Le laissez-faire n'a rien à voir avec le "laisser-faire", auquel
certains font allusion. Les libéraux sont conscients qu'une société ne
peut exister sans
règles.
La maxime du "laissez faire" est apparue chez les
physiocrates,
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. D'abord, la maxime initiale
n'a jamais été "laissez-faire" mais "laissez-nous faire" et, plus
complètement, "laissez-nous faire, laissez-nous passer". Il y a une
querelle historique sur cette humble supplique de commerçants pour que
l'État corporatiste d'
Ancien régime desserre l'étau de ses règlementations. L'origine s'en trouve chez
Turgot, dans son
Eloge de M. de Gournay.
Il prête la maxime "laissez-nous faire" à un commerçant lyonnais du
temps de Colbert, mais il semble bien que la formule soit de
Gournay
lui-même. "Laissez-faire, laissez passer" les grains entre les
provinces. A cette époque, la France était hérissée d'octrois et de
droits contre la circulation libre. L'
État avait le contrôle du commerce des grains, ce qui provoquait de nombreuses famines.
L'idée, géniale, qui se cachait derrière le "laissez-nous faire", était que la
liberté
de circulation des grains entraînerait un enrichissement général. Qui
peut dire qu'il n'en a pas été ainsi ? La société d'Ancien régime, avec
25 millions d'habitants, vivait de famine en crise de subsistances. A
partir du moment où la
liberté a été instaurée (la
Révolution française supprime définitivement les douanes intérieures), la disette ne fut plus jamais qu'un souvenir.
Le libéralisme n'est pas le laisser faire généralisé
Si seulement il pouvait en aller ainsi ! Mais nous en sommes loin.
C'est d'ailleurs une chose étrange que la maxime "laissez-faire" puisse
figurer en tête du réquisitoire contre le
libéralisme. Appliquée à un
individu,
l'idée qu'il vaut mieux le laisser faire plutôt que de le contraindre
remporte le plus souvent la faveur de tous : c'est le traiter en adulte.
Appliquée à une
nation,
laisser faire les citoyens deviendrait l'horreur. Le fait qu'il y ait
là un objet de détestation en révèle plus sur ceux qui profèrent
l'anathème que sur ceux qui, la première fois, ont brandi la maxime
comme un cri en faveur de la
liberté.
Considérer que "laisser faire", cela ne serait pas bien, c'est dire à
l'inverse qu'on se méfie du peuple et des êtres humains en général,
qu'on ne croit qu'au contrôle, à l'embrigadement, à la surveillance, à
la
coercition.
Remarquons d'abord qu'associer le
libéralisme à la maxime "laissez-faire" répond, en creux, à l'objection selon laquelle nous vivrions dans une société
libérale. Qui peut avoir le sentiment que nous vivons dans une société économique du "laissez-faire" alors que règne le "
harcèlement textuel" ?
Pour prendre l'exemple
français, sur une population active de 23 millions de personnes, il y a 2,5 millions de fonctionnaires d'
État
et un peu plus de 5 millions d'individus qui travaillent dans le
secteur public. Quel que soit leur rôle, de l'employé d'état-civil au
vice-président du Conseil d'État, en passant par l'enseignant, le
postier, l'infirmière d'hôpital ou le gendarme, ces cinq millions de
personnes ont en commun une mission : prendre soin de nous, de notre
argent, de notre
éducation,
de notre santé, de notre cadre de vie, de nos déplacements, en bref,
qu'on le veuille ou non, contrôler nos façons d'être. Il peut y avoir du
"laisser aller" dans la société, sûrement pas du "laissez-faire".
Laissez-faire a été pour la première fois employé par les
physiocrates
demandant la libre circulation des grains entre les provinces et
l'abolition des corvées. Il est devenu, dans la première moitié du XIXe
siècle, synonyme de
marché libre en
économie.
Un principe politique pour une politique économique
La politique du
laissez-faire représente la mise en oeuvre
dans l'économie de principes déduits de la théorie économique par
l'intermédiaire de la philosophie morale.
La non agression
Comme toute politique, le
laissez-faire n'implique pas une
absence de normes mais au contraire une règle précise, éventuellement
défendue par la force, que l'on cherche à appliquer dans tous les
domaines : le respect de la propriété légitime, à son tour définie de
la seule manière cohérente possible comme "les possessions qu'on n'a pas
volées, c'est-à-dire prises à un autre sans son consentement".
