octobre 21, 2014

Friedrich August von Hayek, économiste libéral et sa critique.

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Friedrich August von Hayek (1899-1992) a été le penseur le plus profond et le leader international du libéralisme économique durant le vingtième siècle. Il est aujourd'hui la principale référence des adeptes comme des adversaires de cette doctrine et de ses réalisations.




Vie et oeuvres
Né à Vienne en 1899, docteur en droit et science politique, il fonde en 1927, avec Ludwig von Mises, autre grand économiste autrichien de ce temps, l’Institut autrichien de recherche économique et le dirige jusqu’en 1931. Il commence à enseigner à l’Université de Vienne en 1929, au moment où éclate la grande crise de l’entre-deux-guerres, et, s’étant rapidement acquis une grande notoriété, il est recruté dès 1931 par la célèbre London School of Economics où il enseignera jusqu’en 1950. En 1947, il est à l’origine de la fondation de la fameuse Société du Mont Pèlerin (du nom du lieu suisse de sa première réunion) qui réunit aujourd’hui les économistes défenseurs de l’économie de marché et du libéralisme économique du monde entier. De 1950 à 1961, il occupe la chaire de sciences sociales et morales à l’Université de Chicago, puis de 1962 à 1977 une chaire d’économie politique à l’Université de Fribourg en Allemagne, devenue l’un des haut-lieux de la pensée économique libérale en Europe, ainsi qu’à l’Université de Salzbourg en Autriche. En 1974, il obtient le prix Nobel de sciences économiques. Il décède à Fribourg en 1992.
 
Hayek a publié jusqu’à la fin de sa vie de très nombreux et importants livres et articles de théorie économique et de doctrine politique et économique ainsi que de philosophie sociale et morale. Ses ouvrages les plus connus  traduits en français sont:  Prices and Production  1931 ( Prix et production 1975) -  The Road to Serfdom 1944 ( La route de la servitude   1946) - The Conter-Revolution of Science: Studies on the Abuse of Reason 1952 (Scientisme et sciences sociales: essai sur le mauvais usage de la raison 1986) -Constitution of Liberty 1960 (La constitution de la liberté 1994) - Law, Legislation and Liberty, 3 tomes,1973-1979 ( Droit, législation et liberté 1980-1983) - The Fatal Conceit: The Errors of Socialism 1988 ( La présomption fatale: les erreurs du socialisme 1993).
 

Critique de l'étatisme et du constructivisme

La démarche intellectuelle de
Hayek s'est caractérisée par un approfondissement continu de sa pensée, de la théorie jusqu'à la philosophie. Il s’est d’abord fait connaître dans les années trente par sa théorie des crises et des fluctuations économiques qui a constitué  la principale alternative totalement contradictoire à la vision que  le grand économiste anglais de l’Université de Cambridge John Maynard Keynes a présentée en 1936 dans sa fameuse Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Alors que pour Keynes la cause fondamentale de la crise et du chômage est l’insuffisance actuelle de l’investissement due à un manque de demande, pour Hayek c’est au contraire un excès d’investissement financé par une expansion monétaire inflationniste et une déformation de la structure des prix et de l’offre dans la phase de croissance accélérée antérieure à la crise. Les conclusions de politique économique sont évidemment diamétralement opposées. C’est la théorie de Keynes et la politique d’expansion budgétaire et monétaire, que Hayek considérait comme une sorte de drogue sociale créant euphorie et accoutumance puis inévitablement nouvel effondrement économique, qui a triomphé dans les années 40 et 50. Mais l’inflation croissante des années 60  suivie de la nouvelle crise mondiale à partir des années 70 ont redonné tardivement toute sa pertinence à la vision hayekienne, qui a connu dès lors un regain d’intérêt spectaculaire dans la théorie économique contemporaine.

Au-delà de la critique de l’interventionnisme keynésien, Hayek a contesté de manière encore plus déterminée la planification et le socialisme collectiviste. Il a d’abord démontré la nécessaire défaillance technique de la direction étatique de l’économie en raison de l’extraordinaire complexité des évolutions et relations économiques dans une économie quelque peu évoluée. Même dotée des ordinateurs les plus puissants, la planification est hors d’état de connaître l’ensemble des données psychologiques et techniques extrêmement variées intervenant dans la production, la distribution et la consommation et plus l’économie est développée plus elle est incapable d’assurer la rationalité à laquelle elle prétend. Si elle tente néanmoins d’imposer ses vues, elle ne peut y parvenir qu’en établissant un régime totalitaire et c’est inévitablement alors la route de la servitude politique et tôt ou tard aussi du chaos économique et social.

Approfondissant toujours davantage sa contestation de l’action de l’Etat dans la société, Hayek mène finalement une croisade contre la philosophie sous-jacente à cette action, ce qu’il appelle le rationalisme constructiviste. Autant celui-ci lui paraît parfaitement applicable au domaine de la nature, autant il considère comme une erreur intellectuelle fondamentale de vouloir le transposer au domaine de la société. Si les savants et les ingénieurs sont capables de transformer la nature pour le bien de l’humanité, les intellectuels et les dirigeants politiques sont hors d’état de réunir la somme des connaissances, des informations et des prévisions qui permettraient d’établir un ordre social satisfaisant. Aucun cerveau humain, écrit-il, ne peut concevoir toute la complexité sociale. Aucune organisation sociale artificielle, construite par les hommes selon des plans prédéterminés, n’est capable de se substituer à l’ordre social spontané, fruit de l’action collective de l’humanité au cours de son histoire sans être pour autant le résultat d’un projet humain précis. La présomption rationaliste Hayek, à Hobbes et à Rousseau et peut-être même déjà à Descartes et trouve naturellement son point culminant dans le scientisme social de Marx et de ses innombrables disciples. 
 
Evolutionnisme et libéralisme
Renouant quant à lui avec la conception empirique et évolutionniste des philosophes écossais du 18è siècle, en particulier
Ferguson, Hume et Smith, Hayek considère que les principales institutions et règles de comportement les plus aptes à assurer la coopération sociale sont nées, comme le marché, la monnaie, le langage, la morale, par sélection naturelle au cours d’une évolution sociale millénaire sans que personne ne les ait consciemment et volontairement construites. Les institutions, écrit-il, sont le produit de l’action des hommes et non de leurs desseins . Elles ne sont certes jamais parfaites et ne doivent pas cesser d’évoluer, mais, parce qu’elles sont le produit de toute l’expérience humaine, elles organisent la vie sociale de manière beaucoup plus efficiente et satisfaisante que les institutions et régulations artificielles prétendument rationnelles. 

Nous ne devons jamais perdre de vue, écrit-il, que c’est le fait même de notre irrémédiable ignorance de la plupart des faits particuliers déterminant les processus sociaux qui est la raison pour laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la forme qu’elles ont .

Les institutions, ajoute Hayek, ont pour mission de promouvoir et d'organiser la coopération sociale des hommes et elles sont donc fondamentalement des mécanismes d'information. C’est en particulier le cas du marché. Adam Smith avait montré qu’il assurait par une sorte de main invisible la concordance des intérêts particuliers et de l’intérêt général et donc le fonctionnement automatique d’une économie même extrêmement complexe. Hayek démontre que cette supériorité en quelque sorte génétique du marché sur le plan ou tout autre instrument de direction étatique tient au fait qu’il est un extraordinaire synthétiseur et transmetteur d’ informations, de savoirs et d’anticipations dispersées et fragmentées entre des millions d’individus et d’entreprises. Il démontre aussi, à l’encontre de certains libéraux attachés à l’intensité de la concurrence, que même imparfait, le marché continue d’assumer ce rôle essentiel de procédure d’information et de découverte et aussi de mécanisme impitoyable de sélection, pourvu que soit assurée la liberté de concurrence. Il appuie ainsi une vision particulièrement libérale de l'économie de marché.   

La vision hayekienne du devenir des sociétés va constituer finalement le nouveau fondement philosophique d’un projet de libération des sociétés modernes, dans lequel Hayek donne à l’Etat essentiellement  le rôle d’assurer la liberté individuelle et la spontanéité de l‘évolution sociale. Cette position se traduit notamment dans la promotion du droit coutumier face à la législation contraignante et au positivisme juridique, de la loi générale face à la réglementation, de l’état de droit face à la démocratie, etc. Il est impossible de résumer brièvement la richesse et l’originalité des analyses philosophiques, juridiques, politiques, économiques et sociologiques qui se trouvent principalement dans les trois tomes de Droit, législation et liberté, auxquels on ne peut que renvoyer le lecteur intéressé aux questions de société.
 
Les thèses de Hayek ne sont naturellement pas restées sans critiques et contestations d’ordre philosophique, épistémologique ou théorique. On lui a reproché notamment d’avoir sous-estimé, dans son explication de la genèse des institutions et régulations sociales par la sélection naturelle, le rôle parfois décisif des conceptions scientifiques et idéologiques et de la volonté humaine dans ce processus historique d’apprentissage. On a contesté sa tendance à considérer automatiquement la survie d’une institution dans le processus de sélection naturelle comme une présomption d’efficacité sociale. On a relevé une certaine incohérence entre sa conception évolutionniste ainsi que son insistance sur les limites de la connaissance humaine et la formulation de certaines de ses propositions de réforme politique et économique. Et il a naturellement subi les critiques de tous les adversaires du libéralisme économique, sans que ceux-ci aient toujours lu attentivement ses ouvrages.
Il n’empêche que Hayek a énormément enrichi la perception et l’interprétation des faits économiques et sociaux, qu’il a largement anticipé et expliqué les défaillances du keynésianisme, qu’il a été l’un des tout premiers économistes à annoncer et à prévoir les causes de l’inévitable effondrement du système communiste et enfin qu’il a contribué puissamment à la défense et illustration de l’économie de marché. Il demeurera incontestablement comme l’un des grands penseurs sociaux du vingtième siècle.


