octobre 17, 2014

Le libéralisme selon Jean-Claude Cazanova



L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

nonfiction.fr : Commentaire se revendique de la tradition libérale, mais le libéralisme en France fait l’objet peut-être d’un malentendu, ou d’un raccourci, enfin d’un problème de définition…

Jean-Claude Casanova : Les Français ont utilisé puis déformé trois mots classiques inventés par les Anglais, qui sont "libéral", "conservateur" et "radical". Les Anglais qui ont forgé ces trois mots pour désigner les trois familles politiques de l’âge moderne, en ont conservé le sens et l’usage. Les Français, plus malins ou plus confus en politique, ont tourné autour de chacun de ces mots et en ont fait varier le sens au fil du temps. "Radical", comme vous le savez, s’applique à Monsieur Tapie ou à Clémenceau et à quelques autres comme Caillaux, Herriot, Alain ou Borloo, tous plutôt conservateurs par rapport a n’importe quel "radical" anglais ou américain. Le mot "libéral" a connu ce genre d’avanies, mais enfin il a été revendiqué et porté en France, au XIXe siècle, avec le même sens qu’en Angleterre. Il désigne le parti de la liberté, et dans l’esprit d’Aron, et je crois de nous tous, libéral est toujours pris dans son sens politique. Il désigne ceux qui défendent les libertés publiques, le régime représentatif, la liberté d’expression, les droits individuels, la propriété privée, la concurrence et le libre échange. Vous savez que pendant tous le XXe siècle beaucoup de pays et beaucoup d’intellectuels, particulièrement en Russie, en Italie et en Allemagne ont condamné, refusé, combattu, emprisonné des libéraux. Vous savez aussi que la France est le pays qui a compté le plus d’admirateurs, parmi ses intellectuels, ses artistes et ses écrivains, de Lénine, Staline, Hitler, Mao, Castro et de quelques autres moins importants. Le libéralisme est une tradition intellectuelle française puissante, aussi puissante que la tradition anglaise, mais qui, en France, est restée minoritaire et a moins influencé notre histoire que le libéralisme anglais depuis la Glorieuse Révolution et la Révolution américaine n’a façonné le monde. Notez que Montesquieu est marié à une protestante, et que comme Voltaire, il admire  l’Angleterre : c’est le "parti de l’étranger" en quelque sorte. S’il y avait eu des gaullistes au XVIIIe siècle, comme ceux du XXe ont dénoncé l’atlantisme d’Aron, ils auraient dénoncé Montesquieu, et par la suite encore, plus Benjamin Constant ou Madame de Staël, qui sont également du "parti de l’étranger" et par-dessus le marché  protestants et même suisses, bien que Benjamin Constant ait revendiqué la nationalité française. Tocqueville, lui, est incontestablement un aristocrate français, marié à une anglaise cependant, et de centre gauche pendant toute la période où il fait de la politique, et devient ministre de la République. Aron a toujours revendiqué cette tradition. Il a écrit une phrase que nous citons souvent : "la tradition libérale en France ce sont Montesquieu, Benjamin Constant, Tocqueville" et il ajoutait, un des hommes qui l’a le plus influencé : Élie Halévy. À cette lignée, nous, nous ajoutons Aron, et nous essayons d’imiter en admirant, de comprendre ce qui est nouveau et de défendre les mêmes principes.


nonfiction.fr :Dans un article de 1987, justement, vous tentez une définition du libéralisme. Vous expliquez, qu’il a connu certaines mutations dans son système, qu’il reposait sur la garantie des libertés individuelles, sur l’idée de régime représentatif et sur l’idée d’économie de marché. Et au moment où vous écrivez, vous dites qu’il y a aussi un libéralisme contemporain qui mêle démocratie, la notion de Welfare State et toujours la notion d’économie de marché. Dans l’esprit de beaucoup de personnes, et on revient à ce qu’on disait tout à l’heure à propos de la confusion sur le sens du libéralisme, l’idée d’associer Welfare State et libéralisme n’est pas quelque chose d’évident. Donc pourriez-vous revenir un peu plus sur la notion même de libéralisme afin de la préciser dans ce qui constitue ses principes fondateurs, peut-être aussi ses refus, d’ailleurs ?

Jean-Claude Casanova : Je remarquerai d’abord que le Welfare State a été inventé par des libéraux (et des conservateurs), pour répondre à ce qui leur paraissait légitime dans les revendications socialistes, comme John Stuart Mill ou Keynes (qui n’a jamais été travailliste). De même, les socialistes dissimulent aujourd’hui par leur défense du Welfare State leur abandon des trois dogmes principaux du socialisme : la planification centrale, l’appropriation publique des moyens de production et le protectionnisme. Si l’on considère historiquement la tradition libérale dans le monde anglo-américain, si on l’étudie sérieusement en France, sans clichés hâtifs et ignorants, il n’y a pas de discussion sur cette question. Quand vous dites aujourd’hui en Angleterre "il est libéral", en oubliant les partis, c’est une autre question, on voit à peu près ce que cela signifie,  c’est quelqu’un qui pense que les institutions favorables à la liberté doivent être maintenues et que d’une certaine façon il y a encore un progrès institutionnel possible en faveur des libertés, incluant d’ailleurs une extension disons des libertés formelles vers les libertés réelles. Et dans la tradition du libéralisme anglo-américain, le Welfare State est la conséquence du libéralisme et de la démocratie. Mais sauf à devenir contradictoire il ne doit pas entraver les libertés ni réduire l’efficacité de l’économie. Le propre du libéralisme est de refuser les simplifications étroites du socialisme et du conservatisme qui ne voient jamais la complexité des choses et les tensions plurielles qui caractérisent la nature humaine et les sociétés. Je vous redis que Keynes, qui passe pour socialiste en France, n’a jamais été travailliste, qu’il avait le plus profond mépris pour les travaillistes, car c’était un homme plutôt méprisant, notamment à l’égard des Français, et il éprouvait un mépris encore plus considérable pour l’Union soviétique. Mais il n’a jamais été conservateur. Cette tradition, en France, est moins présente, moins comprise, plus difficile à saisir. Vous pourriez,  cependant, vous amuser a dresser la liste des réformes sociales depuis 1875. Vous seriez alors obligé de citer beaucoup de libéraux au sens que je viens de mentionner : Waldeck-Rousseau, Millerand, Caillaux, Tardieu (pour les Assurances sociales), sans compter les gouvernements de droite de l’après guerre, dont le bilan, en matière de législation sociale, de redistribution et donc en faveur du Welfare State, n’est pas négligeable et au moins égal à celui du Parti socialiste.  

Il existe une difficulté d’interprétation, à propos du terme libéral, plus facile à résoudre : il existe dans le monde anglo-américain, mais aussi en France, deux branches du libéralisme qu’il faut à mon avis distinguer. Une branche qui serait ce que les américains appellent libertarian, nous dirions "libertarienne", et une branche qui serait libérale au sens classique. La branche libérale au sens classique accepte le Welfare State et elle à contribué à instaurer  des formes et des institutions de protection et de redistribution. Le grand homme du libéralisme "Welfariste", c’est John Stuart Mill. Il a dit une chose très simple : la science économique est la science de la production, la répartition tient à la science politique. La politique peut modifier la répartition. Stuart Mill est à mes yeux le centriste libéral par excellence, il est le plus profond. C’est d’ailleurs un homme intéressant, l’ami de deux grands Français, qu’il a connus et qui l’ont influencé, Auguste Comte, le plus antilibéral de tous les philosophes, et Tocqueville, le plus philosophe des libéraux. Il est très peu connu de nos jours en France, il a été connu par les libéraux français de la fin du XIXe, et vous pouvez visiter sa tombe à Avignon. Voilà pour le libéralisme classique.