Le laissez-faire est donc proche du "capitalisme" défini par Marx
(comme "le régime de la propriété privée"). Et comme la violation d'une
propriété légitime est la définition même de l'
agression, le respect de cette propriété légitime est équivalent au
principe de non-agression.
Il n'est donc qu'une mise en oeuvre universelle de la morale sociale
quotidienne, celle que la plupart des gens reconaissent et respectent
quand ils ne se rêvent pas en hommes de l'Etat.
Laissez-faire et libéralisme
La plupart des gens qui passent pour libéraux ou se disent tels ne
sont pas laissez-fairistes. Dans une société qui bascule dans le
socialisme réel, où l'on arrive à faire passer pour "ultra-libéral"
quiconque s'inquiète seulement de freiner cette évolution, on peut
toujours trouver moins libéral que soi, et la science politique prendra
sûrement au mot ces définitions relatives voire contradictoires : les
courants d'opinion sont plus intuitifs que raisonnés, les partis
rassemblent des courants disparates, et la politique est l'art du
possible, dans un cadre institutionnel contraignant.
Ceux qui admettent que le libéralisme, comme toute norme
politique, est une définition de l'acte juste, n'en seront pas moins
fondés à juger de l'authenticité de ce "libéralisme", à l'aune d'un
critère objectif, de raisonnements qui prétendent l'établir ou de
déductions que l'on peut en tirer. Or, il n'y a pas de définition non
contradictoire du principe libéral qui ne soit pas équivalente au
principe de non agression, principe dont l'application universelle
aboutirait à la politique de "laissez-faire".
Sont donc
laissez-fairistes tous les
libéraux conséquents, se divisant essentiellement en
anarcho-capitalistes qui pensent qu'on peut se passer complètement d'un Etat pour faire respecter la propriété légitime, et en
minarchistes
qui jugent nécessaire, ou en tous cas inévitable, quelque forme
d'organisation territoriale exclusive pour la défense des Droits, en
particulier contre les envahisseurs étrangers.
Ceux qui rejettent le laissez-faire
Représente au contraire le rejet du principe laissez-fairiste l'
interventionnisme
d'Etat, qui "reconnaît" aux hommes de l'Etat le "droit" de pratiquer
ce qu'ils interdisent aux autres, c'est-à-dire de s'emparer des biens
voire de la personne d'autrui contre son consentement : alors les hommes
de l'Etat, au lieu de se contenter de neutraliser et de punir les
voleurs et les assassins, se conduisent comme eux, violant pour divers
motifs la propriété voire l'intégrité physique de parfaits innocents.
Suivant l'ampleur de ses
interventions, l'
interventionnisme s'appellera
étatisme,
dirigisme,
fascisme,
socialisme,
nazisme ou
communisme.
L'interventionnisme d'Etat a par exemple imposé :
- Les monopoles : barrières douanières, réglementations, politiques "de concurrence" et salaires minimum
- Les impôts et taxes diverses
- Les diverses subventions et privilèges exclusifs aux lobbies et autres groupes de pression, dont les syndicats
- Les "services publics" et autres entreprises nationalisées
- L'entretien du chômage et des faux emplois
- L'institution d'une hiérarchie des races et des religions (Nazisme racial)
- La persécution contre les capitalistes et la diffamation organisée de leurs défenseurs (Nazisme, plus meurtrier que le Nazisme racial)
Les
laissez-fairistes tiennent ces politiques pour des
systèmes d'agression criminelle et, de ce fait, destructrice et stupide -
ce pourquoi ils les appellent
esclavagistes-absurdistes.
Le raisonnement laissez-fairiste
Dans l'ordre de la création
Le laissez-fairisme tient que
toute violence est destructrice, définissant comme une
violence le fait de disposer du bien et de la personne d'autres êtres malgré eux. Dans ces conditions,
la violence ne peut servir la création que si elle s'oppose à une autre violence
qui détruirait ou empêcherait cette création. L'Etat agissant par
définition par la violence, les hommes de l'Etat qui neutralisent les
voleurs et les assassins
servent la création, ceux qui prennent aux uns, forcément pour donner à d'autres,
pratiquent la destruction.
