d'individus ; il s'oppose simplement à une forme d'organisation coercitive de cette société, qui ne respecte pas les droits individuels.
L'homme est par nature un animal social. La spécificité de sa socialisation, c'est de permettre l'émergence de son individualité. C'est parce qu'il vit en société que l'homme est un individu. Le processus d'individuation par lequel la personne acquiert son indépendance, sa différenciation, son autonomie et son développement personnel, s'élabore dans la relation à autrui.
La société n'est que l'ensemble des relations que l'être humain entretient avec ses semblables. La forme de cette société, donc de ces liens entre individus, est ce qui intéresse le libéral, car certains de ces liens, liens de coopération volontaire, respectent l'individu et ses droits, d'autres non (liens de sujétion et de coercition).
L'accusation d'atomisation de la société que certains portent à l'égard de l'individualisme libéral est infondée, puisque le libéral est favorable à toute forme d'association volontaire (qu'il s'agisse d'association, de syndicat, de mutuelle, d'entreprise, de club, etc.). Les collectivistes ne comprennent pas qu'il puisse y avoir une différence entre association volontaire et association coercitive (en revanche ils comprennent très bien les avantages qu'ils peuvent retirer de ce dernier type d'"association").

Citations

  • « L'individualiste absolu est l'homme moral par excellence. » (Ayn Rand)
  • « Le monde avance grâce à des individus qui poursuivent leur propre intérêt. Les grandes réalisations de la civilisation ne sont pas sorties des administrations étatiques. » (Milton Friedman)
  • « L'individualiste conclut qu'il faut laisser, à l'intérieur de limites déterminées, l'individu libre de se conformer à ses propres valeurs plutôt qu'à celles d'autrui, que dans ce domaine les fins de l'individu doivent être toutes-puissantes et échapper à la dictature d'autrui. Reconnaître l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes, telle est l'essence de l'individualisme. » (Friedrich von Hayek, La Route de la servitude[1])
  • « L'individualiste affirme : "Je ne vivrai pas la vie d'un autre, ni ne laisserai un autre vivre ma vie. Je ne dominerai personne, ni ne serai dominé. Je ne serai pas un maître, ni un esclave. Je ne me sacrifierai pas pour les autres, ni ne sacrifierai les autres pour moi." » (Ayn Rand)
  • « L'individualisme n'est pas un repli égocentrique sur soi, pas plus qu'il n'est sacrifice des autres à mon intérêt personnel. En satisfaisant mon intérêt, j'œuvre souvent dans l'intérêt des autres. Inversement, l'individualiste qui ne tiendrait pas compte de la liberté et des intérêts des autres risquerait fort de ne pas survivre très longtemps. » (Gisèle Souchon, Les grands courants de l'individualisme)
  • « L'individualisme, bien entendu, n'est pas l'égoïsme, mais la pitié et la sympathie de l'homme pour l'homme et que je mets au défi qu'on nous propose une autre fin que celle-là. (...) L'individualisme ainsi entendu, c'est la glorification, non du moi, mais de l'individu en général. Il a pour ressort non l'égoïsme, mais la sympathie pour tout ce qui est homme. N'y a-t-il pas là de quoi faire communier toutes les bonnes volontés ? (...) Non seulement l'individualisme n'est pas l'anarchie, mais c'est désormais le seul système de croyances qui puisse assurer l'unité morale du pays. » (Émile Durkheim, L'Individualisme et les intellectuels[3])
  • « Je vois dans la tradition étatique et sociale un obstacle à l'individuation, mais si l'on souhaite des hommes ordinaires et égaux, c'est parce que les faibles redoutent l'individu fort et préfèrent un affaiblissement général à un développement dirigé vers l'individuel. » (Friedrich Nietzsche)
  • « L'individu est quelque chose d'entièrement nouveau et créateur de nouveauté, quelque chose d'absolu auquel toutes ses actions appartiennent en propre. Il n'emprunte qu'à lui-même les valeurs qui règlent ses actions, car lui aussi doit interpréter de façon toute individuelle les mots d'ordre reçus. Même s'il n'invente pas la formule ; il en a au moins une interprétation personnelle : en tant qu'interprète il est encore créateur. » (Friedrich Nietzsche, La Volonté de Puissance, § 767)
  • « L'individualisme n'est pas la morale. Il est seulement la plus forte méthode morale que nous connaissons, la plus imprenable citadelle de la vertu et du bonheur. » (Han Ryner, Le Petit manuel individualiste[4])
  • « Individualisme : toujours forcené. » (Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert, revu par Alain Laurent) (humour)
  • « L’individualisme : ce mot désigne pour eux (les gens de l’État) le cauchemar suprême, le soupçon qu’il subsiste quelque part un fragment de l’esprit humain qui échapperait à la sphère politique, au collectif, au communautaire, au domaine public : le leur ». (Jean-François Revel, Le Regain démocratique, 1992)
  • « Si tu te fais ver de terre, ne te surprend pas si on t'écrase avec le pied. » (Emmanuel Kant)
  • « L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II[5])
  • « Quand on veut vivre parmi les hommes, il faut laisser chacun exister et l'accepter avec l'individualité, quelle qu'elle soit, qui lui a été départie. » (Arthur Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie)
  • « Le moteur du progrès a dû être dans quelque révolte de l’individu, dans quelque libre penseur qui fut sans doute brûlé. Or la société est toujours puissante et toujours aveugle. Elle produit toujours la guerre, l’esclavage, la superstition, par son mécanisme propre. Et c’est toujours dans l’individu que l’humanité se retrouve, toujours dans la société que la barbarie se retrouve. » (Alain)
  • « L’Individualisme est la doctrine politique d’après laquelle l’Individu est la fin et l’État le moyen. L’Individualisme remplace l’ancienne formule : « l’individu pour l’État » par celle-ci : L’État pour l’individu. L’Individualisme n’admet pas qu’on puisse imposer une contrainte à un individu qui ne fait de mal à per­sonne. » (Yves Guyot, La démocratie individualiste)
  • « L’historicisation de la notion d’individu est une idée qui semble étrange dès qu’on prend la peine de s’y arrêter, bien qu’elle soit fort répandue. L’être humain n’a-t-il pas le souci de soi et des siens dans toute société ? Le grand sociologue français Durkheim n’éprouve aucun doute sur ce point : « L’individualisme ne commence nulle part », écrit-il : il est de tout temps. Ce qui signifie simplement que les hommes ont de tout temps jugé les institutions (au sens large du terme) à un trébuchet : leur contribution au bien-être des individus. » (Raymond Boudon, Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme ?
 

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Je voudrais commencer en reprenant les propos d’Alain Laurent, à savoir que le débat est sérieux. Il suffit de revenir au livre remarquable du sociologue Robert Nisbet intitulé «The Sociological Tradition » qui a été traduit aux éditions PUF dans la collection de Boudon. On trouve toujours la question qui s’est posée avec les deux révolutions du début du XIX siècle : Fustel de Coulanges, Tocqueville, et après bien sûr, Durkheim, Tarde. Peut- être ne vaut-il pas la peine de revenir sur ces éternelles questions ? Peut-être a- t-on fait des progrès depuis le début du XIXème siècle ? La connaissance a progressé et des choses que l’on tenait pour vraies se sont révélées fausses. 