Aussi commentaire de François Bilger:

Dans le même esprit, il y a une apostrophe bien connue de Jacques Rueff: " Soyez libéraux, soyez socialistes, mais soyez honnêtes ". Il voulait dire: on a parfaitement la possibilité d'établir tel "avantage social" ou telle "protection sociale", mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils ont un coût et qu'en définitive ce coût est toujours supporté - toutes choses restant égales par ailleurs - par les salariés eux-mêmes, au mieux par une réduction de leur revenu direct, au pire par le chômage pour un certain nombre d'entre eux.
 
Un dernier mot  se méfier des théoriciens en politique.  Hegel constatait au début du 19è siècle: " L'étude théorique, je m'en persuade chaque jour davantage, est en définitive plus déterminante pour le monde que le travail pratique; lorsque la révolution a été portée dans le royaume des idées, elle suit rapidement dans celui des réalités". Prédiction hélas remarquablement illustrée peu après par son grand disciple, Karl Marx. Dans le même registre, le grand adversaire de Hayek, John Maynard Keynes, écrivait à la fin de sa "Théorie Générale": "Nous sommes convaincu qu'on exagère grandement la force des intérêts constitués par rapport à l'empire qu'acquièrent progressivement les idées". Prévision là aussi tout à fait vérifiée par l'énorme influence exercée par les propositions keynésiennes sur la politique économique d'un grand nombre de pays au 20è et même encore au 21è siècles. Oui, il faut se méfier des théoriciens, ils sont capables de vous faire agir, pour le meilleur...ou le pire!

Esclandre à Stockholm. Quand Hayek recevait son prix Nobel il y a 50 ans.

via Damien Theillier

Friedrich Hayek et Gunnar Myrdal ont reçu leur prix Nobel d’économie en 1974, il y a tout juste 40 ans. Chez eux, tout s’opposait : leurs personnalités et leurs convictions.

Source : Jean-Philippe Bidault, Si l’argent m’était conté…, 2012.

 

Friedrich Hayek

De Wikiberal
 
Friedrich Hayek, né Friedrich August von Hayek, (Vienne, Autriche, 8 mai 1899 - Fribourg-en-Brisgau, Allemagne, 23 mars 1992) est un économiste et philosophe de l'école autrichienne, promoteur du capitalisme contre le socialisme ou toute forme d'étatisme trop entreprenante et qui ne respecterait pas la Rule of Law. Il a reçu le Prix Nobel d'économie en 1974 pour ses travaux sur la théorie de la conjoncture.
Il s'est intéressé à de nombreux champs de la connaissance humaine, comme l'économie, le droit, la psychologie[1], la philosophie ou la science politique. Il reste en particulier très connu pour ses ouvrages de philosophie sociale comme La Constitution de la liberté (1960) ou Droit, législation et liberté (1973-1979), ouvrages fondateurs du libéralisme contemporain et dans lesquels il défend la notion d'ordre spontané. Il a également écrit l'ouvrage à succès La Route de la servitude en 1945
Il naît à Vienne au tournant du siècle, dans une famille d'intellectuels. Son père était médecin et botaniste, son grand-père maternel professeur de droit constitutionnel et il était cousin de Ludwig Wittgenstein par sa mère. Esprit précoce, il est surnommé par ses camarades Lex comme Lexicon pour ses connaissances extrêment larges[2]. Il se fait cependant mal au climat rigide du Gymnasium autrichien.
Il sert comme soldat lors de la première guerre mondiale à partir de 1917 sur le front italien puis rejoint en 1918 l'université de Vienne. Il y obtient son doctorat en droit en 1921 et en sciences politiques en 1923. Il est déjà intéressé par de nombreux domaines de la connaissance et étudie l'économie et la psychologie. Il conservera ce souci d'éclectisme toute sa vie et écrivit dans La Route de la servitude : « personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui n'est qu'économiste peut devenir une gêne, si ce n'est un danger. » C'est dans ces années là qu'il se rapproche des idées libérales, par la fréquentation du fameux séminaire privé du principal économiste autrichien de l'époque, Ludwig von Mises, aux côtés de Fritz Machlup. Il suit également les enseignements de Friedrich von Wieser et lit sous la direction de Mises les principaux ouvrages de Carl Menger et d'Eugen von Böhm-Bawerk.
Il commence à travailler auprès de Ludwig von Mises puis rejoint l'université de New-York où il effectue des recherches post-doctorales[3]. Il y rencontre son compatriote Joseph Schumpeter ou l'économiste américain Irving Fisher.
De retour en Autriche, il travaille pour le gouvernement autrichien, l'aidant à résoudre les questions économiques afférentes au traité qui met fin à la Première Guerre mondiale. Il se marie en 1926. En 1927, il fonde avec Ludwig von Mises l'institut autrichien de la conjoncture (Österreichische Konjunkturinstitut). Il le dirigera jusqu'en 1931. En 1929, il devient professeur en économie à l'université de Vienne et publie Geldtheorie und Konjunkturtheorie. Il acquiert par là une certaine notoriété.
Remarqué par le directeur du département d'économie de la London School of Economics, Lionel Robbins, il est invité par ce dernier à y donner une série de quatre conférences en 1931. Le succès est tel qu'il se voit offrir en 1932 la Tooke Chair of Economic Science and Statistics à la LSE[4]. Il poursuit pendant les années 1930 ses travaux sur la théorie du cycle, dans lesquels il approfondit la position autrichienne. Il s'oppose avec force sur ce sujet avec la théorie défendue par John Maynard Keynes à Cambridge, mais c'est la vision keynésienne qui l'emporte, au moins temporairement, dans l'opinion publique.
Il publie en 1931 Prices and Production. Sur les conseils de Gottfried Haberler, il s'intéresse aux idées de Karl Popper, qu'il fait en partie siennes. En 1935, il réfute les arguments des tenants du socialisme de marché (Oskar Lange) dans le débat sur le calcul économique en régime socialiste avec la parution du recueil Collectivist Economic Planning: Critical Studies on the Possibilities of Socialism.
Il acquiert en 1938 la nationalité britannique. La même année, il participe au Colloque Walter Lippmann qui réunit à Paris de nombreux intellectuels libéraux, désireux de « refonder » le libéralisme.
Face à la montée du socialisme, du planisme et du militarisme, il écrit plusieurs articles dans lesquels il dénonce les dangers que cette route représente[5]. Il synthétise sa réflexion sur la question dans son ouvrage majeur de 1944, La Route de la servitude. Dans ce manifeste du libéralisme du XXe siècle qui est encore un best-seller aujourd'hui, il montre comment l'emballement totalitaire qui ravage l'Europe des années 1940 est la conséquence directe des idées collectivistes qui ont prévalues durant l'entre-deux guerres, à rebours des explications du totalitarisme comme nécessaire dégénérescence du capitalisme. Pour Hayek, la socialisation de l'économie et l'intervention massive de l'État sur le marché débouchent sur la suppression des libertés individuelles; il n'existe pas de différence de nature mais seulement de degré entre le communisme et son imitateur le nazisme, entre socialisme et totalitarisme. C'est un succès commercial traduit en 20 langues et ayant connu plus de 30 rééditions aux États-Unis. Son édition abrégée dans le Readers' Digest en 1945 toucha environ 600 000 lecteurs américains et une édition en images est même réalisée[6].
Dans la dynamique de son engagement « politique », il fonde en 1947 la Société du Mont-Pèlerin, dont il sera le président jusqu'en 1961, passant le relais à l'ordolibéral Wilhelm Röpke. En 1950, il quitte la LSE pour l'université de Chicago. Refusé au département d'économie, il enseigne finalement les « social thoughts ». Sa position n'était pas rémunérée mais il était financé par des mécènes comme le Liberty Fund.
Après le succès médiatique (essentiellement aux USA) de La Route et la notoriété de propagandiste qui lui colle à la peau, Hayek essaye de regagner l'estime du monde universitaire et se concentrera sur des questions psychologiques en 1952, l'Ordre sensoriel ou épistémologiques, The Counter-revolution of science, après le « virage » poppérien de 1936 ("Economics and Knowledge", dans Individualisme et ordre économique), développeront ses idées de limitation de la raison individuelle, dans la filiation des Lumières écossaises.
En 1960, La Constitution de la liberté reprend de manière plus positive le cadre normatif (Rule of Law, état de droit) qui sous-tend un ordre politique libéral.
De retour en Europe, il enseigne à Fribourg-en-Brisgau de 1962 jusqu'à sa retraite. Il profite de ces années pour écrire la trilogie des Droit, législation et liberté, tout en intégrant pleinement le paradigme évolutionniste (troisième terme entre nature et culture) que les articles des Studies... avaient préparé, lui permet d'affiner son vocabulaire (catallaxie, kosmos et taxis, nomos/thesis, démarchie) et de constituer une sorte de somme de sa pensée; son dernier ouvrage, La Présomption fatale, est une variation sur le thème de la réfutation du socialisme.
En 1974, il reçoit le Prix Nobel en économie (en même temps que le socialiste Gunnar Myrdal), pour ses travaux des années 1930 sur la théorie du cycle. De plus en plus reconnu, il reçoit en 1991 la Presidential Medal of Freedom, plus haute récompense civile américaine. 


 

Pensée 

Epistémologie

Son refus de la planification est également enrichi et étayé par ses réflexions psychologiques sur l'ordre sensoriel. D'après Friedrich Hayek, la perception du monde que capte chaque individu est nécessairement idiosyncrasique. Chaque individu ne peut pas saisir la réalité dans toute sa complexité, il la perçoit en fonction des circonstances de temps et de lieu. De ce fait, comment des gouvernants pourraient-ils légitimement et scientifiquement intervenir dans les choix économiques des individus ?
Contre les constructivistes de gauche et de droite, le philosophe et économiste a livré un combat qui se situe également sur le plan juridique et institutionnel. A la suite d'Adam Ferguson et des autres auteurs phares des Lumières écossaises, Hayek a montré sa préférence pour des instances "résultant de l'action des hommes, mais non de leurs desseins". Selon lui, la meilleure garantie pour la préservation de la liberté et le maintien d'une société civilisée réside dans la défense d'un ordre spontané qui permet "la mise en ordre de l'inconnu", et n'émanant pas d'un cerveau planificateur - sans pour autant se confondre avec une sorte d'organisme naturel. Hayek s'inscrit donc dans une logique évolutionniste, qu'il oppose au constructivisme socialiste et conservateur. C'est aussi pourquoi il considère que l'ordre juridique ne peut découler du droit public, mais ne peut être que la forme évolutive prise par le droit privé dans son continuel processus d'essais et d'erreurs.