Dans l'ordre de la connaissance
Le laissez-fairisme tire les conséquences du fait qu'
une personne a intérêt à s'informer à la hauteur de l'enjeu que représente pour elle l'information en question. Il en déduit que
la responsabilité est une condition nécessaire et suffisante de la régulation des choix.
L'irresponsabilité institutionnelle détruit l'information
Or, l'interventionnisme, en permettant à certains d'imposer aux
autres de subir à leur place les conséquences de leurs choix -
c'est-à-dire en instituant l'irresponsabilité - fait en sorte que
ni
les décideurs ni ceux qui subissent les décisions n'ont plus intérêt à
s'informer de leurs conséquences à la hauteur de l'enjeu qui est en
cause : cette irresponsabilité institutionnelle inhérente à
l'interventionnisme d'Etat engendre l'incompétence et l'aveuglement chez
ses agents aussi bien que chez ses victimes.
Le laissez-fairisme appelle donc à une restauration de la régulation sociale par la responsabilité, en abolissant l'intervention, par définition irresponsable, des hommes de l'Etat :
il ne faut pas laisser les gens faire n'importe quoi.
L'économiste n'est pas dupe de l'illusion fiscale
L'intervention de l'Etat, en séparant le décideur des conséquences de ses décisions, engendre une
illusion systématique quant à leurs effets, illusion systématique que les théoriciens des choix publics ont appelée
illusion fiscale ou
illusion politique
et qui protège largement l'interventionnisme d'une appréhension
correcte de ses effets destructeurs, ainsi que du caractère illusoire
des avantages qu'on croit en tirer.
C'est le métier de l'
économiste que de n'être pas dupe de
cette illusion, et de décrire malgré elle les effets réels des
politiques et des institutions, leurs redistributions effectives,
l'impossibilité d'en profiter et leurs inéluctables destructions, par
opposition aux effets que leur prête, à tort, le profane.
La théorie économique du laissez-faire
La
théorie économique du laissez-faire tient que
tous
les avantages que l'on prête à l'interventionnisme d'Etat sont
illusoires, que celui-ci ne profite réellement à personne et nuit au
contraire à tout le monde, et prétend l'avoir démontré.
Les "défaillances du marché" sont des sophismes cachés derrière des formulations mathématiques
Le discours interventionniste dominant, qui invoque l'"optimum de
Pareto" à l'encontre du laissez-faire, méconnaît les raisons pour
lequelles ce critère est nécessaire et applicable : à savoir qu'un
jugement de valeur est un
acte de la pensée, de sorte qu'il ne se prête à
aucune mesure ni comparaison entre les personnes, et qu'on ne peut le connaître qu'en le déduisant des
actes volontairement accomplis que l'on peut observer. Il s'ensuit que
toute personne agissant librement maximise son utilité, et qu'
un régime politique où chacun est libre de disposer de ses biens maximise l'utilité sociale.
Les
gloses sur l'utilité des gens qui n'agissent pas, notamment sur les "effets externes" qui ne sont pas en fait des violations observables du Droit, n'ont rien que d'
arbitraire, dans la mesure où on ne peut
jamais rien constater de ce dont elles parlent : ce n'est pas un hasard si la fameuse Ritournelle, le Quatrain des
externalités,
biens publics,
monopoles naturels et
rendements croissants ne fournit
aucune norme objective pour dire quand les hommes de l'Etat devraient intervenir ni surtout
s'arrêter
- et c'est bien pour ça qu'on s'en sert : le seul critère objectif de
la production étant l'action volontaire dans un cadre de Droit, les
ersatz
mathématico-statistiques qu'on voudrait faire passer à sa place font
penser à un congrès de mathématiciens qui se réunirait pour savoir
combien font 2 + 2, étant donné que tout le monde a interdiction
formelle de mentionner le nombre "4". D'ailleurs, l'empirisme le plus
radical opposé à la preuve logique ne conduit-il pas à affirmer que
"les règles de l'arithmétique n'appartiennent pas à la science parce
qu'elles sont irréfutables" ?
