octobre 16, 2014

Question de sophisme...!

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Un sophisme c’est une argumentation qui n’est pas valide. Soit que l’une des prémisses n’est pas acceptable ou bien qu’elle n’est pas suffisante pour conclure la thèse. Nous commettons couramment des sophismes. Il importe de les reconnaître, même si la tâche n’est pas aisée. Certains sophismes sont faciles à reconnaître, d’autres non. Aristote (384-323 av. J.-C.) fut le premier philosophe a dressé la liste des sophismes. Voici une liste abrégée des sophismes les plus courants.

 
 
Petit rappel, traduction française sous-titrée
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1.Généralisation hâtive
Forme reconnaissable: Généraliser à partir d'un échantillonnage trop restreint.
Exemple: « Je suis allé deux fois à votre bureau cette semaine sans vous y trouver. Vous n'êtes jamais là ! » « J’ai tiré trois bonbons noirs dans le sac. Les autres bonbons doivent forcément être noirs. »

2. L'attaque contre la personne
Forme reconnaissable: Critiquer la personne qui argumente au lieu de critiquer ses arguments; cette personne ayant un défaut ou un vice quelconque.
Exemple: « Les opinions du ministre de la Santé sont inacceptables car, tout le monde le sait, le ministre se fait soigner dans une clinique privée. »

3. L'appel à la majorité ou au grand nombre
Forme reconnaissable: Faire croire que quelque chose est bon parce que beaucoup de gens le pensent.
Exemple: « La critique a louangé le film Séraphin. C’est donc forcément un bon film!»

4. L'appel à l'autorité
Forme reconnaissable: Invoquer le prestige ou la renommée d'une personne au lieu de s’en remettre à ses arguments.
Exemple: « La guerre en Irak est une bonne chose parce que le prix Nobel de la biologie de cette année, Madame X, est en faveur de cette guerre. »

5. L'appel au sentiment
Forme reconnaissable: Susciter une émotion chez son interlocuteur au lieu de présenter un argument. ‘Prendre’, comme on dit, ‘son interlocuteur par les sentiments’.
Exemple: « Monsieur le professeur, j'ai travaillé si fort dans votre cours que j'en ai été malade! J'ai besoin de réussir ce cours pour avoir un prêt et avoir de quoi manger, moi et mes enfants. Donc, vous devez hausser ma note! Allez, ne soyez pas sans-coeur ! »

6. L'appel à l'ignorance
Forme reconnaissable: Une opinion est vraie (ou fausse) simplement parce qu'on a pas jusqu'ici prouvé sa fausseté.
Exemple: « Il n’y a aucune preuve que les OGM sont néfastes pour la santé; donc, les OGM sont bons pour la santé.»

7. Lien causal douteux
Forme reconnaissable: On invoque un lien inexistant de cause à effet entre un ou plusieurs phénomènes.
Exemple: « Le dossard 1313 n’a pas porté chance à la Canadienne Perdita Felicien aux derniers jeux Olympiques d’Athènes, car elle est tombée à la première haie pendant la finale du 100 mètres haies. »

8. Pétition de principe ou du cercle vicieux
Forme reconnaissable: Inclure la conclusion d'une argumentation dans les prémisses.
Exemple:  «Tout ce qui dit la Bible est vrai, car c’est la Parole de Dieu. Or Dieu existe car il est écrit dans la Bible (Ex, 3, 14) que Dieu existe.»

9. Faux dilemme
Forme reconnaissable: Un faux dilemme est une alternative dont les deux possibilités présentées ne s’imposent pas.
Exemple: « Ou bien tu me quittes ou bien je me tue. »
« Ou bien vous votez pour le parti libéral; ou bien vous votez pour la séparation du Québec.» (Jean Charest)

10. Pente fatale ou glissante
Forme reconnaissable: Accepter telle action entraînera telle réaaction ou situation qui est totalement aberrante. Donc, on ne doit pas accepter de poser l’action initiale.
Exemple: « Il ne faut pas que le Québec se sépare du Canada, car les autochtones voudront se séparer à leur tour du Québec. Le gouvernement refusera et emploiera la force pour les retenir. Il y aura alors des blessés et des morts. Le tout conduira à la guerre civile. »