Economie

Ses thèses sur le malinvestissement et le rôle du crédit dans le développement des crises économiques s'opposent au keynésianisme : il cherche à montrer comment les politiques keynésiennes de croissance économique, basées sur l'utilisation du budget public et des agrégats, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et chômage (telle la stagflation des années 1970).
Développant la théorie des fluctuations économiques (vision « autrichienne » des cycles) déjà esquissée par Ludwig von Mises, il soutient que les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales et que la seule façon d'en sortir est de laisser jouer les forces du marché. L'économie se trouve comparée dans cette théorie à la nature, son fonctionnement repose alors sur des lois, comme dans les sciences dures. La meilleure solution pour Hayek sera donc de laisser l'économie suivre sa tendance naturelle qui fonctionnne parfaitement seule.
Il s'oppose aux intellectuels socialistes ou constructivistes, qui croient que l'on peut refaire le monde à partir d'un projet de société théorique. Plus généralement, il combat toutes les idées affirmant qu'il est possible et souhaitable d'agir sur l'économie au nom de l'intérêt général, dont il récuse l'existence (cf. Droit, législation et liberté, vol. II). Il cherche à expliquer notamment comment l'intervention étatique dans le marché ne génère qu'inflation, chômage, récession ou dépression.
Friedrich Hayek a eu une influence considérable sur de nombreux économistes et chercheurs en sciences sociales, comme par exemple Israel Kirzner. En France, il est représenté par l'école libérale aixoise (Jacques Garello, Jean-Pierre Centi, Gérard Bramoullé) et l'école libérale parisienne (Pascal Salin, Henri Lepage, Bertrand Lemennicier). A Montpellier, le regretté professeur de Droit, Christian Mouly présenta son apport scientifique.

Politique

 Comme la plupart des libéraux depuis Tocqueville, Hayek considère que la démocratie est un moyen, et non une fin en soi : « Que dans le monde occidental, le suffrage universel des adultes soit considéré comme le meilleur arrangement, ne prouve pas que ce soit requis par un principe fondamental » (dans Constitution de la liberté). Elle a uniquement l'avantage de permettre l'alternance politique sans violence. Elle se doit cependant d'éviter la démagogie et l'atteinte aux droits individuels qui résulterait d'un débordement inconsidéré de la démocratie hors du champ restreint où elle doit s'appliquer.

Définissant ce qui sépare le régime démocratique du libéralisme, il note :
Le libéralisme exige que tout pouvoir - et donc aussi celui de la majorité - soit soumis à des limites. La démocratie conduit au contraire à considérer l'opinion de la majorité comme la seule limite aux pouvoirs gouvernementaux. La différence entre les deux principes apparaît avec évidence si l'on envisage ce à quoi ils s'opposent respectivement : le gouvernement autoritaire pour la démocratie, le totalitarisme pour le libéralisme.
Il ajoute que la démocratie couplée à l'étatisme, tend à devenir totalitaire. Il considère que les citoyens des sociétés occidentales ont cessé d'être autonomes en devenant dépendants des bienveillances de l'État. Il est néanmoins à noter que Hayek ne s'est jamais considéré comme un chantre de l'État minimal. Tout critique qu'il fut envers les politiques interventionnistes, il estimait que l'État était habilité à contrôler les poids et mesures, à lever des impôts, à garantir la construction et l'entretien des routes, etc. De même, il était favorable à un revenu minimum !
Pour éviter la dérive totalitaire inhérente à la démocratie illimitée, Hayek propose un système baptisé « démarchie ». A côté d'une assemblée parlementaire uniquement chargée d'exécuter les vœux de la population (mais restreinte à la représentation des personnes ne dépendant pas de l'État), il juge indispensable d'instituer une sorte de Sénat, qui détiendrait l'exclusivité de la fonction législative (celle-ci étant réservée à l'élaboration de règles de conduite générales). Cette Chambre haute serait composée de "nomothètes" âgés de 45 à 60 ans, dont un quinzième serait renouvelable annuellement. Par ailleurs, une Cour constitutionnelle composée d'anciens membres de l'Assemblée législative couronnerait cette architecture institutionnelle.

Éthique

L'éthique semble étrangement absente de la pensée de Hayek, tout du moins si on tient compte de l'importance qu'elle revêt pour d'autres libéraux ou libertariens (Kant, Rothbard, Hoppe, etc.). La raison en est que Hayek refuse une approche constructiviste et fait davantage confiance à la "morale traditionnelle". Pour lui, l'éthique ne peut être une création intellectuelle, c'est le produit catallactique d'une évolution culturelle. Pour cette raison, les règles de conduite que la "morale traditionnelle" incorpore sont économiquement les plus efficaces.[7]



 Critique du Réseau Voltaire

« Démocratie de marché »

Friedrich von Hayek, pape de l’ultra-libéralisme

 L’économiste autrichien Friedrich von Hayek s’est appliqué à discréditer toute forme de régulation de l’économie au motif que celle-ci est trop complexe pour que l’on prétende l’organiser. Sa théorie de « l’État minimal » est devenue la religion du Parti républicain états-unien en opposition aussi bien au « New Deal » des démocrates qu’au marxisme des soviétiques. Son école, financée par les fondations des grandes multinationales, s’est structurée autour de la Société du Mont-Pèlerin, et a obtenu sept fois le prix Nobel d’économie. Elle a inspiré les gouvernements de Pinochet, Reagan et Thatcher.

La pensée économique et politique de Friedrich A. von Hayek s’est imposée comme fondement idéologique de l’ordre libéral. Elle est à la fois le produit d’une histoire particulière et d’un réseau relationnel qui s’est développé à l’ombre des grandes fondations états-uniennes.
Hayek est né à Vienne, en 1899. Sa jeunesse autrichienne est marquée par un climat politique difficile, des grèves massives paralysent le pays. Il assiste à la désorganisation du régime doublement menacé par le populisme, souvent antisémite, et par le socialisme révolutionnaire radicalisé par l’introduction des thèses marxistes. Dans ce contexte, il se passionne pour les thèses de la Société fabienne, un courant réformiste et socialiste anglais, créé par Béatrice et Sidney Webb, et préconisant une révolution spirituelle. Parallèlement, il est initiée à la philosophie de Ludwig Wittgenstein, principal « animateur » du Cercle de Vienne.
Hayek participe aux séminaires de l’économiste Ludwig Von Mises qui réunit autour de lui des disciples qui contribueront à diffuser la bonne parole libérale en France (Jacques Rueff, conseiller du général de Gaulle), en Italie (Luigi Einaudi), en Allemagne (Wilhelm Röpke, Ludwig Erhard), et dans une moindre mesure aux États-Unis (Murray, Rothbard).
À l’époque, Mises défend des idées à contre-courant des thèses dominantes de l’intelligentsia autrichienne, Hayek le qualifie de « libéral intransigeant isolé ». Il est l’initiateur de la critique du planisme qui, selon lui, ne peut constituer une solution économique adéquate en raison de la complexité des calculs économiques et du manque d’information. Dans son ouvrage majeur, Socialism, il prédit l’échec des expériences socialistes : la planification ne peut conduire qu’au chaos ou à la stagnation. Professeur à Vienne (1913-1938), puis à New York (1945-1969), Mises est le fondateur du courant néo-autrichien qui se développe durant les années soixante-dix. Proche des réseaux états-uniens en Europe de l’ouest (la Fondation Rockefeller et le National bureau of economic research ont financé deux de ses livres publiés en 1944, Omnipotent Government : the Rise of the Total State and Total War et Bureaucraty). Cherchant à diffuser ses théories, appuyé par des industriels et des fondations, Mises a construit une organisation officieuse, une ébauche de la Société du Mont-Pèlerin, représentée par ses élèves dans plusieurs pays d’Europe de l’ouest.