Quant à l'intervention de l'Etat, si elle fait des
bénéficiaires - on va voir dans quelles limites - elle fait aussi nécessairement des
victimes, et on ne peut pas comparer les variations d'utilité des uns et des autres -
c'est justement pour en tenir compte qu'existe le critère de Pareto :
il est donc en toutes circonstances contradictoire d'invoquer
l'optimum de Pareto à l'appui d'une quelconque intervention de l'Etat.
Le détour par la théorie de l'"équilibre général", surtout
décrite en termes mathématiques, n'a donc pour effet que d'habituer ses
adeptes à traiter les jugements de valeur comme s'ils étaient ce qu'ils
ne sont pas - des choses, mesurables, et donc
- à perdre de vue les raisons pour lesquelles on a accepté le critère de Pareto,
- à traiter le Droit de propriété à la fois comme s'il existait -
il le faut bien pour spécifier les modèles - et comme s'il n'existait
pas - en prétendant justifier des politiques qui le méconnaissent.
Une conséquence de ce traitement de la propriété digne d'
Alice au pays des merveilles
est que, comme on va le voir, ces modèles prétendument "généraux"
sont systématiquement incomplets : s'ils l'étaient réellement,
généraux, et intégraient enfin la
redistribution politique dans leurs analyses d'équilibre "général", ils devraient conclure que celle-ci est
automatiquement et totalement destructrice de tout ce dont elle s'empare.
La redistribution politique est aléatoire
La
théorie économique générale démontre que
la redistribution politique réelle va généralement dans un sens totalement différent de ce que prétend le discours public : les
lois de l'incidence réelle et de la protection effective
montrent au contraire que les véritables victimes des impositions sont
ceux qui dépendent le plus de l'activité taxée, et que les véritables
récipiendaires de la redistribution sont ceux qui possèdent le facteur
de production le plus spécifique à l'activité subventionnée : c'est
pourquoi
les prétendues "cotisations sociales patronales" sont en réalité payée par les salariés,
et les subventions à l'agriculture se retrouvent dans la poche des
propriétaires fonciers et jamais dans celle des travailleurs agricoles.
Cette même théorie économique générale démontre aussi - c'est même le point de départ de la
théorie financière - que
toute occasion de profit est immédiatement exploitée jusqu'à sa disparition : il s'ensuit qu'
il ne peut jamais y avoir de profit certain.
Elle en déduit que, toutes choses égales par ailleurs, la
redistribution politique n'appauvrit ou enrichit les possesseurs de la
chose taxée ou subventionnée que
s'ils la détenaient au moment où celle-ci est devenue certaine.
Ceux qui viennent longtemps après n'en profitent pas ni n'en
souffrent, la chose étant à terme compensée par des variations de prix.
Les avantages et les charge réels de la redistribution politique sont donc
aléatoires - ils dépendent des rapports de forces politiques comme des conditions du marché.
Cependant, la théorie économique doit aussi reconnaître que
pour obtenir la redistribution en question, de même que pour tenter de l'empêcher, on aura aussi dû
faire des efforts et consentir des dépenses. Et c'est de ce fait-là que la
théorie économique du laissez-faire entend, pour sa part, déduire que
l'intervention de l'Etat détruit toute la production dont elle s'empare,
soit au moment où elle s'empare du bien produit en rompant le lien
entre la propriété usurpée et le projet que celle-ci devait servir,
soit au cours des efforts faits par les puissants pour s'emparer de ce
butin.
En appliquant à la redistribution politique le
raisonnement général sur l' équilibre, fondé sur le fait qu'
il n'y a jamais de profit certain, on démontre que pour recevoir les distributions de l'interventionnisme public, il faut en tendance
consacrer à les obtenir des ressources équivalentes à ce qu'on en attend, dépense qui est
entièrement perdue pour toute production réelle. Il s'ensuit que
l'intervention de l'état détruit en tendance une richesse équivalente à toute richesse dont elle s'empare.
En outre, elle le ferait automatiquement et certainement dans les
conditions de "certitude" de l'"équilibre général", et ses adeptes
s'en seraient rendus compte depuis longtemps s'ils n'omettaient pas
depuis le début d'y intégrer la redistribution politique.