Une réaction contre la raison
Je voudrais commencer par Joseph de Maistre et les « Soirées de Saint- Pétersbourg », car je crois qu’il exprime une des tendances de fond des communautariens. Il écrit : « La famille est sans doute composée d’individus qui n’ont rien de commun suivant la raison. Mais suivant l’instinct de la persuasion universelle toute famille est une .» C’est l’opposition instinct de la persuasion universelle contre raison qui me semble revenir aujourd’hui chez les communautariens. Je suis professeur de philosophie des sciences et comme tel je trouve qu’il faut bien considérer un personnage communautarien : Richard Rorty. Il vient d’une tradition analytique très rationaliste et aujourd’hui en vient à s’interroger sur la définition à donner à la raison. Pour lui, chaque communauté a ses règles rationnelles. Si vous croyez que c’est le soleil qui tourne autour de la terre, cela relève des croyances de votre communauté. Il n’y a pas de faits objectifs mais des règles procédurales et contextuelles de convalidation des hypothèses ; c’est de l’hyper-pragmatisme. 

Aujourd’hui, avec le communautarisme nous sommes confrontés à une réaction contre la raison. De Maistre est, de ce point de vue, un père remarquable du communautarisme contemporain parce qu’il avait une conception très claire de la raison : les règles qui existent dans nos sociétés ne sont pas basées sur la raison. Evidemment, on pourrait dire que Hume et Hayek sont en ce sens des anti-rationalistes. Hayek cite souvent la célèbre phrase de son prédécesseur : « Nos règles morales ne sont pas la conclusion de notre raison ». Par là, il oppose une raison absolue qui prétend pouvoir tout prouver à une raison évolutive. Hume et Hayek s’inscrivent donc dans la tradition libérale qui dit que les règles sociales sont justifiées dans la mesure où elles donnent des résultats souhaitables, même si nous n’arrivons pas à les justifier explicitement. Dans la vision réactionnaire de de Maistre, les 
règles sont respectables en tant que telles. On trouve la même conception de la raison chez les communautariens. Le communautarisme est en général le fils du positivisme. Les positivistes ont connu leur déception à la fin des années 50 et 60 quand on a réfuté la vision selon laquelle la science est un accroissement continu de la vérité dont on ne met jamais en discussion les résultats. De là, ils sont tombés dans l’idée que la raison universelle ou commune n’existe pas. 

Communauté et nation
Je voudrais aussi citer un autre personnage communautariste intéressant : Michael Walzer. Sa thèse est que le libéralisme est une théorie autodestructrice. Donc le libéralisme a besoin d’une correction périodique communautaire. « Nous avons nécessité de liens humains ; en leur absence, toute garantie et toute liberté, toute indépendance du jugement et surtout la créativité ne signifieraient qu’anarchie et menace politique ». Voilà une thèse à laquelle Walzer pourrait souscrire. Mais elle est celle de Carl Schmitt en défense de la politique de Hitler. Bien sûr, Schmitt était un communautaire, en faveur de la Gemeinschaft. C’est la raison pour laquelle le terme communauté en allemand n’est plus d’un emploi « politiquement correct » ; aujourd’hui même en allemand on dit « community ». Permettez-moi encore de lire Walzer : « La communauté politique est probablement le point le plus proche d’un monde de significations communes qu’on puisse atteindre. La langue, l’histoire et la culture s’unissent ici plus qu’ailleurs pour former une conscience collective. » C’est le nationalisme éternel. Il est vrai qu’aujourd’hui on trouve, comme Alain de Benoist l’a bien remarqué, une opposition entre nation et communauté, mais les arguments restent exactement les mêmes. 

Permettez-moi de citer Ludwig von Mises à l’encontre de cette vision de la nation fondée sur une conscience collective. Dans son ouvrage La nation, l’Etat et l’économie, il se pose la question de la nation. La nation, c’est la langue. Ce n’est pas original. Mais Mises ajoute que des personnes qui parlent plusieurs langues appartiennent à plusieurs nations. Cette idée des nationalités qui peuvent se superposer, s’assimiler, se mélanger est intéressante et humaniste par rapport à celle de Schmitt et de Walzer. Revenons à ce dernier. Il défend le droit pour toute communauté d’interdire l’immigration. Mais toujours selon lui, aucune communauté n’a le droit d’empêcher l’émigration. Je trouve qu’il y a là une incohérence remarquable. Permettez-moi de rappeler que la question des communautés avait déjà été posée par Tocqueville. Ce dernier est un libéral, mais certains passages de ses livres pourraient être interprétés comme communautaires. Pour un libéral cependant, le point central reste le caractère volontaire de l’association communautaire. Il est vrai qu’on naît dans une certaine communauté, que l’on ne choisit pas sa langue, sa culture ; mais d’un point de vue libéral il est également vrai qu’on a par la suite le droit de les choisir. 

Tocqueville déjà avait perçu le danger de la Révolution française qui laissait un vide entre l’individu et l’Etat, après l’élimination des corps intermédiaires. C’est une question importante que l’Eglise catholique a soulignée avec le principe de subsidiarité. Ainsi, il est difficile de comprendre pourquoi l’Eglise catholique qui a toujours été universaliste et antinationaliste au XIXème siècle - je pense au mot de de Maistre : « Je meurs pour le Pape et pour l’Europe » - semble revenir, surtout les catholiques de gauche, au concept de communauté. Peut-être veulent-il éliminer l’Etat et doit-on analyser ce phénomène comme un antiétatisme ? 

Existe-t-il une nature humaine ?
Le communautarisme présente deux côtés, l’un politique, l’autre anthropologique. Le plus souvent, ce sont des néo-aristoteliciens qui croient qu’il y a une « nature humaine » et que cette nature peut être connue. Mais y aurait-il donc encore quelqu’un pour croire à la nature humaine ? Peut-on encore parler d’une détermination métaphysique définissant la bonne vie ? Je pense qu’après Kant, la tâche est complètement impossible. Et pourtant, on continue de parler comme si on pouvait trouver ce qui est objectivement bon pour l’homme. D’ailleurs, s’il y a une nature humaine, c’est la sociobiologie qui peut nous le dire, et non pas la métaphysique. Peut-être avons-nous une nature biologique mais là aussi il faut faire attention : qu’est-ce qu’une nature biologique ? Le débat entre « nature » et « nurture » continue d’être aigu. Les sciences biologiques et du comportement de ces cinquante dernières années nous ont montré certains traits biologiques de notre caractère. Or Hayek nous a rappelé que la civilisation existe justement pour réprimer nos instincts naturels. Pourtant, je n’arrive pas à comprendre comment on peut parler d’une nature humaine, qui existerait au-delà de notre nature biologique, que l’on peut découvrir à priori ou par voie métaphysique. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais été non plus d’accord avec les libertariens du courant néo- aristotélicien. 

En lisant les libertariens qui parlent des droits naturels de l’homme, j’avoue que je suis dépassé. Je suis pour une approche pragmatique de la question. Je ne crois pas que les hommes aient des droits, ni qu’ils en sont dépourvus. On peut raisonner sur la base des conséquences des concepts et se passer de cette métaphysique. Ainsi, dans l’hypothèse où on n’attribue pas à l’individu certains droits, le résultat est un certain état des choses. Si on veut éviter pareil état des choses, alors on peut raisonner comme si les hommes avaient des droits. Mais l’idée qu’on possède un droit naturel sur son corps ou les objets qu’on a travaillés me dépasse complètement. Je suis peut-être un positiviste. Je crois pourtant à la vérité et au fait que certains principes vous mènent à la richesse, d’autres non. 