11. Fausse analogie
Forme reconnaissable: On fait une comparaison entre deux états de choses, mais cette comparaison est boiteuse.
Exemple: « Il n’y a pas de scandale concernant les subventions versées par le ministère de la Santé. Ça arrive souvent dans un couple que les dépenses dépassent de quelques dollars de trop dans un mois. » (Le ministre de la Santé)

12. Complot
Forme reconnaissable: Ce sophisme consiste à imputer une action, une situation à une personne ou un groupe de personnes, simplement parce que cette personne ou ce groupe profite de l’action ou de la situation en question.
Exemple: « Le président a débloqué 200 millions de dollars pour que la FBI fasse enquête sur les responsables des attaques informatiques dont est victime Internet. On voit bien que c’est le FBI qui est à l’origine de toutes ses attaques, car c’est de cette façon que l’organisme secret se finance.!»

13. Caricature
Forme reconnaissable:  Il s’agit de simplifier et de ridiculiser une position pour la rendre plus facile à attaquer et à rejeter.
Exemple: « Les femmes ne sont pas égales aux hommes, voyons! Avez-vous déjà vu une femme avec de la barbe, du poil et un sexe mâle? »

14. Toi aussi
Forme reconnaissable: Consiste à tenter de justifier un comportement en soulignant que d’autres font la même chose, voire pire encore.
Exemple: « On devrait laisser les gens fumer en paix où ils veulent. Après tout, on laisse bien les gens conduire leur automobile et polluer l’atmosphère. »

15. L’incohérence des paroles et des actes
Forme reconnaissable: Consiste à discréditer un adversaire en alléguant que la personne qui la soutient agit de façon incompatible avec elle.
Exemple: « Si tu croyais vraiment que l’automobile est polluante, tu n’aurais pas d’automobile. Mais t’en as une. Donc, tu ne crois pas vraiment que l’automobile soit polluante. »

16. Naturaliste
Forme reconnaissable: Consiste à passer directement d’un ou de plusieurs jugements de fait à un jugement de valeur (loi de Hume)
Exemple: « Une femme peut avoir des enfants à tous les ans. Ma femme devrait donc avoir un enfant chaque année. »

17. Composition
Forme reconnaissable: Attribuer une caractéristique d’un ensemble à partir d’une caractéristique de ses parties.
Exemple: « Les joueurs du club d’Étoiles sont tous de bons joueurs. J’en déduis que le club d’Étoiles est un excellent club de hockey. »

18. Division
Forme reconnaissable: Attribuer une caractéristique des parties à partir de la caractéristique de cet ensemble.
Exemple:  « La police de Montréal est efficace. Donc, le policier Gontran de la ville de Montréal est efficace. »

19. Appel à la tradition
Forme reconnaissable: Faire croire qu’une affirmation est vraie parce qu’acceptée depuis longtemps.
Exemple: « Il faut être fidèle en amour car nos parents étaient fidèles en amour, et ils étaient heureux ainsi. »

20. La culpabilité de la victime
Forme reconnaissable: On blâme la victime d'être elle-même responsable du crime commis contre elle.
Exemple: « Le fait que la victime du viol portait une jupe courte explique qu'elle fut agressée sexuellement. »
 

Sophisme

De Wikiberal
Un sophisme est un argument, raisonnement qui apparaît comme rigoureux et logique, mais qui en réalité est faux, malgré une apparence de vérité.
Exemple :
  • Théorème : un chat a neuf queues.
  • Preuve : Aucun chat n'a huit queues. Un chat a une queue de plus qu'aucun chat. Donc un chat a neuf queues.
Comme on le voit ci-dessus, il peut prendre la forme d'un syllogisme. 