Le Cercle vicieux de l'interventionnisme
En outre, comme l'a démontré
Ludwig von Mises, comme l'intervention de l'Etat
crée
un précédent dans la destruction du Droit, n'atteint pratiquement
jamais ses objectifs affichés, et cause des dégâts dont le
mécontentement se nourrit, elle
engendre des pressions pour des interventions ultérieures aussi longtemps que subsiste l'illusion quant à ses effets réels : c'est le
Cercle vicieux de l'interventionnisme décrit par
Mises ou
Loi des Calamités selon la formule de
Michel de Poncins,
qui doit conduire à terme à l'abolition de tout Droit (le "socialisme
réel") et à la destruction de toute richesse si on continue à ne pas
tenir compte de ses véritables conséquences.
Le Multiplicateur des Calamités
Il s'ensuit que, même si une intervention particulière de l'Etat ne
détruit la richesse dont elle s'empare que dans un rapport de 1 à 1, on
doit aussi tenir compte des destructions à venir, causées par les
interventions futures que la première aura engendrées. On appellera
Multiplicateur des Calamités
le rapport, supérieur à 1, entre les richesses dont s'empare une
intervention particulière des hommes de l'Etat, et celles que cette
intervention spécifique aura finalement détruites, compte tenu des interventions supplémentaires qu'elle aura par la suite inspirées.
Le laissez-fairiste tient pour criminelle l'intervention de l'Etat dans l'économie
Enfin, dans l'ordre de la morale, conformément aux règles du
droit naturel,
le laissez-fairiste tient que personne n'a le Droit de voler personne, en qu'en conséquence
quiconque dispose du bien d'autrui sans son consentement est un criminel - ce que font, et ce que
sont,
les hommes de l'Etat qui se livrent à l'interventionnisme "économique".
C'est généralement au terme de l'analyse qu'il conclut que cet
interventionnisme est criminel, après avoir successivement constaté
qu'il n'a pas, puis qu'il ne
peut pas avoir les effets qu'on en attend, qu'il ne peut rien produire, puis qu'il est intrinsèquement destructeur.
Histoire
C’est, dit-on, un marchand, François Legendre (ou Le Gendre), qui, le
premier, à Colbert qui lui demandait comment le gouvernement du roi
pouvait aider le commerce, aurait répondu : " Laissez-nous faire".
Que l'expression "laissez-faire" soit passée du français en anglais
montre que le
laissez-faire est une tradition intellectuelle
française, à la différence du libéralisme anglo-saxon et notamment
britannique, qui s'appuyait sur les démonstrations factuelles d'
Adam Smith et de
Ricardo
pour démontrer que les monopoles, notamment protectionnistes,
détruisent la production sans profiter réellement à leurs bénéficiaires
prétendus. Le laissez-faire érigé en principe heurtant les intérêts à
court terme de puissants exploiteurs, la démonstration anglo-saxonne a
eu plus de succès, aidée par une tradition politique plus favorable
au commerce, avec pour inconvénient une certaine tendance à
rationaliser les compromis, accentuée par les assauts contre la preuve
philosophique menés au XIX° siècle à la suite de Kant et de Hume.
La conséquence en est que nombre d'auteurs passant pour
"libéraux" se sont mis, dès la fin du XIX° siècle, à déterrer les
vieux sophismes de l'interventionnisme et à en inventer de nouveaux,
notamment au départ pour rationaliser a posteriori les politiques dites
"de concurrence" imposées à partir de 1890, dont il faudra attendre
Murray Rothbard pour démontrer en
1962 qu'elle sont contradictoires, tant en théorie économique qu'en philosophie politique.
L'idéologie du
laissez-faire a été dominante de la fin du
XIXe siècle jusqu'au début du XXe, dans les pays riches d'Europe et
d'Amérique du Nord. Elle a été progressivement mise en cause par des
hommes politiques contraints d'avoir l'air de "faire quelque chose"
pour des clientèles électorales, et discréditée par l'interprétation
qu'ils ont donnée au Krach de 1929 et à la Grande Dépression comme
attribuables à la liberté d'entreprendre, et non aux décisions
irresponsables et aveugles des banquiers centraux et autres hommes de
l'Etat.
Or, les économies qui ont subi la Grande Dépression n'étaient pas gouvernées par le
laissez-faire.
