décembre 12, 2025

Benjamin Constant : Un extraordinaire libéral français

Benjamin Constant : Un extraordinaire libéral français 

« Il aimait la liberté comme d'autres aiment le pouvoir », disait Benjamin Constant d'un contemporain. Toute sa vie, en tant qu'écrivain et homme politique, il fut préoccupé par l'avènement, en France comme ailleurs, d'une société libre. À l'époque où le libéralisme classique hantait l'Europe – durant les deuxième et troisième décennies du XXe siècle –, il partagea avec Jeremy Bentham l'honneur d'être le principal défenseur intellectuel de cette nouvelle idéologie. Mais Constant mérite d'être commémoré non seulement pour son amour profond et désintéressé de la liberté, ni pour son importance historique : l'étude de son œuvre est également précieuse pour les individualistes qui aspirent à une philosophie politique capable d'éviter les erreurs de certains libéraux du XVIIIe siècle et du conservatisme du XIXe siècle. 

 Bien qu'il ait été, de son vivant, le plus célèbre porte-parole libéral du continent, Constant n'a jamais connu la même notoriété dans le monde anglophone. Aujourd'hui, alors qu'il partage l'oubli dans lequel son parti est tombé, il convient de revenir sur sa carrière. (1)



 Né près de Lausanne, en Suisse, en 1767, il était un descendant de huguenots ayant fui la France après la révocation de l'Édit de Nantes. Son éducation, pour le moins erratique, ne mérite guère d'être soulignée, si ce n'est qu'il bénéficia d'une formation cosmopolite, étudiant aux universités d'Erlangen et d'Édimbourg ; cette dernière était alors un foyer des idées whigs et comptait parmi ses professeurs Adam Smith et Adam Ferguson. Attiré très tôt par la vie parisienne, Constant fréquenta les salons peu avant le début de la Révolution. Absent en Allemagne jusqu'à la chute des Jacobins, il y revint en 1795, où il se lia rapidement d'amitié avec Madame de Staël et se consacra à la pamphlétaire. Son bref passage au Tribunat sous Napoléon prit fin après une demande trop véhémente d'accorder à l'assemblée législative un rôle dans l'élaboration des lois. Constant et ses amis furent purgés, Napoléon se plaignant des « métaphysiciens » de l'assemblée qui cherchaient constamment à le paralyser. 

S'ensuivit une période d'intense opposition à Bonaparte. C'est à cette époque que Constant rédigea son ouvrage « De l'esprit de conquête et d'usurpation »(²), démontrant à quel point les objectifs et les méthodes de Napoléon étaient en décalage avec l'esprit du nouveau monde bourgeois. Il se rallia à Napoléon avec d'autres libéraux durant les Cent-Jours, pensant que le grand général serait désormais contraint de gouverner en monarque constitutionnel. Constant rédigea alors la constitution sous laquelle Napoléon devait régner. Après Waterloo et la restauration des Bourbons, Constant rejoignit l'opposition libérale, siégeant à la Chambre des députés et se révélant un critique brillant et vigoureux de toute politique gouvernementale qu'il jugeait contraire aux droits de l'homme. Ce fut la période de son plus grand rayonnement, durant laquelle il jouit d'une immense renommée européenne et inspira des groupes de jeunes disciples jusqu'à Varsovie. Il mourut en 1830, peu après l'instauration de la Monarchie de Juillet.

Deux faits importants concernant Constant, que nous n'aborderons pas ici, méritent toutefois d'être mentionnés. Premièrement, il occupe une place honorable dans l'histoire de la littérature française, principalement grâce à son court roman, Adolphe ; deuxièmement, à l'instar du héros de cette œuvre, il possédait un esprit profondément introspectif et une personnalité constamment studieuse et analytique. Ses troubles psychologiques et la vie affective complexe qui en a découlé ont constitué l'essentiel du sujet des études consacrées à Constant jusqu'à présent. S'il est probable que ces aspects de sa personnalité aient influencé sa pensée politique et sociale, leur impact est trop complexe pour justifier un examen plus approfondi ici. 
 
La France, avec l'Angleterre et l'Écosse, a contribué plus que toute autre nation à la théorie, sinon à la pratique, de la liberté. Dans la lignée des grands libéraux français, qui débute vers le deuxième quart du XVIIIe siècle avec Montesquieu, Constant fut le premier de la génération post-révolutionnaire. Cette circonstance fut déterminante pour l'élaboration de ses idées politiques, et explique en partie sa tendance à aborder les problèmes politiques sous un angle quelque peu différent de celui de la plupart des libéraux antérieurs. Cela se manifeste notamment dans son attitude envers le pouvoir de l'État central. 
 
Turgot et les physiocrates, par exemple, avaient défendu l'extension du pouvoir d'État au nom des « réformes ». Ces libéraux constataient que la vie économique de la France était entravée par les corporations et une réglementation mercantiliste incroyablement circonstancielle ; sa vie sociale, irrationnellement structurée sur la base de la noblesse de naissance ; sa vie intellectuelle, bien qu'intense, restait clandestine, voire souterraine, car un grand nombre de personnes et d'institutions – de la Sorbonne à une duchesse influente de Versailles – disposaient du pouvoir de fait de faire brûler n'importe quel livre ; et ils imputaient cet état de fait intolérable à l'accumulation désinvolte des traditions. Ils estimaient qu'il fallait l'action d'un esprit éclairé et ordonné, doté du pouvoir suffisant pour balayer les machinations de tous ceux qui avaient intérêt à maintenir les entraves traditionnelles à la liberté. C'est pourquoi les philosophes (aussi bien ceux qui étaient fondamentalement libéraux que ceux qu'on ne peut raisonnablement classer comme tels) étaient des fervents partisans du « despotisme éclairé » en vogue chez certains souverains de l'époque. C'est aussi la raison pour laquelle la quasi-totalité du courant philosophique a soutenu sans réserve Louis XV dans la suppression des parlements ; puisque ces tribunaux constituaient le seul contrepoids légal au pouvoir du roi, la faveur accordée par les philosophes à cette mesure arbitraire aurait autrement été difficile à comprendre. (3)
 
Avec le bouleversement de la Révolution, cependant, la plupart des institutions de l'Ancien Régime qui avaient (avec l'aval du gouvernement, certes) fait office de centres de privilèges, furent abolies. La liberté industrielle fut accordée à tous ; les protestants et les libres penseurs n'avaient plus à craindre l'emprisonnement pour avoir manifesté leurs convictions ; Il n'y avait qu'une seule loi pour le roturier et la noblesse. Le gouvernement lui-même devint le foyer de toutes les menaces à la liberté individuelle. L'Église, la noblesse, les corporations et autres institutions qui, fortes de privilèges coercitifs, avaient entravé le libre exercice de la liberté individuelle, disparurent, et, de part et d'autre du vide ainsi créé, l'individu et l'État se retrouvèrent, pour la première fois, face à face.
 