Concepts proches

  • le paralogisme, raisonnement faux malgré une apparence rigoureuse. Exemple : "1. Tout ce qui est rare est cher. 2. Or un cheval bon marché est rare. 3. Donc un cheval bon marché est cher". Autre exemple (paradoxe de l'emmental) : "1. Plus il y a de fromage, plus il y a de trous. 2. Or plus il y a de trous, moins il y a de fromage. 3. Donc plus il y a de fromage, moins il y a de fromage". La différence avec le sophisme est qu'il n'y a pas volonté de tromper.
  • l'amphibologie, proposition ambiguë qui a plusieurs sens (exemple : "il est allé voir un ami avec sa voiture" : la voiture de qui ? ; "shampooing pour les pellicules" ; "ce cochon de Paul" ; "achetez chez nous, n'allez pas vous faire escroquer ailleurs", etc.)
  • le paradoxe, proposition qui contient ou semble contenir une contradiction, ou un raisonnement qui, bien que sans faille apparente, aboutit à une absurdité. Certains sont proches du sophisme, alors que d'autres sont plus profonds (paradoxes de Zénon).
  • l'aporie (du grec απορíα, absence de passage) : un raisonnement conduisant à un problème insoluble et inévitable ; en rhétorique : un doute, souvent feint (dubitatio)
  • le dilemme (du grec δί-λημμα "double proposition") : une situation qui offre une alternative, menant à des résultats différents, dont les deux partis sont d'égal intérêt (ex. : l'âne de Buridan ; le dilemme du prisonnier)
  • l'antinomie : une contradiction réelle ou apparente entre deux lois, deux principes, deux idées, la raison trouvant deux preuves de sens contraires (ex. : antinomies de la raison pure de Kant ; en physique : antinomie continu/discontinu, onde/particule)
  • l'anti-concept (concept issu du réalisme aristotélicien et de l'objectivisme) est un terme inutilisable dans un discours rationnel car non fondé sur une quelconque expérience ou réalité, et dont le seul but est d'empêcher de penser (par exemple le concept d'ultralibéralisme)
  • le mot-virus véhicule subrepticement un sous-entendu dans un but politique et idéologique : par exemple, l'accusation de "pensée unique" sous-entend que l'adversaire cède à un conformisme général dont on serait soi-même complètement exempt ; le terme de cadeau fiscal sous-entend que ponctionner un peu moins le contribuable revient à lui faire un cadeau, etc.
Un sophisme donne souvent lieu à une illusion du côté de ceux qu'il trompe ; du côté des trompeurs, il est souvent mis en œuvre dans le cadre d'un "stratagème". Dans son célèbre "Art de toujours avoir raison", Arthur Schopenhauer énonce 38 stratagèmes différents, par exemple la généralisation abusive, la diversion, la pétition de principe, l'insulte, etc.