Dès avant la Première Guerre mondiale, et a fortiori pendant sa durée,
les Etats lui avaient déjà porté des atteintes majeures, en multipliant
des monopoles, impositions et interdictions d'échanger : politiques
d'inflation, attribution aux syndicalistes de privilèges exorbitants du
droit commun, subventions au chômage, notamment en Grande-Bretagne,
salaires minimum et même persécution des "riches" avec l'impôt
progressif sur le revenu.
Depuis la guerre froide
Les réglementations étatiques n'ont cessé de croître depuis, la
"démocratie" majoritaire, ou soi-disant telle, remplaçant
progressivement l'état de Droit. Ce qui a changé, c'est que les
rationalisations de l'interventionnisme ont toutes été démontrées
absurdes dès le début des années 1960, grâce à la remise en oeuvre de la
preuve philosophique, tant en économie, avec l'
école autrichienne et qu'en philosophe politique, avec les
libertariens, tandis que l'
Ecole de Chicago
fournissait, comme autant de "preuves", les illustrations empiriques
des destructions nécessairement causées par l'interventionnisme d'état.
Les ouvrages de
Ayn Rand - notamment son roman
Atlas Shrugged, ont joué, pour ouvrir les yeux sur les ravages et l'immoralité de l'interventionnisme d'état, le même rôle que
L'Archipel du Goulag pour l'inhumanité du socialisme réel.
Le socialisme étant une disqualification de la justice naturelle
au nom de la méthode expérimentale invoquée comme uniquement et
universellement valide - contre la philosophie morale et notamment
politique, toute réhabilitation de la preuve philosophique en sciences
sociales s'expose naturellement de sa part à la qualification
d'"idéologie".
Les premiers "idéologues" étant les économistes libéraux du début du XIX
siècle,
Say,
Cabanis,
Destutt de Tracy,
et appelés tels par l'analphabète économique Napoléon Bonaparte, les
laissez-fairistes contemporains peuvent assumer cette qualification :
étant donné que les questions normatives relèvent de la seule preuve
philosophique, il est plus honnête d'en accepter les conséquences, et
d'apprendre à pratiquer les disciplines intellectuelles adéquates,
plutôt que d'invoquer la science expérimentale en faisant semblant
d'avoir oublié que celle-ci ne peut rien prouver en la matière.
Hong Kong a été le premier État à mettre en place (depuis au
moins le début des années 60) à cette époque une politique économique
inspirée par le laissez-faire. D'autres gouvernements, occidentaux, s'en
sont aussi inspirés, mais pas dans la même mesure : pendant les années
1980, le gouvernement de Margaret Thatcher au Royaume-Uni a tenté de
réduire l'emprise des monopoles, notamment syndicaux, et de privatiser
les décisions. Le président des États-Unis Ronald Reagan invoquait les
principes laissez-fairistes pour freiner l'accroissement des dépenses
publiques et mettre en cause certains monopoles. Le Ministre des
finances Roger Douglas en Nouvelle Zélande et le général Augusto
Pinochet au Chili s'en sont également inspirés, avec un égal succès.
Le passage de Reagan et Thatcher au pouvoir a freiné le
développement de l'interventionnisme d'état, et l'a fait reculer sur
certains points, mais celui-ci continue à se développer.
Citations
Définition du laissez-faire :
- Dans l'économie de marché, type d'organisation sociale axé sur
le laissez-faire, il y a un domaine à l'intérieur duquel l'individu est
libre de choisir entre diverses façons d'agir, sans être entravé par la
menace d'être puni. Si toutefois le pouvoir fait plus que de protéger
les gens contre les empiétements violents ou frauduleux de la part
d'individus asociaux, il réduit le domaine où l'individu a liberté
d'agir, au-delà du degré où il est limité par les lois praxéologiques.