L’attitude des libéraux envers l’État se transforma alors. Là où les libéraux français précédents voyaient en lui un instrument potentiel pour l’établissement de la liberté, voire un instrument pouvant parfois servir sans danger la réalisation de certaines valeurs « philosophiques », des auteurs comme Constant commencèrent à percevoir un ensemble de menaces permanentes à la liberté individuelle : l’État est « l’ennemi naturel de la liberté » ; les ministres, quel que soit leur parti, sont, par nature, « les éternels adversaires de la liberté de la presse » ; les gouvernements considéreront toujours la guerre comme « un moyen d’accroître leur autorité ». Ainsi, avec Constant, principal artisan des idéaux libéraux de sa génération, on assiste aux prémices de la « haine de l’État » propre au libéralisme classique, qui, après l’attitude ambiguë du XVIIIe siècle, caractérise sa théorie jusqu’à nos jours.(⁴) 
 
 Une autre caractéristique distinguant Constant des libéraux précédents résidait dans sa conception des finalités éthiques de l’organisation sociale. À cet égard, les philosophes avaient anticipé l’idée centrale de Bentham, autre libéral et quasi-contemporain de Constant. Alors que le libéralisme d'auteurs comme Mercier de la Rivière et Du Pont de Nemours, à l'instar de celui de Bentham, reposait exclusivement sur une éthique utilitariste, celui de Constant avait un fondement plus vague, mais qui paraîtra à beaucoup plus élevé. Il convient de le souligner, car nombre d'historiens du libéralisme – conservateurs comme libéraux de gauche contemporains – écrivent souvent comme si l'utilitarisme avait historiquement constitué le seul fondement philosophique du libéralisme. Ce n'était pas le cas de nombre des plus éminents libéraux, dont Constant, qui rejetait catégoriquement l'utilitarisme : 
 
« Est-il vrai que le bonheur – quel qu'il soit – soit la fin unique de l'homme ? Si tel était le cas, notre chemin serait bien étroit et notre destination bien peu élevée. » Il n'est pas un seul d'entre nous qui, s'il le souhaitait, restreignait ses facultés morales, dégradait ses désirs, renonçait à l'activité, à la gloire et à toutes les émotions généreuses et profondes, ne pût devenir une brute, et une brute heureuse… car ce n'est pas seulement pour le bonheur, c'est pour le perfectionnement de soi que le destin nous appelle.(⁵) 
 
Ainsi, Constant trouvait les fins éthiques qu'il souhaitait réaliser par un système de liberté non pas dans le principe du plus grand bonheur, mais dans le développement et l'enrichissement de la personnalité. Cette conception était conforme à l'humanisme alors répandu en Allemagne et, dans le cas de Constant, elle s'expliquait probablement par son étude de la philosophie kantienne et par l'influence de certains de ses nombreux amis allemands, notamment Schiller et surtout Wilhelm von Humboldt. 
 
Pour Constant, l’objectif d’offrir la plus grande liberté de développement individuel impliquait de limiter l’action de l’État aux seules limites possibles, à savoir la défense contre les agressions extérieures et intérieures : 
 
Dès lors qu’il n’y a pas de nécessité absolue, dès lors que la législation risque de ne pas intervenir sans que la société ne s’effondre, dès lors qu’il ne s’agit, en définitive, que d’une amélioration hypothétique, la loi doit s’abstenir, laisser les choses en l’état et se taire.(⁶) 
 
Un autre raisonnement aboutit à la même conclusion. Exiger que l’activité individuelle soit entravée revient à exiger que le jugement individuel cède le pas à celui de l’État. Or, quelles que soient les tentatives des partisans de l’intervention étatique pour s’accrocher à des concepts abstraits, leur programme vise, en dernière analyse, à substituer l’avis de certains fonctionnaires au jugement individuel. On peut formuler ce problème ainsi : y a-t-il lieu de supposer que les fonctionnaires, en règle générale, prendront des décisions plus judicieuses que les individus concernés sur les sujets qu’ils souhaitent légiférer ? Constant était convaincu que la réponse était définitivement négative et a proposé une analyse intéressante des inconvénients de la prise de décision gouvernementale. (7)
 
En premier lieu, les responsables politiques seront vraisemblablement choisis, directement ou indirectement, par ceux-là mêmes qu'ils sont censés gouverner. Il est donc peu probable que leur vision soit sensiblement plus progressiste que celle de la société dans son ensemble. En réalité, ils partageront probablement les préjugés et les conceptions étriquées d'une majorité relativement peu éclairée, plutôt que les valeurs et la pensée d'une minorité progressiste et novatrice. 
 
De plus, selon Constant, les décisions prises par les responsables politiques présentent d'autres caractéristiques indésirables, mais nécessaires : 
 
1 - les erreurs législatives ont des répercussions sur l'ensemble de la société, tandis que les erreurs individuelles ont des conséquences limitées à un cercle beaucoup plus restreint ; 
 
2 - les effets de ces lois erronées pèseront davantage sur autrui que sur le législateur, qui a donc moins intérêt à les corriger (du moins, proportionnellement à leurs effets néfastes) qu'un citoyen à corriger ses propres erreurs, dont il assume lui-même la responsabilité ; 
 
3 - Le fait que le législateur soit plus éloigné des conséquences de son action implique qu'un délai plus long est nécessaire pour la corriger, si elle s'avère erronée, que pour les particuliers. 
 
4 - Comme les législateurs sont constamment sous le regard d'observateurs hostiles, la correction des erreurs entraîne une perte de prestige et, de ce fait, est également difficile. 
 
5 - Enfin, la législation présente le défaut inhérent à toutes les décisions collectives : elle constitue un compromis forcé entre préjugés et vérité, entre intérêts et principes, tandis que les décisions individuelles ont la possibilité d'être, en ce sens, plus pures. 
 
Ainsi, conclut Constant, bien que dans un régime de laissez-faire, nous devions renoncer à de nombreuses entreprises grandioses et prestigieuses de la part de l'État, les risques et les coûts des erreurs législatives sont tels qu'au final, le sacrifice en vaudra largement la peine. 
 
