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Marché libre
Dans les théories économiques, un marché libre est un modèle économique idéal dans lequel les échanges sont libérés de toute mesure coercitive, y compris les interventions gouvernementales comme les tarifs, les taxes, et les régulations, à l'exception de celles qui autorisent la propriété privée des terres, des ressources naturelles 1) et du spectre de radiodiffusion, ainsi que la propriété intellectuelle, les entreprises et autres fictions légales.
La philosophie du laissez-faire économique en politique épouse approximativement ces conditions dans le monde réel en éliminant les tarifs, en minimisant et en simplifiant la taxation et en minimisant ou éliminant les règlementations étatiques et les restrictions telles que celles relevant du droit du travail (salaire minimum et conditions de travail, mais pas les lois qui restreignent l'organisation des travailleurs) ainsi que le monopole légal et les lois antitrust. Dans le domaine de l'économie politique, le « marché libre » est simplement le contraire conceptuel d'une économie dirigiste, dans laquelle tous les biens et services sont produits, tarifés et distribués sous la maîtrise de l'État.
1) Jerry Taylor, 1993, "The growing abundance of natural resources", In: David Boaz, Edward H. Crane, dir., "Market Liberalism: A Paradigm for the 21st Century", Washington, D.C.: Cato Institute, pp363-378
Pour un libre marché des idées
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Soucieux de santé publique, de justice sociale et de fraternité, les politiques croient devoir résoudre les problèmes de société, comme le racisme sur Twitter ou les discours de haine, par des interventions dans la vie privée et des réglementations de plus en plus contraignantes.
Les diverses tentatives de réduire Dieudonné au silence illustrent assez bien ce double discours de la société française. D’un côté, on protège par tous les moyens le droit d’un magazine satirique de se moquer de l’Islam, mais, de l’autre, les Musulmans n’ont pas le droit d’exprimer des opinions que d’autres peuvent considérer comme blessantes.
Bien sûr, le cas de Charlie Hebdo et celui de Dieudonné ne sont pas tout à fait comparables sur le plan moral. On a d’une part des caricatures qui se moquent de la foi religieuse et, de l’autre, des propos qui semblent soutenir le terroriste qui a tué des Juifs simplement parce qu’ils sont juifs. Néanmoins, l’arrestation de Dieudonné nous montre que les autorités françaises ne comprennent toujours pas ce que signifie vraiment la liberté d’expression, ni ce qu’elle implique. Plus grave encore, les principales menaces contre la liberté d’expression proviennent non des fanatiques proclamés mais des autorités publiques elles-mêmes. La loi devrait s’appliquer aux actions, non aux paroles
En effet, la France a fait voter certaines des lois les plus restrictives et les plus sévères dans l’Union européenne, concernant les discours de haine et la négation de l’Holocauste. La loi Pleven par exemple (1972) a introduit le délit de provocation à la haine et à la discrimination. La loi Gayssot (1990) a créé un délit d’opinion sur la Shoah, ce qui est contradictoire avec le concept même de science, car la science remet en cause par nature les certitudes précédemment acquises.
Or, ces lois françaises ont en commun de sanctionner des paroles et non des actes criminels. Mais alors, comment prouver que des personnes ont bien subi un tort ? Qu’est-ce que la haine ? Il s’agit d’un sentiment flou, comme l’amour, la joie ou la tristesse. Un sentiment est subjectif, il ne se voit pas et, par conséquent, il est un délit impossible à prouver. Des règles générales de droit commun sont bien sûr nécessaires pour protéger et renforcer l’exercice de la liberté individuelle. Sans cette infrastructure juridique qui rend possible la coexistence pacifique des libertés, la société ouverte demeure sans consistance. Et c’est bien pourquoi la perversion de la loi, soulignait déjà Frédéric Bastiat en 1850, est la source de la plupart des maux sociaux dont nous souffrons. C’est toujours aussi vrai aujourd’hui. Rappelons le rôle de la Loi. Frédéric Bastiat énonçait que :
« La Loi, c’est l’organisation du Droit naturel de légitime défense ; c’est la substitution de la force collective aux forces individuelles […] pour garantir les Personnes, les Libertés, les Propriétés, pour maintenir chacun dans son Droit, pour faire régner entre tous la Justice. (La Loi, 1850).
Le libéralisme est une philosophie politique qui détermine quand l’usage de la contrainte juridique est justifié ou pas. La prémisse fondamentale de cette philosophie est le principe de non-agression : il n’est pas légitime de se livrer à une agression contre des non-agresseurs. Le terme agression est entendu ici au sens fort d’un usage de la violence physique (et non verbale) contre la personne ou les biens, telle que celle qui s’exerce dans le meurtre, le viol, le vol ou le kidnapping. Aucune parole, aucun discours ni aucune insulte ne peut être assimilé à une agression physique. Les mots ne tuent pas, même s’ils sont stupides, méchants, haineux ou vulgaires. La parole n’engage jamais définitivement celui qui l’émet. À l’inverse, le passage à l’acte est irréversible, il ferme la discussion. Mais, dans l’échange des opinions, tout reste ouvert, tout peut changer. De plus, le préjudice subi par des paroles n’est pas objectivement constatable ni mesurable, comme un préjudice matériel. Aucun lien causal entre une parole et un acte ne peut être démontré. Aucun caractère intrinsèquement nuisible ne peut être attribué à un propos. C’est pourquoi, une distinction doit clairement être établie entre la parole et l’action. Dire quelque chose n’est pas la même chose qu’agir.
En brouillant cette distinction, on accrédite l’idée que les individus réagissent comme des automates à des mots. Pourtant, ils ne sont pas des robots. Ils pensent et peuvent agir sur leurs pensées et leurs raisonnements. Les mots ont certainement un impact sur le monde réel, mais cet impact n’est pas mécanique. Les mêmes idées sur différents individus auront des conséquences différentes.
Bien sûr, la parole peut appeler l’action et il peut exister des circonstances dans lesquelles il y a un lien direct entre la parole et l’action, par exemple lorsque les mots d’un individu conduisent immédiatement d’autres individus à commettre des violences. Encore faut-il qu’une telle incitation soit bien définie comme un appel à l’agression physique. En effet, la menace d’agression et l’appel à l’agression sont assimilables à des agressions, ce ne sont plus des opinions. C’est là que les institutions doivent être fortes et que la loi doit jouer son rôle de défense des personnes et de leurs droits. Mais aucune pensée en elle-même, y compris des pensées racistes, ne devrait être interdite par la loi. Oui, le racisme est un mal social pernicieux qui doit être combattu. Mais non, on ne lutte pas contre le racisme en interdisant aux opinions racistes de s’exprimer. On les combat par la parole. On ne répond à des opinions que par des opinions. Et on réprime les actes. Mais la justice n’est fondée à se prononcer que sur un acte extérieur et sur son lien de causalité avec un dommage. Si on sort de ce cadre juridique, on entre dans la police de la pensée et le contrôle des esprits. Comme l’écrit John Stuart Mill :
« Les seules mesures que la société est justifiée à prendre pour exprimer sa répulsion ou sa désapprobation pour un tel comportement sont les conseils, l’instruction, la persuasion, et la cessation de la fréquentation de l’individu par ceux qui l’estimeraient nécessaire pour leur propre bien (De la liberté)
Une société ouverte implique un libre marché des idées
Le concept de libre marché des idées est un concept philosophique ancien. On le trouve déjà dans la défense de la liberté d’imprimer formulée par John Milton dans son Areopagitica en 1644, puis chez Turgot, dans ses Lettres sur la tolérance civile (1754), chez Benjamin Constant dans ses Réfexions sur les Constitutions et les Garanties (1814), dans le plaidoyer de John Stuart Mill en faveur de la liberté de pensée et de discussion dans De la liberté (1859), et enfin dans le concept popperien de « discussion critique » au sein de l’espace public, dans La société ouverte et ses ennemis (1945).
Le principe est le suivant : la mise en œuvre d’une politique de « laissez-faire », fondée sur la protection de la liberté d’expression, est non seulement plus conforme à la dignité humaine, mais conduit également, par le jeu de la concurrence, à un résultat optimal pour tous, la sélection des opinions les plus justes.
Ce libre marché des idées est justifié pour au moins trois raisons que nous allons développer successivement.
1° Une raison morale d’abord, c’est la plus fondamentale.
2° Une raison épistémologique ensuite.
3° Une raison de prudence politique enfin. Puis nous répondrons à la question des limites de la liberté d’expression.
De l’impératif moral du libre marché des idées
Il serait faux de prendre la liberté pour une valeur comme une autre. C’est la condition de possibilité de toute valeur. Il ne saurait y avoir de responsabilité morale, de vice ou de vertu sans liberté de choisir et de penser par soi-même. Aucun acte contraint n’est moral. Aristote et Thomas d’Aquin à sa suite l’ont posé comme un principe fondamental de leur éthique : « un acte accompli sous la contrainte ne peut entraîner aucun mérite ni aucun blâme. » Un agent ne peut être vertueux qu’à la condition de savoir ce qu’il fait et d’agir sans contrainte.
Selon Benjamin Constant, le premier intérêt et le premier droit de l’individu, c’est de pouvoir librement développer ses facultés propres. Et le moyen le plus conforme à sa dignité, pour assurer ce développement, c’est de permettre à l’individu de se gouverner lui-même, à ses risques et périls, tant qu’il n’empiète pas sur le droit égal d’autrui. Or, assurer ce libre développement, c’est justement le but des diverses libertés qui constituent les droits individuels : en ne les respectant pas, la société politique manque à sa mission essentielle, et l’État perd sa première et principale raison d’être. John Stuart Mill a écrit avec justesse que nos idées, sans la possibilité de se confronter à d’autres ou d’être publiquement contestées, deviennent des dogmes morts. Le prix de cette censure est « le sacrifice de tout le courage moral de l’esprit humain ». Mill insiste sur le fait que les « facultés humaines de la perception, du jugement, du discernement, de l’activité intellectuelle, et même la préférence morale, ne s’exercent qu’en faisant un choix. Celui qui n’agit que suivant la coutume ne fait pas de choix. Il n’apprend nullement à discerner ou à désirer ce qui vaut mieux ».
Si la vérité constitue un bien pour tous les hommes, la liberté constitue une condition nécessaire à la réalisation de cette fin. La liberté d’expression en particulier est un principe politique qui permet d’assurer les conditions individuelles nécessaires à la recherche de la vérité et de la perfection morale. Le souci moral de la vérité si souvent invoqué par les interventions étatiques en matière d’expression publique ne s’oppose pas en réalité au droit individuel de libre expression, mais le fonde au contraire.
De l’utilité du libre marché des idées
L’argument que je voudrais développer ensuite est celui de l’efficacité épistémologique : le libre échange des idées est le meilleur moyen de faire émerger la vérité.
Mais il y a une grande différence entre la tolérance, qui consiste à ne pas faire usage de la coercition à l’encontre des autres religions, et le libre marché des idées, qui consiste à reconnaître que le pluralisme intellectuel, religieux et politique est le facteur agissant d’un ordre social supérieur. La compréhension libérale de la liberté consiste à affirmer que celle-ci est créatrice d’un ordre supérieur. Il s’agit d’un ordre spontané ou auto-organisé.
La compréhension ancienne de la liberté consistait à opposer la liberté à l’ordre. Il fallait donc subordonner la liberté individuelle à un principe hiérarchique et directif. Au contraire, la libre interaction des penseurs, des chercheurs et des agents économiques, indépendante d’une autorité centrale discrétionnaire, agissant par-delà les communautés religieuses, les corporations, les pays, a été la raison principale de la croissance de l’Occident depuis l’ère des révolutions.
Comme le note le professeur Philippe Nemo dans Histoire du Libéralisme en Europe, « jusqu’à ce développement majeur, on pensait la Liberté comme le principe directement antinomique de l’ordre. La Liberté individuelle était censée nuire à l’autorité hiérarchique dont elle désorganisait les plans ou au groupe naturel qu’elle désagrégeait. Les penseurs des temps modernes ont donc compris qu’il existe un autre type d’ordre, au-delà des ordres ‘naturel’ et ‘artificiel’ identifiés depuis les Grecs : l’ordre spontané, un ordre qui vit de Liberté au lieu d’être détruit par elle. » L’optimisme de Mill sur la liberté d’opinion, non réglementée, a parfois été qualifié de déraisonnable ou de naïf. Certains ont objecté, s’appuyant sur une version relativiste ou contextualiste, que la vérité n’est pas une réalité objective préexistante qu’il suffirait de découvrir. D’autres ont dit que les individus n’étaient pas assez rationnels pour être à même de discuter ouvertement et pacifiquement avec les autres.
Mais même en admettant ces hypothèses, le libre échange des idées apparaît encore largement comme le moins inefficace des moyens disponibles pour se prémunir contre l’erreur. En effet, aucun homme, aussi savant soit-il, n’est infaillible, a fortiori un homme politique. Karl Popper écrivait que les gouvernants « ne sont pas toujours capables et sages […] l’histoire a montré que ce sont rarement des hommes supérieurs ». Et il ajoutait : « aucune autorité humaine ne saurait instituer la vérité par décret […] car celle-ci transcende l’autorité humaine. » (Des sources de la connaissance et de l’ignorance)
La seule bonne méthode consiste donc à partir de l’idée que nous pouvons commettre des erreurs et les corriger nous-mêmes ou permettre aux autres de les corriger en acceptant leurs critiques. Elle suppose que nul ne peut se juger lui-même, et que croire en la raison n’est pas seulement croire en la nôtre, mais aussi et peut-être surtout en celle d’autrui. Elle est ainsi consciente de la faillibilité de toutes nos théories et essaie de les remplacer par de meilleures. Cette conception de la vérité repose sur l’idée qu’on ne progresse vers la vérité qu’en renonçant à la certitude selon une démarche négative de réfutation des hypothèses. C’est par la critique de nos erreurs et de nos fausses certitudes que l’on s’approche de la vérité.
« Nos tentatives pour saisir et découvrir la vérité ne présentent pas un caractère définitif mais sont susceptibles de perfectionnement, notre savoir, notre corps de doctrine sont de nature conjecturale, ils sont faits de suppositions, d’hypothèses, et non de vérités certaines et dernières. Les seuls moyens dont nous disposons pour approcher la vérité sont la critique et la discussion. » (Karl Popper, Conjectures et Réfutations. Retour aux présocratiques, Payot, 2006).
Des effets pervers de la censure
La troisième raison de préférer le libre échange des opinions à la censure est une raison politique ou prudentielle. Il convient de souligner les risques de conflits et de violences associés à toute forme de censure. En effet, rendre certaines idées immorales sans se soucier de les contester philosophiquement et politiquement peut s’avérer très dangereux. Car en interdisant les propos haineux, on ne supprime pas la haine raciale ou religieuse. Au contraire, on l’exacerbe en la rendant plus souterraine, plus insidieuse et donc plus difficile encore à combattre. Par ailleurs, la tendance actuelle à restreindre la liberté d’expression, au nom de l’intérêt général, risque fort de se transformer en outil politique pour réduire au silence toute forme d’opposition ou de dissidence. Les États peuvent facilement tirer parti de ces évolutions juridiques comme d’un prétexte pour combattre l’expression de critiques contre leurs gouvernements.