À coté, existe une autre école de libéralisme, qui est très distincte, à laquelle appartiennent des intellectuels qui sont pour partie anarchisants, pour partie économicisants. Ils sont opposés à toute forme d’État, donc ils sont contre le Welfare State, ils sont contre toutes les formes de répartition politique, et ils sont pour le maximum de marché, contre les banques centrales, contre l’Europe qui pour eux est un super État en formation. Dans leur vision "libertarienne" on trouve une critique de la politique. Par exemple vous en trouvez des traces chez des gens comme, en France, Pascal Salin. Chez d’autres aussi inspirés par Hayek ou par Mises.  Évidemment, en profondeur, ils ont une vision anarchiste de la société : la politique étrangère, la communauté, la nation, l’identité, la religion civile, n’existent pas. Il n’existe que des individus libres et rationnels que toute forme d’organisation collective menace.

Vous savez la définition qu’on a donnée du libéral par rapport à l’anarchiste ? Le libéral  est un anarchiste qui accepte l’existence de la police, l’anarchiste, lui, ne tolère aucune forme de contrainte étatique. Cette frange du libéralisme existe. Elle me parait utopique et non politique. Mais comme toute forme de pensée elle doit être considérée et ces idéologues, à la différence de ceux issus de Marx ou de Nietzsche, n’ont jamais construits de camps de concentration. Les héritiers de Montesquieu et de Tocqueville non plus, d’ailleurs.

Ajoutons, pour finir sur ce point, que si on interprète le mot libéralisme uniquement en termes économiques, on perd en précision et en rigueur. L’économie est la logique de l’efficacité instrumentale. C’est une technique qui peut servir à la réflexion et à l’action politique mais qui ne la remplace pas. Commentaire n’est donc pas une revue d’économie libérale. C’est une revue qui réfléchit sur les formes d’organisation et des activités économiques du point de vue de leur efficacité relative et du point de vue de leur compatibilité avec les libertés politiques et la démocratie.


nonfiction.fr :Vous insistez sur le sens politique du libéralisme alors…

Jean-Claude Casanova : Nous ne sommes pas socialistes bien évidemment, même si des membres de notre comité de rédaction appartiennent au Parti socialiste ou si d’autres ont voté ou votent socialiste. Séparons la vie politique et la vision philosophique. Dans le socialisme comme doctrine on trouve deux idées : il y a l’idée que le libéralisme et l’individualisme corrompent, qu’il faut retrouver une forme de cohésion sociale et de solidarité. C’est une idée, si j’ose dire, réactionnaire, corporatiste, réagissant à l’individualisme de la Révolution française et au capitalisme. Et d’autre part il y a une idée utopique d’organisation centrale et de planification de la société. Le socialisme est une combinaison des deux, assise sur la compassion chrétienne à l’égard des pauvres et sur le ressentiment né des inégalités.


nonfiction.fr :Est-ce que l’opposition ne tourne pas, justement, principalement autour de la définition de la liberté ? Est-ce que finalement le socialisme tendrait à dire que le libéralisme n’est pas une liberté réelle et proposerait une autre forme d’émancipation ? Et comment pourrait-on peut-être caractériser, pour clarifier justement les termes, le projet de liberté propre du libéralisme, et en quoi est-il distinct de celui du socialisme ?

Jean-Claude Casanova : Cela dépend de quel socialisme on parle. Parce que c’est un mot qui recouvre aussi des choses extrêmement différentes. Qu’est-ce qui reste du socialisme ? Peu de choses. Si vous prenez les partis, laissons le cas de la France, d’abord vous constatez qu’il n’y a jamais eu de parti socialiste influent aux États-Unis, néanmoins il y existe une tradition démocrate et une tradition "libérale". Or les États-Unis incarnent le monde moderne et l’Europe ne fait que les imiter. Le socialisme européen se transforme lentement en parti démocrate américain depuis un siècle. Les Anglais et les Allemands sont les premiers de la classe ; les Français les derniers. En quoi la gauche américaine se différencie-t-elle des purs libéraux économiques ? Essentiellement par la fiscalité et par les mécanismes de redistribution. Ce sont les seules différences. Peut-être avec une tendance protectionniste. Sur les droits civiques ou les libertés individuelles l’opposition est entre conservateurs et libéraux, le socialisme est étranger au débat. Sur ces trois problèmes politiques qui sont la progressivité de l’impôt, l’importance relative de la fiscalité qui favorise l’importance de la puissance publique et la redistribution, et enfin le degré de protection – le degré de protection étant d’une certaine façon une forme de nationalisme – vous trouvez peu de libéraux protectionnistes mais vous trouvez des libéraux qui acceptent un protectionnisme éducateur, si vous trouvez naturellement des socialistes protectionnistes, vous trouvez aussi des socialistes libre-échangistes. Marx était pour le libre-échange. Comme il était très intelligent, il comprenait que quand on est protectionniste, cela veut dire qu’on préfère un national à un étranger, et que si on préfère un national à un étranger, ça veut dire qu’on n’a pas tout à fait une conception universaliste. Si vous pensez que c’est mieux de préserver un agriculteur breton qu’un agriculteur argentin, c’est parce que vous pensez que le breton est, à vos yeux, supérieur à l’argentin. Donc d’une certaine façon, si je voulais m’amuser je dirais que tout protectionniste est un raciste, et ainsi je rendrai hommage à la religion de l’époque pour laquelle toute différence entre les hommes est bannie.

Les libéraux économiques sont des libre-échangistes. Mais, si vous prenez un libéral non orthodoxe comme Keynes, vous constatez qu’il pense que les Anglais méritent un peu mieux que les autres, notamment que les Argentins, que 1929 va ruiner, et à partir de 1930, il devient mercantiliste. Il le dit lui-même, il adopte le mot qui définissait la doctrine économique de l’Espagne du XVIe siècle.

Toutes ces remarques dispersées pour vous dire que le socialisme, comme doctrine, est une hérésie chrétienne née au début du XIXe siècle, issue d’un passage des Actes des Apôtres, transformé en une utopie d’organisation économique opposée au capitalisme de marché. Sous ce double aspect, le socialisme a disparu. Il reste le capitalisme, le libre-échange que l’on baptise mondialisation, et surtout la démocratie. Pour plaire aux électeurs et à cause des pesanteurs idéologiques, il existe en Europe des socialistes. Vous m’accorderez que Marx penserait le plus grand mal d’eux. Et que les libéraux peuvent penser qu’ils ne sont pas différents d’eux, qu’il y des questions à débattre, des problèmes à élucider et des élections à gagner.


nonfiction.fr : Commentaire aborde, si on passe maintenant au contenu de la revue, des problématiques diverses qui touchent aux relations internationales …

Jean-Claude Casanova : Nous aimons l’étude des relations internationales ; depuis le début de la revue. Cela tient à ses origines (le conflit Est-Ouest), à nos goûts, à l’influence d’Aron, au désir d’Europe, etc. Nous sommes un peu plus internationaux que beaucoup d’autres revues françaises.


nonfiction.fr :Vous avez publié, en particulier, l’article d’Huntington sur le "choc des civilisations".

Jean-Claude Casanova : Oui, on a aussi publié l’article de Fukuyama avant l’édition anglaise ! Pour une simple raison : Fukuyama était l’élève d’Allan Bloom, Allan Bloom était un des fondateurs de la revue, et donc nous avions le manuscrit de Fukuyama puisque c’était tout simplement un exposé fait à un séminaire de Bloom. Nous avons surtout publié des articles des plus grands spécialistes des relations internationales dans le monde occidental et bien avant qu’ils ne soient connus du public français !


nonfiction.fr :Donc les relations internationales, la question du libéralisme aussi : de nombreux articles pour essayer de le définir et connaître sa situation, l’économie avec le débat que vous avez animé autour de l’essai de Nicolas Baverez, La France qui tombe, l’Europe, la culture, etc. Comment articuler le temps court de l’actualité et à la fois le temps long du commentaire, de la réflexion ?

