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octobre 29, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale (4/21) (éducation)

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


L'éducation et la démocratie


L'éducation est un droit universel. Elle est également un moyen d'accéder à d'autres droits de la personne et un outil d'émancipation sociale et économique. Par le biais de la Déclaration universelle des droits de l'homme, les nations du monde se sont accordées à dire que tous les êtres humains avaient droit à l'éducation.

Chaque société transmet sa philosophie, ses normes sociales, sa culture et ses idéaux d'une génération à l'autre. Il y a un lien direct entre l'éducation et les valeurs de la démocratie : dans les sociétés démocratiques, les programmes et la pratique en vigueur dans l'éducation appuient la gouvernance démocratique.

Ce processus de transmission par l'éducation est vital dans une démocratie, parce que les vraies démocraties sont des régimes dynamiques qui exigent l'indépendance d'esprit des citoyens. Les chances d'obtenir des changements positifs dans les domaines social et politique sont entre les mains des citoyens. Les gouvernements ne doivent pas considérer le système éducatif comme un moyen de contrôler l'information et d'endoctriner les étudiants.

Les gouvernements doivent faire grand cas de l'éducation et lui consacrer des ressources au même titre que la défense des citoyens

Le fait de savoir lire permet aux gens d'être informés par le biais, notamment, des journaux et des livres. Des citoyens informés sont mieux placés pour améliorer leur démocratie.

En démocratie, le système éducatif n'empêche pas l'étude d'autres doctrines ou régimes politiques. Les démocraties encouragent les étudiants à concevoir des arguments rationnels fondés sur une recherche minutieuse et une compréhension claire de l'histoire.

Les groupes privés et religieux doivent être libres de créer des écoles, et les parents doivent être libres de choisir d'instruire leurs enfants à la maison.

Les écoles publiques doivent être ouvertes à tous les citoyens sans distinction d'origine ethnique, de religion, de sexe ou de handicap.

Les normes et pratiques démocratiques doivent être enseignées afin que les gens mesurent et apprécient à la fois leurs chances et leurs devoirs en tant que citoyens libres.

L'éducation civique repose sur la maîtrise de l'histoire nationale et mondiale, ainsi que sur celle des principes essentiels de la démocratie.

En démocratie, les programmes scolaires incluent l'histoire, la géographie, l'économie, la littérature, la philosophie, le droit, l'art, la sociologie, les mathématiques et les sciences, et ce pour tous les étudiants, filles et garçons.

Les étudiants doivent également être libres d'organiser des clubs et des activités où ils peuvent mettre en pratique les normes démocratiques, par exemple :
Les associations étudiantes donnent aux élèves une expérience des mécanismes démocratiques. La presse étudiante permet aux élèves de saisir le rôle d'une presse libre et du journalisme responsable. Les clubs civiques facilitent l'établissement de liens avec la communauté. 
 


Il est urgent de comprendre que les crises successives de l'Éducation nationale ne sont pas des phénomènes ponctuels, mais sont le résultat d'une même erreur initiale dans la politique scolaire du pays commise il y a plus de quarante ans et jamais corrigée depuis. Après y avoir longtemps réfléchi[1], je pense pouvoir retracer ce qui s'est réellement passé pendant ce presque demi-siècle. La tragédie s'est nouée en trois actes. 

Acte 1. Au lendemain de la guerre, en 1947, les communistes Langevin et Wallon proposèrent de réaliser en France l'école unique, creuset de l'homme nouveau socialiste. Repoussé par deux fois à la Chambre sous la IVe République, ce projet fut mis en œuvre, paradoxalement, par De Gaulle au début de la Ve.
On unifia le système scolaire, jusque-là divisé en trois grands secteurs plus ou moins indépendants, le primaire, le secondaire et le technique. On supprima les classes primaires des lycées, les classes secondaires du primaire (les «cours complémentaires») et, peu à peu, on homogénéisa les programmes de façon à supprimer les filières. 

Le « collège unique », faussement attribué à l'initiative de M. Haby, ne fut que l'étape finale de ce processus, qui était programmé dès 1958. L'Éducation nationale devint alors un monstrueux système bureaucratique, et ses syndicats montèrent en puissance à mesure qu'augmenta, dans un système administratif unifié, leur pouvoir de nuire. Dès cette date, l'Éducation ne fut plus nationale. Elle fut, de jure, cogérée par le ministère et les syndicats. De facto, elle fut gérée par les syndicats seuls, car les ministres passaient (et souvent sautaient), alors que les syndicats restaient. Je dis bien que l'Éducation « nationale » usurpe désormais ce qualificatif, car la nation, qui n'a d'autre organe d'expression que le suffrage universel, et d'autres représentants légitimes que le Parlement et le Gouvernement, n'eut plus jamais, de ce jour, son mot à dire dans la politique éducative du pays. 

Acte II. Pourtant, aussitôt mise en place, l'école unique se révéla produire l'inverse de l'effet recherché. Au lieu de résorber les inégalités scolaires, on s'aperçut qu'elle les exacerbait. On découvrit en effet, dès le début des années 1960 que, quand on place dans une même école et devant un même professeur les 20% d'élèves qui allaient auparavant au lycée et les 80% qui allaient à l'école communale et dans les cours complémentaires, c'étaient toujours les premiers nommés, c'est-à-dire les enfants des milieux « privilégiés », qui réussissaient. Le résultat réellement produit par un cours ne dépend pas en effet seulement du cours lui-même, mais aussi des structures mentales des élèves qui le reçoivent. 

Pour suivre l'enseignement secondaire classique, qui, même élémentaire, est déjà par nature scientifique, il faut, dès l'entrée en 6e à l'âge de 10 ans, avoir atteint ce que les psychologues de l'intelligence comme Jean Piaget appelle le stade de la pensée « abstraite » et « désintéressée ». Or ce stade n'est atteint à l'âge de l'entrée en 6e que par les enfants vivant dans un milieu familial où leur intelligence abstraite est activement stimulée, c'est-à-dire dans les milieux « bourgeois ».
Dans ces conditions, l'école unique conduisait à une double catastrophe. Non seulement c'étaient encore les fils de polytechniciens qui devenaient polytechniciens, donc l'école unique ne changeait rien en pratique. Mais, ce qui était pire, ce privilège devenait légitime, puisque tous les enfants, désormais scolarisés dans une même école, étaient censés avoir eu les mêmes chances. 

Constatant cet échec, le gouvernement gaulliste aurait pu renoncer à l'école unique et revenir à l'école méritocratique de Jules Ferry, qui avançait plus lentement, mais plus sûrement, vers la « démocratisation » souhaitée par tous. Mais cette correction de trajectoire ne pouvait pas être acceptée par les syndicats qui, grâce à la tourmente de 1968, imposèrent leurs propres solutions. Celles-ci consistaient en une fuite en avant. Puisque l'« alignement vers le haut » du plan Langevin-Wallon ne fonctionnait pas, on procéderait à un « alignement par le bas ». En un mot, on primariserait le secondaire. Cela tombait bien: la majorité des professeurs du secondaire de l'époque étaient d'anciens instituteurs. 

C'est à partir de cette date que l'Éducation dite nationale commença à détruire purement et simplement l'enseignement secondaire français traditionnel. Rejetant une tradition éprouvée, on donna carte blanche aux «pédagogues». On décréta le caractère oppressif des savoirs. On refondit tous les programmes dans le sens du flou, de l'incohérence et de l'appauvrissement. On rendit impossible la structuration de l'esprit en cassant net, au nom de la spontanéité des « apprenants », le processus d'acquisition méthodique des savoirs. 

L'affaire se compliqua par le fait que les réformateurs, menés par la FEN et le SGEN, ne purent, malgré tous leurs efforts, imposer l'intégralité de leurs réformes. La logique de celles-ci aurait été de supprimer jusqu'à la notion même de programme, donc la structuration des collèges et lycées en classes annuelles successives, donc aussi toute hiérarchie entre catégories d'enseignants. Or le SNES communiste veillait aux intérêts corporatifs des professeurs agrégés et certifiés. Il combattit les « pédagos » autant qu'il le put. Il en résulta une situation bloquée, provoquant un lent pourrissement. Il n'y eut plus, bientôt, de véritable programme national. 

Acte III:  Dans les décennies 1960 et 1970, l'école avait subrepticement changé de fonction sociale: elle était devenue peu à peu une simple garderie de la jeunesse. Et c'est parce qu'elle jouait passablement bien ce nouveau rôle qu'on l'a dédouana de ne plus jouer correctement son rôle d'éducation et d'instruction. 

Il y eut des raisons sociologiques profondes, tant structurelles et conjoncturelles, à cette transformation insensible de l'école. D'abord, le travail des femmes s'était généralisé; or les femmes ne peuvent quitter la maison si les enfants ne sont pas gardés à l'extérieur. Ensuite, à partir du début des années 1970, le chômage de masse s'était développé en Europe, et l'on avait réagi à cette pression exercée contre l'emploi en diminuant la durée du travail, soit celle du travail hebdomadaire, soit celle de la vie de travail, ce dernier facteur se décomposant à son tour en abaissement de l'âge de la retraite et en retardement de l'entrée sur le marché de l'emploi. C'est ainsi que la durée moyenne de scolarisation doubla, passant de neuf ans aux lendemains de la guerre à plus de dix-huit ans aujourd'hui. Pendant la même période, les dépenses scolaires décuplaient en francs constants. Ainsi les jeunes étaient-ils gardés entre quatre murs au lieu d'entrer sur le marché du travail et d'y faire baisser les salaires, ou, pire, d'envahir la rue. 

Inutile de dire que le niveau scolaire de la nation, dans le même temps, ne décupla ni ne doubla, à supposer qu'il ait augmenté un peu ou même n'ait pas régressé. Par conséquent, si l'on évalue l'output de l'institution scolaire en termes de niveau, on peut dire que la productivité marginale de chaque franc supplémentaire dépensé pour l'école, ou de chaque heure supplémentaire passée à l'école, a tendu vers zéro ou même est devenue négative. Pourquoi la société ne s'est-elle pas révoltée contre ce scandaleux gâchis? La réponse est claire: c'est que l'investissement public fut réellement productif si l'on prend pour critère non le niveau scolaire, mais la capacité à garder efficacement la jeunesse. L'argent dépensé a réellement servi à construire des écoles et à payer des gardiens. 

La preuve que la fonction sociale réelle de l'école est désormais celle d'une garderie est que c'est aux manquements de cette seule fonction que des « signaux sociaux » s'allument. On ne voit jamais les parents défiler dans la rue si le professeur de français fait une faute d'orthographe par ligne, ou si le professeur de mathématiques se perd dans ses équations (ce qui est courant aujourd'hui). En revanche si, un seul matin, un gardien, absent, pour quelque raison que ce soit, manque devant une classe, ou si les professeurs sont en grève, ou si l'on menace de fermer une classe dans une agglomération qui se dépeuple, tous événements qui empêchent les parents d'aller travailler en paix, c'est alors que la société réagit brutalement et que l'institution scolaire est sommée de se justifier. A midi, les parents occupent l'école. Le recteur doit s'expliquer l'après-midi devant la télévision régionale, et le ministre au journal de 20h. 

On a là l'explication, navrante mais objectivement vraie, du fait stupéfiant que les grands acteurs sociaux n'aient rien fait pour corriger la dérive mortelle de notre système éducatif depuis que son échec est devenu patent. Les associations de parents d'élèves n'ont eu en vue, par définition, que la fonction de garderie. Les syndicats d'enseignants n'ont eu en vue que l'augmentation continue des postes rendue possible par l'aubaine d'une inflation scolaire indéfinie (et de toute façon, ils ne peuvent critiquer leur œuvre). Quant aux politiques, ils se sont platement alignés sur les préoccupations immédiates de la masse de leurs électeurs, en sacrifiant, comme c'est devenu habituel dans nos démocraties médiatiques, les intérêts à long terme du pays. 

Le problème est que la France, si elle en reste à la situation actuelle de son système éducatif, va subir la plus effroyable décadence de son histoire: la perte de son statut de grand pays scientifique et technologique. Et je ne vois pas très bien comment on peut espérer faire fonctionner une démocratie digne de ce nom, et en général toutes les institutions, organisations et entreprises d'un pays moderne, dans une société où progressent illettrisme, ignorance et obscurantisme. 

Je suis persuadé qu'il n'y a de solution au problème scolaire de notre pays que par la remise en cause radicale de l'option communisante du plan Langevin-Wallon prise et absurdement conservée depuis quarante ans. Il faut un pluralisme scolaire, tant à l'intérieur du système public que par le développement d'un nouveau secteur privé. Il faut qu'on puisse créer librement des écoles et des réseaux d'écoles, et qu'il y ait une émulation entre ceux-ci, seul processus qui sera de nature à créer une spirale vertueuse et à engendrer un vigoureux renouvellement. Quel homme politique aura le courage de faire un pas dans le sens de cette libération?
 
Une trop longue erreur




Texte paru initialement dans Le Figaro du 16 septembre 2003
 
 
 

Éducation

De Wikiberal
 
L'éducation est l'ensemble des moyens permettant le développement des facultés physiques, morales et intellectuelles d'un être humain. Par extension, l'éducation désigne également les moyens mis en place pour permettre cet apprentissage.
L’État, bien loin de ses obligations régaliennes, prétend se charger de l'éducation des enfants : l'Éducation Nationale a ainsi succédé, en France et dans d'autres pays, à la plus modeste Instruction Publique, ce que les libéraux considèrent comme une immixtion dans la sphère privée et familiale. 
Pour certains libéraux, l'État a un rôle à jouer dans l'éducation, en permettant aux personnes issues des milieux les moins favorisés d'accéder à un niveau d'instruction qui dépend plus d'eux-mêmes que des ressources de leur famille. Cependant, et contrairement à la pratique répandue, cette participation de l'État ne se ferait pas par l'existence et le maintien d'établissements scolaires publics mais par une distribution de moyens directement auprès des personnes concernées - par exemple sous forme de chèque éducation, acceptés par certains établissements privés. C'est par exemple la position que défend Friedrich Hayek dans La Constitution de la liberté (Chap. 24) et dans Droit, législation et liberté (Chap. 14). Il écrit ainsi dans ce dernier ouvrage :
«Concernant l'éducation, l'argument primordial en faveur de son assistance par le gouvernement est que les enfants ne sont pas encore des citoyens responsables et ne peuvent être supposés capables de savoir ce dont ils ont besoin, ni ne possèdent de ressources qu'ils pourraient consacrer à l'acquisition du savoir. […] Ce raisonnement s'applique seulement aux enfants et mineurs. Mais il est complété par une autre considération qui s'applique aussi aux adultes, c'est que l'éducation peut éveiller en ceux qui la reçoivent des capacités dont ils n'avaient pas encore conscience. […] Qu'il y ait de solides arguments pour que le gouvernement finance au moins une instruction générale n'implique pas que cette éducation doive aussi être administrée par l'État, et encore moins qu'il doive en avoir le monopole »
    — Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté[1]'
Les libéraux sont en général opposés aux règlementations étatiques contraignantes qui aboutissent à l'absence de sélection au mérite (et, partant, à la dévalorisation des diplômes), au « collège unique », à la « carte scolaire » (interdiction de choisir son établissement), au monopole universitaire, à l'enseignement indifférencié, etc.