Prenons l’exemple américain : le Patriot Act, voté suite aux attentats du 11 septembre 2001. De la même manière que notre loi de programmation militaire, la liberté des Américains a été restreinte. Le plus de sécurité s’est soldé par moins de liberté… et c’est tout.
Preuve horrible s’il en est, les attentats de Boston n’ont pu être empêchés malgré la surveillance généralisée par les agences gouvernementales. Pire, le gouvernement américain s’est octroyé le droit d’utiliser la loi hors du cadre du terrorisme. En 2013, sur les 11.129 demandes de perquisitions sur la base du Patriot Act, seules 51 visaient des suspects d’actes terroristes. John Stuart Mill faisait remarquer qu’il est très facile d’utiliser une réglementation, a priori inoffensive, pour réduire au silence un adversaire politique. En effet, il est impossible de tracer une frontière a priori entre ce qui est jugé modéré et ce qui ne l’est pas : « Il convient de se tourner un instant vers ceux qui disent qu’on peut permettre d’exprimer librement toute opinion, pourvu qu’on le fasse avec mesure, et qu’on ne dépasse pas les bornes de la discussion loyale. On pourrait en dire long sur l’impossibilité de fixer avec certitude ces bornes supposées ; car si le critère est le degré d’offense éprouvé par ceux dont les opinions sont attaquées, l’expérience me paraît démontrer que l’offense existe dès que l’attaque est éloquente et puissante : ils accuseront donc de manquer de modération tout adversaire qui les mettra dans l’embarras. » Encore une fois, l’enfer est pavé de bonnes intentions… Des limites de la liberté d’expression
1° – L’État ne doit-il pas moraliser la vie publique ?
La moralisation de la vie publique n’est souvent envisagée que par le biais de la loi. Mais n’oublions pas que la loi, c’est l’usage de la force. Le rôle de la loi est simplement de réprimer les agressions, les violences, pas de décider qui, ni quand, ni comment on a le droit de s’exprimer.
En revanche, il y a des règles de civilité qui émergent des pratiques et des coutumes. Ceux qui ne les respectent pas s’exposent au jugement et au blâme du public. C’est de cette manière que Benjamin Constant envisageait la régulation du débat public dans ses Réflexions sur les constitutions et les Garanties :
« Les principes qui doivent diriger un gouvernement juste sur cette question importante sont simples et clairs : que les auteurs soient responsables de leurs écrits, quand ils sont publiés, comme tout homme l’est de ses paroles, quand elles sont prononcées ; de ses actions, quand elles sont commises. L’orateur qui prêcherait le viol, le meurtre ou le pillage, serait puni de ses discours ; mais vous n’imagineriez pas de défendre à tous les citoyens de parler, de peur que l’un d’entre eux ne prêchât le vol ou le meurtre. L’homme qui abuserait de la faculté de marcher pour forcer la porte de ses voisins, se serait pas admis à réclamer la liberté de la promenade ; mais vous ne feriez pas de loi pour que personne n’allât dans les rues, de peur qu’on entrât dans les maisons. » (De la liberté de la presse)
2° – Le droit de propriété, seule limite intrinsèque légitime
En fait, la liberté d’expression est intrinsèquement limitée par le respect du droit de propriété. Cela signifie par exemple que j’ai le droit d’empêcher un homme de coller une affiche sur le mur de ma maison. J’ai le droit de proclamer les opinions qui me tiennent à cœur dans mon journal, sur mon blog, dans mon espace privé. J’exerce mon droit de propriété. Un éditeur ou un groupe de presse est maître de ses choix éditoriaux et de ses publications. Un chef d’entreprise ou un directeur d’école est maître du règlement intérieur de son établissement. Quand on y entre, on accepte ce règlement, sous peine de sanctions. Même chose sur un blog ou un site internet. Chacun peut édicter un règlement en vertu duquel il s’engage à censurer tel ou tel propos jugé déplacé. Autrement dit, dans une société libre, on a le droit de tout dire dans la limite des engagements contractuels que l’on a pris et du respect du droit de propriété. Bien entendu, encore faut-il que l’espace public n’envahisse pas la sphère privée. Lorsque l’État s’approprie tout l’espace, au nom de l’intérêt général, il devient difficile, voire impossible d’exercer un quelconque droit de propriété et, par suite, une liberté d’expression.
Conclusion Il existe de bonnes raisons de croire qu’un environnement libre de toute censure permet non seulement de meilleurs jugements, mais aussi de meilleures personnes, c’est-à-dire des personnes capables d’une plus grande responsabilité morale. Si la libre compétition entre idées concurrentes constitue, d’un point de vue à la fois moral, épistémologique et prudentiel, le meilleur moyen de découvrir la vérité, alors il faut rejeter toutes les interférences étatiques dans le débat public et la communication des idées. L’une des leçons à retenir de la lecture des grands textes libéraux de Tocqueville, de John Stuart Mill, de Benjamin Constant, c’est que les excès de la liberté se combattent par la liberté. Des personnes font certainement un mauvais usage de leur liberté. Mais la réponse à ces abus, c’est toujours d’ouvrir l’espace public de la discussion afin de laisser émerger des critiques, des arguments, des raisons.
Dans l’introduction et le chapitre 10 de La Société ouverte et ses ennemis, Popper indique que la société ouverte se caractérise par un nouveau principe d’organisation sociale basé sur « le primat de la responsabilité individuelle, du libre examen rationnel et critique, qui exige des efforts sur soi-même pour vivre en libre individu dans des rapports pacifiés et détribalisés aux autres. » Une condition de la société ouverte est donc l’institutionnalisation de la critique, qui exige une extension maximale de la liberté d’expression dans la sphère publique.
Chapitre extrait du livre : Libéralisme et liberté d’expression, sous la direction d’Henri Lepage, éditions Texquis, 2015.
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Ce socialisme adoubé d'un extrême à l'autre
Rappelez vous pour certains il y a déjà 15 ans mentionné sur mes blogs, la création d'un genre et ses espèces.
Le Socialopithèque !!
Il se décompose depuis l'ère industriel US:
- Des Inertiopithèques: Précepte d'un ordre établi, conservatisme, traditions, un clivage de droite lui sera ordonné, espèce vieillissante ou l'inertie est omniprésente, républicain. Collectiviste & Étatiste
L'idolâtre un certain feue De Gaulle.
- Mouvance centriste, européiste, fédéraliste
- Des Égalopithèques: Précepte du mouvement/progrès par l'égalitarisme. Collectiviste & Étatiste
Une espèce qui aura phagocyté les premiers libéraux à la révolution de 89/93. Un clivage de gauche leurs seront attribués, du reste qu'ils se sont définis comme donnés. Ils se sont proprement accaparés les racines: sociales et progrès, ce qui leurs permettent de s'identifier socialistes comme progressistes. Ils empruntent le terme Égalité pour conditionner l'égalitarisme, le symbole Liberté par les libertés (pas qu'eux). Un mentor, Engels/Marx, puis en 81 un Dieu idolâtré encore: Mitterrand.
- Des Nationalopithèques: Précepte post-guerrier d'une nation, d'une patrie.
Une espèce autant situé sur tous les clivages. Définie soit populaire, soit populiste, tout deux représentent la "plèbe" !
Ils sont vilipendés par les deux espèces précédente ici par le mot extrême, extrémiste, voire xénophobe, raciste (une réalité pour certains d'entre eux).
Plusieurs mentors aussi différents selon: Staline, Lénine, Mao, Pol pot, Hitler, Castro, Chavez, Ché Guévara ....enfin ils sont nombreux.
Collectiviste & Hyper Étatiste
Des Libéralopithèques: Précepte étatique des libertés
Prône la liberté sans savoir la conjurer de l'État, du socialisme/collectivisme. Absolument pas libéral !
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D'avance merci.
L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...
Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
N'omettez de lire par ailleurs un journal libéral complet tel que Contrepoints: https://www.contrepoints.org/
Al,
PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC.
Merci
L'énarchie serait-elle en manque ?
La suppression de cette école ne sera pas d'actualité, à titre expérimental, des doctorants pourraient constituer une manne évolutive de hauts fonctionnaires !
Cela promet !!
Décret
n° 2018-793 du 14 septembre 2018 instituant à titre expérimental un
concours externe spécial d'entrée à l'Ecole nationale d'administration
réservé aux titulaires d'un diplôme de doctorat
JORF n°0214 du 16 septembre 2018
texte n° 1
Décret n° 2018-793 du 14 septembre 2018
instituant à titre expérimental un concours externe spécial d'entrée à
l'Ecole nationale d'administration réservé aux titulaires d'un diplôme
de doctorat
Publics concernés : candidats aux concours d'entrée à l'Ecole
nationale d'administration, élèves français et étrangers, stagiaires des
cycles préparatoires.
Objet : expérimentation d'un concours externe spécial d'accès à
l'Ecole nationale d'administration, ouvert aux candidats titulaires d'un
diplôme de doctorat.
Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa
publication. L'expérimentation du concours externe spécial commence à
la session 2019 des concours d'entrée à l'ENA.
Notice : le décret prévoit l'expérimentation, pour une durée de
cinq ans, d'un concours externe spécial d'entrée à l'Ecole nationale
d'administration (ENA) réservé aux titulaires d'un diplôme de doctorat
et organisé par spécialités, afin de favoriser le recrutement d'élèves
possédant un haut niveau de compétences scientifiques. En outre le
décret modifie le décret n° 2015-1449 du 9 novembre 2015
relatif aux conditions d'accès et aux formations à l'Ecole nationale
d'administration, notamment concernant les modalités de report des
places non pourvues aux différents concours d'entrée à l'ENA.
Références : le décret et le texte qu'il modifie, dans sa
rédaction issue de cette modification, peuvent être consultés sur le
site Légifrance (http://www.legifrance.gouv.fr).
Le Premier ministre, Sur le rapport du ministre de l'action et des comptes publics, Vu le code de l'éducation, notamment son article L. 612-7 ; Vu le code de la recherche, notamment son article L. 412-1 ; Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, ensemble la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ; Vu l'ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945
modifiée relative à la formation, au recrutement et au statut de
certaines catégories de fonctionnaires, notamment son article 8 ; Vu le décret n° 99-945 du 16 novembre 1999 modifié portant statut particulier du corps des administrateurs civils ; Vu le décret n° 2007-196 du 13 février 2007
modifié relatif aux équivalences de diplômes requises pour se présenter
aux concours d'accès aux corps et cadres d'emplois de la fonction
publique ; Vu le décret n° 2007-1444 du 8 octobre 2007 modifié portant statut particulier du corps des administrateurs de la ville de Paris ; Vu le décret n° 2015-1449 du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d'accès et aux formations à l'Ecole nationale d'administration ; Vu l'avis de la commission administrative paritaire interministérielle en date du 29 mai 2018 ; Vu l'avis du Conseil supérieur des administrations parisiennes en date du 30 mai 2018 ; Vu l'avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat en date du 11 juin 2018 ; Le Conseil d'Etat (section de l'administration) entendu, Décrète :
Chapitre
Ier : Dispositions temporaires instituant à titre expérimental un
concours externe spécial d'entrée à l'École nationale d'administration
réservé aux titulaires d'un diplôme de doctorat
A titre expérimental et pendant une durée de cinq ans à compter du
1er mars 2019, peut être organisé chaque année un concours externe
spécial d'entrée à l'Ecole nationale d'administration, ouvert aux
candidats justifiant, à la date de clôture des inscriptions, du diplôme
de doctorat défini à l'article L. 612-7 du code de l'éducation ou d'une qualification reconnue comme équivalente à ce diplôme dans les conditions fixées par le décret du 13 février 2007 susvisé.
Sous réserve des dispositions spéciales prévues par le présent décret, les dispositions du décret du 9 novembre 2015 susvisé sont applicables au concours externe spécial prévu à l'article 1er, aux candidats à ce concours et à ses lauréats.
Article 3
Le concours externe spécial est organisé par spécialités. Il comprend une ou plusieurs épreuves d'admissibilité et des épreuves d'admission. La
liste des spécialités susceptibles d'être offertes ainsi que la nature,
la durée, les coefficients et le programme des matières des épreuves
d'admissibilité et d'admission sont fixés par arrêté du ministre chargé
de la fonction publique, après avis du conseil d'administration de
l'Ecole nationale d'administration.
Le nombre de places offertes par spécialité au concours externe spécial est fixé par l'arrêté prévu au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 novembre 2015 précité. Pour
l'application du deuxième alinéa de cet article, ces places sont prises
en compte au titre des places offertes au concours externe et au titre
des places offertes aux trois concours. Pour l'application du
troisième alinéa de cet article, il en est également tenu compte dans le
total des places offertes aux trois concours. Pour l'application du
quatrième alinéa de cet article, il ne peut y avoir de report de places
non pourvues des concours prévus aux 1°, 2° et 3° de l'article 1er du décret du 9 novembre 2015 précité
sur le concours externe spécial. Le président des jurys peut, dans les
conditions prévues par ce même alinéa, reporter tout ou partie des
places non pourvues d'une spécialité du concours externe spécial sur
l'une ou plusieurs autres spécialités de ce concours ou sur l'un ou
plusieurs des trois autres concours.
Le jury du concours externe spécial comprend, outre le président,
six à quatorze membres, dont un binôme dévolu à chaque spécialité
ouverte et une personnalité qualifiée dans le domaine du recrutement. Le
président et au moins deux membres du jury sont communs avec les autres
concours d'entrée à l'Ecole nationale d'administration.
Article 8
Au moins deux mois avant l'expiration du délai de cinq ans mentionné
à l'article 1er, le directeur de l'Ecole nationale d'administration
adresse au Premier ministre, après avis du conseil d'administration, un
rapport final d'évaluation. Le rapport est ensuite présenté au Conseil
supérieur de la fonction publique de l'Etat. Ce rapport comporte notamment les éléments suivants : 1°
Le nombre de candidats inscrits au concours externe spécial ouvert aux
titulaires d'un diplôme de doctorat, le nombre de candidats convoqués au
concours, le nombre de candidats présents et le nombre de candidats
absents aux épreuves, en indiquant pour chaque donnée la part des femmes
et des hommes ; 2° Le nombre de candidats admis à l'issue de ce
concours, et, le cas échéant, le nombre de candidats admis ayant ensuite
renoncé au bénéfice du concours ou ayant abandonné la scolarité à
l'Ecole nationale d'administration avant leur première affectation, en
indiquant pour chaque donnée la part des femmes et des hommes ; 3° Les rapports du président des jurys ; 4° Les appréciations portées par les jurys d'évaluation des élèves en fin de scolarité ; 5° L'appréciation de la direction de l'Ecole nationale d'administration sur la scolarité de ces élèves ; 6°
Les emplois occupés par les anciens élèves recrutés par la voie du
concours externe spécial en fonction et les appréciations portées par
leurs employeurs. Il fait état, le cas échéant, des contestations et des contentieux auxquels l'expérimentation a donné lieu. Ce
rapport propose au Premier ministre le maintien, avec ou sans
limitation de durée, du concours externe spécial en l'assortissant de
modifications éventuelles, ou l'abandon de cette mesure.