Jean-Claude Casanova : Il faut distinguer des phases plus ou moins  importantes dans l’histoire de la revue.  D’abord 1978-89 : tant que le communisme existe, tant qu’il y a la bipolarité dans le monde – c’est pour ça que le mot libéralisme, d’une certaine façon joue un grand rôle au départ – il est évident que si nous nous proclamons libéraux à l’origine, cela veut dire que nous sommes anticommunistes, puisque les régimes communistes et leurs admirateurs nient la liberté. Point. À partir de 89-90 : fin de l’Union soviétique et d’une certaine façon fin du communisme. C’est pour cela que nous avons publié l’article de Fukuyama. Évidemment si on prend l’article de façon concrète et immédiate, la fin de l’histoire n’a pas de sens, puisqu’il n’y aura pas de fin de l’histoire et que l’histoire continuera, mais si on le prend, comme il le fait lui-même, de façon philosophique, c’est-à-dire exactement de la même façon que vous prenez Hegel, il veut tout simplement dire qu’il n’y a plus d’idéologie contradictoire de la démocratie, c’est-à-dire qu’il n’y a plus le nazisme ou de fascisme et de communisme. L’ultranationalisme totalitaire et le communisme, issus de la crise des démocraties et de 14-18 disparaissent et la démocratie devient l’horizon insurpassable. Commentaire n’a plus d’adversaires totalitaires, mais ni l’histoire, ni la réflexion, ni le malheur des hommes, ni les difficultés de la politique, ni les menaces, ni les risques ne s’effacent. Tout le paysage change, le souci politique demeure avec la satisfaction d’une victoire remportée. Je regrette qu’Aron disparu en 1983 n’ait pas eu ce bonheur.

Alors à quoi nous intéressons-nous principalement aujourd’hui ? Nous nous intéressons, je crois qu’on l’a écrit, ou que je l’ai écris, dès le début des années 1990, à la démocratie et à l’Europe. Nous sommes une revue dans une société démocratique qui est elle-même partie d’un ensemble démocratique plus large, qui est l’Europe, donc c’est une revue plutôt favorable à l’unification politique de l’Europe (ce qui recouvre le problème français, le mal être français, né de notre déclin historique depuis le milieu du XVIIIe siècle). Nous sommes pro-Europe avec des nuances, voire des différences, entre nos différents collaborateurs : certains sont plus irrédentistes au sens de la nation, d’autres le sont moins, sont plus fédéralistes, mais enfin en gros c’est une revue favorable à l’Europe. Ces débats : pourquoi l’Europe, comment, avec ou sans les Turcs, avec les Russes, contre eux, lié ou non à l’Amérique, probable, incertaine, impossible, etc. ? Toutes ces immenses questions historiques et politiques nourrissent la revue, ses articles, nos discussions, nos interrogations, nos anxiétés. Qui ne voit pas que le destin de l’Europe dans le monde et donc celui de la France devient problématique.

En second lieu Commentaire est une revue favorable à la démocratie – alors là tout à fait dans ce qu’est la tradition libérale classique en France – avec l’idée que la démocratie est le régime qui découle du libéralisme, mais que rien ne montre que ce soit un régime parfait. Il n’est pas démontré que l’élection permette de choisir les meilleurs, il n’est pas démontré que les majorités aient toujours raison. La philosophie politique et le libéralisme exige donc une réflexion sur ces sujets, réflexion nourrie par l’histoire, par l’observation et par le journalisme. Notre but est de montrer la continuité et la liaison entre la réflexion la plus haute et le journalisme au sens de l’observation la plus quotidienne. Cette réflexion sur les sociétés modernes démocratiques, s’appuie sur une ambition définie dès la naissance de la revue. C’est une revue qui est faite pour les intellectuels et pour les politiques, qui leur est destinée pour essayer d’apprendre aux intellectuels à parler raisonnablement de politique, parce qu’en France ils sont eu et ils ont tendance à dérailler. Aux politiques nous voudrions apprendre à réfléchir. Parce que trop peu le font ; parce que la vie politique ne favorise pas la réflexion. Parce que la réflexion exige le loisir et l’étude. C’est ainsi qu’écrivent chez nous beaucoup de gens qui ont exercé des responsabilités, ou qui sont proches des responsabilités, donc en gros qui savent de quoi ils parlent dans les domaines dont ils parlent. C’est donc fait pour  rapprocher les intellectuels de la politique, et pour inciter les hommes politiques à la vie intellectuelle.


>> Voir les extraits vidéos.

>> La version écrite de l'entretien est en onze parties :
Bastien ENGELBACH


Jean-Claude Casanova

De Wikiberal
Jean-Claude Casanova, né le 11 juin 1934 à Ajaccio, est un intellectuel français, libéral classique, fortement influencé par Raymond Aron. C'est l'actuel directeur de la revue intellectuelle Commentaire, fondée en 1978 par Aron.  
Élève doué, il passe de nombreux diplômes. Il est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, agrégé de droit et de sciences économiques, docteur ès sciences économiques.
Il travaille au sein d'un cabinet d'avocats puis rejoint le département d'économie de l'université Harvard en 1957-1958. Il devient ensuite assistant à Sciences Po, puis à la faculté de droit et des sciences économiques de Dijon (1963-1964). Il est alors élu directeur d'études et de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques, poste qu'il occupe jusqu'en 1990. Il fut également professeur à l'ENA et dans divers établissements d'enseignement. Parallèlement, il travaille au sein de plusieurs cabinets ministériels centristes : Jean-Marcel Jeanneney, Joseph Fontanet, Raymond Barre.
Il a eu également une importante activité comme éditorialiste ou auteur; il a cofondé, avec Raymond Aron, la revue Commentaire, dont il est le directeur depuis sa création en 1978. Il est de plus éditorialiste associé au journal Le Monde après l'avoir été à L'Express de 1985 à 1995. Il collabore également au Figaro ainsi qu'à France Culture. Dans l'édition, il est directeur-adjoint de la collection Thémis Économie (Presses Universitaires de France) depuis 1986 et préside plusieurs jurys de prix littéraires.
Après ses activités de conseiller ministériel, Jean-Claude Casanova avait repris ses activités d’enseignant, à l'Institut d'études politiques de Paris, animé des séminaires de recherche en pensée politique ou en relations internationales, et a dirigé jusqu’en 2002 l’un des deux centres de recherche en économie de l'IEP : le Service d’étude de l’activité économique (SEAE).
Jean-Claude Casanova a été membre du Conseil économique et social de 1994 à 2004, et depuis 2004 est membre du Conseil d'analyse de la société. Il est membre depuis 1997 de l'Académie des sciences morales et politiques. Il est également Président du Conseil scientifique de l'Institut national d'études démographiques, depuis 1996.

Pensée

A travers ses œuvres, et tout comme la revue Commentaire, il s'inscrit dans la tradition du "libéralisme mélancolique" décrit par Pierre Hassner : une façon d'être lucide sans renoncer à l'espérance - dans la lignée d'Alexis de Tocqueville, d'Élie Halévy, de Raymond Aron et de François Furet.
Il considère que la distinction entre libéralisme classique et libertarianisme est nécessaire, car il ne s'agit pas uniquement pour lui d'une différence de degré entre ces deux philosophies. Le libéralisme classique dont il se revendique se décline principalement dans le champ politique avec l'insistance sur plusieurs valeurs essentielles : « les libertés publiques, le régime représentatif, la liberté d’expression, les droits individuels, la propriété privée, la concurrence et le libre-échange »[1].
Il lui oppose le courant libertarien, qui séduit « pour partie [les] anarchisants, pour partie [les] économicisants »[1]. La vision libertarienne est pour lui anti-politique, profondément anarchisante en fait.
A l'inverse de cette dernière, Casanova défend par exemple un État-providence.

L’inflation est-elle un facteur de croissance ?

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


« Sans inflation, pas de croissance » a déclaré un haut responsable français. Une affirmation en phase avec les inquiétudes qui se manifestent, jusque chez certaines banques centrales, sur les risques de déflation dans la zone euro. 