Position libertarienne

Pour les libertariens, il est injuste de forcer une personne, via l'impôt, à financer l'éducation d'autrui. L'enseignement est donc un service comme les autres, que des individus ou des entreprises vendent à des clients. S'il était appliqué, ce modèle aurait de nombreux avantages sur le plan de la qualité de l'enseignement. Outre les bénéfices tirés de la concurrence entre établissements scolaires et écoles de pédagogie, la délivrance des principaux diplômes ne serait plus un monopole, ce qui permettrait de valoriser de manière optimale les acquis des étudiants.
Le financement des études qui pourrait résulter de ce système est aussi supérieur à la formule de l'instruction publique gratuite. Ce marché, en plus d'intéresser les banques, pourrait voir fleurir les associations délivrant des bourses aux étudiants. Dans les deux cas, l'obtention de prêts serait soumise à la capacité des candidats à convaincre les prêteurs, et donc à fournir des résultats. Ce principe de responsabilisation favoriserait la réussite scolaire et permettrait aux plus méritants de poursuivre des études.
La conséquence directe montrerait l'inutilité voire le caractère nocif d'un ministère de l’Éducation Nationale, dont la mainmise idéologique et politique sur les jeunes esprits n'est pas le moindre défaut.
Pour certains libertariens, comme Murray Rothbard, l'école publique représente un réel danger pour la liberté, car elle repose sur des croyances d'un faux libéralisme issu du dix-neuvième siècle et par des auteurs utilitaristes comme Jeremy Bentham et des auteurs positivistes.
«Le libertarien, alors, se fondant sur la tradition libérale classique ancienne, ne doit pas seulement abandonner l'utilitarisme et le positivisme; il doit aussi abandonner cette tendance du culte de la démocratie et d'une haine irraisonnée envers le catholicisme qui le mène, entre autres défauts, vers la croissance d'un vaste fardeau d'étatisme et de tyrannie, l'école publique. »
    — Murray Rothbard, Conservatism and Freedom: A Libertarian Comment[2]

L'enseignement en France

Au XIXe siècle le monopole public a été graduellement réduit, le plus souvent par l'action des libéraux :
  • la loi Guizot libéralise l'enseignement primaire en 1832 ;
  • la loi Falloux, nommée d'après le catholique libéral Alfred de Falloux (1811-1886), libéralise l'enseignement secondaire en 1850 ;
  • la loi Dupanloup (1802-1878) libéralise l'enseignement supérieur en 1875.
En revanche, la fin du XXe siècle voit une régression sous l'influence des thèses égalitaristes : plan Langevin-Wallon (refus de la sélection, « justice à l'école »), collège unique, carte scolaire, etc. Le rapport du mathématicien Laurent Schwartz (1984), qui préconisait le retour à une certaine sélection, fut rejeté par les tout-puissants syndicats parce qu'il relevait du "principe fascisant de l’exclusion"...
Cet égalitarisme forcené conduit à la baisse continue du niveau des élèves, à la dévalorisation des diplômes et au découragement des enseignants. L'absence de toute sélection en est à la fois le symptôme et la cause :
« Nul ne soutiendrait que l'on peut devenir un bon skieur en se contentant de s'inscrire à une école de ski, sans effort musculaire dans l'application des instructions du moniteur. Mais l'effort intellectuel n'est plus considéré comme indispensable pour devenir un bon étudiant. Déplorer cette omission est devenu "réactionnaire". La "société" porterait seule la responsabilité du résultat des études. D'ailleurs on ne dit plus qu'un élève est paresseux, on dit qu'il est "en échec scolaire", fléau anonyme qui s'abat sur le malheureux comme la pluie ou la rougeole. »
    — Jean-François Revel, Le voleur dans la maison vide, Plon, 1997
On peut dire qu'au XXe siècle le monopole public a été renforcé. L'offre "privée" apparemment existante est presque toujours "sous contrat" avec l’État : les enseignants du soi-disant privé sont en fait payés par l’État et enseignent les programmes exigés par l’État. La "contractualisation" est parvenue à stériliser et neutraliser l’enseignement privé :
« Il n’existe pas de véritable choix éducatif en France, le privé n’étant que le délégataire du service public. »
    — Anne Coffinier
  • 4 Citations
  • 5 Notes et références
  • 6 Pour aller plus loin

    Baccalauréat et Socialisme

    Extrait du discours[1] que Frédéric Bastiat, député des Landes, aurait aimé prononcer à la chambre, s'il n'en avait été empêché par la tuberculose, lors des débats sur la liberté de l'enseignement, qui devaient aboutir au vote de la loi Falloux du 15 mars 1850. 
     
    J'ai soumis à l'assemblée un amendement qui a pour objet la suppression des grades universitaires. Ma santé ne me permet pas de le développer à la tribune. Permettez-moi d'avoir recours à la plume. [...] Les grades universitaires ont le triple inconvénient d'uniformiser l'enseignement (l'uniformité n'est pas l'unité) et de l'immobiliser après lui avoir imprimé la direction la plus funeste. [...] La liberté peut être considérée au point de vue des personnes et relativement aux matières - ratione personae et ratione materiae, comme disent les légistes ; car supprimer la concurrence des méthodes, ce n'est pas un moindre attentat à la liberté que de supprimer la concurrence des hommes. 

    Il y en a qui disent : "La carrière de l'enseignement va être libre, car chacun y pourra entrer." C'est une grande illusion. L'État, ou pour mieux dire le parti, la faction, la secte, l'homme qui s'empare momentanément, et même très légalement, de l'influence gouvernementale, peut donner à l'enseignement la direction qui lui plaît, et façonner à son gré toutes les intelligences par le seul mécanisme des grades...
    Moi, père de famille, et le professeur avec lequel je me concerte pour l'éducation de mon fils, nous pouvons croire que la véritable instruction consiste à savoir ce que les choses sont et ce qu'elles produisent, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre moral. Nous pouvons penser que celui-là est le mieux instruit qui se fait l'idée la plus exacte des phénomènes et sait le mieux l'enchaînement des effets aux causes. Nous voudrions baser l'enseignement sur cette donnée. - Mais l'État a une autre idée. Il pense qu'être savant c'est être en mesure de scander les vers de Plaute, et de citer, sur le feu et sur l'air, les opinions de Thalès et de Pythagore.
    Or que fait l'État ? Il nous dit : Enseignez ce que vous voudrez à votre élève ; mais quand il aura vingt ans, je le ferai interroger sur les opinions de Pythagore et de Thalès, je lui ferai scander les vers de Plaute, et, s'il n'est assez fort en ces matières pour me prouver qu'il y a consacré toute sa jeunesse, il ne pourra être ni médecin, ni avocat, ni magistrat, ni consul, ni diplomate, ni professeur. 

    Dès lors je suis bien forcé de me soumettre, car je ne prendrai pas sur moi la responsabilité de fermer à mon fils tant de si belles carrières. Vous aurez beau me dire que je suis libre ; j'affirme que je ne le suis pas, puisque vous me réduisez à faire de mon fils, du moins à mon point de vue, un pédant, - peut être un affreux petit rhéteur, - et à coup sûr un turbulent factieux.
    Car si encore les connaissances exigées par le Baccalauréat avaient quelques rapports avec les besoins et les intérêts de notre époque ! si du moins elles n'étaient qu'inutiles ! mais elles sont déplorablement funestes. Fausser l'esprit humain, c'est le problème que semblent s'être posé et qu'ont résolu les corps auxquels a été livré le monopole de l'enseignement. [...]
    Les doctrines subversives auxquelles on a donné le nom de socialisme ou communisme sont le fruit de l'enseignement classique, qu'il soit distribué par le clergé ou par l'Université. [...] Relativement à la société, le monde ancien a légué au nouveau deux fausses notions qui l'ébranlent et l'ébranleront longtemps encore.
    L'une : que la société est un état hors de nature, né d'un contrat. Cette idée n'était pas aussi erronée autrefois qu'elle l'est de nos jours. Rome, Sparte, c'était bien des associations d'hommes ayant un but commun et déterminer : le pillage ; ce n'était pas précisément des sociétés mais des armées.
    L'autre, corollaire de la précédente : Que la loi créé les droits, et que, par suite, le législateur et l'humanité sont entre eux dans les mêmes rapports que le potier et l'argile. Minos, Lycurgue, Solon, Numa avaient fabriqué les sociétés crétoise, macédoniennes, athénienne, romaine. Platon était fabriquant de républiques imaginaires devant servir de modèles aux futurs instituteurs des peuples et pères des nations.
    Or, remarquez-le bien, ces deux idées forment le caractère spécial, le cachet distinctif du socialisme, en prenant ce mot dans le sens défavorable et comme la commune étiquette de toutes les utopies sociales.
    Quiconque, ignorant que le corps social est un ensemble de lois naturelles, comme le corps humain, rêve de créer une société artificielle, et se prend à manipuler à son gré la famille, la propriété, le droit, l'humanité, est socialiste. Il ne fait pas de la physiologie, il fait de la statuaire ; il n'observe pas, il invente ; il ne croit pas en Dieu, il croit en lui-même ; il n'est pas savant, il est tyran ; il ne sert pas les hommes, il en dispose ; il n'étudie pas leur nature, il la change, suivant le conseil de Rousseau[2]. Il s'inspire de l'antiquité ; il procède de Lycurgue et de Platon. - Et pour tout dire, à coup sûr, il est bachelier.
    Voyons donc à quoi se réduit [...] cette Liberté que vous dites si entière.
    En vertu de votre loi, je fonde un collège. Avec le prix de la pension, il me faut acheter ou louer le local, pourvoir à l'alimentation des élèves et payer les professeurs. Mais à coté de mon collège, il y a un Lycée. Il n'a pas à s'occuper du local et des professeurs. Les contribuables, moi compris, en font les frais. Il peut donc baisser le prix de la pension de manière à rendre mon entreprise impossible. Est-ce là de la liberté ?
    Maintenant je me suppose père de famille ; je mets mes fils dans une institution libre : quelle est la position qui m'est faite ? Comme père, je paye l'éducation de mes enfants, sans que nul me vienne en aide ; comme contribuable et comme catholique, je paye l'éducation des enfants des autres, car je ne puis refuser l'impôt qui soudoie les Lycées, ni guère me dispenser, en temps de carême, de jeter dans le bonnet du frère quêteur l'obole qui doit soutenir les séminaires. En ceci, du moins, je suis libre. Mais le suis-je quant à l'impôt ? Non, non, dites que vous faites de la Solidarité, au sens socialiste, mais n'ayez pas la prétention de faire de la Liberté. 

    Et ce n'est là que le très-petit coté de la question. Voici qui est plus grave. Je donne la préférence à l'enseignement libre, parce que votre enseignement officiel (auquel vous me forcer à concourir, sans en profiter) me semble communiste et païen ; ma conscience répugne à ce que mes fils s'imprègnent des idées spartiates et romaines qui, à mes yeux du moins, ne sont que la violence et le brigandage glorifié. En conséquence, je me soumets à payer la pension pour mes fils, et l'impôt pour les fils des autres. Mais qu'est ce que je trouve ? Je trouve que votre enseignement mythologique et guerrier a été indirectement imposé au collège libre, par l'ingénieux mécanisme de vos grades, et que je dois courber ma conscience à vos vues sous peine de faire de mes enfants des parias de la société. - Vous m'avez dit quatre fois que j'étais libre. Vous me le diriez cent fois, que cent fois je vous répondrais : je ne le suis pas. [...]
    Enfin, examinons la question au point de vue de la Société, et remarquons d'abord qu'il serait étrange que la société fut libre en matière d'enseignement si les instituteurs et les pères de famille ne le sont pas. La première phrase du rapport de M. Thiers sur l'instruction secondaire, en 1844, proclamait cette vérité terrible : "L'éducation publique est l'intérêt le plus grand d'une nation civilisée, et, par ce motif, le plus grand objet de l'ambition des partis."
    Il semble que la conclusion à tirer de là, c'est qu'une nation qui ne veut pas être la proie des partis doit se hâter de supprimer l'éducation publique, c'est à dire par l'État, et de proclamer la liberté de l'enseignement. S'il y a une éducation confiée au pouvoir, les partis auront un motif de plus pour chercher à s'emparer du pouvoir, puisque, du même coup, ce sera s'emparer de l'enseignement, le plus grand objet de leur ambition. La soif de gouverner n'inspire-t'elle pas assez de convoitise ? ne provoque-t'elle pas assez de luttes, de révolutions et de désordres ? et est-il sage de l'irriter encore par l'appât d'une si haute influence ?
    Et pourquoi les partis ambitionnent-ils la direction des études ? Parce qu'ils connaissent ce mot de Leibniz : "Faites-moi maître de l'enseignement, et je me charge de changer la face du monde." L'enseignement par le pouvoir, c'est donc l'enseignement par un parti, par une secte momentanément triomphante ; c'est l'enseignement au profit d'une idée, d'un système exclusif. "Nous avons fait la République, disait Robespierre, il nous reste à faire des républicains" ; tentative qui a été renouvelée en 1848. Bonaparte ne voulait faire que des soldats, Frayssinous que des dévots, Villemin que des rhéteurs. M. Guizot ne ferait que des doctrinaires, Enfantin que des saint-simoniens, et tel qui s'indigne de voir l'humanité ainsi dégradée, s'il était jamais en position de dire l'État c'est moi, serait peut être tenté de ne faire que des économistes. Eh quoi ! ne verra-t-on jamais le danger de fournir aux partis, à mesure qu'ils s'arrachent le pouvoir, l'occasion d'imposer uniformément et universellement leurs opinions, que dis-je ? leurs erreurs par la force ? Car c'est bien employer la force que d'interdire législativement toute autre idée que celle dont on est soit même infatué...
    Maintenant, je répète ma question : Au point de vue social, la loi que nous discutons réalise-t-elle la liberté ?
    Autrefois il y avait une Université. Pour enseigner il fallait sa permission. Elle imposait ses idées et ses méthodes, et force était d'en passer par là. Elle était donc, selon la pensée de Leibniz, maîtresse des générations, et c'est pour cela sans doute que son chef prenait le titre significatif de grand maître.
    Maintenant tout cela est renversé. Il ne restera à l'Université que deux attributions :
    1° le droit de dire ce qu'il faudra savoir pour obtenir les grades ;
    2° le droit de fermer d'innombrables carrières à ceux qui ne se seront pas soumis.
    Ce n'est presque rien, dit-on. Et moi je dis : ce rien est tout.
    Ceci m'entraîne à dire quelque chose d'un mot qui a été souvent prononcé dans ce débat : c'est le mot unité ; car beaucoup de personnes voient dans le Baccalauréat le moyen d'imprimer à toutes les intelligences une direction, sinon raisonnable et utile, du moins uniforme, et bonne en cela...
    Il y a deux sortes d'unités. L'une est un point de départ. Elle est imposée par la force, par ceux qui détiennent momentanément la force. L'autre est un résultat, la grande consommation de la perfectibilité humaine. Elle résulte de la naturelle gravitation des intelligences vers la vérité.
    La première unité a pour principe le mépris de l'espèce humaine, et pour instrument le despotisme. Robespierre était unitaire quand il disait : "J'ai fait la République, je vais me mettre à faire des républicains." [...] Procuste était Unitaire quand il disait : "Voilà un lit : je raccourcirai ou j'allongerai quiconque en dépassera ou n'en atteindra pas les dimensions." Le Baccalauréat est Unitaire quand il dit : La vie sociale sera interdite à quiconque ne subit pas mon programme." [...] 