Chapitre
II : Dispositions à caractère permanent modifiant le décret n°
2015-1449 du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d'accès et aux
formations à l'École nationale d'administration
Article 10
Le décret du 9 novembre 2015 précité est ainsi modifié : 1° Au
quatrième alinéa de l'article 2, les mots : « dans la limite du dixième
des places offertes à ce concours » sont remplacés par les mots : « dans
la limite de trois places offertes à ce concours » ; 2° A la
première phrase de l'article 23 et de l'article 35, après les mots : «
l'Ecole nationale d'administration », sont insérés les mots : « ou de la
Banque de France ou d'établissements publics assurant pour les agents
de la fonction publique une formation statutaire initiale dont les
stagiaires du cycle préparatoire ont réussi un des concours » ; 3° A l'article 36, les mots : « chaque année » sont remplacés par les mots « et actualise » ; 4° Au dernier alinéa de l'article 40, la référence au II de l'article 38 est remplacée par la référence au III de l'article 38.
Article 11
Le ministre de l'action et des comptes publics et le secrétaire
d'Etat auprès du ministre de l'action et des comptes publics sont
chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret,
qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait le 14 septembre 2018. Edouard Philippe Par le Premier ministre : Le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin Le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'action et des comptes publics,
L'énarchie désigne le gouvernement de la France par les énarques, hauts fonctionnaires sortis de l’École nationale d’administration (ENA).
Le terme péjoratif d'énarchie a été forgé par Jean-Pierre Chevènement
(sous le pseudonyme de « Jacques Mandrin ») dans son livre L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise (1967).
L’École nationale d’administration est une grande école française créée en 1945 pour démocratiser l'accès à la haute fonction publique de l'État. La "nécessité" d'une telle école trouve son origine dans le Régime de Vichy, qui inaugure déjà une prise de pouvoir de la technocratie, formalisée ensuite à la Libération avec la création de l'ENA :
L’originalité du Régime de Vichy est aussi l’arrivée en force de
« technocrates », hauts fonctionnaires vite promus et qui rêvent de
mettre en œuvre, sans contre-pouvoirs, leur programme de modernisation.
(Jean-Marc Dreyfus, Dictionnaire de la Shoah, Larousse, 2015)
Ce système rappelle le système du mandarinat en Chine,
qui dura de 605 à 1905 : une sélection (examens mandarinaux)
déterminait qui de la population pouvait faire partie de la bureaucratie
d'État. Ce système de recrutement par concours dans la fonction
publique est inspiré des examens impériaux, ayant été ramené de Chine
par les Jésuites, qui l'avaient adopté dans leurs écoles avant d'être
repris et généralisé par Napoléon afin de créer une nouvelle élite destinée à remplacer celle de l'Ancien Régime.
Pour Bernard Zimmern,
le premier triomphe de l'énarchie date de la présidence de Valéry
Giscard d’Estaing en 1974. La haute administration française « ignore ce
qu’est réellement une entreprise, forme de beaux parleurs, brillants,
mais des gestionnaires incapables. »
Critiques
l'énarchie favorise l'endogamie oligarchique des élites françaises (cooptation des anciens élèves au sein de la sphère publique, parapublique et privée) ;
l'ENA ne forme pas des spécialistes mais des hauts fonctionnaires
qui seront parachutés à la tête des grandes entreprises nationales sans
expérience de la gestion d’une entreprise ;
elle ne favorise ni la mixité sociale ni l'efficacité ;
comme cela se produisit dans le système de mandarinat chinois, les
membres de l'élite (les "lettrés") passent davantage de temps à chercher
à accroître leur influence et à se combattre entre eux qu'à permettre
aux libertés de progresser dans le pays ;
le "paritarisme", hérité du programme politique du CNR, conduit à
une gestion de type soviétique de tous les organismes publics et
parapublics, où les hauts fonctionnaires n'ont pour interlocuteurs que
les syndicats ; cette gabegie généralisée (gaspillages, grèves...) se fait sur le dos du contribuable.
Bibliographie
1967, L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise, Jacques Mandrin (Jean-Pierre Chevènement), La Table ronde de Combat
2007, Les Lunettes à Frédéric, ou : le Voyage au bout de l’État, Emile Jappi (René de Laportalière), éd. du Chef-d'oeuvre
2012, Promotion Ubu roi - mes 27 mois sur les bancs de l'ENA, Olivier Saby, Flammarion
2015, La ferme des énarques, Adeline Baldacchino, Michalon
2017, Ce que doit faire le prochain président (chapitre 10 : Supprimer l'Éna), Agnès Verdier-Molinié, Albin Michel
L'omnipotence napoléonienne de l'Etat fut longtemps, en France,
tempérée par l'inefficacité bonasse des fonctionnaires. (...) La
création, en 1945, de l'Ecole Nationale d'Administration a changé tout
cela. Détournant le courant des forts en thème de l'enseignement des
Lettres au lycée de Bourg-en-Bresse, elle l'a précipité dans les canaux
desséchés de ce grand corps assoupi mais si consubstantiel à la nation :
l'Administration. (Jean-Pierre Chevènement, 1967)
C'est l'Énarque qui représente maintenant dans notre pays le
visage quotidien du pouvoir. (...) Comme autrefois le latin dans
l'enseignement secondaire, l'agilité verbale est ici devenue une fin en
soi de l'enseignement parce qu'elle est un critère et un attribut
social. (Jean-Pierre Chevènement, 1967)
Le but essentiel du processus de sélection est de trier les
gens en fonction de leur total manque d’originalité et de leur capacité
à apprendre et à répéter des enseignements dont personne en dehors
d’eux ne peut comprendre l’intérêt. Voila qui est absolument nécessaire
quand l’on veut choisir des gens sans originalité qui devront suivre des
règles établies en dehors d’eux, sans poser de questions. (...) Le non
sequitur de base en France est : "Je suis sorti premier de
l’ENA, donc je suis plus intelligent que vous qui n’avez pas fait
d’études", ce qui est loin d’être certain. (Charles Gave, 2013)
La caste technocratique, à la différence des autres, n'a aucune
légitimité. La France n'avait pas besoin d'énarques. Ils se sont
emparés du pouvoir à la faveur d'une erreur historique du général de Gaulle,
qui s'est tout simplement trompé d'époque, même si l'on peut
comprendre, à la lumière du passé récent de la France, pourquoi il l'a
commise. Et s'ils sont devenus féroces, c'est parce qu'ils savent bien,
au fond d'eux-mêmes, qu'ils sont des imposteurs. Leur pouvoir ne repose
sur aucun support historique, sur aucun soubassement économique ou
culturel, sur aucun service rendu au pays par leurs ascendants au fil
des siècles. C'est un pouvoir arbitraire et cupide, artificiellement
plaqué sur le pays et qu'il conduit à sa perte. Sans aucun scrupule, il
adopte pour seuls moyens de gouvernement ceux qui ne visent qu'à
abaisser le peuple, à le priver de sa liberté et de sa dignité. Ces gens
sont allés trop loin pour reculer. Ils sont bien décidés à garder le
pouvoir de toutes les façons possibles, fût-ce au prix d'une lutte à
mort. Et ce sont de tels "partenaires" que les membres du camp de la
liberté veulent influencer de l'intérieur ! (...) Il est donc évident
que les énarques de droite n'ont pas d'autre choix, pour garder leur
pouvoir et leurs privilèges, que d'utiliser le meilleur outil qu'ils
puissent trouver à cet effet, la dictature socialiste. (Claude Reichman, Le secret de la droite, 2003)
Puisque l'économie semblait vouloir leur échapper, il ne leur
restait plus qu'à l'investir. Ce qu'ils firent sans aucune difficulté.
Pour une entreprise ayant des relations quotidiennes avec
l'administration et travaillant peu ou prou pour l'Etat, l'engagement, à
sa direction, d'un "grand commis" paraît, au début, une excellente
affaire. Muni d'un bon carnet d'adresses, où figurent ses pairs et
compagnons demeurés au sein des cabinets ministériels et de la haute
administration, l'énarque devenu patron fait merveille pour desserrer
les contraintes et décrocher les marchés. Son pouvoir régalien s'est
certes réduit, mais il bénéficie d'une rémunération sans commune mesure
avec celle d'un haut fonctionnaire et il prend goût à une vie où il peut
jouir d'un confort qu'il n'avait jamais connu jusque là. Il n'a
d'ailleurs pris aucun risque en quittant l'administration, puisqu'il
peut y revenir quand il veut. La règle vaut tout aussi bien pour
l'énarque devenu député que pour celui qui s'est dirigé vers
l'entreprise. Le sein douillet de la fonction publique est prêt à le
recueillir à tout moment. Il aura même monté en grade pendant son
absence. Cette disposition en apparence secondaire est en fait
essentielle pour comprendre la facilité avec laquelle les énarques se
sont emparés de tous les rouages politiques du pays. (Claude Reichman, Le secret de la droite, 2003)
La première promotion de 1946-1947 comptait 86 énarques. La
France en compte environ 5.000 aujourd'hui et, durant ce laps de temps,
la dépense publique est passée de 35% à 57% du PIB. Selon les
statistiques de la promotion Léopold Sédar Senghor, 27,7% des postes des
grands corps de l'État (Cours des comptes, Conseil d'État, inspection
des finances) sont occupés par des enfants d'énarques. (...) L'ENA est
bien le symbole de cette idée que l'État et les administrations
publiques en général (centrales, locales et sociales) sont toujours
légitimes quoi qu'ils fassent. La seule idée d'évaluer vraiment leur
missions ou actions équivaut à remettre en question la nécessité même de
leur existence. (Agnès Verdier-Molinié, Ce que doit faire le prochain président)
Comme tous ceux qui avaient reçu ma formation et suivi mon
parcours professionnel, c’était inconsciemment que j’étais devenu un
homme malfaisant. (René de Laportalière, Les Lunettes à Frédéric, ou : le Voyage au bout de l’État, 2007)
J'aimerais mieux que mon fils apprît aux tavernes à parler,
qu'aux écoles de la parlerie. (...) Hors de ce batelage, ils ne font
rien qui ne soit commun et vil. Pour être plus savants, ils n'en sont
pas moins ineptes. (Montaigne, Essais)
Il ne sait rien ; il croit tout savoir — cela présage clairement d'une carrière politique. (George Bernard Shaw)
La grande spécificité de ces établissements d’enseignement est
qu’ils étaient les premiers à ne plus former des individus
intellectuellement pour les préparer à exercer des métiers de services
divers (juridiques, médicaux, financiers...) mais pour les préparer à
gouverner. Par ce réseau d’établissements, la France espérait produire
une élite destinée exclusivement au gouvernement : les technocrates.
Fort naturellement, cette élite se retrouva immédiatement en concurrence
avec les élites politiques traditionnelles de la Troisième République :
les professions libérales. (...) Par conséquent, depuis soixante
dix-ans, l’on a progressivement remplacé une élite de producteurs, au
sens économique, par une élite de prédateurs, substitué au gouvernement
de ceux qui par nature font autre chose le gouvernement des gens qui ne
savent rien faire d’autre que gouverner. Et cette mutation se manifeste
clairement lorsque l’on compare, comme nous l’avons fait, les résultats
de la IIIe République et ceux de la Ve. (Philippe Fabry, 22/10/2015)
« Inaptocratie : un système de gouvernement où les moins
capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où
les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes
ou à réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont
été payés par la confiscation de la richesse et du travail d'un nombre de producteurs en diminution continuelle. »
L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Sommaire:
A) L’impossible monarchie libérale: La Restauration et la Monarchie de Juillet - Gérard-Michel Thermeau - Mélanges en l’honneur des deux républiques françaises via Contrepoints
B) Qui se souvient du 4 juin 1814 ? - Par PABerryer - Contrepoints
C) Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 de Wikiberal
D) « Dessine-moi un roi » - Philippe Mesnard - journal L’Action Française
E) Monarchie de Wikiberal
F) Libéralisme : Histoire de l’école de Paris - Par Michel Leter - Institut Coppet
G) De la supériorité économique de la Monarchie - Hans-Hermann HOPPE - Lux de 33.royaliste
H) « Ils commencent à me gonfler tous avec la République » - Antonin Benoit - Rue 89
A) L’impossible monarchie libérale: La Restauration et la Monarchie de Juillet
Cette tentative de fonder une monarchie constitutionnelle à l’anglaise,
de faire un « 1688 » légitime n’a pas réussi à fonctionner correctement.
Comment terminer la Révolution française ? Telle est la question que se pose Guizot, la plus importante figure intellectuelle de cette période qui va de la chute de Napoléon à la fuite de Louis-Philippe.
Il ne s’agit pas de refaire 1789 : à ses yeux, l’égalité civile et la
société moderne relèvent de l’évolution historique de la civilisation en
Europe. Il s’agit de trouver un gouvernement politique stable et libre
accordé à cette société nouvelle. Comme le soulignait Royer-Collard dans un discours de janvier 18221 : « la
Révolution n’a laissé debout que les individus (…) de la société en
poussière est sortie la centralisation (…) En effet, là où il n’y a que
des individus, toutes les affaires qui ne sont pas les leurs sont des
affaires publiques, des affaires de l’État. » Dès lors, quels freins opposer à l’action de l’État et à l’obéissance des citoyens ?
Si les classes dirigeantes sont d’accord sur la nécessité d’avoir des
institutions à la fois monarchiques et libérales, elles ne partagent ni
les mêmes sentiments ni les mêmes idées. Les uns sont dominés par la
nostalgie de l’ancienne France et rejettent ce que les autres acceptent,
soucieux d’une synthèse entre le passé national et 1789. La Restauration et la Monarchie de Juillet
illustrent à leur façon ces deux visions irréconciliables. La monarchie
de propriétaires devait se révéler un rêve impossible. Loin de terminer
la Révolution, les tentatives de réussir un « 1688 » à la française
vont contribuer à la revitaliser.
Les épisodes de 1814-1815 illustrent plus que tout long discours en
quoi le quart de siècle révolutionnaire et impérial est irréversible et
rend impossible tout espoir de « renouer avec la chaîne des temps ».
En 1814, les Bourbons ne bénéficient d’aucun appui populaire ou
politique. Les Cent Jours illustrent la fragilité du compromis et
laissent « voir la vigueur des enracinements idéologiques et politiques2 ».
Napoléon lui-même a contribué à consacrer le système représentatif par
son alliance avec les libéraux. La toute puissance momentanée de Fouché
lors de la seconde Restauration3 « atteste, bien au-delà de son caractère éphémère, à quel point le pouvoir royal est coupé du peuple ».