Notons d’abord que l’inflation peut générer non pas la croissance mais la récession. Dans les années 1970, au choc d’inflation par l’offre suscité par les fortes hausses du prix du pétrole, la politique économique incompétence ou démagogie , en faisant supporter la presque intégralité de cette hausse sur les entreprises et en épargnant largement les ménages, provoque la « stagflation » et porte un coup très dur au secteur productif. L’autre source d’inflation enseignée dans nos manuels, l’inflation par la demande, peut-elle stimuler la croissance de la production ? Keynes l’affirme en disant que l’inflation est comme la fièvre qui colore les joues et est source d’une certaine excitation. 

Mais du temps de Keynes, les économies étaient beaucoup moins ouvertes sur l’extérieur que de nos jours. Plusieurs expériences plus récentes de politiques de relance de la demande, en 1975 et en 1981, ont provoqué de l’inflation, un important déficit du commerce extérieur... et très peu de croissance. Certes, une forte inflation peut réduire les taux d’intérêt réels (encore que dans les années 1980, des taux nominaux très élevés amoindrissaient nettement cet avantage attendu) et, par les espoirs d’une baisse relative des charges d’amortissement, encourager les investissements immobiliers et le crédit. 

Mais les choses ne sont pas aussi nettes. À partir de 1986, des ménages qui s’étaient endettés à des taux élevés se virent confrontés, avec la chute du taux d’inflation, à des charges d’intérêt et d’amortissement écrasantes. Inversement, les très faibles taux d’intérêt actuellement demandés pour les crédits immobiliers, résultant de la faible inflation, sont une incitation à emprunter à taux fixe, avec l’espoir qu’une remontée du taux d’inflation, même modérée, amoindrira encore les charges d’endettement. En août 2014, la hausse des prix sur un an est en France de 0,53 %, contre 1 % en août 2013, 2,4 % en août 2012 et 2,4 % en août 2011. Faut-il s’inquiéter de cette chute spectaculaire du taux d’inflation ? Une première réponse peut être trouvée en examinant les variations détaillées des prix des différents produits de consommation. Sur 22 principales rubriques de l’indice, 15 ont vu leurs prix augmenter sur un an, plusieurs très sensiblement : l’entretien du logement pour 3,9 %, les réparations automobiles 2,4 %, les transports 2,1 %, les assurances 2,3 %, les restaurants et cafés 2,9 %, les journaux 4,4 %, la poste 4,1 %. Certaines de ces hausses résultent de décisions administratives, mais la plupart sont constatées dans des services, voire sur des produits manufacturés (vêtements, 1,8 %, automobile, 1,1 %) dont les prix sont libres, ce qui ne va pas dans le sens des alarmes sur les risques de déflation. Quels sont maintenant les postes de l’indice qui sont à l’origine de sa très faible augmentation globale ? Le prix du gaz (administré), qui a baissé de 2,4 %, celui des carburants (qui pèse lourd dans l’indice), moins 3,2 %, celui des fruits et légumes, moins 9,5 %, des café, thé, cacao, moins 2,8 %, celui des équipements téléphoniques, moins 14,1 %, celui de équipements numériques, moins 7 % (dont moins 13,3 % sur les appareils photo et moins 10,9 % sur les télévisions) et des appareils ménagers, moins 1,7 %. Autrement dit, la faible augmentation de l’inflation résulte, non de l’évolution des prix de l’ensemble des composantes de l’indice, ce qui pourrait révéler une tendance déflationniste, mais des variations négatives, certaines particulièrement spectaculaires, de quelques rubriques, qui ont presque annulé les incidences sur l’indice global des hausses, certaines fortes, qu’ont enregistrées la grande majorité des composantes de la consommation des ménages. Ces baisses résultent (on met à part la baisse du prix administré du gaz) de l’évolution du prix des matières premières importées, de la concurrence ou du progrès technologique, ce qui ne dénote pas des pressions déflationnistes. 

Ces baisses ont-elles engendré des comportements d’attentisme affaiblissant la consommation ? Nullement. Elles l’ont, au contraire, dans certains secteurs (téléphones électroniques, numérique), probablement dopé et ont peut-être évité une variation négative du PIB. La faible hausse des prix constatée actuellement n’handicape donc pas la croissance et ne peut être interprétée comme l’amorce d’un phénomène déflationniste. 

Qu’elle gêne les responsables des finances dans la mesure où certaines mesures d’économie, comme le gel des salaires de la fonction publique, ont une portée amoindrie, est une chose. Mais imputer à la faible inflation la responsabilité de l’absence de croissance, c'est-à-dire en fait, accuser un environnement extérieur sur lequel nous ne pourrions rien, alors qu’elle contribue à améliorer le pouvoir d’achat des gens modestes, et donc en définitive à soutenir l’activité, est une contre-vérité. 

*Jean-Pierre Patat est conseiller au CEPII. Il travaille actuellement dans le cadre de la participation française au NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique). Actuellement, il professe un cours de monnaie et système financier dans un M.B.A. Banque et Finance à Dakar. Il a été Directeur général des Etudes et des Relations Internationales de la Banque de France. Il a également travaillé à l'INSEE et au Commissariat Général du Plan. Il a enseigné, à l 'ENSAE, à Sciences politiques, à Paris I et à Normal Sup.
 
Source, journal ou site Internet : CEPII/ Compétitivité et croissance
Date : 15 octobre 2014
Auteur : Jean-Pierre Patat*

PASCAL SALIN : Libéralisme (un classique à redécouvrir)

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

On ne parle jamais assez du libéralisme. Il est tellement caricaturé, déformé, que les libéraux doivent s'astreindre sans cesse à le réhabiliter et, pour ce faire, à l'expliquer. Dans cette oeuvre d'hygiène intellectuelle indispensable, la contribution de Pascal Salin est parmi les plus précieuses. Il avait déjà forgé des armes pour les libéraux avec "L'Arbitraire Fiscal" (2° édition Slatkine Paris-Genève, 1996), "La Vérité sur la Monnaie" (Odile Jacob, Paris 1990), "La Concurrence" (PUF Que Sais-je Paris 1995), "Libre Echange et Protectionnisme" (PUF Que Sais-je, Paris 1991). Voici qu'il nous offre maintenant "Libéralisme", publié ces jours-ci chez Odile Jacob (500 pages, 180 Frs).( Aleps)
 
http://ecx.images-amazon.com/images/I/314JYK3YCZL._SL500_AA300_.jpg
cliquez l'image, achat livre

 « Cette conception selon laquelle, sur la longue période, ce sont les idées (et donc les gens qui mettent en circulation les idées nouvelles) qui gouvernent l’évolution – et parallèlement la conception selon laquelle les cheminements individuels dans ce cours des choses doivent être orientés par un ensemble cohérent de concepts – ont depuis longtemps constitué une partie fondamentale du credo libéral. »
 
Friedrich HAYEK, La constitution de la liberté

Nous pouvons dire avant tout de cet ouvrage qu'il est "magistral". C'est bien un maître de la pensée libérale qui délivre son enseignement. Le libéralisme, il le connaît sur le bout des doigts. Dès le début de sa carrière universitaire Pascal Salin avait créé, avec d'autres agrégatifs, le "séminaire Jean Baptiste Say", une initiative courageuse qui consistait à faire connaître dans les milieux universitaires français la pensée libérale, les travaux de Hayek et de Friedman, alors que la mode était aux idées marxistes ou keynésiennes. Ensuite, il ne cessera de professer sa foi libérale non seulement à Paris Dauphine, mais dans toutes les conférences internationales, ce qui lui a valu une reconnaissance par la communauté scientifique du monde entier, et la présidence de la très prestigieuse Société du Mont Pèlerin fondée par Hayek et présidée par des intellectuels aussi brillants que Milton Friedman, George Stigler, James Buchanan, Gary Becker, tous prix Nobel d'Economie.