 La sphère dans laquelle les individus seraient libres d'exercer leurs activités conformément à leurs propres valeurs et à leur propre jugement devait être délimitée par un système de droits, incluant les revendications habituelles des libéraux classiques : la liberté individuelle (y compris l'abolition de l'esclavage des Noirs et de toutes les autres formes de servitude involontaire), la liberté de religion, la liberté de la presse, la liberté économique, etc. 
 
 Constant ne s'intéressait pas particulièrement aux questions économiques. En ce domaine, il était avant tout un disciple des économistes, notamment d'Adam Smith et de J.B. Say, mais il affirmait le principe de non-intervention économique en des termes encore plus absolus que ne le faisaient les économistes professionnels, allant jusqu'à critiquer ces derniers pour ne pas avoir suffisamment adhéré à leur devise « laissez faire, laissez passer ».(⁸) 
 
Mais l'aspect le plus intéressant de la pensée de Constant est sa philosophie politique, et c'est à elle que nous allons maintenant nous intéresser. 
 
D’une certaine manière, la théorie politique de Constant peut être considérée comme une réfutation de celle de Jean-Jacques Rousseau, dont les idées en la matière avaient acquis une influence croissante vers la fin du XVIIIe siècle, finissant par constituer une sorte d’idéologie officielle du parti jacobin, ou démocrate. À l’instar de Locke, Rousseau avait postulé un contrat social originel, mais là où le philosophe anglais avait tenté d’utiliser cette notion comme fondement des droits civiques, chez Rousseau, ce contrat impliquait l’abandon total par l’individu de sa vie, de sa liberté et de ses biens entre les mains de la communauté. 
 
Il n’est peut-être pas trop simpliste de dire que l’idée de Rousseau équivalait à un système hobbesien, dans lequel le despote est remplacé par la société en tant que grand Léviathan, à une importante nuance près : Rousseau reconnaissait les dangers inhérents à son projet et pensait qu’on pouvait les surmonter en stipulant qu’en échange de la perte de droits vis-à-vis de la société, l’individu se verrait assurer une part égale avec tous les autres individus dans la souveraineté, dans la détermination et l’exercice de la « volonté générale ».
 
Partant du principe que la vie sociale entraîne nécessairement l'aliénation totale des droits, Rousseau fut ainsi le père moderne de la notion selon laquelle la liberté, dans un contexte social, s'identifie à une condition d'égale soumission aux intérêts de la communauté et d'égale participation à l'exercice du pouvoir politique. 
 
Constant estimait que la défense de la souveraineté populaire illimitée par Rousseau et d'autres représentait une rupture bien moins profonde avec le modèle politique historique qu'il n'y paraissait de prime abord. En réalité, ces penseurs 
 
avaient constaté dans l'histoire un petit nombre d'hommes, voire un seul, détenteur d'un pouvoir immense, exerçant de nombreux méfaits, mais leur colère était dirigée contre les détenteurs du pouvoir, et non contre le pouvoir lui-même. Au lieu de le détruire, ils rêvaient seulement de le renverser. C'était un fléau, et ils le considéraient comme une conquête. (9) 
 
Constant reconnaissait la souveraineté du peuple, en ce sens qu'aucun gouvernement dont l'autorité ne lui est pas déléguée par le peuple n'est légitime. Mais de ce sentiment de souveraineté, 
 
 il ne découle pas que l’universalité des citoyens, ou de ceux qu’ils investissent de souveraineté, puisse disposer en maître suprême de l’existence des individus. Il existe, au contraire, une part de l’existence humaine qui demeure nécessairement individuelle et indépendante, et qui se situe de plein droit hors de toute compétence sociale.(10) 
 
En analysant la conception rousseauiste de la liberté, Constant a eu l’occasion de proposer une explication historique intéressante de cette idée. Il distinguait deux sens de la liberté : la liberté des Anciens et celle des Modernes, et affirmait que Rousseau, tout comme les Jacobins durant la Révolution, s’efforçait de réintroduire le type de liberté qui prévalait dans les républiques de l’Antiquité classique, mais qui était, pour diverses raisons historiques, désormais obsolète. La pertinence de cette analyse au regard de l’état de l’opinion de l’époque mérite quelques éclaircissements. 
 
Au XVIII ème siècle, la vénération de l’Antiquité atteignit une telle ampleur qu’un historien l’a qualifiée de « culte ». Si rares étaient ceux qui allaient jusqu'à l'exagération de Madame Roland, certes excessive, qui, enfant, pleurait de ne pas être née Romaine ou Spartiate, l'image communément admise du citoyen type des anciennes républiques, austère, vertueux et naturel, incita nombre d'entre eux à se demander si les institutions ayant façonné cet être humain supposément idéal ne pouvaient être reproduites en France avec des effets tout aussi bénéfiques. Ce culte atteignit son apogée durant la Révolution, et plus particulièrement avec le triomphe des Jacobins. 
 
Désormais, des milliers d'hommes furent envoyés à la mort, des villes rasées et des guerres déclarées, le tout accompagné de l'invocation d'une notion vague mais exaltée, propre à un écolier, de « liberté antique ». Cette acceptation des pires formes de tyrannie – de l'arrestation arbitraire et du procès sans jury à la conscription, l'« impôt du sang » – au cri, sans doute sincère, de « liberté » engendra une grande confusion. Les conservateurs en vinrent même souvent à conclure que les excès tyranniques étaient liés d'une manière ou d'une autre à un « excès » de liberté, et résolurent qu'à l'avenir, la tyrannie jacobine serait évitée par une répression impitoyable de toutes les revendications libérales. 
 
Mais, selon Constant, la vérité était qu'il s'agissait de deux conceptions différentes de la « liberté » : d'une part, la « liberté » généralement caractéristique du monde antique — consistant en une égale impuissance face à l'État et une égale participation aux affaires publiques — était parfaitement compatible avec toutes les mesures spécifiques qui détruisaient la seconde forme de liberté, celle caractéristique des temps modernes. Il s'agissait d'une liberté qui concernait avant tout la sphère privée et dans laquelle l'activité politique jouait un rôle très secondaire.
 