Les « purs » royalistes, ceux que leurs adversaires vont qualifier d’Ultras, partagent cependant l’illusion que la France était de nouveau royaliste : « les
eaux du cataclysme révolutionnaire maintenant retirées, la colère
divine apaisée, l’arc-en-ciel de la réconciliation entre le roi et ses
sujets va désormais éclairer les destinées du pays4 ».
Les Ultras souhaitent un ordre monarchique et religieux et refusent l’idée même de la Charte.
Ils disposent d’une majorité écrasante dans la Chambre dite Introuvable
élue en 1815. Cette noblesse de province qui n’a pas pardonné à la
grande noblesse d’avoir conduit la monarchie à sa perte en 1789 ne peut
accepter un compromis entre l’ancien régime et la révolution : peut-on
transiger avec le mal ? Surtout, le principe même d’une constitution
écrite, héritage du rationalisme et du volontarisme révolutionnaire,
leur fait horreur.
Contre le « régime arbitraire et abstrait » issu de 1789,
ils opposent l’expérience des siècles, la notion idéalisée d’une
évolution lente conformément aux lois naturelles. Pour eux, la
révolution n’a été qu’une parenthèse, un accident malheureux et il
s’agit de retrouver la monarchie d’avant l’absolutisme,
dans la redécouverte d’un Moyen-Âge idéalisé, âge d’or s’étendant de
Saint-Louis rendant la justice sous son chêne au bon roi Henri5.
Soucieux des anciennes libertés, ils rejettent sincèrement le
despotisme dont ils dénoncent les instruments : la conscription,
l’Université6 et la centralisation administrative.
Néanmoins, ils défendent un royalisme parlementaire, voire populaire.
En 1815, ils sont les premiers à soutenir que le roi est tenu de
prendre ses ministres dans la majorité. Selon La Bourdonnaye, « nier le prérogative de la Chambre, c’est nier le gouvernement représentatif lui-même ». Leurs grands écrivains sont Chateaubriand et surtout le vicomte de Bonald, leurs idées sont diffusées par les journaux : la Gazette de France, la Quotidienne, le Journal des Débats et le Drapeau blanc.
Le comte d’Artois, frère du roi, est le chef du parti qui se montre
très discipliné à la Chambre, sous l’influence de la société secrète des
Chevaliers de la Foi.
Au moment de la première abdication de Napoléon, le marquis de Maisonfort s’étant écrié joyeusement : « Sire ! Vous êtes roi de France », Louis XVIII avait répondu : « Est-ce que j’ai jamais cessé de l’être ? »7
La Restauration paraît renouer en apparence avec l’Ancien Régime,
dans le préambule de la Charte, le roi affirme être dans la
dix-neuvième année de son règne, revendique toute la légitimité dans la
continuité du droit divin, rappelle les « funestes écarts » de la Révolution et « octroie » à ses « sujets »
le texte constitutionnel. En réalité le texte est libéral,
reconnaissant les principes de 89 : égalité civile devant la loi, les
principales libertés et les acquis plus matériels de la période
révolutionnaire et impériale, des achats fonciers aux titres nobiliaires
récents. Le code civil, l’organisation administrative, le Concordat de
1801 sont maintenus à la grande indignation des Ultras. Loin de remettre
en cause l’œuvre de la Révolution, la Restauration contribue à
enraciner la centralisation voire la laïcisation de l’État tout en
permettant l’acculturation du régime représentatif et parlementaire.
En votant le bannissement des régicides, en célébrant le 21 janvier
la mort du « roi martyr » puis Madame Elisabeth, Marie-Antoinette et le
duc d’Enghien, les députés font revivre les malheurs de la monarchie,
inscrivant la royauté restaurée dans le calendrier de la Révolution
comme le note François Furet8 : « cette expiation collective ravive la mémoire de la Révolution plus que la tradition de la monarchie ».
Le décret du 5 septembre 1816 dissout la Chambre introuvable. La loi
électorale du 8 février 1817 prévoit des élections partielles pour
renouveler par cinquième la Chambre et surtout permet au gouvernement
d’agir sur les électeurs aux dépens des Ultras9. Louis XVIII justifie ainsi sa politique auprès de son frère10 :
« Le
système que j’ai adopté et que mes ministres suivent avec persévérance
est fondé sur cette maxime qu’il ne faut pas être le roi de deux
peuples, et tous les efforts de mon gouvernement tendent à faire que ces
deux peuples, qui n’existent que trop, finissent par en former un seul ».
Mais les Ultras reviennent au pouvoir après le départ de Richelieu en décembre 1821 avant de dominer la « Chambre retrouvée »
suite aux élections de 1824. La mort de Louis XVIII (16 septembre 1824)
amène sur le trône celui qui passe pour le chef du parti. Le sacre de
Charles X (28 mai 1825) achève de donner l’image d’une alliance trop
étroite entre politique et religion. L’opposition ne va cesser de jouer
sur le thème de l’anticléricalisme pour discréditer le règne, dénonçant
l’ultramontanisme, le jésuitisme et le règne de la Congrégation, vue
comme une société secrète visant à établir une théocratie. En août 1829,
Jules de Polignac devient le chef d’un gouvernement qui s’efforce de
rassembler toutes les nuances de la droite royaliste mais qui déchaîne
l’hostilité de l’opposition. Pour le Journal des Débats, « voilà encore la cour avec ses vieilles rancunes, l’émigration avec ses préjugés, le sacerdoce avec sa haine de la liberté ».
Pourtant, Charles X, présenté rituellement comme le « paladin infatigable de la Contre-Révolution depuis 178911 » estime l’Ancien régime « impossible, archi-impossible » confiant à son cousin Orléans, le 14 juin 183012 : « moi
qui suis plus vieux que vous, et qui ai mieux vu l’ancien régime que
vous, je vous dit que s’il était possible il ne serait pas désirable. » Pour le dernier roi Bourbon, « hors de la charte, point de salut ».
Les mesures maladroites de Charles X, brave homme mais médiocre
politique, donnent à ses opposants l’impression d’un retour à une
monarchie chrétienne et absolue. Surtout, l’alliance du Trône et de
l’Autel ressuscitait le spectre de la Contre-Révolution. Or, l’Église
catholique, au travers des missions, s’était lancée dans la reconquête
des esprits à travers un catholicisme de repentance politique condamnant
la Révolution française.
Les libéraux forment l’aile marchante de la critique du régime et
groupent tous les mécontents de cette politique cléricale et
réactionnaire. Sous le nom d’Indépendants, ils rassemblent républicains,
bonapartistes et orléanistes. La Maçonnerie les inspire. Le cerveau du
parti est Benjamin Constant, le drapeau, Lafayette et le bailleur de fond, Laffitte. Leurs journaux sont le Constitutionnel et le Journal du Commerce. Les romantiques, qui avaient d’abord célébré la catholicité et la monarchie, glissent peu à peu vers la gauche à l’image de Victor Hugo qui écrit dans la préface d’Hernani, dénonçant les « ultras de tout genre », que « le romantisme n’est à tout prendre que le libéralisme en littérature ».
Les Ultras ne sont pas les seuls à se tourner vers le passé : l’histoire est à la mode. En 1818, l’ouvrage posthume de Germaine de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, qui vise à refaire une seule histoire en amont et en aval de 1789, autour d’une tradition de liberté13, connaît un grand retentissement et pour sa fille Albertine de Broglie, dans une lettre à son ami Barante en 1825, « l’histoire est la muse de notre temps ». En 1823 paraît le premier volume d’une Histoire de la Révolution, qui devait en compter dix, par Adolphe Thiers, où le ton objectif révèle néanmoins les sympathies de l’auteur pour la société nouvelle14.
C’est l’historien de la Révolution qui est élu à l’Académie française
en 1834 comme Thiers devait le dire dans son discours de réception15 :
« J’ai
consacré dix années de ma vie à écrire l’histoire de notre immense
révolution ; je l’ai écrite sans haine, sans passion, avec un vif amour
pour la grandeur de mon pays ».
Guizot reprenant
son cours à la faculté en 1820 expose l’histoire des origines du
gouvernement représentatif en Europe. C’était tirer les conséquences
politiques, sociales et morales de la Révolution française : la victoire
de la classe moyenne sur la noblesse et l’organisation du gouvernement
représentatif, mouvement de l’histoire irréversible. C’est bien ainsi
que l’entend Villèle qui suspend dès octobre 1822 ce cours d’histoire
moderne aux accents trop politiques. S’il n’écrit pas d’histoire de la
Révolution, Guizot ne cesse de revenir sur le sujet.
En 1816, il note dans la préface de sa traduction d’un ouvrage de Frédéric Ancillon16 : « Il
est impossible d’entendre sans effroi tant de gens répéter : « la
révolution est finie ». Comme si une révolution pouvait finir à jour
fixe et par l’effet magique d’un seul événement ! (…) nous avons déjà vu
finir trois ou quatre révolutions et nous en avons vu renaître de
nouvelles ». Dans sa brochure de 1820, Du gouvernement de la France depuis la Restauration, il revendique la révolution :
« la
révolution, amenée par le développement nécessaire d’une société en
progrès, fondée sur des principes moraux, entreprise dans le dessein du
bien général, a été la lutte terrible, mais légitime, du droit contre le
privilège, de la liberté contre l’arbitraire ».
La comparaison avec la révolution anglaise s’est imposée dès 1819 avec l’Histoire de Cromwell d’Abel Villemain tandis qu’en 1826 paraissent conjointement le premier volume de l’Histoire de la Révolution d’Angleterre de Guizot et l’essai de politique historique de Chateaubriand consacré aux Quatre Stuarts destiné à « faire
sentir les principales ressemblances et différences des deux
révolutions, de la révolution de 1640 et de 1688 et de la révolution de
1789 et de 1814 ». Les libéraux français sont fascinés par le
dénouement heureux d’une révolution marquée par le régicide, la
surenchère égalitaire, la dictature d’un homme et la restauration du
trône.
Au moment des Trois Glorieuses, le souvenir de l’été 1789 flotte et
permet de comprendre le comportement des uns et des autres. Charles X,
persuadé que seule la faiblesse a perdu Louis XVI,
refuse de céder. Les parlementaires, soucieux de ne pas être débordés
par la populace et d’éviter d’être dévorés par la révolution, ont
cherché jusqu’au bout le compromis avant d’adopter une solution de
rechange. Mais Charles X, en violant des articles de la Charte, devait
se jeter lui-même au bas du trône. L’insurrection, quoiqu’il en soit,
n’a pas été spontanée et le roi a le sentiment que « l’esprit de la révolution subsiste tout entier dans les hommes de la gauche » qui se dissimulent sous le paravent de la défense de la Charte.
Lors des journées de juillet, les trois couleurs qui flottent sur
l’Hôtel de ville et les tours de Notre-Dame déclenchent une intense
émotion dans la population.
Juillet 1830 rejoue juillet 1789 mais avec des acteurs qui souhaitent
éviter 93, haïssant l’aristocratie mais craignant les classes
populaires. Le 31 juillet, La Fayette,
éternel velléitaire, redoutant une république jacobine et terroriste,
embrasse sur le balcon de l’Hôtel de ville le duc d’Orléans, dans les
plis du drapeau tricolore, légitimant par ce « baiser républicain » la monarchie constitutionnelle.
Le mot prêté à La Fayette, « la meilleure des républiques », n’est pas seulement un slogan. Pour les orléanistes,
le roi n’est plus le roi, les institutions l’emportent sur la
dénomination du régime. La personne du roi et la Nation sont désormais
totalement dissociées. Avec Charles X quittant le pays par petites
étapes, recevant les hommages de ses fidèles sur sa route, disparaît
réellement et sans gloire le principe monarchique. Selon la formule
vigoureuse de Guy Antonetti17, « la
couronne, jetée aux pieds des barricades par les insurgés parisiens, a
été ramassée et emballée dans du papier journal par Thiers et ses amis ». Chateaubriand
dans son ultime discours à la Chambre des Pairs, le 7 août 1830, où il
refuse de voter en faveur du nouveau pouvoir, en tire la conclusion : « la monarchie n’est plus une religion. »
Dès sa proclamation du 31 juillet 1830, Louis-Philippe avait reconnu tenir sa lieutenance générale des « députés de la France ». Le Journal des Débats note avec satisfaction, le 10 août : « 1830 vient de couronner 1789 ». Le préambule de 1814 est supprimé de la Charte « comme blessant la dignité nationale ».
Le nouveau roi ne sera pas Philippe VII mais Louis-Philippe, pour bien
marquer la rupture ; roi des Français comme Louis XVI en 1791 et non Roi
de France et de Navarre. « Le peuple paraît enchanté d’avoir un roi, et surtout de l’avoir fait lui-même » note finement Cuvilier-Fleury18.
Louis-Philippe devait être le seul monarque de son temps à vivre sans
cour avec ses services civils et militaires et ses charges
prestigieuses. Pour les salons du faubourg Saint-Germain, il n’est que
Fipp Ier roi des épiciers. Plus profondément, Bonald, dans Réflexions sur la Révolution de 1830,
se refuse à voir une monarchie dans un pouvoir né d’une révolution,
sans aristocratie, sans religion d’État, sans distinction d’ordres.
Tandis que Chateaubriand dans les Mémoires d’Outre-Tombe relevait : « Juillet portera son fruit naturel : ce fruit est la démocratie ».
En dépit de son orgueil, soigneusement dissimulé, Louis-Philippe se
présentait comme le fils de Philippe-Égalité, le conventionnel régicide
(« il a été fort calomnié, c’était un homme très respectable »).
Jeune prince, Louis-Philippe ne s’était-il pas battu à Valmy et
Jemmapes ? Avec lui, la monarchie cesse d’être sacrée pour devenir
laïque, le roi des Français, premier magistrat de la nation, prête
serment à la Charte révisée
en présence des pairs et des députés. Dans la salle des délibérations
du Palais-Bourbon, drapée de tricolore, aucun symbole religieux ne
figure. Le 15 août, dans l’esprit de 1789, le roi enlève au culte
l’église Sainte-Geneviève pour lui rendre sa destination de Panthéon
dédié aux « grands hommes » par la « Patrie reconnaissante ».
Devant la persistance de l’agitation entretenue par les clubs populaires, Guizot, ministre de l’Intérieur, exprime, six semaines seulement après les débuts du régime, une volonté de « résistance » au « mouvement ».
Les 17 et 18 octobre les émeutiers réclamant la tête des ministres de
Charles X envahissent le Palais Royal et marchent sur Vincennes. Faisant
mine de céder au mouvement pour mieux le discréditer, Louis-Philippe
appelle Laffite
à former un nouveau cabinet. À la fin du mois de décembre, les vieilles
reliques de l’époque révolutionnaire, La Fayette et Dupont de l’Eure,
sont cependant écartés. Les 14 et 15 février, l’émeute triomphe : un
service funèbre pour l’assassinat du duc de Berry à
Saint-Germain-l’Auxerrois apparaît comme une intolérable provocation aux
révolutionnaires de juillet qui saccagent l’église puis l’évêché avant
d’arracher dans tout Paris les croix fleurdelisés. Le président du
Conseil, qui ne veut pas d’ennemi à gauche, réclame alors la suppression
des fleurs de lys sur le sceau de l’État, les bâtiments officiels et
les carrosses. Le désordre va régner dans la rue en permanence jusqu’à
la chute de Laffite.