Hélas cette "grosse pointure" de la science économique n'a jamais eu dans son propre pays l'écoute et la célébrité qu'il avait ailleurs. C'est un des signes de l'exception française. Seul le petit cénacle de l'ALEPS a reconnu ses talents, et Pascal Salin, aujourd'hui membre du Collège Présidentiel, a été pendant plus de dix ans Vice-Président, et assume aujourd'hui la lourde mission de présider le Jury du Prix de la Pensée Libérale (qui a distingué successivement Philippe Manière et Patrick Simon). La publication de "Libéralisme" rompra sans doute la conspiration du silence, et on va peut-être pouvoir enfin parler et de l'auteur et du livre. Le livre est une invitation à la réflexion en profondeur sur ce qu'est véritablement le libéralisme. Après deux chapitres introductifs, consacrés à poser le problème du libéralisme, et des faux nez qu'on lui fait porter en France, viennent trois chapitres inédits sur "les Piliers du Libéralisme". On appréciera la maîtrise de la démonstration, la profondeur de l'analyse et l'élégance d'une langue simple et précise.

Cinq chapitres qui suivent nous permettent de relever un certain nombre d'erreurs commises à propos du libéralisme. L'opinion publique, notamment en France, a une fausse idée de ce qu'est l'entreprise, le profit, le monopole et la concurrence, la finance. Des questions d'actualité, comme la participation, le capitalisme populaire et la privatisation, y sont également évoqués. Des lecteurs plus intéressés par les problèmes concrets que par la philosophie sociale ou l'analyse économique prendront leur plaisir à la lecture des six chapitres suivants, qui sont autant d'exemples retenus par Pascal Salin pour expliquer ce qu'il faut et ce qu'il ne faut pas faire dans la vie quotidienne : comment les libéraux considèrent-ils l'immigration, l'urbanisme et la propriété immobilière, les limitations de vitesse et la ceinture de sécurité, l'assurance maladie, la retraite, la réglementation anti-tabac, la défense de l'environnement ? Pascal Salin prend ici des positions que d'aucuns qualifieront de "libertariennes", pour signifier qu'elles sont inspirées par un libéralisme radical, sans compromission, dans toute sa pureté. De quoi faire fuir les politiciens sans doute, mais de quoi faire rêver les jeunes (et les moins jeunes) épris de liberté...


Enfin, et non le moindre, l'ouvrage se termine par une prospective de l'Etat :
que fera-t-il désormais ? 
Aura-t-on tiré les leçons de l'échec généralisé de la macro-économie ? 
Va-t-il enfin se retirer de la scène économique et sociale pour laisser jouer les individus ? 
Va-t-il enfin cesser de spolier les Français par une fiscalité aussi ruineuse qu'arbitraire ? 

Il y sera sans doute contraint par la mondialisation, et il est souhaitable que le libre-échange mondial poursuive sur sa lancée au lieu d'envisager des replâtrages comme les veulent certains dirigeants européens, trop aveugles pour ne pas avoir compris l'erreur de l'euro. A votre réflexion, parce qu'il y a là un bon échantillon des plus belles pages de cet ouvrage, et parce que ce sont deux conclusions majeures de Pascal Salin, nous livrons deux passages : l'un se rapporte aux perspectives de la mondialisation, l'autre aux exigences de la liberté. 
NATIONALISME (pp. 489-490) : 

"Qu'il s'agisse de monnaie, d'échanges commerciaux ou d'immigration (comme nous l'avons vu précédemment), on est confronté à un conflit majeur, celui qui oppose la liberté des personnes à la prétention des États de décider de ce qui est censé étre bon pour la "nation".
 Or, qu'est-ce que la nation, si ce n'est un ensemble d'hommes et de femmes ? 
Et comment pourrait-il y avoir des objectifs " nationaux " indépendamment des objectifs individuels ? 
Pour un libéral, l'appartenance d'un individu à une collectivité quelconque, qu'elle soit nationale, religieuse, culturelle ou sportive, si elle est importante pour l'individu concerné, ne concerne pas l'observateur extérieur. Un "étranger" a autant de vaIeur qu'un concitoyen et la liberté d'entrer en contact avec lui pour échanger des biens, des idées, des signes d'amitié, doit être préservée aussi rigoureusement que la liberté d'entrer en contact avec un concitoyen. Aucune vertu particulière, aucune valeur supérieure ne peut être accordée à un individu ou à une activité du fait qu'ils portent le label "national". Il n'y a pas de différence de nature entre l'échange intra-national et l'échange inter-national, car l'échange se fait toujours entre des individus et le fait qu'ils se trouvent sur le même territoire national ou sur d'autres territoires nationaux n'a strictement aucune importance. Pour un libéral le nationalisme n'est donc pas compréhensible, mais la nation l'est, parce que les communautés humaines existent et sont des faits sociaux concrets. Une nation est en effet une réalité immatérielle qui résulte d'un sentiment d'appartenance à une même communauté - forgée par l'Histoire, la langue, les coutumes - et l'existence de ce sentiment dans les consciences d'un certain nombre de personnes constitue la nation comme un réseau de relations interpersonnelles. I1 n'est donc pas question de nier la nation en tant qu'objet de perception, mais de rejeter la prétention à ériger la nation en une entité abstraite ayant ses propres exigences, sa propre volonté, ses propres fins ; de rejeter aussi la "nationalisation de la nation" par l'Etat, c'est-à-dire sa prétention à représenter la nation, à parler et à agir en son nom, car il est illégitime de monopoliser des sentiments d'appartenance. L'État-nation, caractéristique des sociétés modernes, est par nature incompatible avec une société de liberté individuelle. C'est pour cette raison profonde que la mondialisation, si elle contribuait effectivement à la destruction des Etats-nations, serait un bienfait pour l'humanité. Les politiques d'intégration régionale sur tous les continents doivent alors étre considérées non pas comme des progrès, mais plutôt comme des réponses à l'éclatement inéluctable des frontières étatiques et comme des efforts pour retarder une véritable mondialisation et la disparition des Etats-nations".



 L'économiste Pascal Salin rappelle au journaliste Jean-François Kahn que le libéralisme n'a jamais été tenté en France, pays qui reste très attaché à son État obèse.

Le Monde : La voie libérale n'a jamais été essayée en France
http://www.lemonde.fr/idees/article/2...
DU COURAGE POUR ETRE LIBÉRAL (p. 500) : "On ne peut pas vouloir une chose et son contraire, on ne peut pas proclamer la liberté et accepter l'esclavage. Rechercher une troisième voie mythique entre le collectivisme et l'individualisme, se prétendre tolérant parce qu'on admet les compromis, ce n'est pas seulement un manque de lucidité c'est une véritable trahison. Il faut du courage pour être libre, mais il faut aussi du courage pour être libéral dans ce monde de fausses valeurs, d'alibis douteux, de compromis idéologiques, de mimétisme intellectuel et de démagogie politicienne où l'humanisme libéral est ignoré, déformé, caricaturé jusqu'à la haine. Dans l'ouragan idéologique qui a balayé le XXème siècle et où nazisme, communisme, mais aussi social-démocratie ont failli faire périr l'idée éternelle et universelle de la liberté individuelle, c'est l'honneur de quelques hommes, de quelques grands penseurs d'avoir pris le risque intellectuel et personnel de sauver cette idée, de la développer, d'en rechercher sans relâche les implications, de la diffuser.
 
Au-delà, bien au-delà des simples recettes économiques, elle rencontre l'adhésion d'un nombre croissant d'hommes et de femmes de talent, de jeunes surtout, lassés du conformisme de leur époque. Ils découvrent, ils redécouvrent que l'humanisme n'est pas mort et que l'humanisme ne peut avoir d'autre visage que celui du libéralisme.
 
Autres critiques:
 
Que vous soyez pour ou contre, de droite ou de gauche, vous croyez tout savoir sur le libéralisme, "sauvage" pour les uns, "salutaire" pour les autres. Mais pourquoi faut-il supprimer la législation sur la concurrence, instaurer la liberté d’immigration, supprimer le monopole de la Sécurité sociale ou encore recourir aux privatisations pour résoudre les problèmes écologiques ? Pourquoi l’euro n’est-il pas une invention libérale ? Pourquoi la mondialisation est-elle préférable à l’intégration régionale ? Pourquoi la politique de stabilisation est-elle une source d’instabilité économique ? Une réévaluation en profondeur de la pensée libérale ; une contribution iconoclaste aux débats sur les principes et la philosophie qui doivent nous guider. Et si le libéralisme, fort des trois principes que sont la liberté, la propriété, la responsabilité, était le véritable humanisme, la seule vraie utopie réaliste qui autorise la plus belle des espérances pour notre temps : la confiance optimiste dans l’individu ?
 