    La liberté c'est le terrain où germe la véritable unité et l'atmosphère qui la féconde. La concurrence a pour effet de provoquer révéler et universaliser les bonnes méthodes, et de faire sombrer les mauvaises. Il faut bien admettre que l'esprit humain a plus naturelle proportion avec la vérité qu'avec l'erreur, avec ce qui est bien qu'avec ce qui est mal, avec ce qui est utile qu'avec ce qui est funeste. S'il n'en était pas ainsi, si la chute était naturellement réservée au Vrai, et le triomphe au Faux, tous nos efforts seraient vains ; l'humanité serait fatalement poussée, comme le croyait Rousseau, vers une dégradation inévitable et progressive. Il faudrait dire avec M. Thiers : L'antiquité est ce qu'il y a de plus beau au monde, ce qui n'est pas seulement une erreur mais un blasphème. - Les intérêts des hommes, bien compris, sont harmoniques, et la lumière qui les leur fait comprendre brille d'un éclat toujours plus vif. Donc les efforts individuels et collectifs, l'expérience, les tâtonnements, les déceptions même, la concurrence, en un mot, la Liberté - font graviter les hommes vers cette unité, qui est l'expression des lois de leur nature, et la réalisation du bien général... 

    Peut-on douter que l'enseignement, dégagé des entraves universitaires, soustrait, par la suppression des grades, au conventionnalisme classique, ne s'élançât, sous l'aiguillon de la rivalité, dans des voies nouvelles et fécondes ? Les institutions libres, qui surgiront laborieusement entre les lycées et les séminaires, sentiront la nécessité de donner à l'intelligence humaine sa véritable nourriture, à savoir : la science de ce que les choses sont et non la science de ce qu'on en disait il y a deux mille ans. "L'antiquité des temps est l'enfance du monde, dit Bacon, et, à proprement parler, c'est notre temps qui est l'antiquité, le monde ayant acquis du savoir et de l'expérience en vieillissant." L'étude des œuvres de Dieu et de la nature dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel, voilà la véritable instruction, voilà celle qui dominera dans les institutions libres. Les jeunes gens qui l'auront revue se montreront supérieur par la force de l'intelligence, la sûreté du jugement, l'aptitude à la pratique de la vie, aux affreux petits rhéteurs que l'université et le clergé auront saturés de doctrines aussi fausses que surannées. Pendant que les uns seront préparés aux fonctions sociales de notre époque, les autres seront d'abord à oublier, s'ils peuvent, ce qu'ils auront appris, ensuite à apprendre ce qu'ils devraient savoir. En présence de ces résultats la tendance des pères de famille sera de préférer les écoles libres, pleines de sève et de vie, à ces autres écoles succombant sous l'esclavage de la routine... 

    L'effroyable désordre moral [de notre époque] ne naît pas d'une perversion des volontés individuelles abandonnées à leur libre arbitre. Non, il est législativement imposé par le mécanisme des grades universitaires. M. de Montalembert lui même, tout en regrettant que l'étude des lettres antiques ne fut pas assez forte, a cité les rapports des inspecteurs et doyen des facultés. Ils sont unanimes pour constater la résistance, je dirai presque la révolte du sentiment public contre une tyrannie si absurde et si funeste. Tous constatent que la jeunesse française calcule avec une précision mathématique ce qu'on l'oblige d'apprendre et ce qu'on lui permet d'ignorer, en fait d'études classiques, et qu'elle s'arrête juste à la limite où les grades s'obtiennent. En est-il de même dans les autres branches des connaissances humaines, et n'est-il pas de notoriété publique que, pour dix admissions, il se présenté cent candidats tous supérieurs à ce qu'exigent les programmes ? Que le législateur compte donc la raison publique et l'esprit des temps pour quelque chose...
    Frédéric Bastiat (1801-1850), 1850 (?)
     
    Notes:
    [1] Frédéric Bastiat, "Baccalauréat et Socialisme", Œuvres complètes, tome IV : Sophismes économiques, petits pamphlets I, Paris : Guillaumin, 2ème éd. 1863, pp. 442 à 503.
    [<- kbd="">
    [2] "Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine..., d'altérer la constitution morale et physique de l'humanité..." (Contrat social, chap. VII)
    [<- kbd="">
    Extrait de l'édition originale en 7 volumes (1862) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, volume IV, pp. 442-503.
    Originellement mis sur le ouèbe par le site libertarien et non conformiste, en remerciant M. Pellissier-Tanon. Édité par Faré Rideau pour Bastiat.org.
    L'integralité de ce texte est maintenant disponible.

Créer son école

De Wikiberal
 
Créer son école est une association française, qui aide les parents souhaitant créer des écoles libres, en dehors du monopole de l'éducation nationale. Elle défend le pluralisme scolaire, rappelant qu'il s'agit de la meilleure façon de répondre aux besoins des enfants. Elle a été créée par Anne Coffinier.  
Elle a été fondée en 2004 par Anne Coffinier, normalienne et énarque. Elle regroupe des établissements « hors contrat ». Ces derniers étaient en 2006 au nombre de 450 et scolarisent 45.000 enfants[1]. Les établissements sont généralement catholiques, protestants, promouvant des pédagogies originales (Steiner, Montessori) ou avec des spécificités fortes (écoles pour dyslexiques, écoles bilingues). Une dizaine d'écoles s'y ajoutent chaque année selon Claude Fouquet[2].

Idées

L'association observe que l'éducation nationale en France n'est pas en mesure de répondre d'une manière unique aux besoins divers de tous les enfants et promeut donc les établissements libres. A cette fin elle propose donc un soutien juridique, matériel ou pratique à ceux qui souhaitent créer leur école.
L'association défend le respect de la liberté scolaire par l'Education Nationale: liberté de choisir son école, liberté de leurs méthodes pour les directeurs d'établissements et enseignants. Elle a ainsi pris parti pour le Chèque éducation[3] qui permet à chaque parent de choisir l'école de ses enfants et de donner à cette école le montant du chèque éducation.
Créer son école a rejoint en 2008 la Fondation pour l'école, dont elle est désormais l'une des constituantes.

Moyens d'action

L'association publie chaque année un guide sous forme de questions-réponses sur la création d'écoles libres pour aider les parents ou enseignants intéressés.
Elle agit également par la diffusion de son message dans les médias ou dans des conférences. Anne Coffinier est ainsi intervenue aux universités d'été de Liberté Chérie[4].

Un combat pour la liberté

Sans être exclusivement libéral, ce combat rejoint très largement les idées libérales, qui ont toujours condamné la tentative par le pouvoir d'avoir un monopole sur l'éducation. Ce sont ainsi historiquement les libéraux qui ont réduit le monopole public de l'éducation, par les lois Guizot de 1832, la loi Falloux de 1850 ou la loi Dupanloup de 1875. Les libéraux soulignent qu'une éducation libre pourra mieux répondre aux besoins de chaque enfant, tout en donnant une incitation à l'amélioration dans l'éducation nationale.
Le philosophe libéral britannique John Stuart Mill notait pour sa part[5] :
«Une éducation générale et étatisée n'est qu'un appareil à façonner les gens pour qu'ils soient exactement semblables entre eux ; et le moule utilisé est celui qui plaît aux pouvoirs prépondérants dans le gouvernement, que ce soit un monarque, un clergé, une aristocratie, ou la majorité de la génération en cours, et dans la mesure où l'appareil est efficace et où il est réussi, il établit un despotisme sur les esprits qui, par une pente naturelle, conduit à un despotisme sur les corps. »
    — John Stuart Mill, De la liberté
A l'inverse, ce sont les théoriciens de l'absolutisme royal qui cherchèrent à imposer le monopole public de l'éducation, suivis plus tard par les communistes; Cardin Le Bret au XVIIe siècle, Henri Wallon ou Claude Langevin au XXe siècle.
 

octobre 25, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 21/21 (Les racines... )

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Les racines de la démocratie moderne

Le libre marché doit venir d'abord afin d'établir les conditions favorables à la naissance de la démocratie.
Michael Mandelbaum
 
La liberté et la souveraineté du peuple sont les deux composantes de la démocratie, dit Michael Mandelbaum. Le libre marché doit venir d'abord afin d'établir les conditions favorables à la naissance de la démocratie, note-t-il. M. Mandelbaum est professeur de politique étrangère américaine, titulaire de la chaire Christian A. Herter, à l'Ecole de hautes études internationales de l'université Johns Hopkins à Washington ; il est l'auteur de Democracy's Good Name : The Rise and Risks of the World's Most Popular Form of Government [La bonne réputation de la démocratie : Grandeur et risques d'effondrement de la forme de gouvernement la plus populaire du monde] (Public Affairs, 2007).

Au cours des trois dernières décennies, la démocratie a connu une remarquable croissance. En 1900, seuls 10 pays pouvaient être considérés comme des démocraties. Au milieu du siècle, leur nombre était de 30, et ce chiffre n'avait pas changé 25 ans plus tard. En 2005, toutefois, 119 des 190 pays du globe étaient des démocraties. Comment cela s'est-il produit ? La réponse à cette question exige, avant toute chose, que l'on comprenne bien ce qu'est la démocratie.
 
Pour ceux qui emploient ce terme, c'est-à-dire pratiquement tout le monde, la démocratie est un système politique unique, intégré, facilement identifiable. Du point de vue historique, toutefois, comme je le décris dans mon ouvrage Democracy's Good Name : The Rise and Risks of the World's Most Popular Form of Government, la démocratie est issue de la fusion de deux traditions politiques qui, jusqu'à une époque couvrant une bonne part du XIXe siècle, étaient non seulement distinctes, mais largement considérées comme parfaitement incompatibles.
 
Ces deux traditions sont la liberté et la souveraineté populaire. La liberté se situe au niveau individuel alors que la souveraineté populaire appartient à l'ensemble de la communauté. La liberté concerne ce que font les gouvernements ou, plus précisément, ce qu'ils n'ont pas le droit de faire à leurs citoyens, à savoir limiter les libertés individuelles. Quant à la souveraineté du peuple, elle fait référence aux modalités du choix des gouvernants, qui sont choisis par l'ensemble du peuple. Elle répond donc à la question de savoir qui gouverne, et la liberté prescrit des règles déterminant ce que les gouvernants sont autorisés à faire, règles qui imposent des limites à leur pouvoir.
 
Ces deux composantes ont des antécédents historiques distincts. La liberté, la plus ancienne des deux, s'est développée en trois étapes. La liberté économique, sous la forme de la propriété privée, remonte dans la tradition de l'Europe occidentale à l'antiquité romaine. La liberté de religion, dans cette tradition, est née en grande partie du schisme survenu dans l'Europe chrétienne du fait de la réforme protestante des XVIe et XVIIe siècles. La liberté politique a fait son apparition plus tard, la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle étant le premier pays où l'on a pu voir une situation qui ressemblait à la liberté politique moderne, situation où le gouvernement n'exerce pas de contrôle sur l'expression des pensées, les réunions et la participation à la vie politique.
 
La souveraineté populaire a fait irruption dans le monde lors de la Révolution française de 1789, qui a lancé l'idée selon laquelle c'est le peuple, et non pas un monarque héréditaire, qui doit être détenteur du pouvoir souverain. Étant donné les difficultés pratiques qu'il y aurait à ce que l'ensemble du peuple gouverne directement en tous temps, on a conçu un véhicule d'exercice de la souveraineté populaire qui est le gouvernement représentatif, formule selon laquelle le peuple choisit ses représentants au moyen d'élections libres, régulières et ouvertes auxquelles tous les adultes ont le droit de participer.
 
Jusqu'à la deuxième moitié du XIXe siècle, on considérait généralement que la souveraineté populaire étoufferait la liberté. Si le peuple accédait au pouvoir suprême, pensait-on, il saisirait les biens des classes nanties et imposerait à tous un strict conformisme politique et social. Deux ouvrages classiques d'analyse politique du XIXe siècle, l'étude en deux volumes de l'aristocrate français Alexis de Tocqueville intitulée De la démocratie en Amérique et l'essai de l'Anglais John Stuart Mill De la liberté traitent précisément de ce danger. Une fois le XXe siècle arrivé, toutefois, il est clairement apparu que la liberté et la souveraineté populaire pouvaient coexister harmonieusement, comme elles le font actuellement dans de nombreux pays de par le monde. 

Filet de sécurité social
L'une des grandes raisons du succès de la fusion des deux composantes décrites ci-dessus tient à la mise en œuvre, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, de programmes publics de protection sociale qui offraient notamment des pensions de vieillesse, une assurance chômage et des assurances médicales, constituant collectivement ce que l'on a appelé le filet de sécurité social caractéristique de l'État-providence. Étant donné que tous les citoyens ont droit à ces avantages sociaux, l'État-providence a en fait universalisé la distribution des biens, ce qui a eu pour effet de rendre la propriété privée plus acceptable qu'elle ne l'eût été dans d'autres circonstances.
Cette combinaison de la protection sociale, de la liberté et de la souveraineté populaire a beaucoup ajouté au charme de la démocratie. Celle-ci a bénéficié également de l'évolution de l'histoire moderne, durant laquelle ce sont des démocraties qui sont devenues les pays les plus riches et les plus puissants du globe, notamment la Grande-Bretagne au XIXe siècle et les États-Unis au XXe. Il n'est rien qui attire autant que le succès, et comme les pays qui ont le mieux réussi durant la deuxième moitié du XXe siècle sont des démocraties, à savoir les pays d'Europe de l'Ouest, le Japon, les États-Unis et la Grande-Bretagne, cette forme de gouvernement a eu des adeptes.
Toutefois, aspirer à établir un système de gouvernement démocratique est une chose, y parvenir en est une autre. À ce sujet, il convient de s'arrêter sur une différence entre les deux composantes de la démocratie qui revêt une pertinence toute particulière. La souveraineté populaire est un principe politique dont l'application est relativement facile, car on peut organiser des élections libres et à peu de frais pratiquement partout.
 
La liberté, en revanche, est bien plus difficile à instaurer. Elle exige des institutions et, en bonne place parmi celles-ci, un appareil juridique complet en bonne et due forme, ainsi que des gens possédant les connaissances et l'expérience requises pour assurer le fonctionnement de ces institutions. La liberté ne peut fleurir que dans une société où les valeurs sur lesquelles reposent ces institutions, telles que le respect de l'état de droit, sont largement répandues. Ces institutions, ces connaissances et ces valeurs ne peuvent pas naître du jour au lendemain et elles sont difficilement importables de l'étranger. En Grande-Bretagne, par exemple, elles ont été le produit d'une évolution au fil de plusieurs siècles. Ceci pose la double question de savoir d'où viennent les institutions et les pratiques démocratiques, et comment les sociétés d'où elles sont absentes parviennent à s'en doter.
 
La principale source de la démocratie politique, comme je l'explique dans Democracy's Good Name, est une économie fondée sur l'économie de marché. S'il y a eu et s'il existe toujours des pays qui pratiquent l'économie de marché mais pas la démocratie en politique, il n'existe au XXIe siècle aucun pays qui soit une démocratie et dont l'économie ne soit pas axée sur le libre marché. La plupart des pays où la démocratie a fait son apparition durant le dernier quart du XXe siècle, en particulier en Europe méridionale, en Amérique latine et en Asie de l'Est et du Sud-Est, ont une expérience d'au moins une génération en matière de conduite d'une économie de marché. 

Le libre marché, facteur de démocratie
Le libre marché appuie la démocratie de quatre façons distinctes. 
En premier lieu, au cœur de toute économie de marché se situe l'institution de la propriété privée, celle-ci étant elle-même une forme de liberté. Le pays qui possède une économie de marché effective possède donc déjà aussi l'une des composantes essentielles de la démocratie politique.
 