Les communautariens ainsi que beaucoup de libertariens aiment dire que la société doit être fondée sur la réalisation des « buts véritables » de l’homme. Quelqu’un peut-il me dire quel est le but véritable de l’homme ? J’attends aussi une liste d’actions bonnes pour l’homme et une définition de la bonne vie. J’ai lu bien de philosophie allemande portant sur la « philosophie de la pratique ». Elle n’a cessé de nous conseiller sur la voie à suivre pour mener une bonne vie: il vaut mieux avoir de bons amis que des amis infidèles, il vaut mieux entretenir de bons rapports avec sa famille plutôt que d’être isolé, etc. On est parfaitement d’accord. Seulement, en quoi ces recommandations sont-elles intéressantes et nouvelles ?
A quoi bon le communautarisme ? 

Aujourd’hui, nous appartenons tous à des communautés multiples. Je suis italien, je parle français, j’ai fait un doctorat en Belgique, je travaille surtout avec des Américains. C’est une grande chance que les hommes puissent sortir du tribalisme intellectuel. D’un point de vue normatif, où le mal réside-t-il ? Certains pensent que les hommes effrayés vont se replier sur eux- mêmes et se faire la guerre. Il ne me semble pas que cela soit vrai. Les démocraties libérales qui échangent énormément ne se font jamais la guerre. Ce sont les régimes des années 30, les idées de patrie et de nation, qui nous ont conduits à la guerre. Là où il y a échange culturel, économique, intellectuel, il n’y a pas de guerre, ni d’agression psychologique. 

Je pense donc que le communautarisme n’a ni base intellectuelle ou épistémologique, ni base morale. Je reconnais qu’il présente des exigences vraies et que les libéraux doivent fournir des réponses à certaines (mais pas toutes) les questions des communautaires. Mais dans ses réponses, je ne vois pas en quoi le communautarisme rend service au monde moderne. 

Par Angelo PETRONI

 

Angelo Petroni

De Wikiberal
 
Angelo M. Petroni est professeur à l'Université de Turin et Directeur de la Scuola Superiore della Pubblica Amministrazione. Il est membre du Conseil scientifique de l'Institut Turgot et du bureau éditorial du Journal of Libertarian Studies.
C'est un spécialiste de de l'épistémologie et de l'éthique, particulièrement la bio-éthique.

Bibliographie

  • 1981, "Karl R. Popper: il pensiero politico", Firenze : Le Monnier
  • 1983, Complex Phenomena and Simple Explanations, Rapport XII I.C.U.S, Chicago
  • 1984, Explanations or Microreductions ?, Rapport XIII I.C.U.S., Washington
  • 1986, Compte-rendu du livre de Raymond Boudon, `La place du désordre', L'année sociologique, N°60, pp. 357 -381
  • 1986, avec S. Monti-Bragadin, "Introduzione", In: Friedrich von Hayek, Legge, legislazione e libertà, Milano, Il Saggiatore, traduction de la trilogie de Friedrich Hayek, Law, Legislation and Liberty, London, Routledge and Kegan Paul
  • 1987, "Comments on Opp’s Essay" (Karl-Dieter Opp: The Individualistic Research Program in Sociology), In: Gerard Radnitzky, dir., Centripetal Forces in the Sciences, Vol II, New York: Paragon House
  • 1989, L’individualismo metodologico, In: A. Panebianco, dir., L’analisi della politica, Il Mulino, Bologna
  • 1990, "Note on von Hayek's Theory", In: M. Alonso, dir., "Organization and Change in Complex Systems", New York, Paragon House - An ICUS Book
  • 1992,
    • a. "L’impossibilità di redistribuire la libertà degli uomini", «L’Opinione», giugno
    • b. "Sullo stato presente di uno concetto inattuale : la liberta", Filosofia politics, Vol VI, n°1, pp55-64
  • 1995, “What is Right with Hayek's Ethical Theory”, Revue européenne des sciences sociales, 33, 100, pp89-126
1998, Is There a Morality in Redistribution?, In: Hardy Bouillon, dir., "Libertarians and Liberalism. Essays in Honour of Gerard Radnitzky", Suffolk, Gran Bretaña: Ipswich Book Company, pp195-210

Angelo Maria Petroni - Wikipedia

it.wikipedia.org/wiki/Angelo_Maria_Petroni

Bonus:
 
Bioéthique et politique de la santé : les dérives de l'Union Européenne
par Angelo Petroni


L'Europe est-elle libérale ou socialiste ? 

Bien malin qui saurait le dire. L'Union Européenne cultive l'ambiguité. Elle est clairement libérale lorsqu'elle s'occupe de démanteler l'empire des anciens monopoles publics. Nul ne saurait en douter. Son objectif appartient au pur credo libéral : libérer l'entrée sur les marchés traditionnellement contrôlés par les firmes de "service public". Mais, paradoxalement, lorsqu'il s'agit des marchés privés, l'action des autorités communautaires s'exerce en sens exactement inverse : sa politique d'harmonisation réglementaire aggrave les coûts d'entrée de nouvelles firmes et réduit d'autant la concurrence effective. L'inverse même de ce qui est en principe recherché.

Angelo Petroni est un universitaire italien bien connu - et apprécié - des anciens étudiants d'I.H.S.-Europe, ainsi que des habitués de l'Université d'été de la Nouvelle Economie à Aix en Provence. Membre de l'Etat-major de Forza Italia, il vient d'être nommé Directeur de la Scuola Superiore della Pubblica Amministrazione, l'équivalent italien de l'ENA française. Invité aux Etats-Unis par le professeur Tristram Engelhard à faire un exposé pour décrire l'attitude européenne par rapport aux problèmes de bioéthique et en matière de politiques de la santé, Angelo Petroni a rédigé un texte qui nous offre une remarquable synthèse de la manière dont les procédures de décision au sein de l'Union Européenne conduisent souvent les responsables européens à trahir les propres règles qu'ils s'étaient pourtant imposées. 

Alors que s'engagent les travaux de la grande Convention sur l'avenir des institutions européennes, ce texte illustre à partir d'exemples politiques concrets comment les procédures de décision actuellement en vigueur, dans un contexte où chacun s'efforce d'accumuler et d'augmenter son pouvoir, créent des dérives systématiques dans un sens qui contredit non seulement les principes proclamés de l'Union, mais encore les textes mêmes des Traités. Autrement dit, il nous conduit au coeur même des problèmes qui devraient catalyser toute l'attention de la Convention (mais qui y seront sans aucun doute les plus négligés !).