Dès mars 1831, la résistance l’emporte sur le mouvement et
le régime va prendre une coloration clairement conservatrice même si
cette conservation s’inscrit dans l’héritage de 1789. Comme le souligne
Guizot dans son grand discours du 5 mai 183719 :
« la
nation française n’a pas entendu vivre toujours en révolution comme
elle a vécu pendant vingt ans (…) J’accepte 1791 et 1792 ; les années
suivantes même, je les accepte dans l’histoire, mais je ne les veux pas
dans l’avenir ».
Les attentats contre le roi entrainent
l’annulation de la cérémonie prévue pour l’inauguration officielle de
l’arc de triomphe, le 29 juillet 1836, dont les hauts-reliefs célèbrent
les victoires de la Révolution et de l’Empire, notamment Jemmapes si
cher au cœur du roi20.
En revanche, le roi paraît lors de l’érection de l’obélisque de
Louqsor sur la place de la Concorde : installant ce monolithe inoffensif
pour tout le monde sur l’ancienne place de la Révolution où trônait le
rasoir républicain et où la duchesse d’Angoulême avait voulu
entreprendre un monument à la mémoire du roi-martyr, c’était l’occasion
d’exorciser les démons diviseurs qui risquaient de la hanter longtemps
encore 21.
L’inauguration du musée de Versailles (10 juin 1837) avec sa galerie
des Batailles, depuis Tolbiac en 496 jusqu’à Wagram en 1809, insère
ainsi la Révolution française dans l’évolution historique de la France, mettant « 1789 vis-à-vis de 1688 » pour reprendre le mot de Victor Hugo. Enfin, la translation des « cendres » de Napoléon, de Sainte-Hélène aux Invalides, est l’œuvre de Thiers qui voit l’occasion d’achever la réhabilitation de la Révolution et pour Louis-Philippe de montrer que c’est bien la « monarchie de 1830 » qui a « rallié toutes les forces et concilié tous les vœux de la Révolution française »22. Après avoir exproprié les légitimistes de Versailles, le tour est venu des napoléonistes.
Thibaudet a dit : « l’orléanisme, ce n’est pas un parti c’est un état d’esprit ». Le parlementarisme est cet état d’esprit : les articles 16 et 17 de la Charte révisée attribuent aux Chambres l’initiative des lois, jusqu’alors réservée au roi seul. Ses piliers sont la Sorbonne et le Journal des Débats. Son libéralisme est avant tout philosophique et politique23,
son rationalisme et son relativisme ne sont pas dénués
d’anticléricalisme mais sans sectarisme. Ce rationalisme éclairé
respecte infiniment les valeurs spirituelles. Le compromis est érigé en
règle de gouvernement.
Avec ce régime de « juste milieu », qui refuse les extrêmes, l’orléanisme vise à réconcilier les Français. Le suffrage censitaire,
même élargi en 1831, se réduit à une très faible minorité : 240 000 en
1846 pour un pays de 35 millions d’habitants, soit un électeur pour 150
habitants contre un électeur pour 30 habitants en Grande-Bretagne24. Passant en revue la Garde nationale de Paris, les contribuables en uniforme, Louis-Philippe dit à La Fayette : « cela vaut mieux pour moi que le sacre de Reims ! »
Tocqueville a exprimé avec un dégoût aristocratique cette vision du régime25 :
« la
classe moyenne qu’il faut appeler la classe gouvernementale, s’étant
cantonnée dans son pouvoir et, bientôt après, dans son égoïsme, le
gouvernement prit un air d’industrie privée ».
Loin de se cantonner à la grande bourgeoisie, le régime recrute dans la noblesse ancienne (Molé, Pasquier, Broglie) et nouvelle (Soult, Mortier)26
tout comme dans les talents issus de la presse ou de l’Université
(Thiers, Cousin, Guizot). En somme, c’est le gouvernement des élites, le
temps des notables.
Pour l’opposition parlementaire, la révolution est loin d’être
terminée. Un compte-rendu de réunion parlementaire rédigé chez Laffite
sous l’impulsion d’Odilon Barrot adopte des termes très durs le 28 mai 183227 :
« La Restauration et la Révolution sont en présence, la vieille lutte que nous avons crue terminée recommence ».
L’opposition prend aussi la forme d’une société secrète, la Société des droits de l’homme et du citoyen d’inspiration jacobine, certaines sections portant les noms évocateurs de Robespierre, Marat, 21 janvier, Guerre aux châteaux et Babeuf .
Elle joue son rôle dans l’insurrection des canuts lyonnais (les ordres
du jour sont datés du 22 germinal an XLII !) et l’émeute parisienne
d’avril 183428.
L’opposition républicaine revendique la souveraineté du peuple dans
l’héritage de la Révolution. Thiers la récuse le 16 mai 1840 :
« c’est le principe le plus dangereux et le plus funeste qu’on puisse alléguer en présence d’une société ».
Guizot la redoute également, lui qui affirmait dès 1820, dans sa brochure Du gouvernement de la France :
« Je ne crois ni au droit divin ni à la souveraineté du peuple (…) Je ne puis voir là que des usurpations de la force. » Pour lui, la raison s’incarne dans « une certaine situation sociale fondée sur la propriété industrielle et territoriale ».
Elle se manifeste aussi plus prosaïquement dans le corps des
fonctionnaires, qui fournit 40 % des députés, et qui, ne percevant pas
d’indemnité parlementaire, sont amenés à ménager le gouvernement29
tout comme dans la pratique ordinaire de la corruption, pour obtenir
des votes favorables des députés hésitants en octroyant places, bourses,
décorations, marchés de fourniture, etc. Le refus d’un élargissement du
suffrage censitaire s’explique en grande partie par la crainte de
favoriser ainsi les opposants légitimistes, républicains et
bonapartistes.
Cette Révolution, que le régime prétend réduire à 1789 en effaçant
autant que possible la souveraineté du peuple, revient en force dans sa
version maximaliste sous les plumes bonapartistes et jacobines. Pour le
cinquantenaire de 1789, le prétendant Louis-Napoléon, publie une brochure, les Idées napoléoniennes.
L’immobilisme guizotien favorise ensuite la surenchère révolutionnaire.
L’opposition révolutionnaire aux Orléans réclamant la république se
tourne vers 1793.
Ainsi, 1847 voit la sortie simultanée des premiers volumes de l’Histoire de la Révolution française de Louis Blanc et de Jules Michelet, de l’Histoire des Girondins de Lamartine et de l’Histoire des Montagnards
d’Esquiros. Le socialiste Blanc critique 89 et l’individualisme
bourgeois pour mieux glorifier la Montagne et la fraternité socialiste,
Lamartine fait l’apologie de la Révolution sainte et nécessaire jusqu’à
Thermidor, imposant pour la première fois l’idée d’un bloc, tandis que
Michelet attribue « l’époque humaine et bienveillante » de la Révolution au « peuple » infaillible et les « actes sanguinaires » à un « nombre infiniment petit ». En somme, il est moins question d’histoire que de polémique politique.
La dernière grande crise de subsistance que devait connaître le pays,
ultime témoignage de la persistance d’un Ancien Régime économique, avec
ses émeutes frumentaires, allait favoriser la radicalisation des mots
d’ordre et la mobilisation des foules. Le scandale éclaboussant deux
pairs de France, le général Cubières, condamné pour corruption, et le
duc de Choiseul-Praslin se suicidant en prison après avoir assassiné sa
femme, jette un voile d’infamie sur le régime.
Le 19 décembre 1847, lors de la campagne des banquets, à Chalon-sur-Saône, le député Ledru-Rollin porte un toast « À l’unité de la Révolution française, à l’indivisibilité de la Constituante, de la Législative, de la Convention ». Les références révolutionnaires se multiplient au Parlement. À Lamartine qui a dit : « nous ne voulons pas rouvrir le club des Jacobins », Montalembert réplique : « Il est trop tard, le club des Jacobins est déjà rouvert, non pas en fait et dans la rue, mais dans les esprits, dans les cœurs ». Tocqueville, député de la Manche, le 27 janvier 1848, essaie d’avertir le gouvernement, notamment sur les « passions » des « classes ouvrières » qui étaient politiques et sont devenues sociales30 : « est-ce que vous ne sentez pas… que dirais-je ?…un vent de révolution qui est dans l’air ? » Thiers, devenu opposant, croit bon d’annoncer : « je serai toujours du parti de la révolution ».
Le 11 février, prenant la défense de la campagne des banquets,
réclamant le vote du droit de réunion, Lamartine fait planer à son tour
l’ombre de la Grande Révolution en évoquant le Jeu de Paume, « lieu de réunion fermé par l’autorité et rouvert par la nation ».
Vieillissant, persuadé de son infaillibilité, Louis-Philippe n’écoute rien ni personne : « ce ne sont pas les banquets de veaux froids ni les Bonaparte qui me désarçonneront »
répond-il au prince de Ligne, ambassadeur de Belgique. Tandis que le
roi Léopold écrit à son neveu le duc de Saxe-Cobourg-Gotha : « Mon beau-père sera chassé sous peu, comme Charles X ».
Quelques jours plus tard, abasourdi, Louis-Philippe apprend la défection de la Garde nationale, « la colonne du trône », passée à l’ennemi. Il devait dire plus tard à Duchâtel : « Est-ce que je pouvais faire tirer sur mes électeurs ? » L’alliance de la bourgeoisie
et du peuple, comme en juillet 1789 et en 1830, assuraient le succès de
l’insurrection. Décidant de renvoyer Guizot, le 23 février, le vieux
roi, loin de désarmer les émeutiers, incitait les républicains à
déclencher l’assaut final. La fusillade du boulevard des Capucines, sous
les fenêtres du ministère des Affaires étrangères, leur fournit
l’incident sanglant qui leur était nécessaire. Louis-Philippe, refusant
d’assumer le coût humain exigé par l’écrasement de l’insurrection,
démoralisé, abdique avant de fuir les Tuileries en redingote et chapeau
rond. Le 2 mars, traversant l’estuaire de la Seine, de Honfleur au Havre,
sous un déguisement de bourgeois normand nanti d’un passeport anglais,
le dernier roi a la douleur d’entendre des chanteurs en tournée
interpréter l’air de Blondel extrait du Richard Cœur de Lion de Grétry : Ô Richard, ô mon roi, l’univers t’abandonne, celui-là même que les officiers du régiment de Flandre avaient chanté à Louis XVI et Marie-Antoinette le 1er octobre 1789 en foulant aux pieds la cocarde tricolore.
Par Gérard-Michel Thermeau est historien, enseignant dans un lycée de Saint-Etienne et membre du bureau de liberaux.org.
Note:
François Furet, La Révolution 1770-1880 in Histoire de France, 4, Hachette 1988, p. 294. ↩
Jean-Clément Martin in S. Bernstein & Michel Winock, L’Invention de la démocratie 1789-1914, Histoire de la France politique, 3, Points Histoire, Le Seuil 2002, p. 105. ↩
Son ami Mignet compose une Histoire de la Révolution française beaucoup plus brève parue en 1824. ↩
Pierre Guiral, Adolphe Thiers, Fayard 1986, p. 42. ↩
Laurent Theis, François Guizot, Fayard 2008, p. 307. ↩
17. Guy Antonetti, Louis-Philippe, p. 612. 18. Guy Antonetti, op. cit., p. 607. ↩ 19. Laurent Theis, François Guizot, p. 307. 20. Guy Antonetti, op. cit., p. 761. 21. Guy Antonetti, op. cit., p. 768. 22. Guy Antonetti, op. cit., p. 816, selon les mots de Rémusat, ministre de l’Intérieur, le 12 mai 1840. 23. En économie, le protectionnisme triomphe. 24. Néanmoins, les électeurs municipaux sont dix fois
plus nombreux, grâce à la loi du 21 mars 1831 qui met fin au long règne
de la nomination des conseillers municipaux par les représentants de
l’État. 25. Alexis de Tocqueville, Souvenirs in Œuvres,
III, La Pléiade, Gallimard 2004, p. 729. Ces lignes fameuses ne doivent
pas faire illusion : ce n’est pas la bourgeoisie d’affaires qui domine
le régime, Guizot est plus représentatif que Laffite, vite passé dans
l’opposition. 26. Guy Antonetti note que la moitié des ministres de
Louis-Philippe et près de la moitié des députés de la majorité en 1846
étaient nobles. 27. A. Jardin & A.J. Tudesq, La France des notables, p. 134. 28. A. Jardin & A.J. Tudesq, p. 139-140. 29. Michel Winock in S. Bernstein & Michel Winock, L’Invention de la démocratie 1789-1914…, p. 138. 30. Alexis de Tocqueville, Souvenirs, p. 736-737. ↩
Ce texte
a laissé assez peu de souvenirs dans la mémoire des Français, encore
moins dans celle des libéraux, c’est un tort, tant il fût essentiel à la
construction de la modernité politique ; voici pourquoi.
Contrairement à ce que l’on imagine souvent, c’est sous l’empire de
cette Charte qu’est né le parlementarisme en France. Cela n’est pas
expressément prévu par le texte à l’origine. En effet, même s’il met en
place le régime le plus libéral du continent pour l’époque (plus que
l’Angleterre notamment du fait d’un corps électoral plus important), la
notion de gouvernement parlementaire n’est pas encore pleinement
dégagée. C’est sa mise en pratique, notamment sous la pression du Parti
Ultra, qui réclamait un suffrage quasi universel et la liberté de la
presse, qui donnera naissance au parlementarisme en France. Naissance
non prévue mais quel beau bébé.
Autre apport majeur, la protection des libertés. Contrairement aux
textes qui l’ont précédé, à commencer par la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen de 1789 et la Constitution de 1791, pour la
première fois depuis 25 ans les libertés vont être effectivement
protégées. Certes, cela apparaît davantage comme un sacrifice à l’air du
temps que comme un engagement de conviction, il n’empêche que le
développement des libertés que connaît la Restauration ne sera plus
bridé. Quelles sont ces libertés qu’il protège ? La liberté de
conscience, d’opinion, la protection de la propriété, l’égalité devant
la loi, bref, ce qui permet de fonder un régime moderne. Cette Charte
servira d’étendard à ceux qui défendent ces libertés.
Enfin ce texte à un mérite immense, il procède d’une volonté de
réconcilier les deux France, l’ancienne et la nouvelle. Les opinions
passées ne peuvent porter préjudice et les biens nationaux (dont
l’origine relève du vol pur et simple) sont garantis. La paix civile et
la concorde sont l’objet même de ce texte. La Restauration est le seul
régime que nous avons connu qui a cherché à embrasser la France et tout
son passé. Ainsi, de toutes les épurations administratives ayant été
ordonnées depuis les débuts de la Révolution jusqu’en 1944, elle a été
la moins forte. La plupart des cadres administratifs du régime précédent
ont été maintenus en place.