En second lieu, les libres marchés génèrent des richesses, et de nombreuses études ont démontré que plus un pays est riche, plus il est susceptible d'avoir un régime démocratique. Les gens riches ont le temps qu'il faut consacrer à la participation politique dans les démocraties, temps que les pauvres n'ont pas. La richesse crée ce qui a toujours été historiquement l'armature sociale de la démocratie, à savoir une classe moyenne.
 
En troisième lieu, le libre marché se trouve au cœur même de ce que les sociologues appellent la société civile, qui est constituée des organisations et des groupements de la société ne relevant pas du gouvernement, tels que les syndicats du travail, et les associations religieuses et professionnelles. La société civile est située entre le gouvernement et l'individu. Elle limite le pouvoir du gouvernement et offre l'espace social nécessaire à l'exercice d'activités indépendantes du gouvernement. Les organisations de la société civile dépendent de l'économie de marché pour se procurer les fonds dont elles ont besoin pour fonctionner. Il ne peut y avoir de démocratie sans société civile, ni de société civile sans économie de marché.
 
En quatrième et dernier lieu, le libre marché cultive deux habitudes qui sont essentielles à la vie politique démocratique. La première est la confiance. Les citoyens d'un État démocratique doivent pouvoir faire confiance au gouvernement quant au respect de leurs droits, et les minorités doivent faire confiance à la majorité en sachant que celle-ci ne leur nuira pas et ne les persécutera pas. Dans une économie de marché, acheteurs et vendeurs doivent se faire confiance mutuellement en ce qui concerne l'exécution des contrats qu'ils passent entre eux, faute de quoi il ne saurait y avoir de commerce.
 
L'autre habitude découlant du libre marché qui est essentielle à la démocratie est celle du compromis. On peut en fait définir la démocratie comme le régime politique dans lequel le compromis, et non la violence ou la coercition, est la modalité selon laquelle se règlent les différends qui surviennent inévitablement dans toute société. Dans le déroulement des activités quotidiennes de l'économie de marché, les gens apprennent à transiger : l'acheteur et le vendeur doivent toujours négocier pour parvenir à un compromis sur le prix de l'objet de leur contrat étant donné que le vendeur veut toujours être payé le plus possible, et que l'acheteur veut toujours payer le minimum.
 
À partir du dernier tiers du XXe siècle, on en est venu à considérer pratiquement partout que le libre marché était la meilleure forme d'organisation économique pour aboutir à la prospérité. Toutes les sociétés souhaitent prospérer et elles ont donc, presque toutes, établi ou essayé d'établir un régime économique fondé sur le libre marché. Étant donné que la première tendance tend à promouvoir la seconde, l'expansion du libre marché a fait davantage que tout autre facteur pour favoriser la remarquable expansion de la démocratie de par le monde.


Marché libre

De Wikiberal
 
Dans les théories économiques, un marché libre est un modèle économique idéal dans lequel les échanges sont libérés de toute mesure coercitive, y compris les interventions gouvernementales comme les tarifs, les taxes, et les régulations, à l'exception de celles qui autorisent la propriété privée des terres, des ressources naturelles et du spectre de radiodiffusion, ainsi que la propriété intellectuelle, les entreprises et autres fictions légales.
La philosophie du laissez-faire économique en politique épouse approximativement ces conditions dans le monde réel en éliminant les tarifs, en minimisant et en simplifiant la taxation et en minimisant ou éliminant les règlementations étatiques et les restrictions telles que celles relevant du droit du travail (salaire minimum et conditions de travail, mais pas les lois qui restreignent l'organisation des travailleurs) ainsi que le monopole légal et les lois antitrust. Dans le domaine de l'économie politique, le « marché libre » est simplement le contraire conceptuel d'une économie dirigiste, dans laquelle tous les biens et services sont produits, tarifés et distribués sous la maîtrise de l'État

http://www.contrepoints.org/tag/libre-marche/feed

Libre marché et moralité

D'après mon expérience personnelle, celui qui, à cette époque, essaye de parler de libre marché sur les campus universitaires se trouve enseveli sous une avalanche de critiques envers la mondialisation. L'opposition des enseignants et des étudiants à l'expansion des marchés mondiaux dérive pour une large part d'un sens de l'altruisme, qui dérive de leur souci des questions sociales et morales. Synthétiquement, ils pensent que la mondialisation n'est pas à visage humain. Je pense le contraire. La mondialisation, je le montrerai, conduit non seulement à la prospérité et à sa diffusion mais aussi à des conséquences éthiques et à une plus grande moralité parmi ses acteurs. 

Nombre de ses critiques croient que la mondialisation défait certaines avancées sociales ou éthiques comme la réduction du travail des enfants et de la pauvreté dans les pays pauvres ou la promotion de l'égalité des sexes et la protection de l'environnement dans le monde entier. Cependant, quand j'ai examiné ces questions et d'autres dans mon livre En défense de la mondialisation, j'ai trouvé que les conséquences réelles étaient à l'opposé de ces craintes. 

Par exemple, nombreux sont ceux qui croyaient que les paysans réagiraient aux opportunités apportées par la mondialisation en retirant leurs enfants de l'école et en les faisant travailler. L'expansion du libre marché agirait alors comme une force négative. Mais j'ai montré que c'est l'opposé qui était vrai. Il s'est avéré que, dans de nombreux cas, les gains supplémentaires permis par la mondialisation - bénéfices croissants des planteurs de riz au Vietnam par exemple - ont incité les parents à laisser leurs enfants à l'école. Après tout, ils n'avaient plus besoin du maigre revenu supplémentaire que le travail d'un enfant peut rapporter. 

Considérons l'égalité des sexes : avec la mondialisation, les industries qui produisent des biens et des services échangés sur le marché mondial doivent faire face à une concurrence internationale avivée. Cette concurrence a réduit le fossé béant qui existait dans de nombreux pays en développements entre les salaires payés, à qualification égale, à un homme et à une femme. Pourquoi? Parce que les entreprises confrontées à une concurrence mondiales réalisent rapidement qu'elles ne peuvent se permettre cette préférence masculine. Obligées de réduire leurs coûts et de fonctionner de manière plus efficace, elles passent de plus en plus d'une main d'œuvre masculine chère à une main d'œuvre féminine bon marché. Ce faisant, elles augmentent le salaire des femmes et réduisent celui des hommes. La mondialisation n'a pas encore produit l'égalité salariale mais elle en a certainement réduit l'importance. 

Il y a désormais des preuves nombreuses que la Chine et l'Inde, deux nations avec d'immenses problèmes de pauvreté, ont réussi à croître si rapidement en prenant avantage du commerce et des investissements extérieurs et que, par là, elles ont réduit la pauvreté de façon très importante. La route est encore longue mais la mondialisation a permis d'améliorer les conditions de vie de centaines de millions de leurs habitants. Certains détracteurs ont attaqué l'idée de réduire la pauvreté par la croissance économique, lui reprochant d'être une stratégie conservatrice de trickle-down (NdT: Moins imposer les plus riches en espérant que cela profitera aux plus pauvres). Ils évoquent des images de riches suralimentés et gloutons ou de bourgeois mangeant du gigot quand les serfs et les chiens se contentent des miettes à leurs pieds. En réalité, se concentrer sur la croissance économique est une stratégie activiste qui tire tout le monde vers le haut ("pull-up" strategy). 

Même s'ils reconnaissent que la mondialisation permet généralement l'accomplissement de certains objectifs sociaux, certains critiques soutiennent qu'elle corrode la moralité de ses acteurs. Selon eux, l'expansion du libre marché élargit le domaine sur lequel la poursuite du profit règne et cette recherche du profit rend les individus égoïstes et malfaisants. Cela est à peine plausible. Regardons les bourgeois calvinistes décrits par Simon Schama dans son histoire des Pays-Bas. Ils ont construit leur fortune sur le commerce international mais ont cédé à l'altruisme et non à leurs appétits personnels, montrant ce que Schama appela avec justesse des "embarras de la richesse" ("embarassment of riches"). Une telle auto-limitation peut aussi être observé chez les Jaïns du Gujarat, cet état indien dont était originaire le Mahatma Gandhi. Les richesses que les Jaïns tirèrent de leurs activités commerciales ont servi leurs valeurs et non l'inverse. 

Quant à l'influence que la mondialisation continue à avoir sur le caractère moral, permettez moi de citer les merveilleux sentiments de John Stuart Mill. Comme il l'écrivit dans ses Principes d'économie politique (1848): 

Les avantages économiques du commerce sont surpassés par ses effets d’ordre moral et intellectuel. Il est difficile d’estimer trop haut, dans l’état actuel, relativement primitif, de la civilisation, l’avantage de mettre des hommes en contact avec des hommes différents qui ont des habitudes de pensée et d’action autres que les leurs … Il n'est aucune nation qui n'ait pas besoin d'emprunter aux autres. Pas uniquement des talents ou des pratiques mais des traits de caractère essentiels dans lesquels son propre type est inférieur. ... On peut dire sans exagération que l'extension immense et rapide du commerce international, en étant la principale garantie de la paix dans le monde, est la première sécurité permanente pour un progrès ininterrompu des idées, des institutions et du caractères de la race humaine

Dans l'économie mondialisée contemporaine, on voit continuellement des signes du phénomène décrit par Mill. Quand les multinationales japonaises s'étendirent dans les années 1980, les cadres dirigeants masculins emmenèrent avec eux leurs femmes à New York, Londres ou Paris. Quand ces femmes japonaises traditionnelles virent comment les femmes étaient traitées dans les pays occidentaux, elles firent leurs ces idées de droits des femmes et d'égalité. A leur retour au Japon, elles devinrent agents de changement social. De nos jours, la télévision et Internet ont joué un rôle considérable en étendant notre conscience sociale et morale au delà des limites de nos communautés et des états-nations. 

Adam Smith écrivit de façon célèbre sur un "homme européen plein d'humanité" qui "ne dormirait pas ce soir" s'il "devait perdre son petit doigt demain" mais "ronflerait avec la plus profonde sérénité" si une centaine de millions de Chinois étaient "soudainement avalés par un tremblement de terre" car "il ne les avait jamais vu". Les chinois ne nous sont plus invisibles, vivant à l'extérieur de la frontière de ce que David Hume appelait les cercles concentriques de notre empathie. Le séisme de l'été dernier en Chine, dont les conséquences tragiques ont été instantanément retransmises sur nos écrans, a rencontré non l'indifférence du reste du monde mais l'empathie et le sens profond d'une obligation morale envers ces victimes chinoises. Cela était le sommet de la mondialisation.

Jagdish Bhagwati

Nous vous proposons un débat sur le thème "Le marché libre corrode-t-il le caractère moral ?" entre Jagdish Bhagwati, John Gray,Garry Kasparov, Quinqlian He, Michael Waltzer, Michael Novak, Bernard-Henri Levy, Kay S. Hymowitz, Tyler Cowen, Robert B. Reich, Ayaan Hirsi Ali, John C. Bogle et Rick Santorum. Ce débat a été organisé par la Fondation Templeton
Cliquez le lien ci-dessous l'image ci-bas

http://www.libreafrique.org/Debat_Templeton_main

Le marché libre ou bien la guerre

La seule crise, c’est celle de l’anticapitalisme 

 

  

http://www.causeur.fr/le-marche-libre-ou-bien-la-guerre-12017.html

 
« Les gouvernements et parlements européens se sont efforcés, depuis plus de soixante ans, de gêner le jeu du marché, d’intervenir dans la vie économique et de paralyser le capitalisme. […] Ils ont dressé des barrières douanières ; ils ont encouragé l’expansion de crédit et une politique d’argent facile ; ils ont eu recours au contrôle des prix, aux salaires minima et aux procédés subsidiaires. Ils ont transformé la fiscalité en confiscation et expropriation ; ils ont proclamé que les dépenses imprudentes étaient le meilleur moyen d’accroître richesse et bien-être. Mais quand les conséquences inévitables de telles politiques […] devinrent de plus en plus évidentes, l’opinion publique ne porta pas son blâme sur ces politiques chéries, elle accusa le capitalisme. Aux yeux du public, ce ne sont pas les politiques anticapitalistes mais le capitalisme qui est la cause profonde de la dépression économique, du chômage, de l’inflation et de la hausse des prix, du monopole et du gaspillage, du malaise social et de la guerre ».
Nous sommes en 1944. Lorsque Ludwig von Mises écrit ces quelques lignes qui introduisent son Omnipotent Government1 où il décrit les causes de la montée du national-socialisme en Allemagne et les politiques qui ont précipité le monde dans une des guerres les plus destructrices de l’Histoire, les gouvernements du monde libre s’apprêtent à parapher les accords de Bretton-Woods qui entreront en vigueur le 22 juillet et négocient les premiers accords de libre-échange − qui seront signés en 1947 à Genève sous le nom de GATT. Pour ceux qui ont vécu l’entre-deux-guerres, cela ne fait aucun doute : si on veut sauver la paix dans le monde, il faut à tout prix éviter un retour au nationalisme économique, au protectionnisme et aux politiques de dévaluations compétitives.
[...]

octobre 16, 2014

Le « nouveau » libéralisme (Keynes) par Catherine Audard

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

« La transition de l’anarchie économique vers un régime visant délibérément à contrôler et diriger les forces économiques dans l’intérêt de la justice et de la stabilité sociale présentera d’énormes difficultés à la fois techniques et politiques. Je suggère néanmoins que la véritable mission du nouveau libéralisme est de leur trouver une solution ».

John Maynard Keynes, « Suis-je un libéral ? » (1ère éd. 1925), in La Pauvreté dans l’abondance, Paris, Gallimard, 2002 (souligné par nous). 


Ce diagnostic de Keynes sonne étonnamment contemporain [1]. Le monde occidental sort de trente ans de politique économique dominée par le néolibéralisme qui ont conduit certes à une plus grande prospérité mondiale, mais aussi à une crise financière d’une très grande gravité, parfaite illustration de l’anarchisme économique que fustige Keynes et qu’il avait expérimenté en première ligne, avec la dépression de 1929. Mais si la dérégulation des forces du marché a conduit le capitalisme au bord du précipice, les modèles alternatifs, communisme et socialisme, ont été, eux, largement frappés de discrédit depuis la chute du mur de Berlin, comme ils l’étaient déjà pour Keynes. Comme les gouvernements sociaux-démocrates actuels, Keynes refusait de voir dans le socialisme un remède aux maux du laissez faire. Quant au retour au protectionnisme, qui, rappelons-le, n’était pas un dogme pour Keynes, même s’il est une tentation, il est un moyen infaillible de transformer la récession en dépression, puisqu’il aggrave l’effondrement de la demande mondiale.