Le professeur Petroni nous rappelle comment, à partir de la fin des années 1980, la Communauté européenne s'est de plus en plus transformée en une machine à re-réglementer les marchés à partir du centre, à réduire la diversité régionale, et finalement à réprimer les choix des individus. Il utilise l'exemple des politiques de la santé pour montrer comment des raisonnements d'une absurdité patente sont systématiquement invoqués pour neutraliser l'application du principe de la subsidiarité. De la même façon, il met à nu les perversions intellectuelles qui permettent d'utiliser le célèbre "principe de précaution" comme instrument pour renforcer la centralisation, de même que l'absurdité des arguments généralement invoqués pour plaider la cause d'une "grande politique scientifique européenne".

novembre 01, 2014

ATTAC et FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES ET THEORIQUES DU LIBERALISME

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Introduction
Il est difficile de définir de prime abord le libéralisme : ni une "théorie économique", (même s'il existe des relations entre diverses théories économiques et la pensée libérale) ni même une doctrine (car il n'existe pas un accord total entre tous ceux qui se réclament du libéralisme dont les opinions peuvent diverger sur des points importants). On ne peut la réduire à une idéologie ayant accompagné et justifié la montée de la bourgeoisie car le libéralisme a été invoqué quand conforme aux intérêts et parfois rejeté dans le cas contraire. Ce n'est pas non plus une simple justification argumentée du libre-échange ou de la non-intervention de l'Etat. 

Donc, courant de pensée(s) assez hétérogène ; socle commun : importance accordée à l'idée de liberté et au concept d'harmonie naturelle. 

1. L'émergence de la pensée libérale
1.1. Penser la société
Pensée libérale qui ne naît pas de rien, avec Adam Smith (1723-1790). Prémices chez certains philosophes grecs (Posidonius) chez qui l'idée d'harmonie naturelle est déjà présente, chez certains philosophes anglais (Hume : 1711-1776).

Objectif des penseurs libéraux (Smith, Turgot : 1727-1781) : répondre à la question de la nature de la société, de son oganisation et de sa genèse en rompant avec idée que société = fruit de la volonté divine. Question déjà envisagée par Machiavel (1469-1527) ou les théoriciens du contrat social qui rompent avec les explications de l'institution sociale par le religieux en s'appuyant sur la distinction état de nature/société civile : passage qu'il faut expliquer de manière "positive" (dire ce qui est, non ce qui doit être). Les théories du contrat social sont donc des réponses à la question de la naissance de la société. Différentes théories :

- Hobbes (1588-1679) : état de nature caractérisé par guerre permanente de tous contre chacun, par peur de la mort et désir de conservation : hommes qui signent un pacte d'association et de soumission pour échapper à cette destinée. Etat absolutiste auquel on se soumet car garant de la sécurité.

- Locke(1632-1704) : le souverain lui-même doit être soumis au pacte, qui est conçu comme un pacte d'association seulement ; la société civile est instituée pour garantir paix civile et propriété (qui est légitime car apparaît comme le produit du travail). Voir aussi Rousseau ou Pufendorf. 


Points communs entre ces théories : c'est le politique qui institue le social.
Pensée libérale qui se contruit contre et avec les théories du contrat social. Avec car rejet de l'explication par le religieux, contre car refus du primat du politique.


Ainsi pour Smith, société naît de la "propension naturelle des hommes à l'échange". Le marché est donc naturel. Il n'est pas pensé comme une organisation la plus efficace de l'économie mais comme une organisation sociale, qui a une propriété essentielle : il est autorégulateur : la libre poursuite par chacun de son intérêt conduit à l'intérêt général. Idée de "main invisible". 


1.2. Le libéralisme utilitariste de Smith
Idéal d'autonomie totale des individus dans la dépendance généralisée, née de la division du travail. Refus de la souveraineté absolue.

Libéralisme de Smith qui est un libéralisme utilitariste : le "bien" est identifié au "bonheur", non simplement bonheur individuel mais bonheur de la collectivité. Conception matérialiste : "le bonheur consiste à être en paix et à en jouir". L'intérêt général est compris comme l'intérêt du consommateur. Le plaisir retiré d'une action est le critère de jugement de l'action : bonne ou mauvaise. 


Statut de la notion de liberté :
Liberté est fondamentale car elle conduit plus souvent au bonheur que la contrainte. A mettre en parallèle avec notion de "main invisible". Cela dit, elle n'est pas une fin en soi, elle est un moyen ; le but reste le bonheur.


Rôle de l'Etat :
Deux domaines d'actions : celui où les actions individuelles n'ont pas d'effet sur les autres (pb : lesquelles ?), le domaine privé où l'Etat n'a pas à intervenir autrement qu'en garantissant la liberté individuelle ; celui où les actions des uns ont des répercussions sur les autres, domaine public ou "domaine de juridiction de la société" (John Stuart Mill : 1806-1873). Dans ce domaine, la règlementation n'est pas forcément nécessaire car il se peut que la liberté assure mieux le bonheur collectif que le règlement mais il faut faire l'analyse du besoin ou non de règlementation. Ainsi, activité économique appartient au deuxième domaine mais la liberté est plus efficace que la contrainte.


Ainsi pas de refus de principe de l'intervention de l'Etat : l'Etat doit être le garant des libertés individuelles mais il peut aussi faire tout ce qui est susceptible d'augmenter le bonheur collectif, notamment quand cela ne serait pas entrepris par les agents privés car pas de rémunération : notion de "biens publics". 


Souvent, Smith réduit à son rôle de "père" de l'économie politique et au théoricien de la main invisible et de l'état-gendarme. Au pire, vu comme le défenseur des intérêts de la bourgeoisie. Cela est très réducteur. De plus, pour lui, les rapports marchands sont loin d'être idylliques mais ce sont les seuls possibles.

"La proposition de toute nouvelle loi ou réglement de commerce qui part de cet ordre (i.e. celui des marchands) doit toujours être écoutée avec beaucoup de précaution. Elle vient d'un ordre d'hommes dont l'intérêt n'est jamais exactement le même que celui du public et qui, dans bien des occasions, n'a pas manqué de le tromper et de l'opprimer" (Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations - 1776). 


1.3. Le libéralisme de droit naturel de Turgot
Refus de faire du bonheur un critère éthique de jugement des actions. Critère = conformité aux "droits naturels" . La source du droit naturel diffère selon les auteurs : révélation divine, sens moral inné ou déductible par la Raison (notions de "droits de l'homme" qui en découlent).

Pour que la société soit viable, il faut respecter les lois de la nature qui en régissent le fonctionnement. Le Droit naturel est donc l'ensemble des droits et devoirs des hommes pour que la société existe de manière paisible et ordonnée. Ils doivent être respectés non car ils sont utiles (contre utilitarisme) mais parce qu'ils sont conformes aux lois de la nature : essentiellement : droit à la vie, à la liberté et à la propriété. 


Le domaine de liberté des individus est donc l'ensemble des actions qui ne violent pas les droits naturels des autres.Question de l'églité des droits fondamentale.
Statut de la liberté :
Ce n'est pas un moyen en vue d'une autre fin, c'est un droit inaliénable qui prévaut sur le bonheur collectif. 


Rôle de l'Etat :
Devoir de justice : faire respecter les droits naturels de chacun. Lui-même ne peut d'ailleurs les violer pour quelque raison que ce soit. Notion de "justice" assez étendue chez certains auteurs : pour Turgot, Condorcet, elle comprend par exemple l'éducation du peuple et l'aide aux plus démunis.


De plus, devoir de bienfaisance : l'Etat doit, autant qu'il le peut, remplir un devoir de bienfaisance. Pb : comment le financer ? Car recours à l'impôt = contrainte du propriétaire. Réponse : utilisation du surplus produit par la terre qui n'est appropriable par personne.