La théorie politique néo-libérale

Hayek, dans la continuité de la tradition libérale initiée par Adam Smith, défend une conception minimale de l’État. Son apport particulier correspond à la critique radicale de l’idée de « justice sociale », notion dissimulant, selon lui, la protection des intérêts corporatifs de la classe moyenne. Il préconise la suppression des interventions sociales et économiques publiques. L’État minimal est un moyen d’échapper au pouvoir de la classe moyenne qui contrôle le processus démocratique afin d’obtenir la redistribution des richesses par la fiscalité.
Son programme est exposé dans Constitution de la liberté (1960) : déréglementer, privatiser, diminuer les programmes contre le chômage, supprimer les subventions au logement et les contrôles des loyers, réduire les dépenses de la sécurité sociale, et enfin limiter le pouvoir syndical. L’État n’a pas le droit d’assurer la redistribution, surtout en fonction d’un quelconque critère de « justice sociale ». Son rôle est réduit à la fourniture d’un cadre juridique garantissant les règles élémentaires de l’échange. En 1976, il va jusqu’à proposer la dénationalisation la monnaie, c’est-à-dire la privatisatisation des banques centrales nationales pour soumettre la création monétaire aux mécanismes du marché. D’autres prises de positions semblent nuancer la radicalité de son libéralisme, il préconise par exemple la création d’un revenu minimum, mais cette proposition doit être pensée comme une réhabilitation de la loi anglaise des indigents et non comme la marque d’un « socialisme hayèkien » [1] .
La théorie développée par Hayek est fondée sur une croyance partagée par tous les libéraux, des classiques jusqu’aux partisans des thèses autrichiennes. La métaphore de la « main invisible », qui assure dans la pensée d’Adam Smith l’adéquation de l’offre et de la demande sur les différents marchés, illustre parfaitement ce présupposé commun qu’ils cherchent tous à démontrer à partir de différents postulats : équilibre général de Walras, redéveloppé par Pareto ; ordre spontané du marché ou catallaxie pour l’école autrichienne. Celle-ci est le résultat d’actions non concertées et non le fruit d’un projet conscient. L’ordre du marché n’est pas voulu, pas planifié, il est spontané. Cette conception de l’économie sert de justification à la critique de l’interventionnisme qui génère des déséquilibres, des perturbations dans la catallaxie. Hayek considère que les keynésiens font de l’État un « dictateur économique ».
La philosophie politique de Hayek est finalement très proche des thèses développée par Locke. L’État défend le droit naturel de propriété et est limité par les clauses individualistes d’un hypothétique contrat-fondateur. Le droit devient alors l’instrument de protection de l’ordre spontané du marché. Ce qui importe donc principalement, c’est la défense du libéralisme économique. Le libéralisme politique est absorbé. Les idées démocratiques sont reléguées à un rang secondaire. Cela a poussé Hayek à des déclarations aux allures de provocation. D’après lui, la démocratie ne constitue pas un système politique infaillible : elle « est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle » [2] . Mieux vaut un régime non-démocratique garantissant l’ordre spontané du marché qu’une démocratie planificatrice. Ce raisonnement justifiera la présence des « Chicago boys » au Chili. La pensée de Hayek est un mélange de conservatisme (critique de la démocratie inspirée de la dénonciation de la Révolution française d’Edmund Burke) et de libéralisme (Adam Smith). Il met en garde contre la démocratie illimitée qui conduit irrémédiablement au règne de la démocratie totalitaire [3]. En fait Hayek est obsédé par les classes moyennes qui contrôlent les régimes démocratiques : « Il y a une grande part de vérité dans la formule d’après laquelle le fascisme et le national-socialisme seraient une sorte de socialisme de la classe moyenne » [4] . De plus, il craint les pauvres dont les réactions sont imprévisibles. Il réclame un revenu minimum « ne serait-ce que dans l’intérêt de ceux qui entendent être protégés contre les réactions de désespoir des nécessiteux » [5] . Bien que refusant d’adhérer à l’idée de justice sociale, Hayek développe une conception particulière de la justice, libérale mais aussi conservatrice, même s’il s’en défend dans un article intitulé Pourquoi je ne suis pas conservateur ?.
Les idées radicales de Hayek, ses attaques contre l’interventionnisme économique ne peuvent être comprises sans un retour au contexte historique de l’après-guerre : l’élaboration d’un nouvel avatar du libéralisme correspond à une critique totale du keynésianisme triomphant. Hayek, inspiré par la pensée économique de Mises, rejette aussi bien le collectivisme préconisé par le marxisme d’État que l’intervention économique dans les sociétés capitalistes. Reprenant les idées de Mises, il critique la possibilité de planifier l’économie dont la complexité s’oppose à tout calcul rationnel. Ces prises de position contre la « troisième voie démocratique et sociale » symbolisée par le New deal rooseveltien et le travaillisme anglais expliquent la marginalisation des ultra-libéraux au début des années 50, notamment au sein de la plus puissante des organisations d’intellectuels anti-communistes, le Congrès pour la liberté de la culture.

Hayek en marge de la « Guerre froide culturelle »

Hayek est nommé professeur à la London school of economics en 1931, puis à Chicago en 1950. En 1962, il devient professeur d’économie politique en Allemagne fédérale... Ce parcours universitaire ne doit rien au hasard : la London school of economics, financée par la fondation Rockefeller, et l’université de Chicago sont des bastions de l’économie libérale. Il constitue ainsi un réseau politique et intellectuel international. Il a su rassembler des libéraux, des conservateurs britanniques et américains, mais ses théories ont aussi été diffusées dans toute l’Europe de l’ouest. Proche de Raymond Aron [6] qui popularise ses thèses en France, il se veut un « libéral intransigeant » engagé à la fois contre le soviétisme et le fascisme.
La rhétorique de l’anti-totalitarisme constitue une fois de plus l’instrument idéologique privilégié des intellectuels engagés dans le Congrès pour la liberté de la culture, organisation pilotée par la CIA de 1950 à 1967. Cependant, à partir de 1955, les ultra-libéraux menés par Hayek sont marginalisés face aux « travaillistes », représentants d’une « troisième voie » social-démocrate, qui contribuent à redéfinir les orientations idéologiques du Congrès pour la liberté de la culture. Un nouveau programme émerge de la conférence internationale de Milan [7] .
À Paris, Josselson, avec le soutien de la fondation Rockefeller, recrute et finance les participants. La liste des intervenants est approuvée par un comité composé de Raymond Aron, Michel Collinet, Melvin Lasky, Sidney Hook, Denis de Rougemont... Cinq orateurs sont cooptés [8]. Ils sont chargés de donner les lignes directrices de l’idéologie anti-communiste du Congrès pour la liberté de la culture lors de la séance inaugurale. La conférence de Milan va rendre évidente la fracture entre les deux tendances. Les architectes de l’organisation, pour la plupart des intellectuels new-yorkais issus des rangs trotskistes, tentent de rallier des libéraux, mais surtout des hommes de la gauche non-communiste (comme Léon Blum en France). En 1955, le Congrès s’engage ouvertement dans la voie social-démocrate ; le succès du discours inaugural de Hugh Gaitskell, leader travailliste anglais, témoigne de cette orientation. Pour lui, le Welfare state est compatible avec la démocratie politique, thèse en parfaite contradiction avec les théories autrichiennes de Mises. Le quatrième orateur, Hayek, prend la parole au nom des ultra-libéraux et rappelle que la propriété est l’unique droit qui vaille la peine d’être défendu, faisant ainsi référence aux droits sociaux évoqués par Hugh Gaitskell [9]. La conférence de Milan se conclut par la victoire idéologique des « travaillistes » et par la marginalisation des ultra-libéraux qui se replient sur les think tanks, organisations chargées de convertir les élites économiques à la philosophie néo-libérale.

Du colloque Walter Lippman à la Société du Mont-Pèlerin : la naissance d’un think tank international

Le colloque Walter Lippman [10] (1938) auquel participent Mises et Hayek est l’occasion de rassembler des universitaires libéraux hostiles au fascisme, au communisme et à toutes les formes d’interventionnisme économique de l’État. Le livre de Walter Lippman [11]. En 1920, il fonde le New Republic, il devient ensuite éditorialiste au New York Herald Tribune. À partir du début des années 60, il écrit dans Newsweek. Sa pensée politique libérale et conservatrice a influencé les intellectuels du Congrès pour la liberté de la culture.]] , The Good Society, constitue le manifeste temporaire, en attendant La route de la servitude, de ce groupe d’intellectuels relativement marginalisés à l’époque du keynésianisme triomphant. Selon Walter Lippman, le collectivisme est la racine commune des totalitarismes fasciste et communiste. Les gouvernements des démocraties occidentales, en s’engageant dans des politiques économiques de relance, cèdent à la tentation du planisme car il n’existe pas -cette idée constitue la clé de voûte de la philosophie autrichienne initiée par Mises- de « voie moyenne » entre le libéralisme et le collectivisme. Ainsi Louis Rougier [12], professeur de philosophie à l’université de Besançon et principal organisateur de la réunion déclare : « Le drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de gauche qui rêvent d’une démocratie politique et d’un planisme économique sans comprendre que le planisme implique l’État totalitaire. Le drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de droite qui soupirent d’admiration devant les régimes totalitaires, tout en revendiquant les avantages d’une économie capitaliste, sans se rendre compte que l’État totalitaire dévore la fortune privée, met au pas et bureaucratise toutes les formes d’activité économique du pays ». Hommes de droite et hommes de gauche sont ainsi renvoyés dos-à-dos suivant un argument unique : le planisme est totalitaire. La pensée de Hayek repose sur le même principe vulgarisé dans le célèbre Route de la servitude. Le raisonnement justifie la construction d’une avant-garde libérale capable de lutter intellectuellement (dans un premier temps) contre l’hégémonie des pratiques inspirées de la pensée de Keynes.
Le colloque Walter Lippman aboutit à un projet international de promotion du libéralisme. Lippman, Hayek et Röpke sont chargés de créer des organisations aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse.
En 1947, dans la logique du plan Lippman, Hayek participe activement à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin qui « constitue en quelque sorte la maison-mère des think tanks néo-libéraux » [13]. Un homme d’affaire suisse, Albert Hunold, permet de concrétiser les propositions de Hayek qui désire mettre en place un « forum libéral international » et de Wilhem Röpke qui cherche à lancer une revue internationale. Hunold réunit des industriels et des banquiers suisses afin de financer le think tank libéral [14] . Il rassemble des intellectuels issus de courants variés mais qui partagent la même croyance dans l’équilibre spontané du marché : des monétaristes comme Milton Friedman [15], des membres de l’école du Public choice (James Buchanan) ainsi que des personnalités associées au courant néo-autrichien. Les réunions internationales sont financées, dans un premier temps, par les fondations Relm et Earhart [16]. La Société du Mont-Pèlerin reçoit ensuite le soutien de l’ultra-conservatrice fondation John Olin, Lilly endowment, la fondation Roe, le Scaife family charitable trust et la Fondation Garvey.
La société du Mont-Pèlerin prêche durant vingt-cinq ans dans le désert. Les idéologues néo-libéraux demeurent isolés dans un contexte de consensus interventionniste. Il faudra attendre la crise du keynésianisme pour que les idées de Hayek s’imposent parmi les élites politiques. La Grande-Bretagne constituera le terrain de la mise en pratique des mesures préconisées.
Fondé en 1955, l’Institute of Economic Affairs (IEA) travaille à vulgariser les thèses de Hayek et du monétarisme en ciblant principalement les milieux patronaux (qui restent longtemps méfiants) et financiers. Ralph Harris, qui fut directeur de l’organisation, est anobli dès 1979 par Margaret Thatcher.