Vers quelle théorie se tourner si l’ultralibéralisme comme le socialisme ont été déconsidérés ? Telle est la question urgente qui se pose à tous les gouvernements modérés en 2009. Mais c’était également la question que se posaient au tournant du XXe siècle les auteurs libéraux progressistes qui, hostiles aussi bien au libéralisme orthodoxe de l’École de Manchester [2] qu’au socialisme, ont influencé Keynes. Ce sont ces auteurs, ainsi que leur politique économique et sociale, qui font l’objet de cette étude de ce qu’on a appelé le New Liberalism en Angleterre. [3]

La naissance du « nouveau » libéralisme au tournant du XXe siècle

D’un libéralisme de parti à un libéralisme d’idées
Le libéralisme connaît des transformations remarquables en Angleterre au tournant du XXe siècle. Il cesse progressivement d’être la formation politique dominante et est évincé après 1922 par le parti socialiste, le Labour Party, devenant de plus en plus minoritaire et éloigné du pouvoir en raison du bipartisme qui caractérise la politique anglaise. Mais il acquiert et développe également, pendant la même période, une influence intellectuelle et une stature morale sans commune mesure avec sa représentation politique. Il passe d’un libéralisme de parti à un libéralisme d’idées, forgeant ce qu’on a appelé le « nouveau » libéralisme qui s’éloigne considérablement des positions du libéralisme classique. Son renouveau intellectuel est animé par des philosophes, des économistes, des politologues, des sociologues, essayistes ou universitaires, mais aussi des journalistes, qui sont parfois également des hommes politiques et qui ont un prestige et une influence considérables auprès des classes dirigeantes. Ces auteurs se confrontent aux textes classiques du libéralisme comme aux positions du parti libéral pour les critiquer et les remanier sous des angles extrêmement variés, donnant son nouveau visage au libéralisme.

Il faut ajouter que ces auteurs ont eu un rayonnement international et que des mouvements comparables au New Liberalism ont existé en France, comme le « solidarisme » de Charles Renouvier (1815-1903), Alfred Fouillée (1838-1912), Léon Bourgeois (1851-1925), Charles Gide (1851-1925) et même Émile Durkheim (1858-1917) [4]. En Italie, le libéralisme classique représenté par le célèbre économiste Vilfredo Pareto [5] (1848-1923) a suscité les réactions d’intellectuels opposés au fascisme comme Benedetto Croce (1866-1952), fondateur du parti libéral italien, l’économiste Luigi Einaudi (1874-1961) et l’historien du libéralisme, Guido de Ruggiero (1888-1948), inspirées par le « nouveau » libéralisme et sa critique du libéralisme économique ou liberismo. Quant au « socialisme libéral » de Carlo Rosselli (1899-1937) [6], il a marqué durablement la tradition politique italienne [7]. En Allemagne, Wilhelm Dilthey (1833-1911) et Max Weber (1864-1920) [8] incarnent les espoirs du libéralisme ainsi que ses échecs et son incapacité à prendre pied dans un contexte idéologique hostile. Aux États-Unis, le « progressisme » américain est l’équivalent du « nouveau » libéralisme et sa nouvelle éthique démocratique et égalitaire s’exprime dans le magazine The New Republic, avec son fondateur Herbert Croly (1869-1930), Walter Lippmann (1889-1974), son publiciste le plus célèbre, ainsi que le philosophe John Dewey (1859-1952) qui, tous, puisent leur inspiration dans la philosophie de William James (1842-1910). Notons que l’un de ses grands intellectuels, Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), professeur de sciences politiques à Princeton, fut président des États-Unis de 1913 à 1921.

Le libéralisme en Angleterre (1870-1920)
Quelle est la situation spécifique du libéralisme en Angleterre ? En 1870, au moment de son apogée, le parti libéral est divisé en deux courants principaux. Le premier courant, plus conservateur, est l’hériter des Whigs des XVIIe et XVIIIe siècles, grands propriétaires terriens alliés à la bourgeoisie d’affaires pour des raisons tactiques afin de défendre leurs privilèges contre la dynastie des Stuarts et la monarchie absolue. Les éléments les plus conservateurs du parti se sont séparés des libéraux en 1832 sur la question du libre-échange, mais aussi de la réforme électorale et de l’élargissement du droit de vote, et rejoignent un nouveau parti qui se substitue aux Tories, le parti conservateur. Les libéraux conservateurs qui restent au parti, dont les représentants sont Richard Cobden, John Bright, et surtout le premier ministre William Gladstone, sont partisans du libre-échange contre les conservateurs protectionnistes et impérialistes, dont le leader est Benjamin Disraeli.

En face d’eux, et en position de plus en plus dominante, les libéraux réformateurs et « radicaux » influencés par l’utilitarisme se préoccupent avant tout d’améliorer le bien-être (welfare) des classes laborieuses et de lutter contre la pauvreté, en intervenant dans des secteurs jusque-là réservés à la charité privée. Ils sont également hostiles à l’impérialisme britannique et au coût des guerres coloniales. Ces préoccupations les amènent à critiquer les dogmes du libéralisme économique et à prôner au contraire l’intervention de l’État dans la vie sociale et économique.

Mais, malgré ces conflits, on peut dire que le consensus libéral résiste aux crises économiques et sociales beaucoup plus longtemps qu’ailleurs. Le libéralisme continue de nourrir une image idéalisée du capitalisme et de son fonctionnement. Il comprend la nouvelle société qu’il voit se former sous ses yeux dans les mêmes termes individualistes que jadis, attribuant le chômage et la misère avant tout à des défauts de « caractère » ou à la malchance. Incapable de saisir les causes de la crise sociale, il cherche à en guérir les symptômes : pauvreté, insécurité, chômage. Il n’établit aucun lien entre la pauvreté croissante du prolétariat et le capitalisme.

C’est la montée du socialisme, sous la forme du travaillisme, qui change la situation et radicalise l’aile réformatrice du parti libéral. Mais le travaillisme, qui donne naissance en 1906 au Labour Party, bien loin d’être influencé par le socialisme révolutionnaire et le marxisme comme en Europe continentale, a ses sources morales dans le libéralisme modéré et dans le protestantisme libéral, le méthodisme en particulier [9]. C’est seulement en 1918 qu’il cesse d’être un allié politique des libéraux et qu’il devient un opposant politique du parti libéral, lui ravissant la première place aux élections en 1922. Entre 1906 et 1911, avec l’aide des travaillistes, les libéraux réformateurs ont fait voter une législation sociale très avancée : indemnités en cas d’accident de travail, repas gratuits dans les écoles, réglementation du travail des enfants, limitation du travail à 8 heures dans les mines, protection des syndicats dont les pouvoirs sont accrus, revenu garanti pour toute personne âgée de plus de soixante-dix ans, début de la démolition des taudis et amélioration des logements ouvriers. Enfin, le National Insurance Act, voté en 1911, met sur pied le premier système d’assurance-chômage et maladie. Les prémisses du Welfare State sont donc l’œuvre des libéraux, appuyés par les travaillistes [10].

Mais cette radicalisation conduit, en 1916, à l’éclatement du parti entre radicaux (comme Lloyd George), modérés (comme Lord Asquith) et conservateurs, partisans de l’Empire au moment de la guerre des Boers. Le parti libéral perd ainsi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la position dominante qu’il occupait dans la vie politique anglaise, au profit du parti travailliste.

Les sources intellectuelles du « nouveau » libéralisme

Derrière les transformations du parti libéral, son éclatement et la naissance du parti travailliste pendant cette période, il faut voir l’action indirecte, mais parfois aussi directement politique, d’un nouveau mouvement intellectuel qu’on a appelé New Liberalism, né dans les universités d’Oxford ou de Cambridge. Ce mouvement a exercé une influence très importante sur les élites et les hommes politiques, mais a su également trouver des journalistes et des écrivains pour diffuser plus largement ses vues.

L’héritage de John Stuart Mill (1806-1873)
Ce « nouveau » libéralisme a, tout d’abord, ses sources intellectuelles dans les écrits de John Stuart Mill. Sous l’influence de Wilhelm von Humboldt (1767-1835), représentant du libéralisme allemand du Sturm und Drang [11], Mill a développé une nouvelle conception de l’individu qui doit beaucoup au concept hégélien et humboldtien de Bildung, terme ambigu qui signifie à la fois la formation de l’individu, son éducation ou ce que Mill appelle « la culture de soi ». Disons qu’à la conception abstraite et non historique de l’individu libéral du XVIIIe siècle, Mill substitue une conception beaucoup plus riche, évolutive et dynamique de l’individu comme résultat d’un processus d’individualisation : l’individualité. Dans De la liberté (1859), le manifeste du libéralisme moderne, il affirme que l’individualité est un des éléments essentiels du bien-être et donc une valeur centrale du libéralisme.

En conséquence, la société a un rôle central à jouer dans la formation de l’individualité et la nature sociale de l’individu est affirmée. Mill refuse toute opposition tranchée entre individu et société. Le but du libéralisme est d’indiquer « la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l’individu […] ce contrôle extérieur n’étant justifié que pour les actions de chacun qui touchent à l’intérêt d’autrui ». Indiquer clairement les limites de l’action de la société sur l’individu permet de lutter contre les contraintes inacceptables et injustifiées qu’elle risque d’imposer au développement individuel, contre l’autorité abusive qu’elle fait peser sur les individus et leur créativité. Mais le libéralisme ne refuse certainement pas l’idée que la société ait une influence sur la formation de l’individu et « la culture (Bildung) de soi ». Le libre développement de l’individu est un élément essentiel du progrès social, mais, sans l’aide et la contribution des autres, ce développement serait impossible.

Liée à cette conception de l’individualité, Mill développe une conception pluraliste de la société, mais aussi de la connaissance et de l’éthique, là encore en opposition avec les tendances monistes de l’idéologie des Lumières. Il insiste sur le fait que la pluralité des opinions est absolument nécessaire à la découverte de la vérité (De la liberté, chapitre II) comme à la liberté de l’individu de choisir son propre chemin, la voie de son développement personnel.

Mais c’est surtout en tant qu’homme politique – il est candidat socialiste aux élections de 1868 – et économiste – ses Principes d’économie politique de 1848 ont un énorme succès parce qu’il y apparaît plus soucieux de la classe ouvrière qu’aucun économiste avant lui – que Mill inspire l’évolution du mouvement libéral vers une conscience de plus en plus aiguë des questions sociales et ce sont surtout ses derniers écrits sur le socialisme, sur les droits des femmes et sur le gouvernement représentatif qui constituent les sources du nouveau paradigme.

Du « nouveau » libéralisme au travaillisme : T.H. Green, L.T. Hobhouse et John Hobson
Le penseur le plus important du nouveau libéralisme est certainement le philosophe d’Oxford Thomas Hill Green (1836-1882) [12] dont l’enseignement a un rayonnement extraordinaire bien après sa mort sur tout le personnel politique de l’époque, sans oublier sur Keynes lui-même qui, s’il ne le cite pas, s’en inspire [13]. Green développe les idées de Mill, mais va beaucoup plus loin que lui dans la dénonciation de la liberté des contrats et de la liberté économique, et ses thèses sur la nature sociale de l’individu sont très proches de celles de Durkheim dont il est le contemporain [14]. Green est remarquable par sa lecture de Rousseau, qu’il admire, et des philosophes idéalistes allemands, Kant, Hegel, Humboldt, qu’il essaye de concilier avec l’héritage libéral anglais et écossais. Suivant Kant, il rejette l’utilitarisme qui était la doctrine morale préférée des libéraux et affirme, au contraire, que le lien social ne résulte ni d’un contrat à la manière de Locke ni de l’utilité à la manière de Bentham, mais de la reconnaissance par chacun de la personne de l’autre comme d’une fin en soi et des intérêts des autres comme constitutifs de l’intérêt personnel. Il critique ainsi l’individualisme atomiste du XVIIIe siècle et lui substitue la vision, inspirée de celle de Mill, d’une individualité qui se développe et se perfectionne grâce à l’apport constant des autres, fondant ainsi un droit de l’individu vis-à-vis de la société qui lui doit les moyens de la réalisation de son potentiel, réalisation essentielle pour le bien-être et le progrès de tous. Cette idée est notamment reprise dans le « solidarisme » de Léon Bourgeois et son concept de la « dette sociale ». À la suite d’Aristote et de Hegel, Green appelle « bien commun » cette interaction entre intérêt individuel et intérêt commun et en fait le fondement de la morale et de l’obligation politiques [15].

Green est à la source de quatre innovations dans le programme libéral. Tout d’abord, il distingue radicalement la liberté négative du « vieux » libéralisme, celle des droits individuels, et la liberté positive du « nouveau libéralisme », celle des droits-créances, des moyens sociaux et économiques que la société fournit à l’individu pour permettre le développement de ses potentialités. Il amorce ainsi un débat entre liberté positive et liberté négative qui devient central dans l’idéologie libérale du XXe siècle et qui suscite la célèbre défense de la liberté « négative » par Hayek dans La Constitution de la liberté (1960). Ensuite, il réaffirme la nature sociale de l’individu dont le développement est tributaire de l’apport des autres et de la société. Puis, il fait la critique du libéralisme économique en soutenant que le marché est une institution sociale comme une autre qui doit donc être régulée pour fonctionner à l’avantage de tous et non pas seulement de certains. Enfin, il soutient la légitimité de l’intervention de l’État et de la législation dans les domaines de l’éducation, de la santé publique, de la propriété privée et du droit du travail pour neutraliser les effets pervers des excès de la liberté individuelle.

À la suite de Green, Leonard T. Hobhouse (1864-1929) [16] condamne le libéralisme économique qui conduit à creuser l’écart entre riches et pauvres et propose un programme sévère de taxation des profits des entreprises. Il défend le rôle de l’État qui doit réguler la vie sociale et soutient que les réformes sociales peuvent être compatibles avec le respect de l’individu. La nouvelle citoyenneté devrait inclure les droits sociaux et pas seulement les droits politiques. Il se rapproche ainsi du travaillisme naissant et de la Fabian Society. Celle-ci, qui existe toujours, a servi de premier think tank au parti travailliste et compte parmi ses membres fondateurs Béatrice et Sidney Webb, George Bernard Shaw et H. G. Wells. Elle défendait l’intervention de l’État dans la société, grâce à une bureaucratie efficace et honnête, le collectivisme et la méritocratie, tout en se considérant comme l’héritière du libéralisme [17].

Le nouveau libéralisme est également l’œuvre d’économistes, pas seulement de philosophes ou d’essayistes. Ainsi l’harmonie entre efficacité économique et réformes sociales est-elle le credo des travaux de l’économiste Alfred Marshall. Quant à John Hobson, le disciple de Green et Hobhouse et l’auteur de The Evolution of Modern Capitalism (1894) et d’Imperialism (1902), il rejoint, comme Hobhouse lui-même, les rangs du parti travailliste après la Première Guerre mondiale, quand le courant impérialiste du parti libéral rend impossible tout effort de réformes sociales.

John Maynard Keynes (1883-1946)
Il est impossible d’évoquer le « nouveau » libéralisme en Angleterre sans évoquer la figure de Keynes [18]. Confondant Keynes et le keynésianisme, on a souvent présenté Keynes comme antilibéral. En réalité, il est bien l’héritier des idées du « nouveau » libéralisme. Il s’oppose à une certaine version du libéralisme, celle, dogmatique et conservatrice, de l’École de Manchester et du parti libéral au début du XXe siècle, ou celle des conceptions économiques « orthodoxes » du Trésor avec lequel il a tellement de conflits, mais certainement pas au « nouveau » libéralisme dont il est, au contraire, le continuateur [19].