Turgot (1727-1781) appartient à ce courant libéral. Il est issu d'une doctrine économique appelée la physiocratie qui croit à l'ordre naturel qui se réalise qd les hommes sont libres de leur choix. Cela dit, l'état doit faire rentrer la réalité dans cet ordre. Donc, chez Quesnay (1694-1774), justification du despotisme éclairé par les lanternes des physiocrates. 

Ainsi, libéralisme originel trouve sa cohérence dans l'idée déjà ancienne d'harmonie naturelle (ex : Mandeville et la fable des abeilles) et l'importance accordée à la liberté. Postérité : Godwin (1756-1836) ou Paine (1737-1809) et les libertariens. 

2. La pensée classique et le libéralisme.
2.1. L'Ecole Classique
Pas d'accord sur la définition. Pour Marx : il s'agit des économistes anglais qui fondent une recherche économique autonome et théorisée (Smith, Ricardo, Malthus). Pour Keynes, tous les économistes avant lui qui croient au marché auto-régulateur. En général, sont considérés comme classiques les économistes du 18-19ème (à partir de Smith jusqu'aux marginalistes) qui s'inscrivent dans le cadre des marchés auto-régulateurs. Dénomination qui leur est en tout cas postérieure et jamais revendiquée comme telle. Cela dit, ce courant rassemble des auteurs qui diffèrent très sensiblement sur de nombreux sujets importants (théorie de la valeur notamment). 

Après Smith, il faut noter que rares sont les économistes classiques qui ont poussé aussi loin que lui l'idée de marché comme organisation sociale. Préoccupations beaucoup plus "limitées". 

2.2. David Ricardo (1772-1823)
Avec Ricardo, l'économie se détourne du raisonnement inductif (j'observe ceci dans la réalité, j'en conclus ceci) pour adopter un raisonnement plus déductif qui sera à la base de la science économique.

Ricardo reprend l'idée de Smith des marchés auto-régulateurs sans reprendre la "main invisible". Pour lui, économie comme une mécanique sur laquelle s'exercent des forces contradictoires : la recherche de l'intérêt personnel et l'instinct de reproduction contrebalancée par l'avarice de la nature. Importance de la concurrence dans ce modèle comme force motrice (elle pousse les individus à agir) et comme régulateur (équilibre de l'offre et de la demade, suppression des monopoles). 


Ricardo s'intéresse essentiellement à la répartition des richesses entre travailleurs, capitalistes et propriétaires fonciers. Il montre que sous l'effet de la démographie (il est très proche de Malthus : 1766-1834 sur ce point) et des rendements décroissants de la terre, le profit (part qui revient aux capitalistes) tend à diminuer au profit des salaires et de la rente, jusqu'à aboutir à un "état stationnaire" de l'économie, dans lequel la croissance est nulle. Pour échapper à cette fatalité, il faut alors avoir recours au libre- échange : le prix du blé diminuant, les salaires peuvent baisser et le profit peut augmenter. Une des contributions majeures de Ricardo est en effet sa théorie du libre-échange qui reste un élément fondamental des théories économiques plus récentes. Dépassant la théorie dite des "avantages absolus" de Smith, il développe une théorie des "avantages comparatifs". L'idée est que le libre-échange profite à tous les pays : ce n'est pas un jeu à somme nulle. Il sera un défenseur acharné de l'abollition des lois sur le blé et de l'ouverture des frontières. 

Sa proximité avec Malthus lui fait aussi souhaiter l'abollition des lois sur les pauvres qui leur garantissent une assistance des autorités publiques et reigieuses ; cela freinera la croissance démographique et renforce les conditions de concurrence entre travailleurs. 

Une remarque sur Malthus, classique assez peu libéral somme toute puisque pour lui, le marché n'est pas auto-régulateur et que peuvent exister des crises de surproduction (excès de l'offre sur la demande) que peuvent résoudre la mise en place de grands travaux et l'accroissement des travailleurs improductifs (fonctionnaires notamment). 

2.3. Jean-Baptiste Say (1767-1832)
Il est l'auteur d'une théorie, dite "Loi des débouchés", selon laquelle il ne peut y exister de crises de surproduction, ni de déséquilibres durables, l'offre créant sa propre demande. Là encore, on se place dans le cadre d'une théorie des marchés auto- régulateurs. Il est important de noter que chez Say comme chez les autres classiques en général, la monnaie n'a aucune importance : elle n'est envisagée que comme instrument de paiement. On parle de "monnaie-voile". Elle n'a aucun effet, au moins de long terme sur l'activité. 

Ecole classique et libéralisme ne se confondent pas. Cependant, l'école classique fournit des arguments à la pensée libérale en affirmant la supériorité du marché sur toute autre forme d'organisation sociale, en minimisant la place de l'Etat et en justifiant le libre-échange. 

3. Les néoclassiques
3.1. Une définition
Là encore, sont rassemblés sous le terme néoclassique des auteurs très différents. Les théories néoclassiques sont les théories aujourd'hui dominantes en économie. On ne peut les assimiler à la pensée libérale même si la plupart des néoclassiques sont des libéraux (mais l'inverse n'est pas vraie). Plusieurs éléments caractérisent cette théorie néoclassique.

- la valeur des biens dépend de leur utilité marginale (i.e. de la satisfaction que l'on tire de la dernière unité consommée) et non plus de la quantité de travail qu'ils incorporent (théorie de la valeur-travail chez les Classiques). Le raisonnement est dit "marginaliste": calcul à la marge. 


- le raisonnement est microéconomique : on s'interesse au comportement des individus, tous semblables, rationnels : c'est le modèle de l'homo oeconomicus. En sciences sociales, on parle d' "individualisme méthodologique". Les individus sont les unités de base de l'analyse, la société étant considérée comme le produit des actions individuelles.

- les comportements économiques sont donc modélisables mathématiquement : on peut décrire le comportement du connsommateur par des fonctions mathématiques. L'agrégation des comportements n'est pas censée poser problème puisque tout peut être ramenée à des fonctions connues. 


3.2. Les hypothèses de départ et les résultats
La théorie néoclassique construit des modèles : elle ne prétend pas décrire la réalité mais la comprendre (méthode des faits stylisés). L'individu est supposé rationnel : il agit de façon à "maximiser son utilité", c'est-à-dire à obtenir au moindre coût, le maximum de satisfaction, en ayant pleine conscience et connaissance des moyens à sa disposition et en disposant de toute l'information nécessaire. Il est absolument logique. Ses comportements peuvent donc être modélisés car ils sont prévisibles.
Les économistes se placent dans une hypothèse dite de concurrence pure et parfaite : les individus connaissent tous les prix de tous les biens mais ne peuvent l'influencer ; il n'existe aucune relation directe entre eux. Les échanges se font par l'intermédiaire d'un commissaire-priseur.

Muni de ces hypothèses, l'économiste cherche alors à montrer que les marchés tendent vers l'équilibre général, ce qui signifie qu'il ne peut exister aucune crise durable, aucun chômage, etc. et que cet équilibre unique est aussi un optimum social.