Messieurs, demandez-vous tout d'abord ce que, de nos jours, un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis d'Amérique entend par le mot « liberté ». Cela signifie pour chacun de n'être soumis qu'à la loi, de ne pouvoir être arrêté, détenu ou mis à mort, ni maltraité d'aucune façon en vertu de la volonté arbitraire d'un ou plusieurs individus. C'est pour chacun le droit d'exprimer son opinion, de choisir et d'exercer sa profession ; de disposer de ses biens et même d'en abuser ; d'aller et venir sans avoir à obtenir de permission, ni à justifier ses motivations ou ses actes. C'est pour chacun le droit de s'associer à d'autres individus, soit pour défendre leurs intérêts, soit simplement pour occuper ses journées et ses heures d'une manière plus conforme à ses inclinations et à ses fantaisies. Enfin, chacun a le droit d'influencer l'administration du gouvernement, soit en nommant tous les fonctionnaires ou certains d'entre eux, soit par des représentations, des pétitions et des demandes, que l'autorité est plus ou moins tenue de prendre en considération.(11) 
 
Constant formule des observations pertinentes quant à la raison pour laquelle la liberté politique ne peut plus être considérée comme un bien suffisamment important pour justifier le sacrifice des libertés individuelles : 
 
 « Le citoyen le plus obscur de Rome et de Sparte était une force. Il n'en va plus de même pour le simple citoyen de Grande-Bretagne ou des États-Unis. Son influence personnelle est un élément imperceptible de la volonté sociale qui oriente le gouvernement.(12) 
 
Même en laissant de côté la question de l'opportunité de ce mode de vie, l'homme ne saurait, de nos jours, être un animal politique au sens où l'entendaient les tenants de la politique antique. Dès lors, la préservation de la liberté au sens moderne du terme devient notre tâche primordiale. 
 
Rousseau soutenait que, la souveraineté populaire étant acquise, il n'était plus nécessaire de prévoir des garanties contre le pouvoir de l'État : si le souverain était identifiable à la totalité des citoyens, il était naïf de penser qu'il agirait de manière à leur nuire. La spécité de ce raisonnement, déjà manifeste, fut explicitée par Constant : 
 
Dès que le souverain doit user de la force dont il dispose, c'est-à-dire dès qu'il est nécessaire de procéder à une organisation pratique de l'autorité, puisque le souverain ne peut l'exercer lui-même, il la délègue… L’action accomplie au nom de tous étant nécessairement, de gré ou de force, à la disposition d’un individu ou de quelques individus, il en résulte qu’en ne se donnant à personne, on se donne, au contraire, à ceux qui agissent au nom de tous.(13) 
 
Aux prémices de l’ère démocratique, Constant insistait sur une vérité que les démocrates doctrinaires de type rousseauiste ont eu tendance à négliger : « Le peuple qui peut faire tout ce qu’il veut est tout aussi dangereux, voire plus dangereux, que n’importe quel tyran ; ou plutôt, il est certain que la tyrannie s’emparera de ce droit accordé au peuple. »(14) 
 
Les pires exactions de la Terreur pouvaient être considérées comme des déductions logiques des principes de Rousseau, et « le contrat social, si souvent invoqué en faveur de la liberté, est le plus terrible instrument de toute forme de despotisme.» 
 
Ayant établi la nécessité de limiter le pouvoir de l’État, Constant devait rechercher un système de garanties efficaces pour maintenir ces limites. 
 
Après la Révolution et la période napoléonienne, il était devenu trop évident pour quiconque de nier que la simple proclamation d'une liste de droits ne constituait en aucun cas une garantie suffisante de liberté :
 
Toutes les constitutions données à la France ont accordé une égale liberté individuelle, et pourtant, sous leur autorité, cette liberté a été constamment bafouée. Le problème est qu'une simple déclaration ne suffit pas. Il faut des garanties concrètes ; il faut des organes suffisamment puissants pour employer, en faveur des opprimés, les moyens de défense prévus par la loi.(15) 
 
Autrement dit, pour que les droits individuels ne restent pas lettre morte, il est indispensable de développer et de promouvoir certains dispositifs institutionnels qui contribuent au maintien des garanties constitutionnelles. En un sens, tout ce qui préoccupait Constant – du bicamérisme à la liberté de la presse et de la propriété privée, en passant par la religion – peut être considéré comme un ajout à l'édifice des garanties. De manière générale, ces garanties positives se divisent en deux catégories : celles qui sont établies par l’action de l’État et qui concernent la forme même du gouvernement, et celles qui reposent sur des forces extra gouvernementales dont on peut raisonnablement supposer qu’elles contribuent à limiter l’action de l’État à sa sphère de compétence. 
 
S’agissant de la première catégorie, la pensée de Constant ne constitue pas une innovation majeure. Son mérite réside plutôt dans le fait qu’il a systématisé la structure de l’État libéral, au point qu’un éminent historien français de la pensée a pu affirmer qu’il avait « inventé le libéralisme »(16). 
 
La méthode de limitation du pouvoir d’État que les libéraux considéraient, depuis Montesquieu, comme la plus efficace consistait à retourner l’État contre lui-même, par un système de séparation des pouvoirs. L'auteur de L'Esprit des lois avait observé que « l'expérience montre depuis toujours que quiconque détient le pouvoir tend à en abuser… Afin d'éviter tout abus de pouvoir, il est nécessaire d'organiser les choses de telle sorte que le pouvoir soit contrôlé par le pouvoir lui-même. » 
 
Si l'on pouvait compter sur la résistance de tout accroissement de pouvoir d'une branche de l'État pour chaque branche de l'État, alors, tout en étendant le champ d'action des premiers, on réduirait celui des seconds. Il en résulterait un autre cas où un grand bien social serait obtenu en exploitant les vices des hommes. De cette manière, la soif de pouvoir des fonctionnaires de l'État serait dirigée moins contre les droits du peuple que contre le pouvoir des autres fonctionnaires. 
 
Le système de freins et contrepoids et la séparation des pouvoirs n'étaient donc pas ce qu'un auteur social-démocrate a récemment qualifié de « stratagèmes, si chers aux libéraux [classiques], destinés à se prémunir contre la possibilité que les gouvernements gouvernent » ;(¹⁷) il s'agissait plutôt de protections institutionnalisées raisonnables contre la quasi-certitude que les gouvernements chercheraient à trop gouverner. 
 
Selon Constant, le système de freins et contrepoids devait opérer à différents niveaux de la structure gouvernementale, et les grandes lignes de son projet sont familières à quiconque connaît la Constitution américaine. Il devait y avoir un corps législatif bicaméral, comprenant une Chambre des pairs élue indépendamment de l'opinion démocratique. Cette institution avait été réclamée par le parti anglophile, ou libéral modéré, dès la première année de la Révolution, et plusieurs historiens, dont Acton, ont vu dans le rejet de cette proposition les premiers signes inquiétants de l'esprit rousseauiste irréfléchi qui allait conduire à la Convention. 
 