 
 
 
 
 
Aurélien Véron


 

Pascal Salin

De Wikiberal
Pascal Salin (né le 16 mai 1939 à Paris) est un économiste et philosophe français, professeur à l'université de Paris IX Dauphine, spécialiste de la finance publique et ancien président de la Société du Mont-Pèlerin (1994-1996), succédant à Max Hartwell et cédant sa place à Edwin J. Feulner. Libéral et scientifique, il a également fait partie du bureau éditorial du Journal of Libertarian Studies.  
Après des études à la faculté de droit de Bordeaux, il effectue un cursus en économie à Paris, en parallèle à l'Institut d'études politiques de Paris. Diplômé de Sciences Po, il obtient un doctorat en économie ainsi qu'une licence de sociologie. Il passe parallèlement l'agrégation d'économie[1].
Il commence par être assistant universitaire à Paris entre 1961 à 1966, alors qu'il n'a que 22 ans. Puis il devient maitre de conférences à l'université de Poitiers et Nantes. En 1970, il rejoint comme professeur d'université l'université de Paris IX Dauphine[1]. Il y enseigne encore aujourd'hui. Il dirige le Centre de Recherche en Théorie Economique Jean-Baptiste Say[2], auquel a collaboré avec Georges Lane ou Alain Wolfelsperger. Il a compté parmi ses élèves François Guillaumat, alors doctorant, Philippe Lacoude, Bertrand Lemennicier, Cécile Philippe, Véronique de Rugy ou Frédéric Sautet.
Il a depuis travaillé comme consultant, notamment, pour service d’études du Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement du Niger, l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), et le Harvard Institute for International Development.
Entre 1994 et 1996, il préside la Société du Mont-Pèlerin, une organisation internationale fondée par Friedrich Hayek en 1947 et composée d'économistes, d'intellectuels et d'hommes politiques réunis pour promouvoir le libéralisme. Il a également exercé des responsabilités importantes au sein de l'Aleps.
Chevalier de la Légion d'honneur, il est également chevalier des Arts et des Lettres et officiers des Palmes académiques. Il a reçu le Prix renaissance de l'économie en 1986.

Travaux et prises de position

Il a effectué de nombreux travaux dans le champ de la finance publique ou sur les questions monétaires. Il défend en particulier le système de réserves fractionnaires.
D'inspiration libérale et libertarienne, son œuvre marche dans les traces de la tradition autrichienne : Frédéric Bastiat, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek. Il défend généralement des positions minarchistes ou anarcho-capitalistes. Ainsi, dans Libéralisme (2000), il écrit sur l'État : « L'État n'a aucune justification morale ni scientifique, mais (...) constitue le pur produit de l'émergence de la violence dans les sociétés humaines ». A propos de l'impôt il déclare : « Prélevé en fonction d'une norme décidée par les détenteurs du pouvoir étatique, sans respect de la personnalité de chacun, l'impôt pénalise la prise de risque et est foncièrement esclavagiste, allant à l'encontre de son but recherché, bafouant les droits fondamentaux de l'être humain et la propriété de l'individu »[3].
Il contribue régulièrement au Québécois Libre. Il a pris position en faveur du projet de directive sur la libéralisation des services dans l'Union européenne (directive Bolkestein) et en défaveur du Traité de Rome de 2004.
 

L'Illibéralisme français, un semblant d'explication!

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Sommes-nous sortis de cette culture illibérale ? Bien des éléments de notre actualité politique ou socio-économique sont là pour conduire à donner une réponse négative à cette question. Mais ce serait peut-être déjà beaucoup que d’avoir progressé dans la compréhension de ses termes.
Par Pierre ROSANVALLON, dans "Fondements et problèmes de l' "illibéralisme" français"
 
 
 
Voici ci-dessous l'historique de cette vision illibérale que bon nombre de français sont inconsciemment victime, tout comme nous autres, libéraux à devoir en permanence leur expliquer, tout du moins tenter de le faire. Pourrions-nous penser que les causes ne soient uniquement liées d'une part par rapport à une éducation judéo-chrétienne, d'autre part par une idéologie collectiviste; certes nous en sommes arrivés  et adaptés de part ces deux raisonnements. Cependant quelle évolution a permis d'en arriver à ce jour en cette situation? Les libéraux n'en serait ils pas aussi la cause, différentes mouvances qui se sont constituées, bien souvent respectivement radicalisées. Qu'est-ce donc cette notion "illibérale"?
 
On appellera " illibérale " une culture politique qui disqualifie en son principe la vision libérale. Il ne s’agit donc pas seulement de stigmatiser ce qui constituerait des entorses commises aux droits des personnes, marquant un écart plus ou moins dissimulé entre une pratique et une norme proclamée. Le problème est plus profondément de comprendre une étrangeté constitutive.

On peut caractériser en une première approximation l’illibéralisme de la culture politique française par sa vision moniste du social et du politique ; une de ses principales conséquences étant de conduire à une dissociation de l’impératif démocratique et du développement des libertés. Formulé dans ces termes très généraux, le constat n’est pas en lui-même très original. Il est même d’une certaine façon parfaitement banal. Mais c’est justement cette banalité qui fait problème, repliée qu’elle est généralement sur la dénonciation paresseuse d’un " jacobinisme " chargé de tous les maux. Cornélius Castoriadis disait un jour que le danger que la " langue de caoutchouc " faisait courir à l’intelligence était aussi menaçant que celui de la " langue de bois ". On est tenté de l’approuver quand on considère l’usage appauvrissant et vague qui est fait de cette notion de jacobinisme. Cette dernière a surtout pour inconvénient de marquer un point d’arrêt de la réflexion, de la clore dès son commencement en instituant une sorte de péché originel de la politique française dans lequel s’abîmeraient platement ses malheurs aussi bien que ses dévoiements.


Il vaux mieux aller plus profond et penser avec Tocqueville que c’est dans un lien trouble entre le vieux et le neuf que se sont nouées les idiosyncrasies nationales. Mais ce n’est, par contre, peut-être pas dans les termes d’une continuité, telle que l’expose l’auteur de
L’Ancien régime et la Révolution qu’il faut considérer ce rapport. Il s’agit plutôt d’une figure d’opposition-incorporation. Le monisme français apparaît dans cette perspective comme le produit en tension d’un rationalisme politique et d’une exacerbation de la souveraineté, paradoxalement également critiques l’un et l’autre de l’absolutisme monarchique. Essayons de le montrer.
 
 
 
I – Le rationalisme politique à la française comme illibéralisme

Dans la plupart des pays, l’élargissement du droit de suffrage a été indexé sur les progrès du gouvernement représentatif. L’histoire du suffrage universel, en d’autres termes, s’est inscrite dans une histoire des libertés. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, la lutte contre l’absolutisme se traduit ainsi par une demande d’amélioration des procédures de représentation politique. Rien de tel dans la France du XVIIe. C’est d’abord au nom d’un impératif de rationalisation que s’instruit le procès de la monarchie absolue. L’œuvre des physiocrates exprime remarquablement, au milieu du XVIIIe siècle, la nature et les fondements de cette approche, que Turgot et Condorcet incarneront après eux. La liberté ne procède pas pour eux d’une protection de la loi positive mais d’une organisation conforme à la nature (l’oppression prenant à l’inverse nécessairement sa source dans les égarements de la volonté humaine). Cette vision de la liberté dans son rapport à la loi repose sur une épistémologie de la connaissance centrée sur la notion d’
évidence. Le point est fondamental.