La « révolution conservatrice » britannique

À la fin des années soixante, on décèle les premiers signes de la crise de société qui va faire basculer la Grande-Bretagne vers la « révolution conservatrice » orchestrée par Margaret Thachter. La stagflation, combinaison inédite de chômage et d’inflation, conduit à remettre en question le paradigme keynésien (notamment l’équation de Philips qui conclut sur l’arbitrage entre inflation et chômage). Avec la crise, les théories de la Société du Mont-Pèlerin et de l’IEA se développent et reçoivent un accueil de plus en plus favorable dans les cercles patronaux et politiques. Les deux organisations diffusent les idées de la primauté de la lutte contre l’inflation, du caractère utopique des politiques de plein-emploi, de la sur-puissance syndicale, des conséquences nocives des politiques économiques. En 1970, l’IEA publie la thèse quantitative de la monnaie de Milton Friedman qui constitue une condamnation radicale de la politique monétaire keynésienne. Friedman préconise la réduction des déficits de l’État afin de contrôler l’augmentation de la masse monétaire.
Dans les années soixante-dix, qui sont les années de la conversion pour de nombreux hommes politiques britanniques, on assiste à un rapprochement entre les conservateurs et les libéraux, un mariage entre les héritiers de Burke et de Smith.
Afin de soutenir cette dynamique de conversion libérale, des membres du Parti conservateur (dont Margaret Thatcher et Keith Joseph) créent le Centre for Policy Studies, en 1974. En 1977, une autre organisation voit le jour : l’Adam Smith Institute. La Grande-Bretagne entre dans une période de « révolution conservatrice ». La victoire de Thatcher en 1979 consacre la réussite des think tanks néo-libéraux. Des membres de ces organisations tels que Geoffrey Howe et Nicholas Ridley constituèrent les piliers des gouvernements conservateurs [17].
Cette rapide histoire des think tanks néo-libéraux souligne le poids politique des conceptions économiques de Hayek. À partir de la Société du Mont-Pèlerin, il a su imposer son idée de l’État (minimal, sans aucun pouvoir d’intervention économique) et du marché (« laisser-faire »). Preuve de son hégémonie intellectuelle, il reçoit le prix Nobel en 1974, puis le voit attribuer à six de ses amis ultra-libéraux : Milton Friedman (1976), George Stigler (1982), James Buchanan, Maurice Allais (1988), Ronald Coase (1991) et Gary Becker (1992). D’une certaine façon, c’est le programme qu’il avait formulé dans son ouvrage La Constitution de la liberté, qui s’est imposé comme « pensée économique unique » à la fin du XXe siècle.

 


L’antilibéralisme France ?

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Le discours est sans concession. L’homme fait le procès de « l’économie libérale » dont il dénonce la « faillite universelle ». Pour lui, il faut d’ailleurs plus parler « d’apparence de libéralisme », car en réalité « la production et les échanges » sont asservies « aux puissances d’argent » et ont « recours de plus en plus large aux interventions de l'État ». « Cette dégradation, du libéralisme économique, s'explique d'ailleurs aisément. La libre concurrence était, à la fois, le ressort et le régulateur du régime libéral. Le jour où les coalitions et les trusts brisèrent ce mécanisme essentiel, la production et les prix furent, livrés, sans défense, à l'esprit de lucre et de spéculation. Ainsi se déroulait ce spectacle révoltant de millions d'hommes manquant du nécessaire en face de stocks invendus et même détruits dans le seul dessein de soutenir le cours des matières premières. Ainsi s'annonçait la crise mondiale ».

Pour sortir de cette crise, en finir avec un faux libéralisme économique qui en réalité vise à asservir les plus pauvres, l’homme plaide pour que l’économie soit « organisée et contrôlée » par l'État afin de « briser la puissance des trusts et leur pouvoir de corruption. Bien loin donc de brider l'initiative individuelle », il s’agit de « libérer l’économie de ses entraves actuelles en la subordonnant à l'intérêt national. La monnaie doit être au service de l'économie, elle doit permettre, le plein essor de la production, dans la stabilité des prix et des salaires. Une monnaie saine est, avant tout, une monnaie qui permet de satisfaire aux besoins des hommes ».
 
 
Évidemment, « un tel, système implique un double contrôle : sur le plan international, contrôle du commerce extérieur et des changes pour subordonner aux nécessités nationales l'emploi des signes monétaires sur les marchés étrangers. Sur le plan intérieur, contrôle vigilant de la consommation et des prix, afin de maîtriser le pouvoir d'achat de la monnaie, d'empêcher les dépenses excessives et d'apporter plus de justice dans la répartition des produits. Ce système ne porte aucune atteinte à la liberté des hommes si ce n'est à la liberté de ceux qui spéculent, soit par intérêt personnel, soit par intérêt politique. Il n'est conçu qu'en fonction de l'intérêt national ».
Qui a prononcé ces fortes paroles ? Qui dénonce ainsi l’ultralibéralisme et la mondialisation ? Qui propose ainsi de revenir dans la cadre de l’État nation, un État fort qui contrôlera l’économie ? Un dirigeant d’Attac ? De la fondation Copernic ? De la LCR ? Du PC ? De la gauche du PS ? Ou alors des souverainistes de droite et d’extrême droite ? D’Henri Guaino, le conseiller spécial du Président de la République et souverainiste de choc ? On s’y perd, non ?
Allez, je vous donne la réponse, elle décoiffe : il s’agit du Maréchal Pétain, dans un discours du 11 octobre 1940. N’est-il pas frappant de voir à quel point la dénonciation du libéralisme se fait avec les mêmes mots (à part « lucre », daté) du côté des extrêmes de l’échiquier politique ? 





Alors, évidemment, je ne dis pas que les antilibéraux sont pétainistes. Je parle ici d’une filiation idéologique qui interpelle, d’une détestation de l’économie de marché qui se perpétue depuis plus de soixante ans dans le discours (et pas dans la pratique), comme si la défaite de juin 1940 n’avait toujours pas fini de produire ses effets. J’avais déjà sur ce blog et dans Libération dénoncé la pensée d’un Michel Onfray qui incarne parfaitement ce courant de pensée qui est en réalité réactionnaire au vrai sens du mot (y compris dans son regret du passé forcément meilleur que l’avenir). A l’heure où les « nonistes » de gauche se réveillent en recommençant à dénoncer le « libéralisme » du traité de Lisbonne (qui est totalement neutre à cet égard puisqu’il ne fait que réformer les institutions), il n’est pas inutile de réfléchir à nouveau aux sources de cet antilibéralisme qui ne fait florès qu’en France (et au Vénézuela, mais comparaison n'est pas raison ;-).

 
Les solutions pour « briser » le libéralisme sont différentes selon les affinités politiques. Pétain a instauré le retour aux corporations d’avant la Révolution française, révolution bourgeoise et capitaliste dans son essence qui visait justement à libérer l’économie de l’étouffoir d’une réglementation excessive. Il y a d’autres méthodes : le communisme, qui consiste en un contrôle total de l’économie par l’État au nom de l’intérêt général, méthode qui a elle aussi échoué. Un moyen terme a été tenté, en France, juste après la guerre. Ainsi, le programme de 1944 du Conseil national de la résistance (CNR) réclame-t-il « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », « l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État » et « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés ». 

Bref, le CNR réclame un État dirigiste, qui connaîtra son heure de gloire sous De Gaulle, un État qui en réalité n’a pas mis fin au corporatisme hérité du pétainisme. C’est cet État que Valéry Giscard d’Estaing et ses successeurs ont démantelé. C’est ce modèle qui, aujourd’hui, fait se pâmer les antilibéraux, dont 

Michel Onfray qui dénonce le « libéralisme que droite et gauche incarnent en se succédant au pouvoir depuis Pompidou ».
 
Le discours du Maréchal Pétain et les petits cailloux idéologiques qu’il a semés m’inspirent une autre réflexion : l’antilibéralisme (on ne précise jamais « économique », vous le remarquerez) rime en réalité toujours avec l’antilibéralisme politique. Il suffit de voir qui l’incarne aujourd’hui. Mais surtout, les antilibéraux ont toujours réclamé un « État fort » nécessaire pour soi-disant briser l’échine du marché. La Vème République n’a pas dérogé, de ce point de vue. Il faut relire « le coup d’État permanent » d’un certain François Mitterrand pour nous rendre compte dans quel État de droit nous vivons.
 

(Sur plusieurs de ces points, un petit livre à lire que Jean-Marc Vittori –merci à lui- a chroniqué dans les Echos : « la société de la défiance. Comment le modèle français s’autodétruit » par Yann Algan et Pierre Cahuc. Éditions ENS/rue d’Ulm, 102 pages, 5 euros).