Constant divisa davantage le pouvoir entre le législatif et le ministère, et entre ces deux pouvoirs et le pouvoir judiciaire, lequel devait être composé de juges dont l'inamovibilité était garantie. Une autre limitation du pouvoir du gouvernement central était implicite dans un système de droits départementaux et municipaux, une idée qui n'avait jamais rencontré un grand succès en France, habituée depuis des siècles aux efforts centralisateurs de la monarchie.(18)
 
Outre la séparation des pouvoirs, une autre garantie politique des droits résidait dans une certaine représentation populaire au sein du gouvernement. Mais Constant insistait pour limiter le droit de vote aux propriétaires. Il estimait que la démocratie, nécessaire au maintien de la liberté, pouvait être assurée par un suffrage aussi restreint, et il restait sceptique quant aux avantages d'un système plus démocratique. Il avait vu Napoléon nommé consul à vie, puis empereur, grâce au suffrage universel masculin ; il constatait que, dans la situation de la France de la Restauration, ce sont avant tout les classes les plus prospères et instruites qui portaient les idées libérales nouvelles. Les masses ouvrières et, surtout, paysannes, se souciaient moins de l'instauration d'un État libéral que de la préservation des traditions auxquelles elles étaient habituées ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le seul groupe significatif intéressé par un suffrage universel à cette époque était une certaine aile du parti réactionnaire. (19) 
 
L'une des principales raisons de la réticence de Constant à étendre le droit de vote était la question de la propriété : 
 
 « Si, à la liberté des facultés et du travail, que vous leur devez [aux classes populaires], vous ajoutez des droits politiques, que vous ne leur devez pas, alors ces droits, entre les mains du plus grand nombre, serviront inévitablement à s'emparer de la propriété. Ils y parviendront par cette voie détournée, au lieu de suivre la voie naturelle, le travail… » (20) 
 
Bien qu'avec le recul historique, la tentative de limiter le droit de vote paraisse irréaliste, Constant a au moins le mérite – comme le montre ce passage – d'avoir pressenti l'une des caractéristiques essentielles de la démocratie moderne. 
 
Outre les garanties des droits individuels inhérentes au système de gouvernement lui-même, Constant s'appuyait sur certaines institutions sociales pour obtenir des garanties supplémentaires. Parmi les plus importantes figurait la presse, et la liberté de la presse acquérait ainsi un double caractère : elle constituait en elle-même un droit précieux, et elle représentait également l'une des garanties apolitiques les plus puissantes de tous les autres droits. Constant ne cessait de souligner le rôle de la presse comme tribune de ceux dont les droits étaient bafoués : 
 
« Chacun sait désormais que la liberté de la presse n'est rien d'autre que la garantie que les actes du gouvernement seront portés à la connaissance du public, qu'elle est le seul moyen de cette publication, que sans cette publication, les autorités sont libres d'agir à leur guise, et que restreindre la liberté de la presse revient à placer la vie, les biens et la personne de chaque Français entre les mains de quelques ministres. »(²¹)

 
 Comme nous l'avons mentionné, il considérait les ministres, quelle que soit leur orientation politique du moment, comme les « éternels adversaires de la liberté de la presse ». Durant sa carrière de député au Parlement français, sous la Restauration, Constant lutta inlassablement contre tous les expédients que des gouvernements ingénieux et soucieux de préserver cette liberté imaginaient. Il était considéré comme l'expert parlementaire en la matière et, compte tenu de l'importance des débats parlementaires sur le continent, comme le grand défenseur européen de cette liberté. 
 
Une idée qui semble avoir germé chez Constant est celle selon laquelle une garantie supplémentaire contre le despotisme réside dans certaines institutions extra gouvernementales capables de lier les citoyens contre le jour où l'État pourrait, comme au temps de Robespierre, tenter de s'ériger à nouveau en maître absolu de la vie sociale. C’est pour cette raison qu’il critiqua sévèrement l’esprit d’uniformité téméraire et la passion absurde pour une « symétrie » pseudo-mathématique qui inspirèrent nombre de mesures révolutionnaires – celles-là mêmes qui, par exemple, firent germer l’idée de Sieyès de désigner les départements, ayant remplacé les provinces traditionnelles, par un numéro plutôt que par un nom, et qui menèrent, au Club des Jacobins de Strasbourg, à la question intéressante de savoir s’il ne vaudrait pas mieux, après tout, guillotiner les Alsaciens suffisamment « clivants » pour s’accrocher à l’allemand comme langue principale. 
 
 « Il est remarquable », observe Constant, « que l’unité d’action absolue, sans aucune limite, n’ait jamais été plus appréciée que dans une révolution menée au nom des droits de l’homme. » Toute institution prétendant à la loyauté des hommes constituait un ennemi potentiel pour un État visant un contrôle total ; cela était particulièrement vrai pour des forces sociales aussi puissantes que le régionalisme.
 
Les intérêts et les souvenirs nés des coutumes locales recèlent un germe de résistance que l'autorité ne tolère qu'avec regret et qu'elle s'empresse d'éradiquer. Avec les individus, elle agit plus aisément ; elle fait peser son poids énorme sur eux sans effort, comme sur du sable. (22) 
 
C'est dans cette perspective qu'il convient également d'envisager l'attitude de Constant envers la religion, à laquelle il consacra de nombreuses années. Ses ouvrages sur ce sujet ne sont plus lus, mais ils ont contribué à l'idée, apparue après le XVIII ème siècle, que la religion n'était plus considérée comme une invention sacerdotale (« quand le premier fripon rencontra le premier fou »), mais comme une réponse à un besoin profondément enraciné. Les écrivains des Lumières, à quelques exceptions près, s'étaient également montrés farouchement hostiles à la religion organisée en général, et à l'Église catholique en particulier. Face à une intolérance religieuse souvent féroce, des penseurs comme Voltaire et Diderot ont explicitement défendu le contrôle de l'Église par l'État, (23) estimant que la seule alternative était l'inversion de ce contrôle. 
 