Les travaux de Léon Walras s'inscrivent dans cette optique (1834-1910). Il a tenté de démontrer que le libre jeu des marchés dans un contexte de concurrence parfaite amenait à un équilibre général. Sans y parvenir. Rendre compte mathématiquement de l'intuition de la "main invisible" est alors devenu l'objectif de tous les économistes néoclassiques. Au mieux, ils sont parvenus au résultat que sous certaines conditions, il peut exister un équilibre général. 

3.3. Problèmes
D'abord, l'économie néoclassique postule l'existence du commissaire-priseur, sorte d'institution centralisée qui, gratuitement, collecte toutes les informations (les prix) et met en relation tous les agents sur le marché. Dès lors, le marché n'est pas naturel, il doit être institué. Il n'a pas d'existence en soi.

Ensuite, les économistes ont échoué à démontrer l'existence de l'équilibre général walrasien. Premier point, la "loi de l'offre et de la demande" qu'ils croyaient pouvoir modéliser sous forme d'une courbe n'existe pas. En fait, les courbes peuvent être de forme complètement aberrante. Dès lors, les marchés ne tendent pas automatiquement vers l'équilibre. Il peut arriver qu'ils y parviennent mais alors ils s'en éloignent aussitôt. Ce qu'ont en fait démontré Kenneth Arrow (1921- ), Gérard Debreu (1921 - ) ou Sonnenschein, en cherchant à prouver l'existence de l'équilibre général, c'est... son inexistence ! Ainsi, les marchés ne conduisent pas à l'équilibre, ils sont au contraire fondamentalement instables. Ce qui n'empêche pas Debreu d'affirmer avoir démontré mathématiquement la supériorité du libéralisme ! Ne sont donc démontrés que des théorèmes d'impossibilité. 


Nash, appartenant au courant de la théorie dite "théorie des jeux" a même démontré que si l'équilibre existait, il ne serait pas un optimum, ce ne serait pas la meilleure solution possible.
Enfin, les hypothèses de rationalité sont évidemment très contestables. Finalement, la théorie de l'équilibre général a été totalement infirmée. 

3.4. La force du modèle
Il n'en reste pas moins que les théories néoclassiques conservent toute leur importance.
D'abord, bien qu'infirmé, le modèle de concurrence parfaite garde un pouvoir normatif. Si les économistes savent que les marchés ne sont pas autorégulateurs, on feint de continuer à le croire et le discours dominant reste de dire que si les marchés ne fonctionnent pas, c'est qu'on les empêche de fonctionner librement. Dès lors, le libéralisme défend le modèle de concurrence parfaite comme une norme vers laquelle il faut tendre. Or des économistes ont démontré que l'on ne pouvait "tendre" vers la concurrence. Soit on y est totalement et les marchés fonctionnent, soit on n'y est pas et on ne change rien en mettant un peu plus ou un peu moins de concurrence (c'est peut-être même pire avec un peu plus).


Par ailleurs, au niveau de la recherche, la théorie néoclassique reste la référence. De nombreux travaux ont tenté de construire des modèles prétendûment plus proches de la réalité : modèle de "concurrence imparfaite" qui relâche les hypothèses très contraignantes de la concurrence pure et parfaite ou théories qui postulent une conception plus réaliste de la rationalité. Dans les deux cas, on évolue vers des modèles dits d'équilibre partiel (certains marchés peuvent être équilibrés quand d'autres ne le sont pas) mais le cadre théorique fondamentalement ne change pas. La supériorité du libre marché est réaffirmée. 


Les théories néoclassiques ne peuvent pas être assimilées au libéralisme, ni même à l'ultralibéralisme. Cependant, elles entretiennent avec eux de grandes affinités car elles leur ont fourni (ou tenté de le faire) des justifications scientifiques, mathématiquement vérifiables. Le marché est alors conçu comme une organisation optimale vers laquelle il faut tendre, en favorisant la concurrence. Le rôle de l'Etat diffère selon les économistes. Soit réduit au minimum (police, justice...), soit nécessaire pour corriger les "imperfections" du marché (biens collectifs, égalité des chances...). Mais dans les deux cas, l'on doit tendre vers l'idéal du marché. 

4. Les autres théories économiques d'inspiration libérale
4.1. Milton Friedman (1912- ) et l'économie de l'offre.
Friedman est le fondateur d'un courant appelé "monétarisme". Il a développé sa théorie en réaction à celle de Keynes, à partir des théories classiques. Son objectif essentiel est de montrer que la politique monétaire doit être orientée uniquement vers la lutte contre l'inflation. Il sort de la théorie de la "monnaie-voile" en montrant que l'inflation peut avoir un effet négatif sur la structure productive. Il plaide par ailleurs pour un contrôle très strict des dépenses de l'Etat. Pour lui, les politiques de relance sont au mieux sans effet, au pire tout à fait déstabilisatrices. Il prône la non-intervention de l'Etat. Pour lui, le marché, laissé libre, tend vers un équilibre stable. Toutes les crises s'expliquent par des interventions de l'Etat : salaire minimum, fiscalité trop importante... 

L'économie de l'offre s'inscrit aussi dans le cadre d'une confiance dans les marchés autorégulateurs. Il s'agit d'un courant de pensée économique assez peu raffiné du point de vue théorique. On peut citer notamment Laffer : "Trop d'impôt tue l'impôt" ou Gilder. La particularité de ses économistes (c'est aussi le cas des monétaristes) est d'avoir été très influents sur les gouvernements notamment américains (sous Reagan) et en Grande-Bretagne (sous Thatcher). Ils sont donc les inspirateurs des politiques libérales de dérégulation et de dérèglementation et de ce que l'on appelle la "contre-révolution libérale" après plusieurs années de politique économique d'inspiration keynésienne. 

4.2. Friedrich Von Hayek (1899-1992)
Hayek peut sans aucun doute être considéré comme un ultra-libéral. Autrichien exilé, marqué par la montée du nazisme et du stalinisme et opposé à tous les totalitarismes, il conteste toute intervention de l'Etat. Pour lui, on ne peut prétendre intervenir sur l'économie car on ne peut disposer de toutes les informations nécessaires. Penser le contraire revient à adopter une attitude scientiste. Il va jusqu'à réfuter l'idée que les banques centrales (même indépendantes du gouvernement) puissent se voir confier la gestion de la monnaie. Pour lui, la monnaie doit être complètement privatisée, c'est-à-dire que des entrepreneurs privés pourraient se lancer dans la création de monnaie. L'idée est que le marché procède par sélection naturelle en éliminant les mauvaises organisations. De plus, le marché est un moyen de circulation de l'information (selon lui, le prix, s'il ne subit pas de perturbation, contient toute l'information nécesaire pour que les agents fassent leur choix) et de découverte des solutions les plus efficaces.
Les théories d'Hayek ont eu peu de postérité et peu d'influence sur les choix politiques, vu leur caractère radical. 

Bibliographie :
- Le libéralisme économique, histoire de l'idée de marché, Pierre Rosanvallon, Seuil 1979
- La pensée économique, Daniel Martina, 1991
- Les passions et les intérêts, Albert Hirschman, PUF 1980
- Introduction aux fondements philosophiques du libéralisme, La Découverte, coll. Essais1992 (assez abordable)
- La théorie économique néoclassique tomes 1 et 2, Bernard Guerrien, La Découverte, Coll. Repères 1999 (sans doute la meilleure présentation de ce sujet, très critique, sans formalisation mathématique et on peut toujours sauter les passages les plus ardus, comme l'auteur invite d'ailleurs à le faire. Vraiment bien et pas cher.
- Lettre ouverte aux gourous de l'éonomie qui nous prennent pour des imbéciles, Bernard Maris, Albin Michel, 1999 (par un collaborateur de Charlie-Hebdo, par ailleurs économiste. Ouvrage amusant et facile d'accès même s'il ressemble parfois à une discussion détendue entre universitaires car les auteurs cités ne sont pas toujours expliqués).