Jean-Marc Vittori

De Wikiberal
 
Jean-Marc Vittori, né en 1958, est un journaliste français, éditorialiste au journal économique Les Échos depuis 2003. Il écrit généralement sur la macro-économie et la théorie économique.
Avant de rejoindre Les Echos, il a également exercé dans d'autres journaux économiques tels Challenges, L'Expansion (qu’il a dirigé en 2001-2002) ou Le Nouvel Économiste.
Il défend généralement des idées proches d'un libéralisme classique assez interventionniste.
Il est diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d'une maîtrise ès sciences économiques (Paris I).
Dans L'effet sablier, il pronostique la fin des classes moyennes. La pyramide devient un sablier. Il analyse les forces à l’œuvre, qui expliquent cette "fin du milieu" : le rôle de l'ordinateur et d'Internet, et la disparition du modèle pyramidal dans l'organisation des entreprises et dans leur production.
Il est en général critique à l'égard de la France, qui refuse de se réformer. Ainsi, examinant les "grands leviers qui existent pour accroître le pouvoir d’achat" :
Viennent ensuite les impôts et cotisations sociales payées par les ménages. Ici la masse est énorme. Près de 300 milliards d’euros de cotisations sociales, près de 160 milliards d’impôts sur le revenu et le patrimoine... (...) Là encore, la vraie solution est bien connue : c’est la réforme de l’État. D’autres pays y sont arrivés. En France, il reste encore du pain sur la planche. (Dictionnaire d’économie à l’usage des non-économistes)
Si nous voulons vraiment comprendre le monde d’aujourd’hui, il est urgent de dépasser le cliché d’une économie triste ou horrible. L’économie, c’est d’abord des histoires d’hommes et de femmes qui produisent, échangent, consomment et rêvent. C’est ensuite des entreprises, des objets, des institutions publiques, des lieux. C’est enfin des idées, des penseurs, des concepts. 
« La révolution de l’information débouche sur une organisation radicalement différente à la fois du travail et de la société. Au cœur, il n’y a plus l’usine mais le projet. » 

 

Réflexions sur l’antilibéralisme, cette obsession française

Nicolas Lecaussin : 
 
« En France, le mot 
“social” est la clef de la réussite politique, 
alors que le mot “libéral” est tabou »
Pour de nombreux Français, le libéralisme est la cause de tous les maux de la planète et l’origine, surtout, de tous leurs malheurs. Les politiques l’ont très bien compris, car tous les candidats (une dizaine) à l’élection présidentielle de 2012 ont fait campagne contre le libéralisme économique (pardon, il faut dire « ultralibéralisme » ou « libéralisme sauvage »). C’est une position typiquement française que l’on ne rencontre pas chez nos partenaires européens, chez lesquels l’un des candidats au moins se déclare « libéral ».
 
En France, augmenter les impôts et les dépenses sous-entend faire de la « politique sociale ». En France, le mot « social » est la clef de la réussite politique, alors que le mot « libéral » est tabou, car il risquerait de nuire à toute carrière politique. Durant les dernières années de sa présidence, Nicolas Sarkozy a tout fait pour que l’on n’accole pas cette étiquette à son image. « Je ne suis pas le Président des riches », répétait-il à longueur de journée, en démontrant qu’il était favorable à une politique « sociale » mais pas « libérale ». Dans la France antilibérale, Nicolas Sarkozy est resté comme le Président libéral. Quelle méprise ! Parti avec de belles intentions pour réformer la France, l’ancien Président n’aura finalement réalisé qu’une sorte de « perestroïka » à la française, qui a échoué tout en décrédibilisant le libéralisme et ses réformes. Il était aussi peu attaché à la politique de Margaret Thatcher que ne l’est François Hollande à celle de Tony Blair.
 
Synonyme d’une accusation terrible et inexcusable
L’antilibéralisme n’est pas un phénomène étudié, bien qu’il soit extrêmement répandu en France. Les antilibéraux se rassemblent en un pot-pourri complet (vous verrez, cher lecteur, la liste en est inépuisable…). Dans le monde politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par la gauche, le centre et la droite, les idées antilibérales sont omniprésentes. Etre « libéral » est devenu le synonyme d’une accusation terrible et inexcusable, tandis que l’adjectif « libéral » est l’insulte suprême. Les économistes sont en France, à quelques exceptions près, des antilibéraux convaincus et ne s’en cachent pas. Et que dire des intellectuels, de gauche et de droite, en général, qui ont toujours fait de l’antilibéralisme leur principal cheval de bataille. Après avoir fait semblant d’oublier les inepties marxistes, nos « élites » ont décidé de se consacrer à la lutte contre l’« ultralibéralisme » et le « capitalisme sauvage ». La crise de 2008-2009 les ayant revigorés, nombreux sont ceux qui reviennent aux vieilles lunes de la lutte des classes et de l’exploitation des ouvriers. Et même si les médias ont beaucoup évolué depuis les années 1990-2000, certains sont encore ancrés dans leurs certitudes « sociales » et « étatistes ». Cependant, Internet et le câble ont amené un changement de cap, qui a permis la création de nombreuses chaînes de télévision, car bien entendu, la ligne éditoriale ne pouvait rester totalement figée.
 
Le rejet de la mondialisation, principal fonds de commerce du FN
Mais en dépit de ces changements, il faut dire que certains réflexes idéologiques perdurent : les dérèglements économiques et financiers ont été présentés, par tous, comme les principales causes de la crise que nous continuons à vivre ; alors que l’Etat, avec ses interventions et ses réglementations, était présenté comme le remède. Une entente tacite s’est faite sur les origines de cette crise et les thérapies à y appliquer. Le traitement par le libéralisme a été écarté à l’unanimité, et le plus souvent, on s’obstine encore à appliquer les mêmes recettes que par le passé : hausses des impôts et interventions de l’Etat, alors que celles-ci ont largement montré leurs limites. Il est de fait que, plus on dépense pour « la lutte contre le chômage », plus celui-ci augmente. De même, plus on donne de l’argent pour la politique de la ville, plus les problèmes des banlieues deviennent insolubles. Plus on tente de faire du « logement social », plus les Français ont des difficultés à se loger. On crie aux conséquences « néfastes » de l’immigration et l’on met en cause le libéralisme, comme le fait le Front national, alors que c’est l’Etat-providence qui en est le responsable !
 
L’antilibéralisme a bien nourri aussi le Front national, car avec son rejet de la mondialisation, c’est son principal fonds de commerce aujourd’hui. Il n’existe aucun autre parti dont le discours soit plus étatiste, plus antilibéral et plus antimondialiste que celui du FN. A l’inverse, ces dogmes n’occupent pas en priorité l’esprit des autres principaux partis populistes européens. Le PVV néerlandais, dirigé par Geert Wilders, est obsédé par exemple par la condamnation du Coran, mais sur l’un des murs de son bureau, il y a tout de même un portrait de Margaret Thatcher. Tandis que l’UKIP britannique, bien qu’anti-européenne, se prononce fermement en faveur d’une zone de libre-échange. Quant au Parti du progrès en Norvège, il est entré au gouvernement et son chef en est devenu le ministre des Finances.
 
Bizarre modèle qui produit 
des millions de chômeurs…
« Je ne suis pas gagné par le libéralisme, c’est tout le contraire, puisque c’est l’Etat qui prend les initiatives », a affirmé François Hollande de son côté, lors de la conférence de presse du 14 janvier dernier. Comme si le libéralisme était une maladie contagieuse et que l’Etat était le seul recours pour s’en débarrasser ! Le paradoxe en France, c’est que plus l’Etat se montre impuissant, plus on fait appel à lui, en rejetant les remèdes libéraux ! D’ailleurs, toutes les catastrophes de l’Etat sont imputées à l’économie de marché. On défend même certains privilèges au nom de l’antilibéralisme. Et lorsqu’un ministre de la Culture a la volonté de réformer le statut des intermittents du spectacle, il est accusé d’être « le valet du libéralisme ». François Hollande s’est aussi vite empressé de rappeler que le modèle social français n’était pas « négociable » (ce qu’a fait comprendre aussi Manuel Valls). Bizarre modèle qui produit des millions de chômeurs et fait fuir à l’étranger des dizaines de milliers de Français.
 
Une partie de la droite française 
dans l’ornière étatiste
Lorsque l’UMP propose, fin décembre 2013, quelques réformes, bien timides par rapport à celles que d’autres pays ont engagées, la gauche au pouvoir crie à l’attaque par libéralisme interposé. « Le programme de l’UMP est thatchérien », ose affirmer Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national u-du PS (interview accordée au Parisien du 29 décembre 2013). En France, Margaret Thatcher est vouée aux gémonies, alors que le dictateur Hugo Chavez est encensé. Pour Victorin Lurel, notre ministre des pays d’Outre-Mer : « Chavez, c’est de Gaulle plus Léon Blum. » Mais le programme économique de l’UMP fait peur aussi à ses propres membres : Alain Juppé et François Baroin. Ces deux derniers le jugent trop « libéral ». Pourtant, il ne s’agit pas d’un épouvantail libéral : fin des 35 heures, baisse des charges et de la dépense publiques (130 milliards d’euros sur 5 ans seulement). C’est une partie de la droite française qui s’enfonce dans l’ornière étatiste, laquelle paralyse et condamne la France depuis tant d’années.
 
Mais même Pierre Gattaz, président du Medef, affreusement caricaturé chez Les Guignols de l’info en paranoïaque ultralibéral, n’hésite pas à prendre ses distances à l’égard d’un libéralisme économique qui fait peur et dont les conséquences, selon ses détracteurs, pourraient être catastrophiques : « Je ne suis pas un libéral suicidaire » (Les Echos, 20 janvier). Quand des affaires terribles éclaboussent les plus hautes sphères de l’Etat et de nombreux politiques (ceux-là mêmes qui nous donnent des leçons de morale et veulent réguler le capitalisme), on continue à s’en prendre au libéralisme économique.
 
La France isolée 
face à la « dictature libérale »
Un autre paradoxe de cette obsession antilibérale française, c’est que celle-ci perdure au moment où, partout ailleurs dans le monde, les idées libérales gagnent du terrain. Depuis la chute du communisme, en effet, la très grande majorité des Etats sur la planète a choisi son camp : celui de la démocratie libérale. En France, on continue à croire au mythe de la « dictature néolibérale » et l’on se méfie de la mondialisation qui « appauvrit » les pauvres et enrichit les riches. On exècre aussi le pouvoir imaginaire des multinationales, lesquelles seraient devenues plus puissantes que les Etats ; enfin, on se protège de la « main invisible » du marché (je n’ai jamais compris que l’on puisse accuser cette chose que l’on ne voit pas). Mais pourquoi cette obsession ! ?
 