Constant soutenait cependant que, la tolérance religieuse étant un droit établi, garanti au même titre que les autres droits, la religion pouvait, d'un point de vue strictement politique, remplir la même fonction précieuse que le régionalisme. Il la considérait comme un élément « diviseur » similaire au sein de la vie sociale et mettait en garde contre la proposition des philosophes de concentrer les pouvoirs spirituel et politique entre les mêmes mains : 
 
 « Qu'importe si les prétentions spirituelles ont cédé la place à l'autorité politique, si cette autorité fait de la religion un instrument et agit ainsi contre la liberté avec une double force ? » (²⁴) 
 
La rupture de Constant avec les Lumières et la Révolution ne signifiait nullement qu'il partageait les idées alors défendues par des auteurs conservateurs comme de Maistre et Bonald, qui s'efforçaient d'ériger la notion chrétienne de péché originel en fondement théorique d'un système d'oppression, plaidant pour un État suffisamment fort pour contrôler fermement l'homme naturel. Constant ne pouvait concevoir qu'on puisse penser que les hommes politiques n'avaient pas participé à la Chute, et il ne voyait aucun mérite à cette 
 
 idée saugrenue selon laquelle, parce que les hommes sont corrompus, il faudrait en donner davantage à certains… Au contraire, il faut leur en donner moins, c'est-à-dire qu'il faut habilement agencer les institutions et y placer des contrepoids aux vices et aux faiblesses humaines. (25) 
 
De plus, son respect des traditions, qu'il considérait comme des entraves à l'action gouvernementale, ne signifiait pas qu'il était prêt, comme les auteurs conservateurs de son époque, à consacrer n'importe quelle tradition. Le critère déterminant pour lui était le recours à la force dans le cadre de l'ordre traditionnel. Il rejetait à la fois le programme de certains révolutionnaires, trop prompts à utiliser la force pour détruire les traditions qui ne correspondaient pas à leurs valeurs personnelles, « philosophiques », et celui des conservateurs, qui préconisaient généralement l'usage du pouvoir d'État à des fins opposées. Constant se contentait de laisser les changements survenus dans les institutions traditionnelles à l'œuvre de forces extérieures à l'État : 
 
 « Si je rejette les améliorations violentes et imposées, je condamne tout autant le maintien, par la force, de ce que le progrès des idées tend à améliorer et à réformer insensiblement. » (²⁶)
 
En dernière analyse, Constant s'opposait autant au conservatisme qu'au système jacobin, et pour des raisons sensiblement similaires : tous deux impliquaient une ingérence violente dans la sphère légitime du jugement et de l'action privés de l'individu, terreau d'où émergent les qualités qui donnent un sens à la vie sociale. Il est intéressant de noter, à cet égard, que face aux prémices du mouvement socialiste, incarnées par les saint-simoniens, Constant jugea opportun de les associer aux représentants des sociétés fermées du passé ; ils aspiraient, affirmait-il, à être de simples papes de l'organisation économique de la société, et des « prêtres de Memphis et de Thèbes » de sa vie intellectuelle. (27) 
 
Benjamin Constant constitue une réfutation pertinente du stéréotype du libéral classique antireligieux, utilitariste et fanatiquement démocrate – stéréotype souvent employé par les conservateurs contemporains qui persistent à confondre libéralisme classique et radicalisme philosophique. Pour tous ceux qui souhaitent sincèrement découvrir un libéralisme qui évite certaines erreurs de certains penseurs libéraux du passé, Constant peut constituer un bon point de départ. 
 

 
Ralph Raico (1936–2016) was professor emeritus in European history at Buffalo State College and a senior fellow of the... 
 
Cet article a initialement paru dans la New Individualist Review, en 1961.

  • 1The most complete biography of Constant in English is that of Elizabeth Schermerhorn, Benjamin Constant: His Private Life and His Contribution to the Cause of Liberal Government in France (New York: Houghton Mifflin, 1924).
  • 2Published in Hannover, in 1813. It is reprinted in Edouard Laboulaye, ed.; Cours de Politique Constitutionnelle (Paris: Guillaumin, 1872), vol. ii, pp. 129-282. There have been several English translations of On the Spirit of Conquest, and the reader may consult this book for a good example of Constant’s political and social thought.
     
  • 3The inability of many of the French liberals to fully appreciate the operations of a spontaneous, undirected social order has been emphasized by F. A. Hayek; cf. his stimulating essay, “True and False Individualism,” in Individualism and Economic Order (Chicago: University of Chicago Press, 1948).
  • 4Cf. Henri Michel, L’Idee de l’Etat.
  • 5Cours de Politique Constitutionnelle, vol. ii, p. 559.
  • 6Commentaire sur l’ouvrage de Filangleri (Paris: Dufard, 1824), p. 70.
  • 7Ibid., pp. 55-70.
  • 8Ibid., p. 14.
  • 9Cours, vol. i, p. 9.
  • 10Ibid.
  • 11Ibid., vol. ii, p. 541.
  • 12Ibid., p. 545.
  • 13Ibid., vol. i, pp. 10-11.
  • 14Ibid., p. 280.
  • 15Ibid., p. 146.
  • 16Emile Faguet, Politiques et Moralistes du Dix-neuvième Siècle (Paris: Société Française d’Imprimerie, 1891), p. 255.
  • 17Harry K. Girvetz, The Evolution of Liberalism (New York: Collier, 1963), p. 105. In this passage, Prof. Girvetz goes so far as to include even “bills of rights” within the sweep of his Voltairian irony. Since he prefers to consider himself a “liberal,” his book turns out to be a good illustration of its own sad theme.
  • 18Constant’s constitutional ideas are elaborated on in his Principes de Politiques and Reflexions sur les Constitutions et les Garanties, both reprinted in the Cours, vol. i, pp. 1-381.
  • 19Georges Weill, La France sous la Monarchie constitutionnelle (Paris: Alcan, 1912), p. 5. As a rule, conservatives rejected democracy in the 19th century because of its connection with the French Revolution, and because they viewed it as part and parcel of the newfangled liberal system. But the rivulet of conservative thinking that looked on democracy as a good tactic for depriving the liberal middle classes of predominance in the legislatures was sufficiently important to merit more attention than it has been given. Its chief practical consequence was the establishment of universal manhood suffrage in the Constitution of the North German Confederation, in 1867, by the Junker Bismarck, who was explicitly guided by the consideration just cited (cf. Gustav Mayer, Bismarck und Lassalle , pp. 33-39). The obvious fact that if the masses are antiliberal democracy will be as much a peril to liberty as any other system is now forcing itself on the attention of even its more unreserved panegyrists, as they reflect on the civil-liberties controversy in the United States; concern with this problem is sometimes put in the form of the question: “If put to a plebiscite, could the Bill of Rights gain a majority in America today?”
  • 20Cours, vol. i, p. 55.
  • 21Ibid., p. lxi.
  • 22Ibid., vol. ii, pp. 170-171.
  • 23Kingsley Martin, French Liberal Thought in the Eighteenth Century (London: Turnstile, 1954), pp. 136-37.
  • 24Filangieri, p. 27.
  • 25Cited in Georges de Lauris, Benjamin Constant et les Idées Libérales (Paris: Plon, 1904), p. 6.
  • 26Cours, vol. ii, p. 172n.
  • 27Sébastien Charléty, Histoire du Saint-Simonisme (Paris: Hachette, 1896), p. 54.