Sophismes anti-libéraux

Les critiques contre le libéralisme - entendons, celles qui sont malhonnêtes intellectuellement - reposent souvent sur une série de sophismes (voir le lien vers Bertrand Lemennicier qui en donne une liste assez complète). En voici quelques exemples.
  • sophisme de l'homme de paille ("straw man") : "le libéralisme en économie, ça ne marche pas, puisqu'il n'existe pas de marché de concurrence pure et parfaite" ; "la liberté qu'invoque le libéralisme n'existe pas, puisque l'homme ne peut satisfaire tous ses désirs" (on tente de réfuter un raisonnement en s'attaquant à une version affaiblie ou sensiblement différente de ce raisonnement, en faisant croire que c'est ce raisonnement lui-même qui est invalidé)
  • non sequitur : "les riches s'enrichissent, par conséquent les pauvres s'appauvrissent" ; ou bien : "le capitalisme génère la pauvreté" ; ou bien : "le marché est imparfait, donc l’État doit intervenir", "à défaut de financement privé pour un projet, l'État doit investir", "la société a besoin de règles, donc l’État doit imposer une régulation", "l’État est indispensable car l’homme est un être social", etc. (on affirme sans justifier le lien)
  • variante du précédent : l'amalgame. Par exemple, on invoque les déclarations libérales de Mussolini dans sa jeunesse pour déclarer que le libéralisme et le fascisme sont identiques. On invoque l'affirmation de Ludwig von Mises selon laquelle il préférait le fascisme au communisme[1] pour le ranger parmi les fascistes.
  • post hoc non est propter hoc : "grâce à la politique volontariste du gouvernement, la situation économique s'est améliorée" (le fait que deux événements se succèdent n'implique pas que le premier soit la cause du second. La réalité est : malgré la politique volontariste du gouvernement, la situation économique s'est améliorée)
  • pétition de principe : "l'État est la seule façon de faire respecter le Droit" (un étatiste ne peut admettre qu'une société libre puisse faire respecter le Droit mieux qu'une société étatisée)
  • généralisation abusive (ou « déduction hâtive ») : "les libéraux sont contre la 'solidarité' obligatoire, ce sont donc des égoïstes qui s'opposent à toute entraide entre les personnes" ; "les libéraux critiquent la démocratie, ils sont donc en faveur de la dictature" ; "les libéraux sont individualistes, ils sont donc opposés à toute action collective" ; "les libéraux sont en faveur du libre marché et de la croissance, ce sont donc des matérialistes" ; "le capitalisme appauvrit tout le monde, voyez Enron" ; "le libéralisme est un totalitarisme, comme le communisme" ;
  • fausse alternative : "alors, êtes-vous pour le capitalisme, ou bien pour la justice sociale ?"
  • question complexe (posée de telle façon qu'on ne puisse répondre ni par oui ni par non) : "Oui ou non, êtes-vous pour le socialisme et la prospérité ?"
  • ex falso sequitur quodlibet : "la justice est du domaine exclusif de l'État, on ne peut donc se faire justice soi-même" (à partir de prémisses fausses, on peut montrer ce qu'on veut)
  • vol de concept : "la propriété, c'est le vol", "il est interdit d'interdire" (on emploie un concept dans un cadre qui le nie, ce qui aboutit à une contradiction interne : le vol présuppose le concept de propriété, il y a donc contradiction dans l'énoncé - le vol de concept permet de produire des énoncés courts et frappants, erronés mais idéaux pour la propagande, voir 1984)
  • contradiction performative, ou populairement : "faites ce que je dis, pas ce que je fais". Par exemple, condamner la propriété privée, mais, à titre personnel, protéger soigneusement ses propres biens ; réclamer une intervention de l’État dans tel ou tel domaine, tout en trouvant que les impôts sont trop élevés ; vanter les services publics mais leur préférer les services privés ; vouloir supprimer les racistes pour supprimer le racisme, etc.[2]
  • deux poids, deux mesures : "Mais, sans état, il risque d'y avoir la guerre!" (comme si avec l'Etat, il n'y avait pas de guerre : on invente un problème dans un cadre donné en feignant de ne pas voir que le problème existe déjà dans un autre cadre - ce sophisme est très pratiqué par les collectivistes, par exemple : "le capitalisme n'élimine pas la pauvreté" - comme si le socialisme l'éliminait ! ; "le libre-échange ne garantit pas la prospérité" - comme si le protectionnisme la garantissait !)
  • double contrainte : deux contraintes qui s'opposent rendent la situation a priori insoluble (« soyez spontané ! » ; « ignorez ce panneau » ; « vous serez punis si vous faites ceci, et vous êtes punis si vous ne le faites pas »). Dans un contexte étatique, il s'agit de nier la responsabilité des individus en les soumettant à une double contrainte : « vous devez cotiser obligatoirement à la Sécurité sociale, mais vous ne devez pas trop lui coûter » (on nie la responsabilité tout en faisant appel à elle).
  • argument par les intentions : "le libéralisme, idéologie des possédants, est uniquement destiné à justifier moralement la richesse de ces derniers" (on prête une intention cachée à l'adversaire)
  • polylogisme : vous raisonnez comme ça parce que vous êtes bourgeois / riche / juif / etc.
  • argument d'autorité : "Marx et Lénine ont prédit la disparition du capitalisme" (on espère que l'autorité invoquée suffise à dissuader l'adversaire de répliquer)
  • argumentum ad antiquitam : "l'État existe depuis toujours, il est donc absolument impossible de s'en passer" (la force de l'habitude ne prouve pas que l'habitude soit toujours bonne)
  • argumentum ad populum : "un grand nombre de gens croient l'État indispensable et d'ailleurs n'importe quel endroit de cette Terre est sous l'emprise d'un État" (qu'une opinion soit partagée par un nombre important de personnes ne prouve pas qu'elle soit vraie)
  • argument du violeur : "tel méfait est justifié, car la victime l'avait bien cherché"
  • argument d'Eichmann : "je ne suis pas responsable, je n'ai fait qu'obéir aux ordres (ou à la loi)"
  • argumentum ad ignorantiam : "personne n'a jamais prouvé que le libéralisme soit le meilleur des régimes, c'est donc faux" ; "vous ne pouvez pas me démontrer que le communisme ça ne marche pas (les exemples historiques n'étant pas suffisants pour généraliser), donc ça marche" (on prétend que quelque chose est vrai parce qu'il n'a pas été démontré que c'était faux, ou que c'est faux parce qu'il n'a pas été démontré que c'était vrai)
  • argument ad hominem : on attaque la personne plutôt que ses idées : "vous êtes de dangereux extrémistes" ; "les libertariens sont des poujadistes" ; "vos idées sont nauséabondes" ;
  • reductio ad Hitlerum : variante d'argument ad hominem : "vous êtes des fascistes, des réactionnaires, des Nazis" (disqualifie l'adversaire en le comparant à des personnages honnis, Hitler ou les Nazis)
  • sophisme de Corax : consiste à dire qu’une chose est invraisemblable justement parce qu'elle est trop vraisemblable. "Croyez-vous que je ferais de la politique si j'y voyais seulement un moyen de m'enrichir aux dépens de mes concitoyens ?" En est dérivée une technique de manipulation classique, appelée « se cacher dans la lumière » : on ne cache pas des faits dérangeants, mais on minimise leur importance, on les discrédite ou on leur enlève habilement tout ce qui pourrait se retourner contre nous.
  • argument circulaire : par exemple, "L’État c'est bien, parce que sans État on ne pourrait pas se défendre contre les gangs qui prendraient le pouvoir et finiraient par former... un État !"