Car je refuse de croire aux thèses invoquant la tradition étatiste et égalitariste de la France. C’est vrai, nous avons eu la Révolution, mais on oublie trop souvent qu’elle était libérale à l’origine et qu’elle encourageait la propriété privée en initiant de vraies réformes économiques. On cite Colbert, de Maistre, Rousseau, Maurras Certes ! Mais il y a eu aussi Turgot, Constant, Tocqueville, Bastiat, Say.
On peut dire que l’explication par des origines intellectuelles ne tient pas à l’examen des faits. Je pense en revanche qu’il existe chez les Français, peut-être dans leurs gènes, une forme d’antilibéralisme tenace. Elle peut s’expliquer d’abord par la peur de la concurrence et des libertés économiques. Napoléon III, en 1860, a dû se battre pour signer le traité de libre-échange avec l’Angleterre. Les ministres et les industriels, n’en voulant pas, l’accusaient d’être le « fossoyeur de l’industrie française » (Arnaud Montebourg dirait la même chose aujourd’hui). En fin de compte, le traité a été signé dans le plus grand secret.
 

Alain Madelin : «Les Français n’ont pas l’offre libérale qu’ils méritent»

Les Français plébiscitent l'Etat dans son rôle régalien
 
Ainsi, contrairement à l’opinion médiatiquement dominante, les Français sont libéraux. Le libéralisme sort en tête. Loin devant le socialisme, la droite ou la gauche. D’autant plus remarquable que ce sondage intervient au lendemain d’une crise majeure où – fort injustement – le libéralisme a été mis au banc des accusés et où les leaders politiques censés être les plus libéraux ont proclamé le « retour de l’État », multiplié interventions et dépenses publiques, légitimé le protectionnisme et fait l’éloge des frontières. 
 
 
 
Cela étant, ce libéralisme instinctif des Français apparaît bien confus. Certes, plus de deux Français sur trois pensent que le droit de propriété ou la liberté d’expression sont bien garanties en France. C’est un peu moins pour la liberté d’entreprendre (et encore moins pour les entrepreneurs qui vivent les limites de cette liberté). Cela pourrait être mieux pour une France qui se dit volontiers la patrie des droits de l’Homme et où 27 % disent aimer l’entreprise, 96 % l’initiative et 94 % la responsabilité.
 
Les Français disent aimer presqu’autant  l’Etat que le libéralisme. Certes, l’Etat qu’ils semblent privilégier, c’est d’abord l’Etat régalien. Celui qui assure la sécurité des personnes et des biens – un Etat défaillant pour 56 % des Français – ou l’égalité devant la loi et la Justice – défaillant pour 66 % des Français. Un Etat dont trois Français sur quatre voudraient sans doute aussi qu’il assure la protection des données sur Internet, plutôt que de généraliser et banaliser les écoutes. 
 
Mais s’ils semblent rejeter massivement l’Etat providence, les Français disent aussi à 55% souhaiter que l’Etat intervienne davantage en matière économique. Contradiction ? Manifestement, il y a un besoin de protection et un attachement aux services publics que - le sondage le montre – les Français n’ont guère envie de voir privatiser. Fort heureusement, au-delà d’une telle opposition entre public et privé, il existe des techniques de délégation de service public ou de concession qui permettent de mettre l’efficacité du privé au service des missions d’intérêt général et d’offrir une liberté de choix. 
 
Il serait intéressant de sonder les Français sur des propositions libérales concrètes, sur des libertés d’agir ou de choisir, choisir l’école de ses enfants, faire ses courses le dimanche, proposer des services concurrents des services publics avec les mêmes contraintes… On y retrouverait sans doute deux Français sur trois. Le problème, c’est que s’il y a une attente de libéralisme, il n’existe pas aujourd’hui d’offre politique libérale.
 

Alain Madelin

De Wikiberal
 
Alain Madelin est un homme politique français, né le 26 mars 1946 à Paris (XIIe arrondissement).  
Fils de Gaétan Madelin, ouvrier spécialisé de Renault et d'Aline, femme de ménage, il passe son enfance à Belleville, à Paris.
Choqué par les accords d'Évian, il s'engage dès ses 16 ans pour la cause nationaliste et devient famillier des bagarres avec les militants d'extrême gauche. En 1963 il est à la Fédération des Etudiants Nationalistes où il est responsable de l'action militante, il sera blessé à l'entrée du lycée Turgot dans une bagarre entre lycéens communistes et membres de la FEN. En 1964, alors qu'il étudie le droit à Assas, il est l'un des fondateurs du mouvement Occident, mouvement étudiant d'extrême droite, avec Gérard Longuet et Patrick Devedjian. Revenant sur cette époque, il déclare qu'il s'agit d'un
«anticommunisme militant, extrême et passionné, qui a accompagné une bonne partie de ma vie d'étudiant. Et comme à ce moment-là, la France de l'anticommunisme était marginalisée, nous avons été systématiquement confinés à l'extrême droite. En face, ils étaient pour Mao et Pol Pot, pour les Gardes rouges et pour les Khmers rouges. Je ne regrette pas de ne pas avoir choisi ce camp-là. »
Le 12 janvier 1967, Occident opère une action commando contre des militants d'extrême gauche qui distribuent des tracts à la faculté de Rouen. Le commando, dont fait partie Madelin, laisse sur le carreau, cinq blessés, dont un grave, crâne fracturé et même percé d'un coup de clé à molette. Ironie du sort, ce blessé grave n'est autre qu'un futur journaliste du Monde : Serge Bolloch.
Les militants d'Occident affrontent les manifestants de mai 68 ; à l'issue de la crise le groupuscule est dissous.
À l'automne 1968, Alain Madelin retourne à la faculté de droit d'Assas, et adhère aux Républicains indépendants de Valéry Giscard d'Estaing. Il obtient une licence de droit. L'avocat prête serment en 1971, mais ne coupe pas vraiment les ponts. Il travaille dans différents instituts et organismes patronaux, notamment avec Georges Albertini, un ex-lieutenant du collaborationniste Marcel Déat, qui fut un des derniers ministres du maréchal Pétain.
Il intègre l'état-major de Valéry Giscard d'Estaing, qui est élu président en 1974. (idem en 1981)
En 1978, Alain Madelin est élu député d'Ille-et-Vilaine et devient vice-président du Conseil régional de Bretagne ; il fait sensation en arrivant sans cravate dans l'hémicycle.
Lorsque la droite gagne les élections législatives en 1986 et que débute la première cohabitation, Jacques Chirac le nomme ministre de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme. Le scénario se répète lorsque la droite gagne les élections législatives en 1993 et qu'Édouard Balladur, premier ministre de la seconde cohabitation, nomme Alain Madelin ministre des Entreprises et du Développement économique.
Son passage laisse deux traces notables : d'une part les contrats de retraite dit « Madelin », permettant aux non-salariés de se constituer une retraite par capitalisation ; d'autre part une simplification des démarches de création d'entreprise, avec la mise au point du statut d'entreprise unipersonnel (EURL et EARL).
En 1995, Alain Madelin est élu maire de Redon.
Lorsque l'UDF se range derrière Édouard Balladur à l'élection présidentielle de 1995, il choisit de soutenir Jacques Chirac. Élu, ce dernier le nomme ministre de l'Économie et des Finances mais ses positions le mènent à la démission au bout de trois mois et il est remplacé par Jean Arthuis. Lors de son passage au ministère il ne fait pas montre d'un libéralisme excessif : il approuve une hausse importante des impôts ; il signe avec d'autres ministres la "loi anti-Reichman", destinée à empêcher les gens de s’assurer librement en-dehors de la sécurité sociale (loi jamais été appliquée en l'état, et rapidement remaniée, puisque contraire aux dispositions communautaires).
À la victoire de la gauche en 1997, il prend la tête du Parti républicain. À l'été 1997, il renomme ce parti en Démocratie Libérale.
Il se présente à l'élection présidentielle de 2002, mais ne parvient pas à atteindre le seuil de 5% des voix qui lui permettrait de se faire rembourser ses frais de campagne : financièrement acculé, il rejoint avec son parti l'UMP en 2002.
Avec Henri Lepage, il a fondé dans les années 90 le (futur cyber) Institut Euro 92, qui constitue depuis lors une réserve inestimable d'articles portant sur des sujets aussi variés que la monnaie, l'environnement, la santé, ou encore l'histoire des idées libérales.
Il a continué à prendre part à la vie intellectuelle française avec les cercles libéraux.
Il est aujourd'hui avocat au barreau de Paris, divorcé, et a trois enfants.
Depuis novembre 2007, il préside le Fonds mondial de solidarité numérique créé en 2005 sous l'égide du Président sénégalais Abdoulaye Wade.

 
 Vision de Jean Quatremer
 
Le droit du travail est le résultat d'un rapport de forces, la sécurité sociale est lié à la Résistance et à la puissante armée communiste qui aurait pu déclencher une guerre civile. L'avortement, c'est aussi le résultat d'une lutte (lisez les mémoires de Simone Veil), je vous rappelle que mai 68 était passé par là et que VGE après Chaban a compris qu'il fallait donner de nouveaux droits aux citoyens. L'Etat, naturellement, est oppressif. Ces temps-ci, il le devient de plus en plus car les citoyens le demandent massivement, de la lutte anti-immigration clandestine à l'antiterrorisme.

ll est urgent de relire Marx (dont l'analyse de l'Etat et de l'économie reste pertinente) et les auteurs libéraux! Qu'est-ce que l'Etat? Que représente-t-il? Le bien en soi? Evidemment pas. L'Etat, ce sont des individus issus des classes privilégiées (elles sont étendues aujourd'hui, je le reconnais). Regardez ce que vient de faire Sarkozy: 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus aisées sous les applaudissements béats des foules. L'Etat, donc, accorde-t-il des droits aux plus démunis juste pour leur faire plaisir? Non, c'est le résultat de luttes sociales, d'un rapport de force. Les conquêtes sociales ont été arrachées les unes après les autres par des citoyens, des individus décidés à se battre et à se montrer solidaire. Le libéralisme, ce n'est pas l'amour du "privé", cela n'a rien à voir. Ce n'est pas non plus le chacun pour soi. Le libéralisme, ce n'est pas l'hyper marché (si j'ose dire), où le plus fort l'emporte toujours. L'Europe est une société libérale où l'Etat joue le rôle d'arbitre. Mais il n'arbitre en faveur des plus démunis que si on lui tort le bras.
 