En conclusion, modernité politique, protection des libertés et
réconciliation sont l’héritage de la Charte de 1814. Personne ne l’a
commémorée. Pas une gerbe de fleur n’a été déposée sur la tombe de
Louis, Dix-huitième du nom, qui, en la dix-neuvième année de son règne1, octroya à ses sujets ce texte qui firent d’eux le peuple le plus libre d’Europe.
Conformément aux Lois Fondamentales du Royaume,
Louis XVIII est devenu Roi le 8 Juin 1795 après le décès de son neveu,
Louis XVII, à la Tour du Temple du fait des mauvais traitements subis
tout au long de son incarcération. ↩
C) Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 de Wikiberal
La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 va tenir lieu de constitution à la Restauration. Renouant avec les usages de l'Ancien Régime, Louis XVIII décide d'octroyer une Charte à ses sujets. C'est un texte très court avec 76 articles.
Une élaboration en deux temps
Après l'abdication (6 avril 1814) de Napoléon,
la France est occupée par les armées étrangères : or les Anglais et le
Tsar souhaitent voir s’établir une monarchie constitutionnelle. Le Tsar
était à l’origine hostile aux Bourbons.Une commission sénatoriale
s'était, entre temps, réuni pour élaborer un texte s'inspirant du modèle
britannique
mais en prévoyant le maintien des sénateurs dans la future Chambre
Haute. Le texte est adopté par sénatus-consulte le jour même de
l'abdication. Cette constitution appelait au trône Louis-Stanislas
Xavier de France tout en soumettant le texte à l'approbation du peuple
français.
Louis XVIII
ne pouvait accepter ce pacte avec la nation. Affirmant être rappelé par
« l'amour de son peuple au trône de ses pères », il se déclare
néanmoins résolu à adopter une Constitutionlibérale.
Le 29 avril 1814, le roi repousse le projet sénatorial tout en
acceptant l’idée d’un régime constitutionnel. Il désigne donc une
commission dite commission des 21 : 9 sénateurs, 9 députés et 3
commissaires représentant le roi. Le travail est achevé le 28 mai et le
texte approuvé par le roi le 4 juin 1814.
Un texte de compromis
L’autorité monarchique reste fondée sur le droit divin. Le début du
préambule invoque « la divine providence ». On fait comme si la Révolution française
n’avait été qu’une parenthèse : le mot Charte est ancien et le
Préambule dans son intégralité évoque des actes de divers rois de Louis
le Gros à Louis XIV. La charte elle-même est datée de la 19e année du
règne !
L'article 13 souligne que le roi est inviolable et sacré mais
aussi que l’autorité toute entière réside dans la personne du Roi. Il
est donc bien le souverain : il est irresponsable
même si Louis XVIII prétextant ses problèmes de santé (il est
presqu’infirme) ne se fera jamais sacrer à Reims. Enfin, l'article 6
fait de la religioncatholique la religion de l’État.
Néanmoins, la Restauration du Roi et des Bourbons n'est pas une restauration de l’absolutisme.
La Charte est une constitution qui n’ose pas dire son nom même si le
mot apparaît dans le préambule : « constitution libre et monarchique… ».
Le texte se montre désireux de rétablir la paix « paix si nécessaire à
la France comme au reste de l’Europe ». Par l'article 12, la
conscription est abolie mais il est nécessaire aussi de réconcilier
aussi les Français d’où l'article 11 qui réclame l'oubli des opinions
qui ont divisé les Français (royalistes, républicains, bonapartistes).
La Charte accepte les acquis révolutionnaires : l'égalité en droit
(articles 1 à 3) et les libertés fondamentales (articles 4-5-8). La
rédaction des articles est éloquente, les articles 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9,
10 recopient presque mot pour mot la Déclaration des droits de l'Homme d’août 1789. Le Concordat est maintenu : les ministres des cultes chrétiens reçoivent des traitements du Trésor royal.
Les articles 9 et 10 suscitent l'hostilité des royalistes car ils légalisent la nationalisation
des biens du clergé et des émigrés pendant la révolution (les biens
nationaux). L’idée d’une indemnité permet cependant de faire espérer des
compensations aux émigrés qui ont été lésés.
Sources
Claude Emeri, Christian Bidégaray, La Constitution en France de 1789 à nos jours, A. Colin 1997, 301 p.
Les constitutions de la France depuis 1789 présentées par Jacques Godechot, Garnier-Flammarion 1970, 508 p.
Le journal L’Action Française
a organisé, le 9 mai, un colloque de réflexion politique :
« Dessine-moi un roi ». Il a réuni de nombreux intervenants parmi
lesquels Hilaire de Crémiers, Gérard Leclerc, Frédéric Rouvillois.
Philippe Mesnard, son rédacteur en chef, revient sur cet événement.
La monarchie en France en 2015 : une nostalgie, une utopie ou une espérance ?
Je ne pense pas qu’aujourd’hui la monarchie soit une nostalgie :
c’est une possibilité. Il y a évidemment une dimension historique,
fondamentale, dans l’analyse que les royalistes font de l’état actuel du
pays et du recours au système monarchique comme solution pour la
France. Mais l’analyse historique est une pure évidence, au niveau des
régions comme au niveau du monde. Pour tenter un parallèle, Emmanuel
Todd et Barack Obama sont eux aussi dans l’analyse historique, le
premier avec ses catholiques zombifiés, le second avec sa géopolitique
aberrante. Recourir à l’histoire, ce n’est pas se vautrer complaisamment
dans un passé fantasmé, c’est tenir compte de ce qui a structuré
l’espace physique et social, et qui le structure encore suffisamment
pour que beaucoup veuillent en détruire ce qui en reste. Sinon, bien
sûr, c’est une espérance : quel Français, inquiet du sort de sa patrie
et blessé par ce que vivent ses concitoyens, n’espèrerait pas que son
pays sorte du régime qui le détruit ? Et quant à notre colloque,
« Dessine-moi un Roi », il a une dimension utopique, ou plutôt
uchronique : imaginer quelles seraient les conditions et règles
d’exercice d’une monarchie, en France, aujourd’hui, dans le monde tel
qu’il est. On voit bien, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas de nostalgie :
nous ne cherchons pas à ressusciter un décor, nous cherchons à
déterminer les formes actuelles d’un bien commun délivré de la dictature
des partis et de l’idéologie républicaine. C’est sans doute son
originalité, et je suis très heureux qu’il y ait des représentants de la
plupart des mouvements royalistes dans les intervenants pour partager
ces réflexions.
La chauve-souris un marqueur du libéralisme, lol
En quoi pour vous, notre république est-elle finissante ?
La république est perpétuellement finissante, abattue, dissoute par
ses propres fervents. Quand elle ne verse pas dans le césarisme, elle
pourrit dans le parlementarisme et doit sans cesse être refondée,
réinventée : aujourd’hui, les partis les plus divers réclament une VIe !
Mais surtout, la république se meurt de son propre mouvement, en se
coupant du peuple qui est sa seule légitimité théorique (et le déluge
ahurissant de critiques contre le populisme est symptomatique, ainsi que
l’absence complète de démocratie directe), et se meurt en se fondant
dans l’Europe : la république règne sur un territoire au frontières
floues, aux peuples mouvants, aux lois étrangères, sans monnaie, sans
souveraineté, sans identité. C’est un cénotaphe, un sépulcre blanchi. La
seule chose qui est vivace, c’est le féroce appétit de ses élites.
La laïcité à la française est elle compatible avec votre conception de la monarchie ?
Si la laïcité consiste à séparer la spirituel du temporel, oui :
c’est d’ailleurs une invention médiévale, qui a répondu aux vœux tout à
la fois semblables et antagonistes de l’Église et des états, désireux
d’indépendance mutuelle. Si la laïcité à la française consiste à nier
que le fait religieux existe, et plus encore à lui nier toute existence
politique et donc toute capacité sociale, non : il faut être un
idéologue aveugle, un pur produit de l’anticléricalisme républicain
français, pour croire que l’humanité puisse se passer de religion – et
surtout pour continuer à le proclamer aujourd’hui, avec ce que nous
vivons. La monarchie française intègrera bien sûr le fait religieux dans
sa gouvernance, ce qui ne signifie pas avoir une religion d’état.
Un mot sur le Prince ?
Le colloque a plus été l’occasion de parler du cadre du gouvernement
que de la personne même du Prince ou de son arrivée au pouvoir, même si
l’AF a théorisé à plusieurs reprises, de Maurras à Michel Michel, les
conditions d’accession – théories très théoriques ! Un pouvoir réel doit
être un pouvoir incarné, c’est certain, et une continuité historique
est un symbole fort. Cela dit, si le symbole est nécessaire, c’est la
capacité à gouverner qui est cruciale, une capacité fondée sur la
personne du Prince et presque plus sur les institutions. Ce sont
celles-ci qui seront l’objet de notre attention. Je ne doute pas que
lorsque le moment sera venu, le choix d’un prince revêtira ce caractère
d’évidence qu’il a toujours eu.
E) Monarchie de Wikiberal
La monarchie (du grec mono « seul », archein « pouvoir » : « pouvoir non d'un seul, mais en un seul ») est un système politique où l'unité du pouvoir
est symbolisée par une seule personne, appelée monarque. Elle n'est ni
nécessairement une royauté, ni nécessairement héréditaire : il a
toujours existé des monarchies électives, par exemple chez les Gaulois.
Selon la définition de Montesquieu, une monarchie se définit par le gouvernement absolu d'un seul, mais ce pouvoir est limité par des lois.
La monarchie est dite constitutionnelle lorsque les pouvoirs du monarque sont définis par une constitution qui fixe par écrit des lois fondamentales prévoyant une séparation des pouvoirs.
La monarchie est dite parlementaire lorsque le chef du gouvernement, nommé par le roi lorsqu'il y en a un, est responsable devant le Parlement. Dans ce cas, le monarque est le représentant de l'État
au titre de Chef de l'État, un arbitre, et le garant de la continuité
des institutions (exemple : Grande-Bretagne, Espagne, Belgique).
La monarchie est dite absolue lorsque le monarque détient tous les pouvoirs.
Hans-Hermann Hoppe, en absence d'idéal anarcho-capitaliste, accepte comme moindre mal la monarchie. Il soutient que celle-ci est supérieure à la démocratie
parce que le Roi, comme propriétaire ultime du royaume, est plus incité
à protéger le territoire et ses habitants que le président d'une République, dont les incitants s'achèvent à la fin de son mandat:
L’exploitation du pays par le gérant démocratiquement élu est
moins consciencieuse, moins rationnelle qu’en régime monarchique, car le
chef de l’Etat n’a aucune incitation à entretenir le capital du pays.
Il l’exploite à court terme, et donc à courte vue, consommant le capital
du pays au lieu de le préserver et de le faire fructifier.
Pour des raisons similaires, Arthur Schopenhauer était partisan d'une monarchie héréditaire.
Pour François Guillaumat[1], les sociétés monarchiques d'Ancien Régime étaient proches de la minarchie
et de l'état minimum ; elles se "contentaient" de voler à hauteur de 10
à 15% du produit intérieur, alors que les sociétés "démocratiques"
d'aujourd'hui volent à hauteur de plus de 50%. Les sociétés d'Ancien
Régime étaient donc des sociétés libérales au sens de Milton Friedman, qui définissait comme libérale une société où les dépenses publiques, toutes collectivités confondues, ne dépassent pas 10 à 15 % du produit national.
Ce point de vue est contesté, car il est difficile aujourd'hui
d'évaluer vraiment la fiscalité d'Ancien Régime ainsi que le "produit
intérieur"[2].
Pour Mencius Moldbug, la monarchie est une garantie de stabilité, au contraire de la dictature :
au contraire d'un dictateur, un roi est remplacé par son héritier. Il
n'y a jamais eu d'attentat contre Frédéric le Grand, alors qu'il y en a
eu plusieurs contre Hitler. La souveraineté du dictateur, toujours
précaire, dépend de sa popularité : "Staline avait le pouvoir des tsars,
mais pas la sécurité des tsars".
Otto de Habsbourg-Lorraine présente le risque dans son article écrit en 1958
(la monarchie ou la république) qu'un roi incompétent puisse occuper le
trône selon le principe d'un légitimisme inflexible. Il pourrait,
malheureusement, déplacer les garanties de liberté de ses sujets,
garanties que l'on trouve dans la plupart des monarchies classiques.
Aussi, il recommande que le roi soit assisté par un organisme
représentant la plus haute autorité judiciaire, un organisme qui
pourrait éventuellement remplacer l'héritier présomptif dans la lignée
de la succession dynastique.
Citations
Tous les princes ont évidemment été à l'origine des chefs
victorieux, et pendant longtemps c'est à ce titre seul qu'ils ont régné.
Après l'établissement des armées permanentes, ils considérèrent le
peuple comme destiné à les nourrir, eux et leurs soldats, c'est-à-dire
comme un troupeau sur lequel on veille, afin qu'il vous donne laine,
lait et viande. Ceci résulte, ainsi que je l'expliquerai plus loin, de
ce qu'en vertu de la nature, c'est-à-dire originellement, ce n'est pas
le droit, mais la violence, qui domine sur la terre; celle-ci a sur
celui-là l'avantage primi occupantis. Aussi ne se laisse-t-elle pas
abolir et s'obstine-t-elle à ne pas disparaître complètement; toujours
elle revendique sa place. Ce qu'on peut simplement désirer et réclamer,
c'est qu'elle soit du côté du droit et associée avec lui. En
conséquence, le prince dit à ses sujets : « Je règne sur vous par la
force. Ma force en exclut donc toute autre. Je n'en souffrirai en effet
aucune autre auprès de la mienne, ni une force extérieure, ni, à
l'intérieur, celle de l'un contre l'autre. Ainsi vous voilà protégés ».
Cet arrangement s'étant produit, la royauté s'est, avec les progrès du
temps, développée tout autrement, et a rejeté l'idée antérieure dans
l'arrière-fond, où on la voit encore de temps en temps flotter à l'état
de spectre. Cette idée a été remplacée par celle du roi père de son
peuple, et le roi est devenu le pilier ferme et inébranlable sur lequel
seul reposent l'ordre légal tout entier, par conséquent les droits de
tous, qui n'existent que de cette façon. Mais un roi ne peut remplir ce
rôle qu'en vertu de sa prérogative innée, qui lui donne, et à lui seul,
une autorité que n'égale aucune autre, qui ne peut être ni contestée ni
combattue, à laquelle chacun obéit comme par instinct. Aussi dit-on avec
raison qu'il règne « par la grâce de Dieu ». Il est toujours la
personne la plus utile de l’État, et ses services ne sont jamais trop
chèrement payés par sa liste civile, si élevée qu'elle soit. (Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena)
Si nous avions conservé les monarchies du type que nous avons connu au XIXe et au XVIIIe siècles, nous serions beaucoup plus riches que nous le sommes actuellement sous des conditions de démocratie. (Hans-Hermann Hoppe)
La monarchie c'est l'anarchie plus un. (Charles Maurras)
Sur le plan des idées l’école de Paris est le chaînon essentiel
entre les économistes du XVIIIe siècle et le « néo-libéralisme » du XXe.