L’évidence exprime en effet la généralité, au-delà donc de toutes les discordes, les équivoques, les indéterminations, les particularités. " Quand les hommes sont malheureusement privés de l’évidence, écrit Le Mercier de la Rivière, l’opinion proprement dite est le principe de toutes forces morales : nous ne pouvons plus alors ni connaître aucune force, ni compter sur elle. Dans cet état de désordre nécessaire, l’idée d’établir des contre-forces pour prévenir les abus arbitraires de l’autorité souveraine, est évidemment une chimère : l’opposé de l’arbitraire, c’est l’évidence ; et ce n’est que la force irrésistible de l’évidence qui puisse servir de contreforce à celle de l’arbitraire et de l’opinion ". Les physiocrates sont sur ce point des disciples de Malebranche. Ils ont lu et médité
De la recherche de la vérité et s’appuient sur son auteur pour disqualifier la volonté et l’opinion. C’est un moyen commode de déplacer ou d’éviter le problème de l’auto-institution du social. Devant l’évidence, nécessité et volonté fusionnent en effet. "L’évidence doit être le principe même de l’autorité parce qu’elle est celui de la réunion des volontés ", dit Le Mercier. Elle est l’équivalent du principe d’unanimité, forme de la raison universelle. C’est un mode d’accès à la vérité et à l’intérêt général qui n’implique aucunement la délibération ou l’expérimentation.

Le " libéralisme " à la française articule ainsi de façon très particulière le culte de la loi et l’éloge de l’État rationalisateur, la notion d’État de droit avec celle de puissance administrative. L’avènement d’un État rationnel constitue dans cette perspective une condition de la liberté : loi, État et règle générale finissent par se superposer. Dans le seconde moitié du XVIIIe siècle, ce rationalisme politique ne constitue pas seulement une doctrine, il trouve un point d’appui et une forme de mise en œuvre dans les transformations concrètes de l’appareil administratif. Après 1750, le vieux monde des officiers commence en effet à reculer devant l’ascension des commissaires, marquant une inflexion décisive dans l’évolution de l’administration vers une organisation moderne. Le despotisme éclairé et le libéralisme à la française trouvent un terrain de rencontre ambigu dans un tel processus de rationalisation de l’appareil d’État, laissant vide l’espace intellectuel occupé par le libéralisme anglais.


C’est à partir de là qu’il faut comprendre l’hostilité latente à Montesquieu, à qui beaucoup reprochent de s’appuyer sur des principes " gothiques " pour combattre l’absolutisme. C’est aussi à partir de là qu’on peut analyser le rapport des Lumières françaises à l’Angleterre ou à l’Amérique.


Si les fruits du régime anglais – la tolérance et la liberté – sont unanimement appréciés, les principes sur lesquels il repose sont loin de recueillir le même assentiment. Il ne faut pas se tromper sur l’anglophilie des Lumières : elle est politique et non philosophique, comme en témoignent bien les
Lettres anglaises de Voltaire. De la même façon, les Lumières ont soutenu l’émancipation américaine tout en prenant rapidement leurs distances vis-à-vis de l’œuvre constitutionnelle des Américains, trouvant qu’elle restait trop marquée par l’esprit de la " Common law " anglaise et de la balance des pouvoirs. Dans sa fameuse lettre au Docteur Price (22 mars 1778), Turgot reproche ainsi à ce dernier de rester prisonnier des " bases fausses de la très ancienne et très vulgaire politique ". L’opposition entre le rationalisme à la française et le libéralisme anglais trouve plus tard sa formulation classique dans les notes que Condorcet et Dupont de Nemours ajoutent en 1789 à la traduction française de l’ouvrage de Livingston, Examen du gouvernement d’Angleterre, comparé aux constitutions des États-Unis. Les deux philosophes français y exposent de façon très claire les fondements de leur hostilité au parlementarisme à l’anglaise. L’existence du Parlement, argumentent-ils, ne garantit aucunement la protection des individus. " Le mal d’un gouvernement arbitraire, insistent-ils, n’est pas dans celui qui l’exerce ; il est dans l’arbitraire ". Le Parlement, en effet, peut tout autant qu’un monarque absolu prendre des résolutions dommageables. Il y a certes d’excellentes lois en Angleterre, " mais ces lois sont accidentelles. Elles ne tiennent pas à la Constitution britannique ". L’autorité législative doit être strictement limitée à leurs yeux. " Les nations et les philosophes ont encore des idées très confuses sur l’autorité législative, notent-ils. L’autorité de faire toute espèce de lois, même celles qui seraient absurdes et injustes, ne peut être délégués à personne ; car elle n’appartient même pas au corps entier de la société ". Ils retrouvent là l’essentiel des arguments de Quesnay et de Le Mercier de la Rivière.

Le principe libéral de protection des personnes et des biens ne s’appuie aucunement sur le développement des procédures représentatives dans cette conception ; il trouve un enracinement suffisant dans l’édification d’un pouvoir Un et Raisonnable. Il n’y a guère de place également pour la représentation dans un tel dispositif et l’idée de droit de suffrage est même absolument étrangère à cet univers. La discussion entre gens éclairés d’où germe la Raison suffit à produire les conditions de la liberté. " Que signifie ce nom de
représentation ? demande par exemple Suard. Qu’est-ce que des représentants peuvent représenter sinon l’opinion publique ? Que les débats naissent donc et qu’ils durent tant que cette opinion est incertaine […]. On ne se divise en partis ni à la vue d’une partie d’échecs, ni à la lecture de deux solutions du même problème de géométrie ". Louis Sébastien Mercier reprend aussi ce thème dans L’an 2440. " Les États généraux que nous avons perdus, écrit-il, sont remplacés par cette foule de citoyens qui parlent, qui écrivent et qui défendent au despotisme d’altérer trop considérablement la constitution libre et ancienne des Français ". Au modèle anglais de la protection des libertés par l’existence de contre pouvoirs issus de la représentation politique des principales forces sociales du pays, s’oppose ainsi au XVIIIe siècle le modèle du rationalisme politique à la française.

La liberté est ainsi pensée contre le libéralisme pour parler abruptement.


Ce rationalisme politique a-t-il été défait par l’éloge de la volonté qui marque la culture politique révolutionnaire ? Non. Il a plutôt subsisté
en tension avec l’idée de souveraineté du peuple. Car la tension des principes – l’évidence versus la volonté, la raison versus le nombre – a d’une certaine manière été dépassée dans une commune célébration de l’unité. C’est une même façon de penser la généralité comme totalité et d’en disqualifier tout mode d’appréhension pluriel. La façon de concevoir la souveraineté du peuple, pour dire les choses autrement, s’est appuyée sur la même vision du social que celle dont procédait l’éloge de l’État rationalisateur.

II – Une façon de penser l’intérêt général et la souveraineté qui disqualifie les corps intermédiaires


Dans son fameux discours sur le veto royal du 7 septembre 1789, Sieyès a eu les mots extraordinaires que l’on sait pour dénoncer le risque de voir la France transformée en une " chartreuse politique ". Pour accomplir l’œuvre révolutionnaire, il lui semblait, en effet, qu’il fallait ériger la nation en une puissance aussi compacte et indécomposable que l’avait été la puissance déchue du monarque. Ce principe d’opposition s’est ainsi doublé d’une véritable réappropriation, comme si le problème était finalement d’opérer une sorte de " régénération " de l’État rationalisateur (distingué du pouvoir absolutiste par sa capacité à la généralité). C’est ainsi cette culture réappropriée du rationalisme politique qui fait le lien entre le vieux et le neuf de la culture politique française. C’est donc naturellement autour d’une vision commune de l’intérêt général que se joue cette continuité. De Turgot à Le Chapelier une même disqualification des corps intermédiaires l’a sous-tendue.


" Il n’y a plus de corporations dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. " En résumant dans ces termes constamment cités le sens du fameux décret du 14 juin 1791 portant suppression des maîtrises et jurandes, Le Chapelier a bien suggéré la nature de la modification des rapports entre l’État et la société dont la Révolution marquait l’avènement.