Schuman a voté avec les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain avec 568 autres députés. Et la quasi totalité de l'administration lui a prêté serment. Tout comme François Mitterrand... Le traumatisme du pétinisme est profond en France. Cela étant, les hommes qui ont fait l'Europe, si ma mémoire est bonne, ont tous participé à la Seconde guerre mondiale dans un camp ou dans l'autre, voire dans les deux... Ce n'est pas de cela dont il est question dans ce post, mais des racines de l'antilibéralisme français.

L'Allemagne, par exemple, a inventé bien plus tôt que la France la sécurité sociale, et les trusts allemands contrôlaient largement l'économie (c'est pour cela qu'il y a des articles antitrusts dans le traité CECA et dans le traité CEE: il a fallu que Konrad Adenauer force la main de son ministre des finances pour les faire accepter). Les Allemands et les Français ont, en outre, tiré des leçons radicalement différente de la guerre: méfiance vis-à-vis de l'Etat central en Allemagne, dont la puissance a été rendu responsable de la guerre, renforcement de l'Etat en France dont la faiblesse a été rendu responsable de la défaite. "L'antilibéralisme" est minoritaire en Allemagne, pas en France où même la droite répugne à se dire "libérale".

Rédigé par: Jean Quatremer

Psychanalyse de l'antilibéralisme : les Français ont -ils le droit d'avoir peur?

 Le débat intellectuel et public français cherche ses nouveaux repères. Après l'échec des régimes communistes, les idées marxistes sont aujourd'hui frappées de discrédit. Leur emprise s'est relâchée : les substituts altermondialiste ou populiste ne sont pas les seules alternatives. En réalité, le nouveau contexte libère l'espace de la pensée politique en autorisant la remise au débat du libéralisme. La France se déclare quasi unanimement anti-libérale dans un monde devenu libéral. L'antilibéralisme, ce véritable ciment d'une idéologie française, vient à nouveau d'être illustré par le rejet du référendum constitutionnel et du contrat de première embauche censé apporter une réponse à la grave crise du chômage des jeunes. Pourtant, la plupart de ses gouvernements, de gauche comme de droite, ont conduit, sans parfois oser l'avouer, nombre de réformes inspirées par le libéralisme - à commencer par l'adhésion à l'Europe et à ses règles. Pourtant, inventé par la France au Siècle des Lumières, le libéralisme irrigue profondément les racines de notre Révolution et de notre République, se distinguant de sa définition anglo-saxonne. En éclairant son passé et en lui restituant son importance, c'est toute l'histoire de notre démocratie qui pourra apparaître sous un jour nouveau. Le divorce entre l'opinion française et le libéralisme paraît ainsi relever d'un vaste malentendu qu'il faut aujourd'hui dissiper. Que s'est-il donc passé ? De quelles frustrations ce paradoxe est-il révélateur ? Comment le libéralisme, synonyme de la gauche progressiste en France jusqu'au début du XIXe siècle - et encore aujourd'hui presque partout ailleurs que chez nous - s'est-il trouvé rejeté à la droite - voire à l'extrême droite - de notre échiquier politique ? Comment notre société s'est-elle édifiée un aussi monumental tabou ? Le moment est venu de faire la psychanalyse de cette peur irraisonnée qui gangrène depuis trop longtemps la pensée politique de notre pays. Pour s'implanter durablement dans notre pays, le libéralisme doit redevenir populaire.
(date de publication : septembre 2006) 

Voir aussi: 
https://www.contrepoints.org/tag/antiliberalisme
 

Antilibéralisme

De Wikiberal
 
Le terme d'antilibéralisme désigne un ensemble de courants politiques hétérogènes, réunis par l'opposition aux idées libérales. 
Les alternatives proposées sont différentes, et rejoignent en général les courants de pensée ou tendances suivants :
Ludwig von Mises s'est intéressé à la « psychologie de l'antilibéralisme » dans Libéralisme (1927) [1]. Il distingue deux causes :
  • le ressentiment, la jalousie sociale, qui va jusqu'à préférer une misère uniformément répartie aux inégalités sociales existantes, car il serait indécent d'être riche quand il y a tant de pauvres ;
  • le fantasme névrotique, conséquence sans doute d'un échec personnel, d'une insatisfaction, d'une ambition déçue, qui pousse l'antilibéral à se réfugier dans un « monde meilleur », sur la base d'un discours politique plus ou moins utopique (altermondialiste, marxiste, nationaliste, écologique)... C'est ainsi que le messianisme marxiste fait miroiter l'utopie d'une société égalitaire, d'un pays de Cocagne où tout est abondant, où le travail se fait dans la joie, etc. Le « mensonge salvateur » permet à l'antilibéral de droite ou de gauche de supporter l'état de choses actuel, tout en lui fournissant un certain nombre de boucs émissaires commodes qui le déchargent de sa responsabilité : c'est la faute de la société, des riches, des apatrides, des étrangers, des entreprises, etc.
L'historien Pierre Rosanvallon emploie le terme d'illibéralisme pour désigner les régimes de pouvoir fort (Second Empire, Cinquième République). Il considère que c'est le bonapartisme qui est « la quintessence de la culture politique française », « la clef de compréhension de l’illibéralisme français ».

Monsieur Delanoë et son "libéralisme" relatif, soudain...

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Quelle est la part de sincérité, quelle est la part de tactique dans la soudaine affection de Bertrand Delanoë pour le libéralisme ? Je suis bien incapable de le dire. Mais pour ces propos prudemment iconoclastes, si je puis oser cet oxymore, il attire l’attention sur l’origine du libéralisme et personnellement je m’en réjouis. 
François GOULARD
Pour l’opinion, pour une large partie de la classe politique, dont la culture ne s’est jamais alimentée qu’à la seule source médiatique, le libéralisme se réduit à une acception purement économique du terme. Il se confond, à peu près, avec le libre marché, avec le capitalisme pour utiliser un terme qui n’est plus guère à la mode. Or le libéralisme est d’abord une doctrine politique, fondée sur une conception de l’homme, considéré comme libre et responsable et que les institutions politiques doivent protéger contre les abus du pouvoir. La démocratie libérale, en science politique, s’oppose à la démocratie populaire, en ce qu’elle protège l’individu et les minorités de l’emprise d’un pouvoir, qui, même à supposer qu’il soit majoritaire, doit respecter les principes fondamentaux que sont les droits de l’homme. Le libéralisme est inséparable de la séparation des pouvoirs et du respect de l’Etat de droit. Comme les droits de l’homme incluent le droit de propriété, le libéralisme respecte le libre marché, c’est-à-dire le droit des individus, seuls ou groupés en sociétés, de disposer de leurs biens. 

La figure emblématique du libéralisme est donc beaucoup plus le juge intègre que le banquier à cigare, contrairement aux caricatures coutumières. Mais si le libéralisme est d’abord politique, il est aussi économique, et il serait malhonnête, intellectuellement incohérent, de se réclamer de l’un tout en rejetant l’autre. 

Fondamentalement, libéralisme et socialisme s’opposent. On peut, pour simplifier, dire que le premier tire des conséquences économiques de conceptions d’abord morales et politiques et que le second partant de nécessités économiques et sociales est conduit à reléguer au second plan les droits des individus. 

Voilà pour les idées qu’il convient d’avoir à l’esprit. Elles sont à la fois fondatrices et révélatrices. On ne devrait pas innocemment se réclamer du libéralisme et du socialisme. Conceptuellement, mais aussi pratiquement, les deux idéologies reposent sur des conceptions différentes de l’homme, qui sous-tendent des conceptions différentes de la politique. Le libéralisme, c’est Tocqueville et Bastiat, et non Tocqueville sans Bastiat. 

Cela signifie-t-il qu’un libéral rejette toujours et systématiquement toute intervention de l’Etat qui contrecarre le libre fonctionnement du marché ? Bien sûr non. Cela signifie-t-il qu’un socialiste est toujours et systématiquement, un ennemi des libertés ? Il serait absurde de le prétendre. 

En réalité, il est arrivé que les socialistes soient sensiblement plus libéraux que la droite : en matière de mœurs, par exemple, dans certaines circonstances dans le domaine de la liberté de l’information, la gauche a été libérale alors que la droite ne l’était pas. Et la droite mettant en œuvre le droit opposable au logement a battu la gauche sur un terrain à proprement parler socialiste. 

Cependant, il faut dire à Monsieur Delanoë que son libéralisme est très relatif. Il appartient à un parti qui prône en matière économique et social une irresponsabilité qui est foncièrement anti-libérale. Sa gestion des affaires parisiennes n’est pas non plus un modèle de libéralisme : il a instauré une sorte de totalitarisme municipal, selon lequel les loisirs bénéficient d’une préférence de principe, au détriment de l’activité. 

Quant à la droite, elle est loin d’être constamment libérale, y compris sur le plan économique, où elle le dispute à la gauche en fait d’interventionnisme brouillon. Une partie de la droite française est autoritaire s’agissant des libertés publiques, et corporatiste en matière économique, c’est-à-dire absolument non libérale. 


« Les idées libérales ne sont pas suffisamment portées dans le débat électoral, notamment par l'UMP. Or on ne gagnera la présidentielle que si les Français qui se reconnaissent dans une modernité..." F.G.


François Goulard, né le 21 septembre 1953 à Vannes (Morbihan), est un homme politique français, membre de Démocratie libérale puis de l'UMP à partir de 2002. Député du Morbihan de 1997 à 2012, maire de Vannes de 2001 à 2004 et de 2006 à 2011, il a été secrétaire d'État aux Transports et à la mer de 2004 à 2005 et ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche de 2005 à 2007. En juin 2012, il est battu aux élections législatives et perd son siège de député. Il est président du Conseil général du Morbihan depuis avril 2011.
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