Sophismes étatistes

Il s'agit de sophismes très courants, du type "pétition de principe", "non sequitur" ou "deux poids, deux mesures", destinés à justifier l'interventionnisme de l’État dans les cas de figure où il est le plus contestable :
  • sophisme paternaliste : si on laisse les gens libres, ils agiront contre leur propre intérêt (il faut protéger les gens contre eux-mêmes) ;
  • sophisme de l'alibi de la pauvreté : si l'État ne prend pas en charge cette activité (la santé, l'éducation...), les pauvres en pâtiront ;
  • sophisme pseudo-élitiste : l'État, en charge de l'"intérêt général", sait mieux faire que le privé ; cet argument est souvent implicite dans certains pays, comme la France, où l'État a eu un rôle historique prépondérant dans la fondation de la nation. C'est une "croyance dans le chapeau magique" des étatistes.
  • sophisme comptable : si on dépense autant, c'est bien que ça en vaut la peine (la dépense est d'autant plus justifiée qu'elle est importante - en réalité les sommes dépensées sont arbitraires, les résultats effectifs de ces dépenses ne sont jamais évalués) ;
  • sophisme de l'économie d'échelle : la centralisation étatique permet de diminuer les coûts des services rendus au public (contredit par la loi de Savas ou la loi de Friedman) ;
  • sophisme collectiviste : l'État exprime une "volonté générale", et à ce titre tout ce qu'il fait est forcément légitime (contredit par le théorème d'Arrow et le théorème de l'électeur médian) ;
  • sophisme légitimiste (variante du précédent) : c'est vous qui nous avez élus, donc tout ce qu'on fait est forcément bien ;
  • sophisme de la justice sociale : l’État est l'instrument de la justice sociale (le pillage des faibles par les puissants et des producteurs au profit des parasites est juste dès lors qu'il est pratiqué par l'État) ;
  • sophisme de l'illusion fiscale : l'impôt est nécessaire et utile, puisqu'il permet à l’État de distribuer ses bienfaits aux citoyens (on ne s'interroge pas sur le coût de ces "bienfaits", résultant du vol fiscal, ni s'ils pourraient être produits par la société civile elle-même) ;
  • sophisme de l'illusion mathématique : les calculs montrent que telle décision politique est la meilleure (illusion scientiste qui ignore l'incertitude et les rétroactions inhérentes à l'action humaine) ;
  • sophisme matérialiste : la matière a une valeur intrinsèque, la valeur existe à l'état brut sous la forme de "ressources naturelles", dans un monde aux ressources finies la croissance est forcément finie, etc.
  • sophisme sacrificiel : si des gens sont morts pour ça (le droit de vote, l'égalité...), c'est que ça en valait la peine (comme si l'action fanatique justifie la cause dont elle se réclame) ;
  • double contrainte (pour mettre la victime dans une situation impossible). Ayn Rand l'illustre dans La Grève (p.190) par la réflexion d'un étatiste devant une invention révolutionnaire : « Si le Rearden Metal ne vaut rien, c'est un danger public. S'il est bon... c'est un danger social. »