On peut dire, tout d’abord, que Keynes a parachevé le nouveau paradigme libéral en donnant à l’État administratif la dernière justification qui lui manquait encore : celle de l’expertise économique, et non plus seulement sociale, comme c’était le cas pour l’État social allemand de Bismarck. La pauvreté et les problèmes sociaux sont dus, selon lui, à la mauvaise gouvernance économique, à l’incompétence et à la mauvaise gestion de l’économie par les gouvernements, à leur « bêtise », dit-il souvent, se référant à ses innombrables démêlés avec les responsables du Trésor et avec les tenants du free market à tout prix, plutôt qu’aux défauts de caractère des « pauvres ». La nouvelle science économique doit permettre de résoudre les crises économiques en changeant les paramètres et en comptant sur l’intervention de l’État pour les mettre en œuvre, par exemple par une politique de grands travaux dont l’inspiration se trouve, avant Keynes, chez les économistes américains institutionnalistes. Keynes complète, plutôt qu’il ne transforme, le libéralisme pour y faire entrer des idées nouvelles, celles de risque, d’incertitude, d’anticipation, de probabilités ainsi que l’importance des phénomènes macro-économiques. Comme il le fait remarquer, non sans vanité, de même que la théorie de la relativité d’Einstein intègre comme un phénomène particulier valable pour des vitesses inférieures à la vitesse de la lumière les équations de Newton, de même sa théorie générale intègre les conceptions classiques et néo-classiques de l’économie libérale comme des cas particuliers.

On peut constater, ensuite, qu’en raison de son pragmatisme – ne proclame-t-il pas fièrement : « Quand les faits changent, je change d’avis » – Keynes évolue par rapport au « nouveau » libéralisme et trouve une alternative aussi bien au protectionnisme d’une partie de la droite qu’à la politique interventionniste et redistributive de la gauche, à savoir la possibilité de réguler les cycles économiques et les politiques de l’emploi tout en favorisant la croissance économique. Dans sa conférence de 1924, publiée en 1926 sous le titre La Fin du Laissez faire [20], il explique ses positions pragmatiques en faveur de l’intervention de l’État. Ce texte aurait pu servir de point de départ au grand débat avec Hayek qui n’a jamais eu lieu en raison de la mort de Keynes en 1946. Dans un texte de 1925, « Suis-je un Libéral ? » [21], Keynes précise encore davantage sa position à l’égard du « nouveau » libéralisme. Il part d’une théorie non marxiste des étapes du développement économique, proposée par l’économiste américain institutionnaliste J. R. Commons (Institutional Economics, 1934) [22]. Celui-ci distingue trois stades du développement : 1) le stade de la rareté, 2) le stade de l’abondance et de l’individualisme, 3) le stade de la stabilisation et de la régulation, après les grandes crises du capitalisme.

Dans ce dernier stade, la réduction de la liberté individuelle est liée aux interventions gouvernementales, mais surtout à des interventions économiques à partir de l’action concertée secrète ou semi-ouverte, ou d’arbitrage des associations, corporations, syndicats et autres mouvements collectifs des patrons du commerce ou de l’industrie, des banques, mais aussi des syndicats de travailleurs, ouvriers et paysans. À ce stade, les libertés sont menacées par le fascisme et le bolchévisme. Le socialisme n’offre pas d’alternative parce qu’il raisonne comme si l’ère d’abondance existait toujours. L’avenir du « nouveau » libéralisme est de chercher à résoudre les immenses difficultés de cette ère de stabilisation, de contrôle et de régulation des forces économiques en vue de créer la justice et la stabilité sociale. Quant au parti travailliste, bien que « stupide » (« silly », dit Keynes), il devra être attelé au programme du libéralisme. Keynes, comme le « nouveau » libéralisme, soutient la compatibilité entre socialisme et libéralisme. Cependant, il rejette le socialisme comme remède économique aux maux du laissez faire parce qu’il défend des politiques économiques inefficaces, l’interférence avec les libertés individuelles, et qu’il se veut révolutionnaire, défendant une idéologie de classe et un anti-élitisme jugé absurde. Il reste le parti libéral, pourtant clairement incapable de renouvellement en 1925 en raison de ses divisions internes et de ses échecs électoraux. Les « jeunes libéraux », comme William Beveridge, ne reviendront au pouvoir qu’après la guerre, en 1944, avec un programme qui s’inspire des idées de Keynes. Mais « le parti libéral demeure le meilleur instrument de progrès – si seulement il avait une direction forte et un bon programme ».

Dans sa Théorie générale (1936), Keynes développe certes des conceptions assez différentes de celles du « nouveau » libéralisme. Il ajoute la stabilisation macroéconomique au programme libéral d’avant-guerre et lui donne la priorité. L’instabilité à court terme du capitalisme est pour lui un danger plus grand que l’injustice à long terme dans la distribution de la richesse et des revenus. Les plus grands maux économiques sont le risque, l’incertitude et l’ignorance. Le rôle de l’État est de les minimiser grâce à sa politique monétaire et d’investissements en grands travaux, équipements sociaux, etc. Keynes déplace le problème de la justice sociale de la microéconomie vers la macroéconomie. L’injustice devient un problème d’incertitude, la justice une affaire de prédictibilité contractuelle. Contrairement à ce que l’on pense généralement, la redistribution joue un rôle mineur dans sa philosophie sociale, comme une partie de la machinerie de la stabilisation macroéconomique, certainement pas comme un moyen vers une fin idéale. Son étatisme et surtout son élitisme le différencient des « nouveaux » libéraux d’avant-guerre qui valorisaient la démocratie comme une fin en soi, alors que Keynes souhaite plutôt un État gestionnaire et technocrate. Il ne faut pas oublier non plus la différence de style intellectuel entre le « nouveau » libéralisme d’Oxford, teinté d’hégélianisme, et les économistes de Cambridge qui ont été les maîtres de Keynes. À distance des nouveaux libéraux, Keynes en est resté malgré tout un compagnon de route.

Une nouvelle conception de la liberté et de l’État

De la liberté négative à la liberté positive
La première transformation accomplie par les libéraux réformateurs concerne la conception de la liberté libérale. Rappelons les termes du débat.

Pour le libéralisme classique, la liberté était essentiellement conçue comme le droit à un espace privé inviolable, comme la protection vis-à-vis des autorités abusives, que ce soit le pouvoir exercé par autrui, par le groupe et la société, la coercition de l’État et des lois ou l’autorité des églises. C’est ce qu’on a appelé la liberté négative ou défensive. Mais, pour le « nouveau » libéralisme, la liberté est également positive : c’est le pouvoir d’agir au mieux de ses intérêts ou de ses valeurs sans en être empêché par quiconque ou par quoi que ce soit, sauf si l’on nuit à autrui. C’est la conception qui était déjà défendue par Mill :
« Personne ne soutient que les actions doivent être aussi libres que les opinions […] Les actes de toute nature qui, sans cause justifiable, nuisent à autrui peuvent être contrôlés […] La liberté de l’individu doit être contenue dans cette limite : il ne doit pas nuire à autrui. Et dès qu’il s’abstient d’importuner les autres et qu’il se contente d’agir selon son inclination et son jugement dans ce qui ne concerne que lui […] il doit être libre de mettre son opinion en pratique à ses propres dépens » (De la liberté, 1861, p. 145-146).
T. H. Green reprend et développe cette distinction entre freedom from, liberté à l’égard des contraintes, et freedom to, liberté active, ou liberté-puissance. Une telle distinction est cruciale puisque les obstacles ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Pour la première, l’obstacle se situe dans l’autorité arbitraire, politique ou religieuse et dans la contrainte. Pour la seconde, l’obstacle est l’absence des moyens d’agir et de réaliser les projets de vie de l’individu. On peut très bien vivre sous le règne des institutions de la liberté et souffrir d’un manque de liberté si l’on ne dispose pas des conditions sociales et économiques nécessaires au développement de son potentiel : éducation, santé, logement, salaire décent, etc. Les droits socio-économiques sont donc aussi importants que les libertés personnelles et politiques pour la liberté. C’est sur ce point que les débats avec le « nouveau » libéralisme vont faire rage pendant tout le XXe siècle. En effet, où se situe dorénavant la différence avec le socialisme ?

Le libéralisme classique avait toujours considéré que les institutions politiques (gouvernement représentatif, séparation des pouvoirs, contrepouvoirs, contrôles de constitutionnalité, décentralisation, etc.) étaient en première ligne pour protéger les droits et les libertés des individus. Pour le socialisme, au contraire, ces institutions ne peuvent pas jouer pas de rôle effectif puisque ce sont les conditions socio-économiques qui sont cruciales pour la « vraie » liberté. La justice sociale est pour le socialisme le seul moyen de l’épanouissement de l’individu et il ne peut y avoir de liberté sans les moyens de la liberté pour tous. Le « nouveau » libéralisme tente de combiner ces deux conceptions. Si l’on comprend les soi-disant droits « naturels » comme des allocations sociales et comme des moyens positifs d’agir, des pouvoirs, et non pas seulement des protections « passives », comme disait Benjamin Constant, la liberté individuelle n’est plus menacée par la justice sociale, elle en résulte, ce qui est un retournement complet des thèses libérales : « La liberté ne devient pas tant un droit de l’individu qu’une nécessité de la société » (Hobhouse, Liberalism, 1911).

Une nouvelle conception de l’État
En 1886, Woodrow Wilson, alors jeune professeur de sciences politiques à Princeton, admirateur de Hegel et de la conception allemande bismarckienne de l’État social, publie son livre L’État, qui argumente en faveur d’un plus grand pouvoir de l’exécutif au sein du gouvernement central. Ce livre, qui devient rapidement un classique des études en sciences politiques, marque un changement total dans l’attitude du libéralisme vis-à-vis de l’État qui, jusque-là, avait été perçu comme un péril pour les libertés individuelles.

Le livre Liberalism de Leonard T. Hobhouse, publié en 1911, représente en Angleterre la meilleure formulation de cette nouvelle approche. Il prône le rôle de l’État pour réguler la vie sociale et mettre en œuvre des réformes compatibles avec le respect de l’individu, une nouvelle citoyenneté qui inclut les nouveaux droits sociaux et qui se fonde sur la croyance dans l’harmonie possible entre liberté individuelle, efficacité économique et réformes sociales, espoir qui n’est pas sans éveiller de nombreux échos pour les libéraux comme les socialistes au début du XXIe siècle…

On peut dater de ce moment la révolution dans la conception de l’État qui substitue aux contrôles traditionnels des contre-pouvoirs, des checks and balances et de la Constitution, le nouvel État administratif, compétent, efficace et tout entier dévoué au bonheur de tous. Sous l’influence de ce « nouveau » libéralisme, un changement de paradigme s’opère et l’on passe de la théorie du gouvernement limité à celle de l’État au service de la société et du bonheur des citoyens. L’un des fondements du libéralisme classique s’écroule alors : la méfiance à l’égard des interventions de l’État.

Les missions nouvelles de l’État
Pour répondre à des crises, à des injustices d’un type et d’une ampleur nouveaux, le « nouveau » libéralisme appelle à l’intervention de l’État dans l’économie après la crise de 1929 et à accepter son rôle pour domestiquer les excès du capitalisme et du marché. Le champ d’action de l’État s’étend maintenant à toutes sortes de domaines qui étaient en dehors de sa juridiction. La tâche de l’État n’est plus seulement « négative » – protéger les individus contre les atteintes à leur liberté –, mais consiste à faire leur bonheur en stabilisant l’économie et en régulant le marché mondial.

Sont également acceptées les interventions dans la sphère privée et la société civile : la famille (politiques démographiques), la santé et l’éducation, le chômage, les entreprises et le monde du travail, le syndicalisme, etc. De menace, l’État devient un vecteur du Bien puisque son rôle est désormais de satisfaire les besoins de ses citoyens. Le welfare devient la responsabilité du gouvernement et non plus de la société civile, des associations privées religieuses ou laïques de charité et de solidarité.

Des moyens nouveaux : l’État administratif
Cette nouvelle conception de l’État justifie l’existence de nouveaux moyens d’action pour l’État administratif, c’est-à-dire le développement d’agences d’experts non élus pour résoudre les problèmes sociaux et économiques. Elle justifie l’abandon du principe fondateur, pour Locke et Montesquieu, de la séparation des pouvoirs puisque le pouvoir administratif devient de plus en plus autonome, un « quatrième pouvoir » sans véritable contrôle. Il dépend seulement indirectement de l’exécutif et il n’est pas responsable devant les citoyens puisque les parlements n’ont plus aucun droit de regard dès qu’une agence administrative est créée. C’est ce point qui est probablement le plus problématique dans le « nouveau » libéralisme. En effet, comme la séparation des pouvoirs est un obstacle à l’efficacité des gouvernements dans leur action sociale, on assiste à l’abandon de la doctrine libérale de la non-délégation des pouvoirs qui permet l’apparition d’agences administratives indépendantes (National Health Service en Angleterre, Sécurité Sociale en France, Security and Exchanges Commission aux États-Unis pour la régulation des marchés financiers, d’autres agences similaires pour contrôler les médias, le commerce, la sécurité intérieure). Il s’agit de pouvoirs non élus et placés sous le contrôle de l’exécutif, sans que les parlementaires puissent les évaluer, sauf en cas de crise. L’accroissement de la taille et de l’influence des bureaucraties d’État non responsables devant les citoyens s’effectue parallèlement à l’augmentation de la bureaucratie dans les gigantesques consortiums multinationaux. Comme l’avait déjà vu Max Weber au début du siècle, la bureaucratie devient la menace la plus sérieuse à l’égard des libertés individuelles [23]. Pour cette raison, le libéralisme a été associé aux États-Unis et en Angleterre au big government et c’est l’un des thèmes sur lesquels, depuis l’administration Reagan, les républicains ont fait campagne contre les idées libérales.

Conclusion

« Le fait que le libéralisme accorde une réelle valeur à l’expérience a entraîné une réévaluation continuelle des idées d’individualité et de liberté, lesquelles idées sont étroitement dépendantes des changements affectant les relations sociales » (John Dewey, « The Future of Liberalism », in Later Works, 1935).
Ce qui frappe dans cet épisode du « nouveau » libéralisme, c’est l’étonnante capacité de réinvention du libéralisme en fonction des transformations sociales, point sur lequel Dewey insiste dans cette citation. L’explication en est certainement que, par rapport aux idéologies concurrentes, socialisme ou conservatisme, le libéralisme est beaucoup moins rigide et doctrinal et que sa « tolérance structurale » et sa « flexibilité diachronique », pour reprendre les termes des brillantes analyses de Michael Freeden, sont remarquables. Malgré ces transformations, en effet, la structure conceptuelle du libéralisme est restée la même. Nous retrouvons dans le « nouveau » libéralisme tous les concepts-clés de souveraineté de l’individu, de liberté des Modernes, de l’État de droit. Mais cette structure a été modifiée parce que la relation entre ses concepts-clés et ses concepts adjacents et périphériques s’est transformée. En particulier, ses concepts adjacents de démocratie, d’égalité, d’État et de bien commun ont influencé en profondeur ses concepts-clés. En définitive, ses valeurs de base –liberté individuelle, esprit d’entreprise, tolérance, refus du système et du dogmatisme, capacité d’autocritique – inspirent un style, une forme intellectuelle qui lui sont spécifiques et qui donnent à sa famille de concepts beaucoup plus de flexibilité et d’ouverture que dans d’autres idéologies. La maison « libéralisme » a certainement ses portes et ses fenêtres plus largement ouvertes sur le monde qu’aucune autre.