ATTAC

De Wikiberal
 
ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'aide aux citoyens) est une association créée en 1998, dont la section française est subventionnée par l'État (statut d'association d'éducation populaire accordé par arrêté ministériel) ainsi que par les collectivités[1].  
Mouvement luttant contre la mondialisation, ATTAC fut créée pour promouvoir l’idée d’une taxation des transactions financières, la "taxe Tobin", dite du "sable dans les engrenages" ou encore la taxe "Robin des bois", une idée attribuée à James Tobin (Prix Nobel d’Économie 1981). En proposant de taxer certains mouvements de capitaux (transactions de change), Tobin avait pour objectif de réduire la spéculation sur les places financières, qu'il jugeait contre-productive. Il suggéra aussi que les revenus de cette taxe soient affectés au développement des pays du Tiers-monde, ainsi qu'au soutien de l'ONU. Par la suite, James Tobin dénonça la récupération de son nom ainsi que l’exploitation de ses idées par de nombreuses personnalités, associations et organisations luttant contre la mondialisation, comme il l'a fait, en 2001, lors d'une interview accordée au journal Le Monde. L'idée de cette "taxe Tobin" est également dénoncée par Robert Mundell (Prix Nobel d'Économie 1999).

Une idéologie anti-libérale

Le socle idéologique développé par les membres d’ATTAC réside dans la dénonciation des "méfaits de la mondialisation libérale", basée sur une fausse conception du libéralisme. Protectionniste, collectiviste (en faveur d'un "contrôle démocratique" des marchés financiers, et contre les "paradis fiscaux"), et étatiste (défense des services publics et du système de protection sociale), ATTAC critique les décisions de l'OMC, de l'OCDE ou du FMI, qu'elle présente comme des organisations "libérales" ou "néo-libérales". Biaisées par l’idéologie anti-libérale, les analyses proposées par ATTAC manquent de rigueur et de précision, les chiffres utilisés sont trompeurs et l’argumentation simpliste. C’est ainsi que les propositions d’ATTAC - recyclage sous des habits neufs de vieilles idéologies hostiles à la liberté et la responsabilité individuelles, voie vers la Route de la servitude, dénoncée par Hayek - rassemblent, aux dépens de la cohérence du discours et du projet politique, nombre de plaintes ou de revendications (chômeurs, féministes, environnementalistes, syndicalistes, communautaristes, etc.)

Citations

  • « Les idées d’ATTAC trouvent un terrain fertile dans un pays où l’enseignement, la fonction publique, les syndicats, et les partis politiques sont encore fortement imprégnés de philosophie marxisante, comme en témoigne notamment la propension à raisonner en termes de lutte des classes et à faire appel à un interventionnisme sans limites de l'État. Les programmes scolaires, dont l'État a le monopole, soumettent sans vergogne nos enfants à cette idéologie, au lieu de développer leur esprit critique, comme ce devrait être leur rôle. » (Pascal Salin)
  • « ATTAC, dont le sigle pourrait aussi bien signifier Association Trublionne Totalitaire des Attardés du Communisme, est en fait un mouvement très dangereux, car faute de pouvoir s'appuyer sur des faits, il fait appel à l'affectivité et à l'envie, denrées très répandues à la surface de la terre. » (Jacques de Guenin
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  • 4 Pour aller plus loin
  • 5 Notes et références 
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  • LE GOUVERNEMENT VA FINANCER ATTAC (Aleps)

    Bernard CASSEN directeur général du Monde Diplomatique et ancien président d’ATTAC et son successeur ont bien des soucis. Après le « succès » du forum anti mondialisation de Florence, ils doivent organiser le prochain forum européen de ce type en France à Saint-Denis. Mais une telle rencontre à grand spectacle coûte cher : le budget du prochain Forum social européen est évalué à 4,5 millions d’euros. Et ce ne sont pas les cotisations des militants qui vont le financer.
    Heureusement, le contribuable, lui, a les moyens. B. CASSEN a obtenu 1,5 million d’euros de la ville de Saint-Denis et du département de Seine-Saint-Denis. Le département du Val de Marne a promis 250 000 euros et la ville de Paris s’est engagée à verser 1,25 million d’euros : dans tous les cas, on a « tapé » les amis politiques et les contribuables apprécieront sûrement.
    Mais il manque encore de l’argent et il va falloir trouver d’autres généreux contributeurs ; la région Ile de France est sollicitée et même l’Europe, puisqu’on sait que les amis d’Attac apprécient beaucoup la politique de Bruxelles… Mais B. CASSEN a eu une autre idée géniale : solliciter le gouvernement français qui, comme on le sait, a ces temps-ci le budget facile et généreux.
    Une délégation d’Attac, conduite par B. CASSEN, s’est donc rendue à l’hôtel Matignon où elle a été reçue par le conseiller diplomatique du premier ministre Serge DEGALLAIX. Le récit de cette entrevue, racontée par le Figaro du 17 janvier, ne manque pas de sel : B. CASSEN « est sorti tout sourire de son entrevue » ; « nous avons reçu un très bon accueil » se réjouit-il.
    Bien entendu, le conseiller n’avait pas pouvoir pour s’engager sur un tel financement ; mais selon CASSEN « il a expliqué que l’Etat est disposé à apporter un appui financier pour l’organisation du forum social européen ». De plus, « le gouvernement français nous aidera dans nos démarches auprès de la Commission européenne et du Parlement de Strasbourg ». Matignon a confirmé ces deux informations et n’est pas fermé à l’octroi de subsides de l’Etat. On se reverra dans deux mois, tout en appuyant les demandes de fonds auprès des autres organismes. Et s’il manque encore des fonds, le gouvernement sera là pour combler le trou.
    Certes, comme le souligne le Figaro, Jacques CHIRAC plaide depuis longtemps pour « une mondialisation maîtrisée » et J.P. RAFFARIN veut une « humanisation de la mondialisation ». Mais de là à financer une organisation subversive, ouvertement marxiste, provoquant en permanences des incidents contre les délégations étrangères, il y avait un pas que nous ne pensions pas voir franchi par le gouvernement français. Ce n’est pas pour financer Attac que la majorité actuelle a été élue. Du moins avons-nous la faiblesse de le penser.