 

Benjamin Constant

Benjamin Constant de Rebecque (Lausanne, 25 octobre 1767 – Paris, 8 décembre 1830) est un homme politique et écrivain franco-suisse, aux positions libérales classiques

Biographie de Benjamin Constant

Benjamin Constant, le « maître d'école de la liberté », est issu d'une famille de Huguenots, établie en Suisse. En 1794, il fait la connaissance de Germaine de Staël (femme de lettres et fille de Jacques Necker, ancien contrôleur général des Finances de Louis XVI). Opposant dès 1800 à Bonaparte, il participe aux rencontres du Groupe de Coppet, organisées par Mme de Staël, où les discussions concernent aussi bien les questions d'esthétique littéraire que l'élaboration d'une opposition libérale au régime napoléonien. Entre 1800 et 1802, il siège au Tribunat. Il poursuit de front une carrière littéraire et de pamphlétaire politique.

Au moment des Cent-Jours, en 1815, Constant espère brièvement que Bonaparte acceptera ses vues constitutionnelles. C'est la raison pour laquelle il rédige l'« Acte additionnel aux constitutions de l'Empire »[1]. Dans ses Mémoires sur les Cent-Jours, l'écrivain se justifiera en écrivant qu'il désirait « élever le plus de barrières possible contre l'autorité d'un homme » et admettra s'être fourvoyé. Sous la Restauration, il poursuivra son combat contre le despotisme politique et sera élu député de la Sarthe en 1819. Il se distinguera notamment en dénonçant la traite des Noirs. Favorable à la Monarchie de Juillet, il est nommé le 30 août 1830 président de la commission chargée de réformer le Conseil d'État, mais il n'aura pas le temps de mener à bien sa tâche, car il meurt le 8 décembre de la même année. Lors de ses funérailles, une foule importante viendra lui rendre hommage.

Idées de Benjamin Constant

Le Constitutionnalisme

Soucieux de préserver les acquis libéraux de la Révolution française, Constant cherche également à éviter un retour aux débordements tyranniques de la Terreur. Les individus doivent être protégés contre l'arbitraire gouvernemental.

Dans son premier discours prononcé au Tribunat, le 5 janvier 1800, il expose courageusement et avec netteté sa doctrine constitutionnelle :

« Une Constitution est par elle-même un acte de défiance, puisqu'elle prescrit des limites à l'autorité, et qu'il serait inutile de lui prescrire des limites si vous la supposiez douée d'une infaillible sagesse et d'une éternelle modération. »

Devant uniquement préserver la sécurité individuelle et collective, l'État ne peut attenter aux divers droits individuels: la liberté de penser (et donc la liberté de culte), la liberté de la presse, le droit de propriété, etc. Pour ce faire, Constant prône un respect scrupuleux de la Constitution, quel que soit le type de régime en place - fût-il monarchique, républicain ou démocratique pur. La Rule of Law trouve en lui son plus grand champion dans le monde francophone en ce début de XIXe siècle.

Dans son esprit, il s'agit donc d'empêcher que l'autorité politique n'use de son pouvoir discrétionnaire pour museler les opposants, spolier les producteurs de richesses, agresser des pays voisins, et donc adapter ou contourner les prescrits constitutionnels à sa guise. A cet égard, Constant s'oppose aux peines d'exil attachées à de simples convenances de basse politique (frappant, selon les régimes, tantôt l'aristocratie royaliste, tantôt les régicides et leurs familles). De même, il refuse d'accorder des pouvoirs de police exorbitants aux autorités, trop contentes de s'immiscer de la sorte dans la vie privée des citoyens. En plus de déplorer de telles mesures à cause de leur caractère inique, Constant rappelle à leurs partisans que le persécuteur d'aujourd'hui peut devenir le persécuté de demain.

Constant est conscient que ni une constitution ni la séparation des pouvoirs ni une neutralité de l'Etat ne suffisent à produire une société libre. Pour lui, la vraie garantie des droits réside dans l'opinion publique : c'est sur elle que les libéraux doivent influer pour contrer efficacement toute forme d'oppression présente ou future.

Les formes contre l'arbitraire

Afin de préserver chacun de l'arbitraire gouvernemental, Constant recommande l'observance des formes, divinités tutélaires des associations humaines. Et de signaler à l'attention des adeptes des tribunaux d'exception l'anomie qui régna sous la Terreur :

« L'affreuse loi qui, sous Robespierre, déclara les preuves superflues et supprima les défenseurs, est un hommage rendu aux formes. Cette loi démontre que les formes, modifiées, mutilées, torturées en tous sens par le génie des factions, gênaient encore des hommes choisis soigneusement entre tout le peuple, comme les plus affranchis de tout scrupule de conscience et de tout respect de l'opinion. »

Certains commentateurs, parmi lesquels Pierre Manent, ont à cet égard caractérisé la pensée constantienne comme un « libéralisme d'opposition »[2]. Car ses principes, il les a proclamés avec véhémence et rigueur sous les différents régimes qu'il a connus.

Les formes légales doivent, en outre, rester sous la vigilance critique de chaque citoyen, car des injustices peuvent toujours être commises, malgré les garanties constitutionnelles. Constant a d'ailleurs mis ses actes en accord avec ses paroles en intervenant publiquement dans une affaire judiciaire dont il estimait l'issue inique : le procès de Wilfrid Régnault (dont l'avocat n'était autre qu'Odilon Barrot, qui se fera connaître sous la Monarchie de Juillet comme adversaire de François Guizot en tant que représentant de la gauche dynastique). L'accusé avait été condamné à la peine capitale pour assassinat. En énumérant les vices de forme, Constant prit à témoin l'opinion publique et obtint (au grand dam des ultras) la commutation de la peine de Régnault - à défaut de la reconnaissance de son innocence. De cette manière, l'écrivain voulut aussi montrer par l'exemple que tout citoyen avait le droit de critiquer une décision de justice qu'il estimait peu convaincante.

Distinction entre pouvoirs dans l'État et pouvoirs de l'État

Contre l'absolutisme - qu'il se revendique de la monarchie ou de la démocratie - Constant estime que la fragmentation du pouvoir, théorisée par Montesquieu, n'offre pas de garanties suffisantes. Visant vraisemblablement ce dernier, il écrit :

« Vous avez beau diviser le pouvoir: si la somme totale du pouvoir est illimitée, les pouvoirs divisés n'ont qu'à former une coalition, et le despotisme est sans remède. Ce qui nous importe, ce n'est pas que nos droits ne puissent être violés par tel pouvoir sans l'approbation de tel autre, mais que cette violation soit interdite à tous les pouvoirs. »

Ce faisant, Constant montre que la question qui le préoccupe est moins de savoir « qui gouvernera » (i. e. les pouvoirs à l'intérieur de l'État) que « comment limiter le pouvoir politique » (i. e. les pouvoirs de l'État) pour reprendre la distinction qu'élaborera plus tard Lord Acton.