Ainsi nous pouvons définir la liberté comme l'état de choses où la
faculté de choisir de l'individu n'est pas bornée par la violence du
pouvoir, au-delà des frontières dans lesquelles la loi praxéologique
l'enferme de toute façon. (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
Le laissez-faire et l'esclavage :
- l'abolition de l'esclavage et du servage ne pouvait être
effectuée par le libre jeu du système de marché, parce que les
institutions politiques avaient soustrait les domaines nobiliaires et
les plantations à la souveraineté du marché. L'esclavage et le servage
furent abolis par une action politique, dictée par l'esprit de
l'idéologie — si décriée — du laissez-faire, laissez-passer. (Ludwig von
Mises, L'Action humaine)
Le laissez-faire et le progrès :
- les économistes... réfutèrent la croyance superstitieuse selon
laquelle les procédés permettant d'économiser le travail provoqueraient
le chômage et réduiraient tout le monde à la pauvreté et au
dépérissement. Les économistes du laissez-faire ont été les pionniers
des progrès techniques sans précédent au cours des deux siècles qui
viennent de s'écouler... L'idéologie du laissez-faire et sa conséquence,
la « révolution industrielle », firent sauter les barrières
idéologiques et institutionnelles qui bloquaient le progrès vers le
bien-être. Elles démolirent un ordre social où un nombre toujours
croissant de personnes étaient condamnés à une détresse abjecte et sans
issue. (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
Le laissez-faire, le libre échange et la paix
- Ces libéraux britanniques et leurs amis du Continent eurent
assez de pénétration pour comprendre que ce qui peut sauvegarder une
paix durable, ce n'est pas seulement le gouvernement du peuple par
lui-même, mais le gouvernement du peuple dans le laissez-faire complet. A
leurs yeux, le libre-échange, à la fois dans les affaires intérieures
et dans les relations internationales, était la condition préalable
nécessaire à la préservation de la paix... tandis que le laissez-faire
élimine les causes de conflit international, l'ingérence des hommes de
l'Etat dans l'économie et le socialisme engendrent des conflits auxquels
on ne peut trouver aucune solution pacifique.(Ludwig von Mises, L'Action humaine)
L'ingénieur mathématicien Maurice Allais doit à son ignorance de la philosophie de ne pas comprendre le laissez-faire
- « Comment la nouvelle doctrine du libre échangisme
mondialiste a-t-elle pu s'imposer alors qu'en réalité elle n'a entraîné
que désordres et misères dans le monde entier ? Il y a sans doute à
cela trois raisons essentielles : un enseignement erroné dans toutes les
universités du monde, une funeste confusion entre libéralisme et laissez-fairisme, la domination des multinationales américaines» [1]
Sur la prétendue opposition entre le libéralisme et le laissez-faire
- Alors que le capitalisme pur, le capitalisme de laissez-faire
n’a jamais existé nulle part, alors qu’on avait laissé certaines
interventions (inutiles) des hommes de l’Etat diluer et saper le
système américain originel — bien plus par erreur que par intention
théoriquement motivée, ces interventions-là étaient des entraves
mineures, et les “économies mixtes” du dix-neuvième siècle étaient
essentiellement libres, et c’est cette liberté jamais vue qui a amené
un progrès sans précédent pour l’humanité.
- Les principes, la théorie, et la pratique effective du
capitalisme reposent sur un marché libre c’est-à-dire non
réglementé, comme l’histoire des deux derniers siècles l’a amplement
démontré. Aucun défenseur du capitalisme ne peut se permettre de
méconnaître le sens exact des termes de “laissez-faire” et
d’“économie mixte”, qui indiquent clairement les deux éléments
opposés qui sont en cause dans cette mixture : l’élément de liberté
économique, qui est le capitalisme, et celui de l’intervention des
hommes de l’Etat, qui est l’étatisme.
- Une campagne insistante se poursuit depuis des années pour
nous faire accepter l’idée suivant laquelle tous les Etats
seraient les instruments des intérêts économiques de classe, le
capitalisme n’étant pas une économie libre, mais un système
d’ingérences étatiques au service de quelque classe privilégiée. Le
but de cette campagne est de falsifier l’économie politique et de
réécrire l’histoire pour oblitérer l’existence et la possibilité
d’un pays libre et d’une économie sans intervention de l’Etat.
Comme un système de propriété privée nominale gouverné par les
interventions de l’Etat n’est pas du capitalisme mais du fascisme,
le seul choix que cette oblitération nous laisserait est le choix
entre le fascisme et le socialisme (ou le communisme) — ce que tous
les étatistes du monde, de toutes les variétés, degrés et
dénominations s'efforcent frénétiquement de nous faire avaler
-détruire la liberté est leur objectif commun, après quoi ils
comptent se battre entre eux pour le pouvoir. (Ayn Rand, "The New
Fascism: rule by consensus")