Engagés en politique, ses membres ont combattu à la fois le
conservatisme de la monarchie de Juillet et le socialisme d’État
qu’inaugure la Deuxième République.
Cet article entend souligner l’importance dans l’histoire du libéralisme français de ce que je propose d’appeler l’« École de Paris » (1803-1852). Cette famille intellectuelle s’inscrit dans l’héritage révolutionnaire du parti constitutionnel incarné par Benjamin Constant, « libéral en tout », et dont l’un des principaux précurseurs fut Jean-Baptiste Say.
Héritière indirecte, par les Idéologues, de l’école des « économistes » (dite « physiocratique ») du XVIIIe siècle, l’école de Paris a rassemblé les publicistes qui, sous la monarchie de Juillet,
sont restés fidèles à la philosophie libérale alors que triomphait la
lecture doctrinaire de la Charte de 1830 et que les ministères
orléanistes, portés au pouvoir par une révolution libérale, s’étaient
figés peu à peu dans les camps conservateur en politique et
protectionniste en économie.
L’école de Paris va se cristalliser, hors de l’Université, autour du Journal des économistes, fondé en 1841, et de la Société d’économie politique,
fondée en 1842. À compter de cette dernière date, elle sera le fer de
lance de l’opposition libérale, essentiellement républicaine, qui
grandira face au conservatisme institutionnel désormais incarné par Guizot – et luttera contre le lobby protectionniste, dont Thiers
prend la tête à la Chambre dans les années 1840, et également contre le
prétendu intérêt national de la colonisation de l’Algérie défendue par Tocqueville.
Elle sera la seule force intellectuelle à combattre rationnellement les
doctrines qui, après l’impensable effondrement de février 1848,
alimenteront pour la première fois un socialisme d’État. Ainsi,
soixante-dix ans avant von Mises et l’école autrichienne,
l’école de Paris sera la première communauté de savoir qui étudiera in
vivo l’expérimentation socialiste qui allait conduire aux tragédies
totalitaires du XXe siècle.
Engagés en politique, par vocation ou par devoir, les membres de
l’école ont exercé pleinement les mandats qui leur ont été confiés par
le peuple au sein des premières Assemblées des IIe et IIIe Républiques.
Dans l’intervalle entre les deux Républiques, grâce au magistère moral
que leur avaient acquis tant leurs travaux scientifiques que leur action
civique, ils auront infléchi le cours de l’Empire, puisque c’est
largement à eux qu’est dû l’infléchissement de la politique impériale au
tournant de 1860 (même si les membres n’ont jamais partagé à ce sujet
les illusions d’un Prévost-Paradol sur l’«Empire libéral», illusions qui conduiront cette personnalité à se suicider).
Une fois la République restaurée, les dernières grandes figures du libéralisme parlementaire et gouvernemental, Michel Chevalier, Louis Wolowski, Édouard Laboulaye, Léon Say ou Yves Guyot,
trouveront encore le moyen de retarder l’inéluctable domination des
démagogues du courant nationaliste et colonialiste qui, sous couleur de «
laïcité républicaine », et cultivant dans le domaine économique un
esprit de monopole et de protection, conduiront le pays à la « Revanche »
de 1914.
Ce qui légitime le recours à la notion d’« école de Paris »
L’apport analytique considérable de l’école de Paris – qui en fait un
chaînon essentiel entre les économistes du XVIIIe siècle et les
courants néolibéraux du XXe, école autrichienne, école de Chicago, Public Choice theory,
etc. – repose sur une théorie individualiste de la connaissance. On
peut à bon droit poser celle-ci comme le critère permettant de
distinguer entre libéraux, conservateurs et socialistes. L’emblématique
ouvrage de Gustave de Molinari, Les Soirées de la rue Saint-Lazare, en donne une synthèse à la fois vivante et rigoureuse.
On pourra légitimement s’étonner de l’emploi du terme d’« école »
pour désigner une telle constellation de publicistes. De fait, parmi les
grands historiens de la pensée économique, ni Schumpeter, ni Charles Gide, ni a fortiori Mac Culloch ou Adolphe Blanqui
– ce dernier étant une figure majeure de l’école de Paris, et le
premier historien de la pensée économique – n’utilisent ce concept. Il
suffit pourtant de comparer l’école de Paris à d’autres phénomènes
collectifs reconnus par les historiens des idées pour admettre que l’on
enregistre bien à Paris, entre 1842 et 1928, l’activité d’une communauté
de savoir qui répond aux critères constitutifs d’une « école », à
l’instar de ce que nous appelons l’école de Chicago, par exemple.
Ajoutons que l’on doit parler d’école « de Paris » et non d’école
«française». En effet, durant la période où l’Université de France resta
hermétique à l’enseignement de l’économie politique, les seules chaires
d’économie sont à Paris, jusqu’à l’ouverture de chaires d’économie
politique dans toutes les facultés de droit en 1877.
Pourquoi il convient de parler d’école de Paris et non d’école libérale de Paris
Certes, l’école de Paris est définie par la présence exclusive
d’économistes, de juristes, d’historiens et de sociologues libéraux,
pour qui une économie non libérale ne relève pas de l’économique mais
d’une « organisation artificielle » qui perturbe les lois de l’économie
conçues comme naturelles. À cette époque, l’expression « économiste
libéral » que nous employons aujourd’hui aurait donc été perçue comme
une tautologie. Si l’économie politique avait gagné en rigueur
scientifique du XVIIIe au XIXe siècle, le qualificatif « économiste »
continuait sémantiquement d’impliquer l’appartenance à la « secte des
économistes » au sens de Quesnay, c’est-à-dire au cercle des libéraux.
Bien que l’économie politique soit largement une invention française,
le Journal des économistes devait se résoudre à constater qu’en 1853
l’économie politique, après avoir traversé deux restaurations, deux
révolutions et un coup d’État, était toujours interdite à l’Université :
« En Allemagne comme en Angleterre,
partout, dans les foyers du haut enseignement, qui portent le nom
d’universités, on trouve au moins une chaire d’économie politique.
L’empereur de Russie fait enseigner l’économie politique dans ses
universités. L’Espagne possède bon nombre de cours d’économie politique.
En Italie l’économie politique a jeté un vif éclat. En France, il
n’existe, à vrai dire, qu’une chaire, celle du Collège de France; car
l’enseignement du Conservatoire des arts et métiers a pour objet, aux
termes de la fondation, l’économie industrielle, ce qui est moins
étendu. Le cours de l’École des ponts et chaussées est spécial et
restreint à un tout petit nombre d’auditeurs. »
L’économie politique est en effet conçue en grande partie comme
subversive par le pouvoir depuis la suppression de la classe des
Sciences morales et politiques de l’Institut, tandis que l’Université,
où règnent de fait les partisans du monopole, tant en philosophie avec Royer-Collard et son élève Cousin, qu’en histoire avec Guizot, se coupe des sources philosophiques du libéralisme français.
Ce conflit entre l’économie politique et la philosophie officielle du
temps est attesté par une passe d’arme exemplaire qui eut lieu entre
Victor Cousin et Adolphe Blanqui, en prélude aux affrontements entre
protectionnistes et libre-échangistes qui devaient marquer l’année 1846.
Il s’agissait de mesurer quelle dose d’économie politique l’Université
allait pouvoir tolérer – l’Université disposait, depuis sa fondation par
Napoléon, du monopole de l’enseignement, monopole que les régimes ayant
succédé à l’Empire n’avaient abrogé qu’en matière d’enseignement
primaire. La base de la discussion était les travaux de La Farelle, qui
avait présenté un mémoire sur la nécessité de fonder en France un
enseignement de l’économie politique. Voici comment la Revue mensuelle des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques présente ce débat :
« M. de La Farelle a rappelé que
depuis la révolution de 1830, au sein de l’ancien Conseil royal de
l’instruction publique, il avait pris l’initiative de la demande de la
création de deux nouvelles chaires dans la Faculté de Paris, l’une de
droit public français, et l’autre d’économie politique ; mais en même
temps, M. Cousin s’est opposé à ce que ce même enseignement descendît
jusqu’aux collèges et prit une place parmi les sciences dont les
éléments sont démontrés aux jeunes élèves. Un membre ayant contesté
l’utilité des notions philosophiques qui absorbent une année entière des
études classiques, M. Cousin a défendu de sa parole et de ses vœux les
plus ardents la science qui a fait la gloire et la préoccupation de sa
vie. M. Blanqui a répondu à M. Cousin en demandant pour l’enseignement
de l’économie politique une part beaucoup plus large que celle qui lui
était octroyée par son contradicteur. Par sa vivacité, le débat a
rappelé celui qui s’était élevé quelques semaines auparavant à la suite
de la lecture du Mémoire de M. Blanqui sur le désaccord de
l’enseignement public et les besoins publics.
« Dans la seconde partie des
observations qu’il a présentées, M. Cousin s’était appuyé sur
l’ancienneté de l’enseignement de la philosophie pour en relever
l’importance. […] M. Passy lui a répondu : « L’antiquité d’un
enseignement n’est pas la mesure nécessaire de son degré d’utilité ». »
Non seulement l’économie politique ne sera pas vulgarisée comme dans
d’autres pays d’Europe, mais encore, nous le verrons, son enseignement
dans la seule niche institutionnelle qu’elle avait pu conquérir, le
Collège de France, sera interrompu en 1848.
Les trois générations
On peut structurer l’école de Paris, sous réserve d’un inventaire plus poussé, en trois « générations » de publicistes.
Parmi les 13 publicistes que nous classons parmi les précurseurs de
l’école (nés sous l’Ancien Régime) et les 24 qui composent sa première
génération (nés sous la Révolution et l’Empire), on compte :
3 ministres (Victor Destutt de Tracy, Léon Faucher et Hippolyte Passy) ;
5 pairs de France (Antoine-Louis Claude Destutt de Tracy, François
d’Harcourt, Hippolyte Passy, Charles Renouard, Pellegrino Rossi) ;
17 députés (Alexandre Annisson-Dupéron, Frédéric Bastiat, Adolphe
Blanqui, Charles Comte, Condorcet, Benjamin Constant, Daunou,
Antoine-Louis Destutt de Tracy, Victor Destutt de Tracy, Léon Faucher,
Henri Fonfrède, François d’Harcourt, Édouard Laboulaye, Hippolyte Passy,
Charles Renouard, Louis Reybaud et Louis Wolowski) ;
Docteur en lettres, Michel Leter est un universitaire, spécialiste du
libéralisme français du XIXe siècle et de l'école de Paris en
particulier.
G) De la supériorité économique de la Monarchie Du point de vue de la science économique, une monarchie est un régime où le pouvoir politique est privatisé dans les mains d'une dynastie. Une démocratie est un régime où le pouvoir politique est collectivisé,
et remis aux mains du peuple. Les conséquences sont les mêmes que pour
une entreprise privée. Dès qu'elle est nationalisée, l'entreprise
rentable se met à avoir des déficits. Le roi, parce qu'il est
propriétaire, a le souci, non seulement des revenus du pouvoir mais
aussi du capital. Il va donc faire des choix rationnels de bon père de
famille, en ayant en vue l'intérêt à long terme de la dynastie, et du
pays. Le chef démocratique élu, en revanche, n'est pas propriétaire. Il
n'est que gérant ici pour cinq ans, soumis à réélection. Son intérêt est
de maximiser les revenus du pouvoir à court terme, pour plaire aux
catégories qui vont le réélire. Il n'a aucun souci du capital à
maintenir ou à accroître. Pire encore, si ce chef démocratique a des
scrupules et ne joue pas le jeu politique par souci du pays en longue
période, il sera sans doute battu par un démagogue sans scrupules à la
prochaine élection. Le système est pervers.
En effet, que
le pouvoir soit ouvert à tous, n'est pas nécessairement un avantage. La
compétition n'est pas toujours un bien. La compétition pour produire des
biens est une bonne chose. Or, la compétition électorale démocratique,
qui consiste à exploiter l'envie des plus nombreux contre les plus
riches, est moralement dégradante. Pour Hoppe, la démocratie élève la préférence pour l'immédiat.
Or, une forte préférence pour l'immédiat caractérise les êtres peu
civilisés. La civilisation suppose une discipline pour préférer un bien
durable à long terme à une jouissance fugitive à court terme. Or, seule
la monarchie privilégie le long terme.
La monarchie est
restée le régime dominant en Europe jusqu'à la guerre de 1914. Depuis
que la démocratie s'est installée en Occident, les signes de décadence
liés à la préférence pour l'immédiat, se sont accrus. La sécurité
sociale au sens large a déresponsabilisé les individus. La famille a
perdu sa valeur économique et la natalité s'est effondrée pour des
raisons liées d’abord à la mise en productivité des mères. Les moeurs se
sont dégradées pour capter des voix dans toutes les chapelles, même les
moins recommandables, et une sous-culture de masse vulgaire a envahi
les esprits. La démocratie favorise l'égalitarisme par la
modélisation simplifiée des comportements et des opinions qui sont ainsi
plus facilement « accédés » par le pouvoir manipulateur. Même
l'immigration de mauvaise qualité est favorisée au motif de la
standardisation du consommateur électeur, alors que les monarques, comme
Frédéric II de Prusse ou Marie-Thérèse d'Autriche favorisaient une
immigration de qualité. Ainsi vaut-il mieux aujourd’hui naturaliser un
immigré qui vit de l'aide sociale et qui vote pour les distributeurs de
cette aide, plutôt qu'un immigré génial vite pressuré par le fisc qui
votera mal parce d’esprit supérieur et libre.
Quel avenir ?
Pour Hoppe, la démocratie occidentale va s'effondrer un jour comme
l'URSS l'a fait en 1989. Car elle mange le capital accumulé dans le
passé. La dette publique s'accroît sans cesse et les régimes sociaux
sont menacés de faillite. La démographie, minée par la politique
anti-familiale des classes politiques qui diminuent la population active
contributaire, empêchera de financer les régimes sociaux. Cela détruira
la réputation de la démocratie et fera voir son vrai visage.
Comment la remplacer ?
Hoppe, en bon libertarien, rêve d'un monde sans État, composé de
propriétaires associés. Mais à cette utopie il préfère la monarchie. Il
préfère aussi les petits États, comme le Liechtenstein, Monaco ou le
Luxembourg, qui font moins de mal que les grands ! Il lui semble que
tout tourne autour d’un principe qui se manifeste à travers la propriété
privée. La préférence pour l’immédiat est mauvaise : elle caractérise
l’attitude des adolescents pour qui un besoin, ou prétendu tel, doit
être, sans attendre le résultat d’un effort, satisfait au plus vite :
impulsivité, imprévoyance et désintérêt pour ce qui n’est pas eux.