En effet, que voudrait dire la doctrine de la liberté si ce projet était compatible avec le dogmatisme et l’esprit de système généralement attribués aux idéologies politiques ? Par définition, le libéralisme ne peut inspirer des doctrines dogmatiques et sectaires. C’est pourquoi, par exemple, le néolibéralisme de Milton Friedman, repris par les gouvernements Thatcher et Reagan, est difficilement intégrable dans le camp libéral car il bascule très vite dans le conservatisme par la forme de son argumentation, souvent sectaire et dogmatique, tout autant que par le contenu de ses idées. Au contraire, en appliquant la tolérance à la philosophie elle-même, pour reprendre la formule de John Rawls (Libéralisme politique, p. 34) le libéralisme contemporain se manifeste dans des constellations d’idées et de valeurs qui, si elles contiennent un noyau dur, sont toujours susceptibles de réorganisations différentes comme celles accomplies par John Stuart Mill ou tous les auteurs du « nouveau » libéralisme que nous avons mentionnés.

On pourra certes objecter que l’éclectisme n’est pas une bonne formule politiquement et qu’intellectuellement c’est en général un signe de faiblesse. En réalité, c’est pour une idéologie politique une force qui lui permet de se rénover, de s’adapter aux circonstances nouvelles de manière remarquable et de permettre la coopération politique entre des forces sociales opposées. Mais ce qui est possible pour un courant intellectuel l’est sans doute beaucoup moins pour un parti politique. C’est pourquoi le rayonnement du « nouveau » libéralisme a plus été celui d’un mouvement intellectuel que d’un programme de parti. Il n’en demeure pas moins que la capacité de transformation, de réinvention et d’adaptation est inscrite dans la nature même du libéralisme, dans sa conscience de soi en tant que doctrine de la liberté humaine en train de s’accomplir.

par Catherine Audard [29-04-2009]
 
Catherine Audard, ancienne élève de l’ENS (Ulm-Sèvres), professeur agrégée de philosophie, enseigne la philosophie morale et politique à la London School of Economics (Department of Philosophy) depuis 1991. Elle a publié en anglais John Rawls (Acumen Press, Londres, 2006) et en français une Anthologie historique et critique de l’utilitarisme (PUF, 1999), Le respect (ed. Autrement, 1993), Individu et justice sociale (en collaboration, Le Seuil, 1988) ainsi que des traductions des oeuvres principales de John Rawls, de John Stuart Mill et de nombreux articles de philosophie politique et morale. _ Son livre le plus récent est Les Enjeux du libéralisme. Éthique. Politique. Société. à paraître chez Gallimard en septembre 2009. Elle prépare une version française de son John Rawls pour les Éditions Grasset.
 

Notes

[1] Cette présentation est un résumé du chapitre IV de mon livre, Les Enjeux du libéralisme, à paraître chez Gallimard, septembre 2009.
[2] L’École de Manchester, représentée par Richard Cobden, le fondateur en 1839 de la ligue contre les droits sur les grains (Anti-Corn Laws League) et du parti libéral anglais, est typique du « vieux » libéralisme qui se concentre surtout sur la défense du libre-échange, la non-interférence de l’État dans la vie économique, la diminution des dépenses publiques et des impôts, la stricte liberté des contrats. Il présente ces valeurs comme bénéfiques pour toute la société sans pour autant gagner le soutien de la classe ouvrière, influencée par le mouvement chartiste puis par le travaillisme.
[3] Sur le New Liberalism, on pourra consulter Michael Freeden, The New Liberalism, Oxford, Clarendon Press, 1978, Liberalism Divided, Oxford, 1986, et Ideologies and Political Theory, Oxford, 1996 ; le numéro spécial de la revue Social Philosophy and Policy : Liberalism, Old and New, vol. 24, n°1, hiver 2007 ; James T. Kloppenberg, Uncertain Victory. Social Democracy and Progressivism in European and American Thought, 1870-1920, Oxford, Oxford University Press, 1986 ; Richard Bellamy, Liberalism and Modern Society, Cambridge, Polity Press, 1992 ; Gilles Dostaler, Keynes et ses combats, Paris, Albin Michel, 2009 (1ère éd. : 2005), p.198-203 et 218-245 sur les grandes réformes libérales et Keynes. Sur le socialisme libéral, voir Serge Audier, Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, 2006, et Monique Canto-Sperber et Nadia Urbinati (dir.), Le Socialisme libéral. Une anthologie, Paris, Esprit, 2003.
[4] Voir Marie-Claude Blais, La Solidarité. Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007 et Jean-Fabien Spitz, Le Moment républicain, Paris, Gallimard, 2005.
[5] Si Pareto fut un défenseur du libéralisme démocratique pendant sa jeunesse, il devint de plus en plus cynique et finit par soutenir la montée du fascisme.
[6] Carlo Rosselli, militant italien antifasciste réfugié à Paris, mourut assassiné par des miliciens en 1937.
[7] Voir Serge Audier, op.cit. (chap. III), et Richard Bellamy, op.cit. (chap. III).
[8] Sur Max Weber et le libéralisme, voir David Held, Models of Democracy, Cambridge, Polity Press, 1996 (chap. 5) ; James T. Kloppenberg, op.cit. (chap. 8), Richard Bellamy, op.cit. (chap. 4).
[9] Voir, par exemple, Gilles Dostaler, op. cit., p. 215-216 ; James T. Kloppenberg, op. cit., p. 201-205.
[10] Voir Gilles Dostaler, op. cit., p. 218-221 et James T. Kloppenberg, op. cit., p. 273-274. L’influence de la législation de Bismarck a certainement marqué cette législation de même qu’elle joue un rôle dans le « progressisme » américain de la même période.
[11] Sur Humboldt, voir Louis Dumont, L’idéologie allemande, Paris, Gallimard, 1991 (chap. 6).
[12] Le texte le plus représentatif de sa pensée est « Liberal Legislation and Freedom of Contract », 1880, dont on trouvera des extraits dans Monique Canto-Sperber et Nadia Urbinati (dir.), op. cit.
[13] Voir Gilles Dostaler, op. cit., p. 200.
[14] Steven Lukes in Monique Canto-Sperber et Nadia Urbinati (dir.), op. cit., p. 159-161.
[15] Voir The Principles of Political Obligation, 1880, publiés en 1895. Sur T. H. Green, voir Michael Freeden op. cit., et James T. Kloppenberg, op. cit. (chap.4), M. Richter, The Politics of Conscience, Londres, 1964 ; Gilles Dostaler, op. cit., p. 198-201 ; Serge Audier, op. cit., p. 14-15.
[16] La présentation des thèses du « nouveau libéralisme » par Hobhouse se trouve dans Liberalism (1911). Sur Hobhouse, voir Serge Audier, op. cit., p. 16-22 ; Gilles Dostaler, op. cit., p. 199-200 ; James T. Kloppenberg, op. cit., p. 305-311.
[17] Voir Steven Lukes, op. cit., p. 156-157.
[18] Nous suivrons ici la biographie magistrale de Keynes par Robert Skidelsky, John Maynard Keynes 1883-1946, Londres, MacMillan, 2003, ainsi que Gilles Dostaler, op. cit.
[19] Gilles Dostaler, op. cit., p. 165-245 et surtout p. 198.
[20] The End of Laissez Faire, Londres, 1926, traduction française : Éditions Agone, 1999.
[21] « Am I a Liberal ? » (1925), traduction français dans : La Pauvreté dans l’abondance, Paris, Gallimard, 2002.
[22] John R. Commons (1862-1945) a été l’un des critiques américains les plus sévères du laissez-faire dans les années 1920. Voir Gilles Dostaler, op. cit., p. 186-187.
[23] Voir Richard Bellamy, op. cit. (sur Max Weber, p. 184-190) et sur les dangers de la bureaucratie étatique comme industrielle pour les idées libérales.


John Maynard Keynes

De Wikiberal
John Maynard Keynes (5 juin 1883 - 21 avril 1946) était un économiste et un mathématicien britannique, fondateur de la doctrine économique à laquelle il a laissé son nom, le keynésianisme, qui encourage l'intervention de l'État pour assurer le plein emploi

Critiques de Keynes

Les critiques de Keynes et des politiques qu'il a inspirées ont toujours soutenu qu'on n'a nul besoin de mettre en cause la capacité des marchés à ajuster les offres aux demandes pour rendre compte du chômage, que les politiques publiques, qui le subventionnent (Rueff), punissent l'embauche par des taxes, ou interdisent le plein emploi des ressources, notamment en imposant des prix (New Deal) et surtout des salaires minimum, suffisent à l'expliquer. Que dans ces conditions, accroître la demande globale, a fortiori pour les produits finis, n'est qu'un expédient temporaire pour tourner ces contraintes, qui doit faire monter les prix. Ceux, notamment les syndicats, qui veulent imposer des rémunérations incompatibles avec le plein emploi, finiront par s'en apercevoir, et manipuler la demande ne réussira plus à résorber l'offre excédentaire.
Les théoriciens des anticipations rationnelles ont démontré que ces politiques ne pouvaient avoir d'effet que si elles réussissaient à tromper les agents économiques sur les effets qu'elles auraient, notamment sur les taux d'intérêt et les salaires réels — et cela indépendamment de leurs conceptions parfois irréalistes de l'incertitude[1].
C'est dans les années 1970 que le problème de la « stagflation » — une inflation croissante sans réduction du chômage, conjonction qu'elle déclarait implicitement impossible — a finalement conduit à remettre en cause l'approche macroéconomique de Keynes — d'où, peut-être, le Prix Nobel d'économie attribué en 1974 aux interprétations de la conjoncture de type autrichien de Friedrich Hayek. Cependant, l'économiste suédois G.Myrdal partagea cette année le prix Nobel avec Hayek, alors même qu'il fût l'un des apôtres de la social-démocratie et un fervent défenseur de l'intervention de l'État en matière économique. Hayek avait entrepris de réfuter spécifiquement la Théorie générale dès sa parution en 1936, mais la guerre, qui devait le rapprocher de Keynes, puis sa mort en 1946, avait interrompu ce projet, dont on peut en trouver les premières ébauches dans Profits, Interest and Investment (1939) et The Pure Theory of Capital (1941) — il offrait aussi comme substitut la Theory of Prices d'Arthur Marget.
Logiquement, c'est-à-dire si l'on écarte les explications circulaires de la hausse des prix du genre « inflation par les coûts » (car ces « coûts » ne sont eux-mêmes rien d'autre que des prix), la stagflation ne peut exister que si la demande est simultanément en excédent ici, et en défaut là ; on ne peut donc en rendre compte que si on sort de la macroéconomie proprement dite, laquelle n'envisage par hypothèse qu'un défaut, ou un excédent global de la demande.
Or, justement, la critique autrichienne de Keynes prétend réfuter l'approche macroéconomique en tant que telle[2] : pour elle, les désajustements entre offres et demandes sont forcément locaux. Ce qui lui permet d'insister sur la réaction à la politique monétaire des prix relatifs des actifs échangés en amont du consommateur, dans la "structure de production", comme éléments essentiels de la conjoncture — à ce titre, la notion d'"inflation des actifs", admise dans les années 1980, est une première prise en compte de cette approche.
Ensuite, ces écarts entre les demandes et les offres ne peuvent être que le produit d'erreurs de prévision : si les gens prévoyaient parfaitement la demande pour leurs services, ils ne se retrouveraient jamais avec une demande plus faible (d'où sous-emploi) ou plus forte (d'où hausse des prix) qu'ils ne l'envisageaient. On retrouve une conclusion des anticipations rationnelles, mais dans une approche qui y ajoute une analyse réaliste des conditions dans lesquelles les gens acquièrent l'information.
En effet, ces erreurs-là, les critiques de la macroéconomie affirment que la politique de conjoncture ne peut que les aggraver, en ajoutant ses propres sources d'incertitude à celles qu'engendrent les choix faits sur les marchés.
  • tout d'abord elle ne peut être qu'aveugle, puisque par hypothèse elle ne cherche même pas à identifier ces désajustements spécifiques. Comment en attendre alors qu'elle y distingue en outre, comme elle devrait théoriquement le faire s'agissant d'une « conjoncture », ceux qui ne sont dus qu'à des changements mal prévus des préférences et des techniques, et qu'il n'y aurait en principe jamais lieu de compenser par une manipulation de la demande, a fortiori globale ?
  • ensuite, en centralisant les décisions en-dehors des marchés, la politique macroéconomique concentre les erreurs, qui se compenseraient en partie autrement, et les diffuse, pour reprendre l'expression même de Keynes,
« d'une manière que pas un homme sur un million n'est capable de comprendre. »
Pour l'analyse autrichienne, donc, les institutions qui affectent la demande globale, notamment le monopole d'émission de la monnaie, sont la cause des crises économiques et financières évitables, et ne peuvent pas y porter remède. Plus généralement, elle affirme que les planificateurs étatiques ne peuvent pas connaître l'information nécessaire à la réalisation de leurs projets par les hommes, mais ne font au contraire que fausser son acquisition parce qu'ils ne subissent pas les conséquences de leurs choix, alors qu'ils privent de leur pouvoir de décision les seuls qui auraient véritablement intérêt à s'informer de façon adéquate, ceux qui les subiront effectivement.
Ces considérations, partagées au-delà de l'École autrichienneMilton Friedman aussi reconnaît qu'on n'a pas besoin de banque centrale, ont inspiré des politiques, notamment monétaires, qui prétendaient davantage être prévisibles que régler la conjoncture.

Critique libertarienne

La critique libertarienne du keynésianisme ne s'attache pas seulement aux concepts économiques sophistiques (tels que le multiplicateur keynésien, la confusion de l'épargne avec la thésaurisation, la prétention de produire de la richesse à partir de la dépense étatique), ce qui est reproché principalement au keynésianisme est sa justification de l'interventionnisme étatique dans tous les cas de figure, d'où sa qualification par certains de marxism on the rocks. Le keynésianisme est une erreur en économie mais une réussite en politique, car il permet à une classe politique incompétente et corrompue d'envelopper son ignorance et son goût pour la dépense dans de belles théories économiques :
Quelque chose a changé avec la publication de la Théorie générale. Keynes a fourni aux gouvernements du monde des arguments d’apparence scientifique pour accomplir ce qu’ils voulaient accomplir de toute façon. L'intervention du gouvernement a été mieux acceptée à l’échelle mondiale en tant que théorie économique officielle. (Ron Paul, Liberty Defined)
On trouve de nombreux exemples de cette malhonnêteté "scientifique". Par exemple, le "théorème de Haavelmo", dans le sillage keynésien, affirme qu' "une augmentation des impôts peut se traduire par un accroissement de la richesse nationale" (sous les hypothèses irréalistes d'économie fermée, investissement constant, propension marginale à consommer constante, etc., et emploi de sophisme anti-comptable).

Les résultats pratiques du keynésianisme

  • les idées keynésiennes de politique de relance, de dette publique et de taux d'intérêt artificiellement bas existaient bien avant Keynes : elles furent déjà appliquées en Grande-Bretagne en 1815[3], et l'on peut même soutenir qu'en France Calonne, contrôleur général des finances de Louis XVI, en fut un précurseur par ses politiques de "relance" et de "stimulation" de la croissance économique.
  • la politique américaine du New Deal (interventionnisme, lancement de travaux publics massifs...), même si elle ne se réfère pas explicitement au keynésianisme (la Théorie générale de Keynes n'est publiée qu'en 1936), tout en partageant beaucoup de ses points de vue, n'a pas sorti les États-Unis, comme on le croit trop souvent, de la Grande Dépression des années 30, qui fera sentir ses effets jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
  • le nazisme appliqua trois plans de relance entre 1934 et 1936, avec subvention massive des entreprises, embauche de millions de travailleurs, grands travaux (construction d'autoroutes). Les historiens parlent d'un "New Deal hitlérien". Le résultat fut la quasi-faillite de l’État allemand (avec une dette de 40 milliards de Reichsmarks en 1939) qui précipita l'entrée du pays en guerre.
  • au Japon, le résultat des politiques keynésiennes, outre une stagnation économique sans précédent, a été de faire passer la dette publique de 60 % au début des années 1990, à 130 % en 2001, et à environ 200 % de son produit intérieur brut en 2011.
  • après la crise financière de 2007-2008 (d'origine étatique pour une très large part), les États (notamment les États-Unis et l'Europe) ont opté pour des "remèdes" keynésiens : injection dans l'économie de centaines de milliards d'argent public, multiplication des plans de relance budgétaire, politiques monétaires très souples, etc., ceci en pure perte, le résultat étant une augmentation sans précédent de leur dette publique.