L’anticorporatisme théorique de la culture politique révolutionnaire et les effets des dispositions juridiques de 1791 se sont conjugués pour conduire l’État à combler le vide de sociabilité et le déficit de régulation engendrés par la mise hors la loi des corporations, comme de toutes les autres formes de corps intermédiaires. Il est apparu comme la seule figure incarnant l’intérêt général en même temps qu’il résumait en lui la sphère publique. Il n’y avait pas de place pour l’idée associative dans ce contexte ou, du moins, y avait-il une contradiction insurmontable entre le principe libéral de la liberté d’association, reconnu en théorie, et le refus politique et philosophique de voir se constituer des formes d’organisations sociales pouvant prétendre incarner une certaine dimension publique. D’où le procès permanent en suspicion légitime de tous les corps intermédiaires instruit au XIXe siècle. " Toutes les corporations tendent à l’aristocratie ", disait-on pendant la Révolution, montrant à quel point la notion de privilège était alors étroitement associée à celle d’intérêt particulier. Les conditions de la rupture avec l’Ancien Régime, la simplification de l’opposition entre le vieux et le neuf ont alors conduit à une vision systématiquement négative des groupes de pression, entraînant une radicalisation de la séparation entre l’État et la société civile.


Cette philosophie de l’intérêt général a souvent été exposée. De là procèdent, on le sait bien, les réticences à reconnaître le fait syndical (il ne l’est formellement qu’en 1884) et les lenteurs pour organiser le droit d’association (en 1901). Tout a été dit d’une certaine façon sur ce point. Depuis deux siècles, les Français n’ont cessé d’entretenir un rapport particulièrement équivoque à l’idée d’intérêt général. La haine du corporatisme et la dénonciation des intérêts particuliers, en tant qu’ils symbolisent en 1789 l’Ancien Régime, ont induit dans notre pays une conception abstraite de l’intérêt général. D’où l’impossibilité française de le penser comme un compromis entre des intérêts particuliers, sur le mode anglais ou allemand, ce qui explique pour une large part le fait que la société française ait raté son rendez-vous avec la social-démocratie comme avec le libéralisme pluraliste.


Dans l’ordre politique, les hommes de 1789 avaient d’ailleurs appréhendé la question des partis dans le même esprit antipluraliste. Le 30 septembre 1791, à la veille de sa séparation, l’Assemblée constituante vote ainsi un dernier décret qui met hors la loi les sociétés populaires : " Nulle société, club, association de citoyens ne peuvent avoir, sous aucune forme, une existence politique. " Pour les hommes de 1789, les partis sont dans l’ordre politique l’équivalent des jurandes ou des corporations dans l’ordre économique : un écran perturbateur du bon fonctionnement social et de la poursuite de l’intérêt général. Fait significatif, c’est d’ailleurs le même homme, Le Chapelier, qui rapporte sur le décret du 30 septembre et qui avait été l’instigateur de la suppression des corporations le 14 juin 1791. Lorsqu’il présente le décret sur les sociétés populaires, Le Chapelier lie de façon très significative son projet à la situation politique, expliquant que les sociétés populaires ne s’étaient justifiées qu’en tant qu’instruments de conquête du pouvoir. " Tandis que la Révolution a duré, notait-il, cet ordre de choses a presque toujours été plus utile que nuisible. Quand une nation change la forme de son gouvernement, tout ce qui accélère une révolution doit être mis en usage. C’est une fermentation momentanée qu’il faut soutenir et même accroître […]. Mais lorsque la Révolution est terminée, alors il faut que tout rendre dans l’ordre le plus parfait. " Le raisonnement est partagé par tous les constituants, seule diverge l’appréciation que certains portent sur l’étape dans laquelle se trouve le processus révolutionnaire (Robespierre défend ainsi les sociétés populaires en notant : " Je ne crois pas que la Révolution soit finie "). Les hommes de la Révolution ne reconnaissent que la légitimité
temporaire de partis exprimant un antagonisme purement historique entre les forces de la réaction et celles du mouvement. Leur existence, en d’autres termes, n’est justifiée que dans une société qui n’est pas encore pleinement entrée dans la modernité post-révolutionnaire.
 
III – Le bonapartisme comme clef de l’histoire politique française

Ces analyses amènent à considérer le bonapartisme comme la quintessence de la culture politique française. C’est en effet en lui qu’ont prétendu fusionner le culte de l’État rationalisateur et la mise en scène d’un peuple-Un. Le bonapartisme est aussi pour cela la clef de compréhension de l’illibéralisme français. Il le radicalise, en effet, d’une certaine manière, en mettant brutalement à nu ses ressorts les plus profonds.


On ne peut se contenter pour cela de considérer le césarisme, celui du Second Empire tout particulièrement, comme un simple accident de l’histoire. Il ne marque pas un écart circonstanciel à une " bonne " démocratie française, faisant coexister de façon perverse le mépris des libertés avec une célébration – certes trompeuse – de la souveraineté du peuple.


Le césarisme ne se réduit pas à la coexistence fâcheuse de deux éléments. Le terme de démocratie illibérale n’est intéressant à utiliser que s’il ne se limite pas au caractère descriptif de son énoncé. Il est pour cela important d’approfondir la nature de la raison illibérale qui est à l’œuvre dans cette forme politique. Le trait marquant du césarisme est que les libertés publiques y sont réduites au nom même d’une certaine conception de l’exigence démocratique. Il ne s’agit donc nullement d’une simple contradiction qui serait ou non dissimulée. La démocratie illibérale est en ce sens une pathologie interne à l’idée démocratique. Elle procède de trois éléments que j’ai longuement analysés dans
La Démocratie inachevée. La prétention, d’abord, à réduire l’indétermination démocratique par une philosophie et une pratique de la représentation-incarnation. L’affirmation, ensuite, de l’illégitimité de toute définition du public qui déborde l’espace des institutions légales. Le rejet, enfin, de tous les corps intermédiaires politiques accusés de perturber l’expression authentique de la volonté générale. La démocratie illibérale radicalise bien de la sorte le monisme révolutionnaire tout en l’associant à une résolution utopique du problème de la représentation.

La République a-t-elle rompu avec cela en rétablissant les libertés et en écartant le spectre du pouvoir personnel ? Rien n’est moins sûr. La culture politique républicaine n’est à certains égards qu’un bonapartisme aseptisé et édulcoré.
 
 
De Wikiberal

Les différentes fonctions de l'État

Pierre Rosanvallon distingue quatre grandes fonctions de l'État:
Depuis la fin des années 80, l'État perd de son pouvoir pour plusieurs raisons:
  • Il se désengage de l'économie en privatisant les entreprises publiques, la Sécurité Sociale voit son rôle diminuer, la mondialisation augmente la contrainte extérieure et diminue le pouvoir d'intervention de l'État dans l'économie.
  • Il n'intervient plus autant dans la prise de décision publique, il perd son pouvoir « par le haut », avec la construction européenne; et son pouvoir « par le bas », avec la décentralisation.
Pierre Rosanvallon, né à Blois en 1948, est un historien, sociologue et intellectuel français. Ses travaux portent principalement sur l'histoire de la démocratie, et du modèle politique français, et sur le rôle de l'État et la question de la justice sociale dans les sociétés contemporaines1.
Il occupe depuis 2001 la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France2 tout en demeurant directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Il a été l'un des principaux théoriciens de l'autogestion associée à la CFDT. Dans son livre, L'âge de l'autogestion, il défend un héritage philosophique savant, venu à la fois de Marx et de Tocqueville, et annonce une « réhabilitation du politique » par la voie de l'autogestion.


Voir la vision aussi de Vincent Bénard,
(Institut Hayek), cliquez l'image

Le triste état du libéralisme Français

"L'image de la France, pays des lumières et des droits de l'homme, patrie de Voltaire, Tocqueville et Montesquieu, a encore la vie dure. Mais le fait est que la France est certainement aujourd'hui l'une des démocraties où les droits fondamentaux de l'individu, au sens de 1789, sont les moins bien respectés."

http://www.lecri.fr/wp-content/uploads/2009/09/Vincent-Benard.jpghttp://www.objectifliberte.fr/2010/08/le-triste-etat-du-liberalisme-francais.html
 
Powered By Blogger