En revanche, la propriété privée, qui suppose épargne et
investissement, est bonne, car elle implique une vision à long terme. Et
Hoppe, de définir la monarchie comme un gouvernement basé sur la
propriété privée où le roi, développant cette vision à long terme de ses
intérêts, s’efforce de ne pas taxer ses sujets inutilement et de ne pas
agir avec excès pour maintenir sa légitimité. Le roi, en tant que
propriétaire privé, ne peut détruire sans danger pour lui-même la
propriété des autres ; il y a solidarité. En contraste avec la
modération interne et externe de la monarchie, le gouvernement
nationalisé de la propriété "publique", ou démocratie, est porté aux
excès. Le président d'une démocratie se sert de l'appareil d’état à son
avantage, mais il n'en est pas le propriétaire, il n’en est que le
gérant provisoire. Il possède l'usage des recettes de l'État, mais non
pas son capital. Il va donc maximiser le revenu courant en ignorant la
détérioration du capital. Il utilisera les ressources le plus vite
possible pour consommer tout de suite. De plus, en république, les
gouvernés se croient gouvernants et sont donc moins vigilants. La
démocratisation n'est donc pas un progrès pas plus que la
nationalisation l'est pour une entreprise. L'État taxe, s'endette et
exproprie. L'endettement, notamment, est préféré car il frappera plutôt
le gouvernement futur, peut-être même celui des adversaires du
gouvernement présent : il n'y a pas de solidarité entre les gouvernants
successifs.
En résumé, la monarchie est un gouvernement
privatisé, où l'intérêt du roi propriétaire est basé sur le long terme,
dans le respect du capital national.
Les rois de
jadis ne purent gouverner que parce que l'opinion publique trouvait cela
légitime ; de même, le gouvernement démocratique dépend de l'opinion
publique. Il faut donc que cette opinion change, si l'on veut arrêter ce
processus de déclin de la civilisation. L'idée du gouvernement
démocratique sera un jour considérée comme immorale et politiquement
impensable quand il sera patent que la démocratie républicaine a conduit
à l'accroissement permanent des impôts, de l'endettement public et du
nombre des fonctionnaires, en dévorant le capital. Cette délégitimation
est nécessaire pour empêcher la catastrophe sociale qui s'annonce. La
dette qui court détruira l'assurance-maladie avant dix ans ; et les
pensions de retraite ne seront plus servies aux taux actuels à la même
époque.
Depuis 1918, le processus de collectivisation s'est
généralisé, tous les indicateurs d'exploitation du peuple par l'État
sont en hausse : - Pression fiscale : de 8 % en moyenne durant huit siècles jusqu’en 1900, elle atteint plus de 50 % aujourd’hui. - Endettement : Il a tué la monarchie française, elle s'en souvient. La République pas, ou trop tard. - Famille
: la cellule de base naturelle est attaquée de toute part en république
parce qu'elle peut constituer in mini contre-pouvoir. Il faut laminer
les idées et donc individualiser les comportements. - Droit : en monarchie, le gouvernement ne crée pas la loi. Le
droit privé général s'applique à tous. Le roi, comme un juge, applique
la loi préexistante. Ayant lui-même des droits subjectifs, il respecte
ceux des autres, même antérieurs à son autorité. Si un roi violait une
propriété privée, il remettrait en cause le titre qui le fait roi. Dès
lors, on ne change pas les droits des sujets sans leur consentement. Le
droit privé s'impose au roi. S'il transgresse, il y a crise grave. Au
contraire, un gouvernement public fait émerger un droit public orienté
vers la redistribution. Son gérant se moque que la redistribution
réduise la productivité dans le futur, confronté qu’il est au présent
électoral et à la concurrence. Le droit privé est perverti de façon
totalitaire par une réglementation galopante. La démocratie collectivise
ou mutualise la responsabilité individuelle. - Démographie
: Le déclin massif des taux de la natalité en Occident correspond à la
période démocratique d’après 1918, avec une chute plus grande dans les
années soixante, les plus " démocratiques " et égalitaires dans la
mentalité. L'héritage biologique et juridique préservé, le choix
sélectif du conjoint et le mariage renforcent l'autorité naturelle de
certaines familles dont les membres, de conduite exemplaire, sont bien
placés pour jouer le rôle d'arbitre et de juge. De là, naît la monarchie
de façon endogène. Si le monopole du pouvoir doit être surveillé, la
production naturelle d'une aristocratie est à favoriser, pour obtenir littéralement le gouvernement des meilleurs.
Selon Hoppe, aucune société libre ne peut éviter de dégénérer en
société de masse vulgaire si elle se prive d’une aristocratie naturelle
dirigée par des ascètes de la civilisation. La survie du monde libre
dépendra de notre capacité à produire un nombre suffisant d'aristocrates
dévoués au sens de l'Etat.
En monarchie, c'est le prince qui décide si vous pouvez participer au pouvoir. En démocratie, tout le monde peut,
en théorie, participer : on élit n’importe qui. Il n'y a pas de
privilèges attachés à la personne, mais des privilèges attachés aux
fonctions publiques. Les privilèges, la discrimination et le
corporatisme ne disparaissent pas et peuvent être exercés par n'importe
qui. Le suffrage universel combiné à la loi de majorité, organise une
compétition entre gérants qui vont faire des promesses de type
égalitariste à divers groupes sociaux pour se faire élire. Il faudra
payer d'autant. La qualité des hommes baisse, comme la vie qui perd en
agrément. La sélection de l'homme politique par voie électorale exclut
presque qu'un homme honnête ou neutre parvienne au sommet. Seul le
démagogue sans inhibitions morales arrive à se faire élire président. Et
la corruption le dispute vite à l'arrogance d’un pouvoir éphémère ! C'est une escroquerie.
En revanche, si la sélection d'un prince n'est pas parfaite, il est
quand même éduqué dans la préservation de la dynastie. S’il est très
mauvais, la famille interviendra et l'entourage immédiat prendra soin de
l'État. C'est pourquoi un roi n'est jamais un Hitler ou un Staline
mais, ou bien un homme de qualité, ou bien au pire un charmant
dilettante comme Louis II de Bavière.
Hans-Hermann HOPPE est un allemand,
professeur d'économie, docteur de l'Université de Francfort sur le Main.
Pour l'instant, il enseigne aux États-Unis, à Las Vegas, à l'Université
du Névada ; et a écrit un livre (1) qui fit grand bruit
outre-atlantique. Le présent digest vient d'un vieux "Politique Magazine" que nous avons rechargé et accéléré.
Note : (1) Democracy, the god that failed Hans-Hermann HOPPE. Transaction publishers New Brunswick. New Jersey. USA 2002
H) « Ils commencent à me gonfler tous avec la République »
Le truc avec les gros concepts que tout le monde est censé approuver,
c’est que tout le monde s’en sert à tour de bras, et qu’ils ne sont pas
là pour se défendre.
Alors, certes, faire de la politique consiste dans une assez large mesure à raconter à peu près n’importe quoi avec un ton de certitude,
et certains concepts se font passer dessus comme ça avec une belle
régularité (coucou « démocratie », « identité », « nation »), mais en ce
moment et depuis le changement de nom annoncé de l’UMP, « République »
et « Républicains » commencent à avoir un sort vraiment peu enviable.
Au point qu’on en serait presque reconnaissant aux cadors de l’UMP de mettre le sujet comme ça sur la table, parce que cela permet de s’apercevoir
que ça fait un beau bout de temps que tout le monde se fait plaisir
avec, et que dès qu’il s’agit d’appuyer un truc discutable, le label
« République » sort du tiroir.
Dans la catégorie emplois douteux...
Dans le grand best of des emplois douteux, plein de mentions spéciales :
le grand classique « République-laïcité »,
notamment appuyé par le champion toutes catégories Nicolas Sarkozy, qui
récidive dans sa lettre ouverte aux militants UMP avec un joli « la
République, c’est le mérite et l’excellence » (sorti de nulle part) ;
le très WTF « République ou burqa », qui apparaît chez Sarkozy aussi mais qui a aussi de réels théoriciens ;
l’ultra-courant « République contre FN », notamment réapparu récemment chez Manuel Valls en pleine Assemblée nationale ;
le plus barré « fête du cochon-République », qui nous vient lui tout droit du FN lui-même.
On en serait presque d’accord avec une citation récente
du vieux Le Pen, qui a au moins un certain don pour saisir l’esprit du
temps : « Ils commencent à me gonfler tous avec la République » (après
il part dans un délire douteux sur la nation, mais bon, c’est déjà ça).
On a donc compris que dans le contexte actuel, la République c’est ce
qui est bien, et ce qui est contre la République, c’est ce qui est
mauvais. Chouette. Mais si on pouvait juste faire un tout petit peu
d’efforts avec le terme, on réussirait peut-être à recentrer un poil le
débat.
Un mot qui ne veut rien dire de particulier
Si l’on prend par exemple l’étymologie, surprise, « res publica »
désigne littéralement la chose publique – ce qui ne veut très exactement
rien dire en soi, si ce n’est que tout le monde en parle – et est
globalement utilisée par Cicéron comme traduction du terme grec de
politeia (qui est tout aussi large, mais désigne globalement la forme de
gouvernement). Rien de spécifique donc, et le mot n’existe même pas en
tant que tel avant la Renaissance, où des auteurs italiens commencent à
souder les deux mots pour désigner leurs gouvernements urbains.
Cela dit, il est vrai qu’on oppose aujourd’hui la période
républicaine à la royauté (avant le renversement des Tarquin) et à
l’Empire après le principat de César puis d’Auguste (donc avant -52,
globalement), mais la désignation est entièrement postérieure, et tout
régime politique était une res publica à Rome (la monarchie comprise).
La naissance d’une référence
L’apparition de la définition de République qu’on emploie à la louche
aujourd’hui (en gros un régime dont la légitimité vient du peuple)
apparaît globalement au XVIIIe siècle, notamment chez
Montesquieu dès les premières lignes du deuxième livre de « L’Esprit des
Lois », avant de se perpétuer au long du XVIIIe siècle, notamment à travers l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
« Il y a trois espèces de gouvernements : le républicain, le monarchique et le despotique. »
On pourrait détailler la chose, mais on voit assez bien l’idée,
d’association entre souveraineté populaire, relative liberté et
République ; tout en remarquant que cela reste très vague, mais positif.
Mais ce n’est pas la seule définition possible, et le terme se définit de manière très lâche tout au long du XVIIIe
siècle, plus ou moins en lien avec l’idée d’un gouvernement libre (ce
qui n’est d’ailleurs pas nécessairement contradictoire avec une
monarchie, par exemple « éclairée »), comme le montre parfaitement une
citation célèbre du Contrat social de Rousseau :
« Tout gouvernement légitime est républicain. »
La Révolution Française
C’est d’ailleurs pleinement comme cela que le mot entre dans
l’univers de la Révolution française, comme un synonyme du bon
gouvernement et de la démocratie en s’appuyant sur les principes de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : d’abord contre
le régime censitaire et le pouvoir économique et politique des
propriétaires, puis seulement dans un deuxième temps contre la
monarchie, à la suite de la fuite du roi et de son arrestation à
Varennes en 1791.
C’est alors que la République apparaît progressivement comme un
remplacement possible de la monarchie, et en devient de facto l’antonyme
lorsqu’en septembre 1792 la monarchie est abolie et que l’an I de la
République est proclamé, mais le mot n’a toujours pas de contenu plus
détaillé que le « bon gouvernement » – ce qui donne d’ailleurs lieu à
des débats sans fin à la Convention entre ceux qui mettent au premier
plan de la République la liberté (des propriétaires essentiellement), et
ceux qui mettent en avant le bien-être (du peuple).
Le processus se finalise du coup à travers l’exécution de Louis XVI
le 21 janvier 1793, où l’incompatibilité de la République et de la
monarchie s’établit définitivement (et fait un peu disparaître la
complexité de la notion), en affichant aux yeux de toute l’Europe qu’il
serait difficile de revenir en arrière désormais, et en posant la
République française comme un symbole de l’opposition à la monarchie.
Pas clair pour autant
Cela ne lève pas pour autant les ambiguïtés, et le mot ne cesse de prendre des sens différents tout au long des XIXe et XXe
siècles, tant tout le monde ne cesse de se réclamer de la République,
spécialement depuis 1871 qu’elle est le seul régime en France : quel
rapport entre les républicains conservateurs du début de la IIIe République, l’extrême droite de Maurice Barrès et de l’Action française des années 30 et les partisans de la VIe
République aujourd’hui, qui se revendiquent tous autant de la
République et de la Révolution ? Comme le formule parfaitement
l’historien Claude Nicolet dans « L’Idée républicaine en France » :
« Pour s’entendre, il faut
prêter à la République un nombre presque infini d’épithètes,
d’attributs, ou de génitifs possessifs. Petit jeu dont peuvent s’égayer
ou s’attrister, selon l’humeur, l’historien et le citoyen. Nous avons eu
des Républiques girondine, montagnarde, thermidorienne, directoriale,
césarienne, impériale. Une République des ducs, mais aussi (pour égrener
les titres de livres célèbres) une République des camarades, des
comités, des professeurs, des députés ; nous avons la République au
village, la République rurale, celle de la Commune de Paris ; des
Républiques conservatrices, opportunistes, libérales, radicales,
démocratiques ; une République bourgeoise, mais aussi d’autres, sociales
ou socialistes : la mariée est vraiment trop belle. »
Ainsi, « l’imprécision redoutable » de la notion n’est pas nouvelle,
et c’est un sport assez établi que de se réclamer de la République tout
en racontant n’importe quoi ; mais il est assez nouveau de se réclamer
de la République pour raconter n’importe quoi, et l’on pouvait compter
jusqu’à présent sur une certaine sobriété, voire une certaine décence
dans l’emploi, qui permettait à la notion de garder sa force et sa
religiosité même, comme le relevait encore C. Nicolet au début des
années 80 :
« Il est remarquable que ce mot, apparemment si galvaudé
en France, garde malgré tout intactes certaines capacités émotionnelles
qui font que, dès qu’il est prononcé d’une certaine manière, chacun
devient attentif, et dresse l’oreille : on n’invoque guère la
République, dans le discours politique français, que lorsque sont en
cause, derrière l’agitation ou les prétextes, les choses vraiment
fondamentales. »
Comparez la citation à l’emploi frénétique et très WTF du terme (cf.
plus haut), qui tourne en boucle dans les discours et les interventions
politiques, sur les chaînes infos et les réseaux sociaux, désormais dans
le prochain nom même d’un parti (et donc de ses représentants) en
France, et vous conclurez sans doute qu’on a changé d’époque.
C’est-à-dire qu’on passe clairement de la captation d’héritage
classique à l’OPA sur la définition de la République – dont on peut
parier qu’elle donnera lieu à tellement de bêtises différentes qu’elle
finira par démonétiser complètement le mot (« liberté » est passée par
là, elle peut en parler aussi).
C’est dommage, le concept n’était pas dégueu, il aurait pu encore servir.