  • 4 Citations
  • 5 Citations sur Keynes
  • 6 Notes et références
  • 7 Publications
  • 8 Littérature secondaire
  • 9 Voir aussi
  • 10 Liens externes
    • 10.1 En anglais  
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      Marx and Keynes - Paul Mattick (1955)

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      Classical economy, whose beginning is usually traced to Adam Smith, found its best expression and also its end in David Ricardo. Ricardo, as Marx wrote, “made the antagonism of class-interest, of wages and profits, of profits and rent, the starting-point of his investigation, naively taking this antagonism for a social law of nature. But by this start the science of bourgeois economy had reached the limits beyond which it could not pass,” for a further critical development could lead only to the recognition of the contradictions and limitations of the capitalist system of production. By doing what could no longer be done by bourgeois economists, Marx felt himself to be the true heir, and the destroyer as well, of bourgeois economy.
      The further development of economic theory supported Marx’s opinion. Though bourgeois economy was indeed unable to advance, it was able to change its appearance. Classical economics had emphasized production and the system as a whole. Their followers emphasized exchange and individual enterprise. Although there arose no serious doubt that the capitalist system is natural, reasonable, and inalterable, yet the early confidence of bourgeois economy was slowly destroyed by a growing discrepancy between liberal theory and social reality. The increasing economic difficulties which accompanied the accumulation of capital developed an interest in the business cycle, in the factors that make for prosperity, crisis and depression. The neo-classical school, whose best-known proponent was Alfred Marshall, attempted to transform economy into a practical science, that is, to find ways and means to influence market movements and to increase both the profitability of capital and the general social welfare. But the increasing length and violence of depressions soon changed a new optimism into even deeper despair, and the sterility of bourgeois economics led economists once more to embrace the less-embarrassing security of “pure theory” and the silence of the academies.
      In the midst of the Great Depression, bourgeois economic theory was suddenly raised from the dead by the “daring” theories of John Maynard Keynes. His main work, The General Theory of Employment, Interest and Money, was hailed as a “revolution” in economic thought and led to the formation of a school of “Keynesian economics.” While persistent “orthodox” economists opposed this new school as “socialistic” or “illusionary,” so-called socialists attempted to blend Marx with Keynes, or rather, to accept Keynes’ theories as the “Marxism” of our time. Marx’s scepticism with regard to the future of bourgeois economy was now said to indicate only his inability or unwillingness to criticize the classicists constructively. Of Keynes it was said that he made real Alfred Marshall’s aspirations for a reformed and improved capitalism. These endeavors, as well as the great popularity of the “Keynesians,” both generally and in academic circles, and also their insistence upon the practical applicability of their economic reasoning and their apparent political influence, make it both advisable and interesting to investigate their claims and to review the work of their deceased master in the light of the actual development and the recognizable trend of present-day society. This invites a comparison of the Keynesian with the Marxian point of view.

      II

      Until the publication of the General Theory, Keynes was regarded as an economist of the neo-classical school whose marginal language was also his own. Economic categories were decked out in psychological terms, presumably derived from “human nature.” Individual anticipations and disappointments determine economic life and Keynes even spoke of the money-making and money-loving instincts of individuals as the main motive force of the economic machine. He believed that it is a “psychological law” that individuals tend to consume progressively smaller portions of their income as their incomes increase. When aggregate real income increases, consumption increases, too, of course, but not by so much as income. Assuming that all investment ultimately serves consumption needs and that an increase of income increases consumption by less than income, savings will increase faster than investments. With this, aggregate demand declines and the level of employment falls short of the available labor supply. This happens in a “mature” society because of the already existing large stock of capital, which depresses the marginal efficiency or profitability of capital and therewith expectations with respect to future capital yields. And this, in turn, creates a psychological attitude on the part of the wealth-owners to hold their savings in money-form rather than to invest in enterprise promising little or no reward.
      Economic stagnation and large-scale unemployment was at the center of Keynes’ interest. Traditional economic theory was bound to the imaginary conditions of full employment and to Say’s “law of the market” — to the belief, that is, that “supply creates its own demand.” Like Say, Keynes saw in present and future consumption the goal of all economic activity, but, in distinction to the French economist, he no longer held that supply brings forth sufficient demand to maintain full employment. The refutation of “Say’s law” is hailed as the most important aspect of the Keynesian theory, particularly because it defeats this “law” on its own ground by showing that just because of the “fact” that production serves consumption, supply does not create its own demand.
      Almost seventy-five years earlier, Marx had already pointed out that only an accelerated capital expansion allows for an increase of employment, that consumption and “consumption” under conditions of capital production are two different things, and that total production can rise only if it provides a greater share of the total for the owners and controllers of capital. The “dull and comical ‘prince de la science’, J.B. Say,” Marx did not find worth overthrowing, even though “his continental admirers have trumpeted him as the man who had unearthed the treasure of the metaphysical balance of purchase and sales” [1]. For Marx, Say’s law of the market was sheer nonsense in view of the growing disequilibrium between the profit needs of capital expansion and the rationally considered productive requirements of men, between the “social demand” in capitalism and the actual social needs; and he pointed out that capital accumulation implies an industrial reserve army.

      III

      When Keynes at such late hour, approached Marx’s position, it was not in order to point to an inherent contradiction of capital production but to hail the disparity between employment and investment as a great accomplishment. In his view only “a wealthy community will have to discover much ampler opportunities for investment if the saving propensities of its wealthier members are to be compatible with the employment of its poorer members” [2]. However, short of closing the gap between income and consumption it follows from Keynes’ theory that “each time we assure today’s equilibrium by increasing investments we are aggravating the difficulties of securing equilibrium tomorrow” [3]. For the next future, however, he thought these difficulties surmountable through government policies which diminished “liquidity-preference” and increased “effective demand” by controlled inflation, reduced interest-rates and lowered real wages, thus promoting inducements to invest. If these are not sufficient, the government can increase economic activity by public works and deficit-financing. With full employment the criterion, the effectiveness of various interventions into the market-economy can be tested experimentally. Anything that does not lead to full employment is not enough. Because increased employment by way of “pump-priming” may lead to “secondary employment” in additional branches of production, it was assumed that it will lead to such employment. And if all should fail, there is still the possibility of a direct control of investments by government.
      It is not necessary to agree with Keynes as to the cause of unemployment to recognize that the policies he suggested to combat it have been the policies of all governments in recent history whether they were aware of his theories or not. They had made their historical debut long before their theoretical expression. All the monetary and fiscal innovations had already been tried: public works, inflation and deficit-financing are as old as government rule and have been employed in many a crisis situation. In modern times, however, they have been regarded as exceptions to the rule, excusable in times of social stress but disastrous as a permanent policy.

      IV

      For Marx, the inherent contradictions of capital production are not of an “economic” character in the bourgeois sense of the term. He is not concerned with the supply and demand relations of the market but with the effect of the social forces of production upon the capitalist social relations of production, that is, with the results of the increasing productivity of labor upon the production of value and surplus-value. Celebrated as the product of capital itself, bourgeois theory separates growing productivity from its social implications. For Marx, it is the independent variable that determines all the other variables in the system of economic relationships.
      The special importance of labor and its increasing productivity in Marx’s scheme of reasoning led to his discovery of a definite developmental trend in capital accumulation, which revealed qualitative changes in the wake of quantitative ones. He could show that the capitalist “equilibrium mechanism” must itself change in the course of capital expansion and that it is the latter which determines and modifies the market forces of supply and demand, since market laws have to assert themselves within a larger frame of a developing “disequilibrium” between the social forces of production and the capitalist relations of production.
      The increase of productivity, of surplus-value and the accumulation of capital are all one and the same process. It implies a more rapid growth of capital invested in means of production than that invested in labor power. It involves what Marx called a “rising organic composition of capital.” As profits are calculated on the total invested capital, they must show a tendency to decline as that part of the total which alone yields surplus value becomes relatively smaller. Of course, the process also implies an increasing ability to extract more surplus-value, thus nullifying the “tendency” of profits to decline, and constituting the reason for the process itself. Leaving aside all the intricacies of Marx’s exposition, his abstract scheme of capital expansion shows that apart from competition as the driving force of capital expansion in the market reality, the production and accumulation of surplus-value already finds in the two-fold character of capital production — such as exchange and use value — a limiting element, to be overcome only by the continuous expansion and extension of the capitalist mode of production. In order to forestall a falling rate of profit, accumulation must never rest. More and more surplus-value must be extracted and this involves the steady revolutionizing of production and the continuous extension of its markets. As long as accumulation is possible, the capitalist system prospers. If accumulation comes to a halt crisis and depression set in.
      Both Marx and Keynes, then, though for different reason, recognize the capitalist dilemma in a declining rate of capital accumulation. Keynes diagnoses its cause as a lack of incentive to invest. Marx, looking behind the lack of incentive, finds the reason for it in the social character of production as a production of capital. Keynes does not regard crisis and depression as necessary aspects of capital formation; they are such only under laissez-faire conditions, and then only in the sense that the economic equilibrium does not include full employment. For Marx, however, a continuous capital accumulation presupposes periods of crises and depression, for the crisis is the only “equilibrium mechanism” which operates in capitalism with regard to its development. It is in the depression period that the capital structure undergoes those necessary changes which restore lost profitability and enable further capital expansion.

      V

      Marx’s theory of accumulation anticipated Keynes’ criticism of the neo-classical theory through its criticism of classical theory. In its essentials, then, Keynes’ “revolution” consists in a partial re-statement of some of Marx’s arguments against the capitalist economy and its theory. Keynes did not study Marx, and he did not feel the need for doing so because he identified Marx’s theories with those of the classicists. By opposing the classical theory Keynes thought he was opposing Marx as well. In reality, however, he dealt with neither of these theories but with the neo-classical market theory which had no longer any significant connection with the ideas of Smith and Ricardo. Marx’s critique of classical economy, however, resembles Keynes’ criticism of the neo-classicists, although it cuts deeper than Keynes’ because the classicists had been profounder thinkers than their apologetic emulators, and because Marx was not a bourgeois reformer.
      Although Keynes wished to “knock away the Ricardian foundations of Marxism,” in order to do so, he had first of all to post himself on these very foundations. He accepted the theory of value in the Ricardian sense, in which labor as the sole factor of production includes “the personal services of the enterpreneur and his assistants.” Like Marx he dealt in economic aggregates, but while in Marx’s system the analysis in terms of economic aggregates was to lead to the discovery of the basic trend of capital accumulation and to no more, in the Keynesian system it was to serve the formulation of a policy able to support the trend without doing damage to the capitalist relations of production. Expressed in simplest terms, Keynes’ model represents a closed system divided into two departments of production; one producing consumption goods and the other producing capital goods. The total money expenditure in terms of wage-units (based on the working hour) for both consumption and capital goods constitutes total income. When the aggregate demand, that is, the demand for consumption and capital goods, equals total income and implies that total savings equal investments, the system is supposed to be in equilibrium. A decline of aggregate demand, implying a discrepancy between savings and investments, reduces total income and produces unemployment. In order to alter this situation the aggregate demand must be increased to a point where total income implies full employment.
      In Marx’s system of economic aggregates constant capital is the property of the capitalist class, variable capital the social equivalent of labor-power, and surplus-value the accumulation and income source of the ruling class. It is here not a question of “social income” and “social output” and their relation to each other, but a question of the capitalist exploitation of labor power.

      VI

      Until the second world war, Keynes’ theories enjoyed only small verification. He had a perfect alibi, however — either his suggestions were not carried out or they were too meagerly applied. But with the beginning of war production, Keyness was confident that his theory would be fully confirmed. Now it would be seen “what level of total output accompanied by what level of consumption is needed to bring a free, modern community . . . within the sight of the optimum employment of its resources” [4]. War-time policies, however, were quite independent of Keynesian ideology, being neither different from those employed in the First World War, nor different between various governments, some of which did not adhere to the Keynesian “revolution.” All the innovations associated with the commandeered economy of the second world war, such as a money and credit inflation, price controls, labor controls, priorities, forced savings, rationing and so forth had been current in the first debacle despite the then prevailing “orthodox” approach to economics.
      If the war economy “proved” the validity of Keynes’ theory, it did so to such a degree that the theory itself had to be put in reverse. Although unsuccessful in increasing the “propensity to consume” during the depression, it was a “brilliant success” in cutting it down during the war. Unable to increase investments up to the point of full employment, it led to labor shortages through the destruction of capital. Although suspended during the war, Keynes’ theories would hold good again with the return to “normalcy.” The war itself only proved to him that technically any economic system could have full employment if it so wished; it fid not occur to him that under present conditions war and preparation for war may be the only way to full employment. It did occur to others; generally, however, the Keynesian spirit is best represented by such adherents of the welfare-state as William Beveridge, who, near the end of the second world war, proposed a full employment program based on the “socialization of demand without the socialization of production” [5]. Built on Keynesian principles and choosing budgetary means for its realization, it was to carry the full employment of war into the conditions of peace.
      Fears that large-scale unemployment would return in the wake of the second world war proved to be exaggerated. A clear distinction between war-production and peace-time production no longer existed and no need arose to adopt the Beveridge or any other plan for a fuller utilization of productive resources. Since the inception of the “Keynesian revolution,” then, no real opportunity has arisen to test its practical validity. Yet, government intervention during the depression increased employment to some extent. It may then be said that the theory proved itself in a very general way wherever it was employed, and to the degree in which it was applied. In this sense, however, Keynesianism would be just another name for governmental depression policies, and would exhaust itself in the suggestion that the government should take care of the anticipatory aspects of capital formation wherever private initiative begins to slacken. While production is still production for private gain, its expansion is the government’s responsibility — a logical extension of the credit-system by a shift from private to governmental financial control.
      Not only from the Keynesian, but from any realistic point of view, government intervention is now regarded as an inescapable necessity. An increasing amount of “welfare-economics” is advocated by the proponents both of the “welfare-state” and of private enterprise. But even though nobody seems to doubt that government control is here to stay, the question of its character remains controversial. The Keynesians are generally for more government intervention, but as the consistent increase of government regulation and deficit-financing is synonymous with the transformation of the private into a state-capitalism system, it is often opposed as a form of “creeping socialism.” Because Keynesianism may also be regarded as a transitory state towards a completely government-regulated capitalist economy, it has become the theory of social reform within the capitalist system. It stands thus in strictest opposition to Marxism which concerns itself not with social reform but with the abolition of the capitalist system.
      Western Socialist, Boston, USA, November-December 1955

      1. A Contribution to the Critique of Political economy, Chicago, 1904, p. 123.
      2. The General Theory, p. 31.
      3. The General Theory, p. 105.
      4. J. M. Keynes in The New Republic, July 29, 1940.
      5. Full Employment in a Free Society, 1945, p. 29.
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