On le voit, nous sommes loin de la caricature de l' « inconstant Constant », propagée par divers détracteurs et qui relève de la pure polémique.

De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes

La liberté qui caractérise les sociétés modernes (Liberté des Modernes) pour Constant peut aisément être considérée comme une liberté négative. Ainsi, ce n'est pas la participation à la délibération commune qui rend un individu libre, mais l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux. C'est pourquoi les attributions du Léviathan, que constitue à l'évidence l'État, doivent être bornées. Ces limites ne sont autres que les droits, à la fois, naturels, immuables et universels de l'individu. Ce qui caractérise essentiellement l'homme n'est non pas l'appartenance mais, au contraire, l'autonomie ainsi que la perfectibilité. Loin de devoir entraver les initiatives individuelles, l'État doit en devenir l'auxiliaire. L'artifice étatique n'est qu'un moyen, un instrument, dont la fin est l'individu.

La liberté des Anciens suppose, quant à elle, la faculté de délibérer en commun et de participer, de facto, à la volonté générale. Chaque individu est, dans ce cas, titulaire d'une parcelle de la souveraineté. Le suffrage est alors moins une fonction qu'un droit. Cette liberté des Anciens, dont le paradigme est la cité antique, n'exclut pas, bien au contraire, l'assujettissement de l'individu à la collectivité. Celui-là n'existe que par celle-ci. C'est pourquoi l'individu qui est hors de tout système de coordonnées, non par le hasard bien évidemment, est soit une brute, soit un dieu. La participation à la délibération commune est alors conditionnée par l'appartenance.

Cette liberté collective est celle dont Jean-Jacques Rousseau s'était fait l'avocat et qui trouva sa traduction dans le tournant jacobin de la Révolution française. Elle se base sur l'idée de souveraineté populaire. Ne rejetant pas complètement la notion de souveraineté, mais refusant la conception rousseauiste de la "volonté générale" en laquelle il voit la légitimation de tous les abus de l'autorité publique, Constant souhaite la limiter et la borner constitutionnellement afin de préserver les droits individuels.

Comme il l'écrit dans ses Principes de politique (1815) :

« L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer. »

Un jusnaturalisme quelque peu oublié

Loin de se contenter du rôle de pamphlétaire, Constant fonde sa conception d'un État limité sur le Droit naturel. Chaque individu dispose de droits inaliénables, qu'aucun gouvernement ne peut lui ôter.

Toute loi n'est pas nécessairement respectable. Pour évaluer ses mérites, il faut en connaître la source et la teneur. Sinon, l'autorité politique pourra user de son pouvoir discrétionnaire pour instituer autant de lois arbitraires qu'il lui plaira.

Dans une optique proche de John Locke, Constant conçoit la liberté comme indissociable de la loi. Mais qu'entend-il par "loi" ? A ce sujet, il note :

« Les lois sont la déclaration des hommes entre eux (...) Elles sont la déclaration d'un fait. Elles ne créent, ne déterminent, n'instituent rien, sinon des formes pour garantir ce qui existait avant leur institution. Il s'ensuit qu'aucun homme, aucune fraction de la société, ni même la société entière ne peut, à proprement parler et dans un sens absolu, s'attribuer le droit de faire des lois. »

Dans cette logique, Constant dénonce comme frappées d'illégitimité les législations contrevenant aux droits naturels des individus. Il pousse ce refus jusqu'à prôner, dans ce cas de figure, le droit de désobéissance civile comme une obligation morale, en écrivant par exemple :

« Rien ne justifie l'homme qui prête assistance à la loi qu'il croit inique. La terreur n'est pas une excuse plus valable que toutes les autres passions infâmes. Malheur à ces instruments zélés et dociles, agents infatigables de toutes les tyrannies, dénonciateurs posthumes de toutes les tyrannies renversées. »

Propriétarisme et liberté des échanges

Constant prône la liberté civile dans toutes ses dimensions. Ainsi, contre les intérêts organisés que défend l'État, il s'oppose aussi bien au protectionnisme qu'aux autres atteintes au droit de propriété, comme la manipulation monétaire, l'emprunt étatique, ou encore la spoliation fiscale au sujet de laquelle il observe :

« Une nation qui n'a pas de garanties contre l'accroissement des impôts achète par ses privations les malheurs, les troubles, et les dangers. Et, dans cet état de chose, le gouvernement se corrompt par sa richesse, et le peuple par sa pauvreté. »

Son libéralisme prend donc la défense de la propriété individuelle contre les assauts du pouvoir étatique. Critiquant les doctrines présocialistes, il écrit :

Les richesses se distribuent et se répartissent d'elles-mêmes dans un parfait équilibre, quand la division des propriétés n'est pas gênée et que l'exercice de l'industrie ne connaît pas d'entraves.

Néanmoins, à la différence d'un John Locke, par exemple, son propriétarisme ne se fonde pas sur le Droit naturel. En effet, Constant estime que la propriété relève uniquement de la convention sociale.

Aux maux tels que la disette que connaissent encore les pauvres à cette époque, Constant prescrit un remède qui contredit les programmes interventionnistes déjà à la mode: la libre concurrence. Ainsi, pour lui :

« Les lois ne parent à rien, parce qu'on les élude; la concurrence pare à tout, parce que l'intérêt personnel ne peut arrêter la concurrence, quand l'autorité la permet. »

De même, l'essor du commerce limitera, d'après lui, les ambitions des gouvernants et déconsidèrera progressivement l'esprit de conquête propre à ceux-ci. Hostile à l'aide aux entreprises, il retrouve les mots de Vincent de Gournay lorsqu'il conclut son Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri :

« Rayons donc, pour tout ce qui n'a pas de rapport à des crimes positifs, les mots de comprimer , d' extirper, et de diriger, du vocabulaire du pouvoir. Pour la pensée, pour l'éducation, pour l'industrie, la devise des gouvernements doit être : Laissez faire, laissez passer. »

Constant, libéral jusqu'au bout.

Notes et références

  1. Texte de l'acte sur le site du conseil constitutionnel

  2. Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Hachette Littératures, édition 2006, p.181 et suivantes

 

 

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