    Jacques de Guénin, le 27 octobre 2005

    On raconte qu'en 1936, Hayek reçut un livre d'un collègue, et songea immédiatement à en faire une critique détaillée. Puis il se dit que l'ouvrage était si plein d'erreurs et si incohérent que personne ne le prendrait au sérieux, et qu'il valait mieux utiliser son temps à développer ses propres idées.
    L'ouvrage en question n'était autre que La théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, de John Maynard Keynes, économiste brillant mais paradoxal, dans l'oeuvre duquel le meilleur côtoie le pire. Plus tard, lorsque les interventionnistes de tout bord, puis les orphelins du marxisme, firent de Keynes leur héros, Hayek regretta amèrement sa décision initiale.
    Beaucoup d'entre nous ont eu la même réaction que Hayek lorsqu'ils ont lu les premières déclarations d'ATTAC. Elles étaient si totalement déconnectées de la réalité observable, qu'elles ne pourraient avoir, pensions nous, aucune influence sur les gens sensés. C'était méconnaître quelques réalités profondes :

    1.Leurs dirigeants, - mais pas forcément les militants de base - sont de purs idéologues, d'indécrottables marxistes, soit communistes, soit trotskystes, et qui n'ont qu'un objectif, démolir la démocratie libérale et le système capitaliste. Mais ils ont compris qu'ils ne pouvaient plus séduire les gogos avec la vulgate marxiste. Le communisme, qui fut l'immense espoir de toute une génération, a donné naissance aux régimes les plus abjects de toute l'histoire de l'humanité, en URRSS, en Chine, au Vietnam, au Cambodge, en Corée du Nord, à Cuba, et autres lieux. Lorsque la vérité sur ces régimes a explosé, les communistes de base, qui avaient tant donné d'eux-mêmes pour promouvoir leurs croyances, ont souffert en silence et avec dignité. Le génie des dirigeants d'ATTAC a consisté à les récupérer en exploitant leur crédulité et en lui donnant un point d'application nouveau, au mépris, classique chez les dirigeants communistes, de la vérité. ATTAC est donc d'abord une voiture balai qui tente de récupérer les communistes et les gauchistes perdus, avides de retrouver leur idéologie.

    2. Ils ne se bornent cependant pas à ceux-là. Pour attirer à eux "les idiots utiles de bonne volonté" - pour employer une expression de Lénine -, ils font vibrer la fibre sensible de l'aide aux pays pauvres. Mais comme nous le verrons dans un prochain article, ils se moquent éperdument des modalités pratiques qu'il faudrait mettre en oeuvre pour sortir les pays pauvres de leur misère. La seule chose qui les intéresse vraiment est la reprise, sous des habits neufs, du vieux combat contre le capitalisme.

    3. Les dirigeants d'ATTAC réécrivent en permanence l'histoire contemporaine dans leurs publications, dont la plus distinguée est le Monde Diplomatique, très prisé chez les étudiants. On y interprète à longueur de numéro tous les malheurs de la pauvre humanité souffrante comme le résultat du capitalisme, de préférence américain. Une revue sur papier glacé, agréablement illustrée, Alternatives Economique, adopte un ton plus modéré propre à plaire aux professeurs. De nombreuses statistiques font sérieux. Mais les statistiques sont souvent partielles et biaisées, et il faut être très fort et très tenace pour le déceler. Derrière cette apparente objectivité se cache en réalité une idéologie marxisante, anti-libérale et pour faire bon poids, antiaméricaine.

    4. L'Education Nationale participe allègrement à la propagation de cette idéologie comme si de rien n'était. Les enseignants sont majoritairement de gauche et bien conditionnés par les publications que je viens de citer. On ne s'étonnera donc pas qu'ils véhiculent les idées altermondialistes en histoire et géographie , en philosophie, et bien sûr en économie dans les grandes classes du secondaire. Mais ce qu'il y a de plus terrible, c'est que les programmes eux-mêmes sont imprégnés de concepts marxistes. On en trouvera des exemples étonnants dans un prochain article. La désinformation répandue auprès des jeunes cervelles malléables, à un âge où l'on ne mets pas en doute l'enseignement des professeurs, a quelque chose de pathétique.

    5. Les idées altermondialistes pénètrent la plupart des medias, et tous les partis politiques, même les partis de droite, y compris le Front National. Prêts à vendre leur âme pour gagner quelques voix, les hommes politiques subventionnent ATTAC à qui mieux mieux, et se prostituent avec leurs leaders. Laurent Fabius, cet ancien premier ministre réputé si intelligent, a pris ostensiblement son petit déjeuner avec le bouffon violent José Bové, le jour de l'inauguration du Forum Social Européen. Notre ineffable Président de la République a reçu Bernard Cassen à l'Elysée, et il s'est même transformé en porte parole des altermondialistes à l'ONU, puis à Davos, au nom de la France, bien entendu.

    6. Ils nous coûtent cher. Ils reçoivent énormément de subventions : de l'Etat, de certains Conseils Généraux et d'une soixantaine de municipalités françaises dont les habitants ne connaissent pas nécessairement cette destination de leur argent. Le pouvoir dit de droite, avec l'argent des contribuables, a littéralement arrosé ATTAC. Cela a commencé à Evian, où notre apprenti sorcier de gouvernement a distribué ses largesses aux gens d'ATTAC - pour qu'ils se tiennent sages pendant le G8, dit-on -. Mais ce n'est rien en comparaison de ce qu'ATTAC a obtenu pour la préparation du "Forum Social Européen" du 12 au 15 Novembre à Saint-Denis : 2 500 000 euros d'aides indirectes en locaux et moyens matériels ; 2 330 000 euros de subventions directes (dont 1 000 000 euros de la Ville de Paris ; 480 000 euros en provenance des Conseils généraux ; 250 000 euros de Matignon ; 250 000 euros de la part du Quai d'Orsay et 300 000 euros du Conseil régional)! Or s'il s'était dit quelque chose d'utile ou d'intelligent lors de ce forum, cela se saurait. Quel immense gaspillage d'argent public!
    L'Etat soutient aussi ATTAC d'autre manière. Plusieurs des permanents sont, ou ont été des emplois-jeunes. Et alors que l'on nous rebat les oreilles sur le manque d'enseignants, plusieurs sont détachés à ATTAC pour des tâches diverses telles que la tenue du site informatique ! Il semblerait enfin que l'Etat subventionne leur université d'été sous forme d'aide à la formation permanente.
    Il est vrai qu'ATTAC n'est pas le seul bénéficiaire de ces largesses, tant s'en faut. Nous vivons dans un pays dit démocratique où les politiciens utilisent les contraintes de l'Etat pour obliger les contribuables à financer des groupes de pression qui heurtent nos convictions les plus intimes en vociférant à nos frais. Quand serons nous débarrassés de cet Etat minable et corrompu!

    7. Paradoxalement, les mouvements altermondialistes, dont ATTAC est le plus connu, sont devenus bien plus dangereux depuis la chute du communisme, car auparavant, les pays communistes pouvaient au moins servir de repoussoir. Les dirigeants de la gauche dissimulaient autant qu'ils le pouvaient les horreurs de ces pays, mais ils étaient limités dans leur prosélytisme par ceux qui connaissaient la réalité. Aujourd'hui, ces dirigeants n'ont même plus l'URSS ou la Chine pour les gêner, tout juste la Corée du Nord, mais elle est loin, et son régime n'en a sans doute plus pour longtemps. Ils sont libres à nouveau de faire ce qu'ils veulent. Et ce qu'ils veulent c'est la chute des démocraties libérales.

    ATTAC, dont le sigle pourrait aussi bien signifier Association Trublionne Totalitaire des Attardés du Communisme, est donc en fait un mouvement très dangereux, car faute de pouvoir s'appuyer sur des faits, il fait appel à l'affectivité et à l'envie, denrées très répandues à la surface de la terre.
     
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