Exercice d'application

Trouver de quel genre de sophisme ou de quelle illusion relèvent les affirmations politiques suivantes :
  • Notre pays dépense 30% de son PIB pour financer la protection sociale, ce qui en fait l'un des plus avancés au monde (Martin Hirsch, "Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la Jeunesse")
  • L'État est le garant de l'intérêt général. C'est à lui qu'il appartient de décider en dernier ressort. (Raymond Barre, discours du 5 octobre 1976)
  • Seules la vigilance et l'action de la puissance publique peuvent préserver les solidarités collectives qui fondent notre société. (Michel Rocard, Entretien avec la Revue française d'économie, 1986)
  • L'analyse économique sérieuse conduit à constater que le protectionnisme et la dévaluation ramènent à la notion de solidarité nationale. (Emmanuel Todd, Marianne2, 24/03/2011)
  • Cela peut paraître dur, mais je crois que, dans l'intérêt de la collectivité, chaque citoyen doit supporter de pouvoir être suspecté de temps en temps à sa juste mesure. (Eva Joly, Où vont les juges, 2002)
  • Il est impossible qu'il y ait moins d'État-providence, car ça heurterait la souveraineté du peuple ! (Benoît Hamon, août 2011)
  • La culture fait partie du domaine régalien de l'État. (Aurélie Filippetti, juillet 2012)
  • Les banquiers français sont plus honnêtes que les banquiers anglo-saxons car la plupart viennent du service public. (Jérôme Cahuzac, juillet 2012)
  • Il y a un coût écologique pour la planète des produits non écologiques ; il nous faut donc réfléchir à une taxe carbone. (Jérôme Cahusac, juillet 2012)
  • La nature a créé des inégalités, et la loi est là pour les résorber. (Najat Vallaud-Belkacem, décembre 2013)

Sophismes économiques

Le terme de sophisme reste irrémédiablement attaché à la personne de Frédéric Bastiat, qui, dans ses Sophismes économiques, a détruit l'argumentation des anti-libéraux.
Déjà classique outre-Atlantique, l’œuvre capitale de Frédéric Bastiat suscite enfin en France l’intérêt qu’elle mérite. Réédités, dès 1964 en langue anglaise, les Sophismes économiques de Frédéric Bastiat n’étaient plus disponibles en langue française dans leur texte intégral depuis l’édition Paillottet des œuvres complètes publiée chez Gilbert Guillaumin (1854-1855).
Alors que, de nos jours, trop d’économistes se complaisent à produire des ouvrages dont l’obscurité dissimule l’étatisme, Frédéric Bastiat nous rappelle que l’économiste a d’abord pour fonction de mettre en lumière ces rhétoriques irrationnelles qui invalident les politiques économiques. S’inscrivant dans la lignée de la littérature libérale née sous la censure impériale et royale avec les chansons de Béranger et les apologues de Paul-Louis Courier, c’est donc sous une forme littéraire – dialogique autant que logique – que Frédéric Bastiat choisit de présenter les vérités fondamentales de l’économie politique.
Alors que François Guizot s’en était tenu à des considérations naïves sur le gouvernement représentatif avant d’en empêcher l’épanouissement sous la monarchie de Juillet, le futur député républicain Frédéric Bastiat, en stigmatisant la privatisation rampante de l’État par les groupes de pression industriels et agricoles, esquisse une véritable théorie libérale de la justice.
Démystifiant le "sisyphisme" des politiques de l’emploi et la spoliation légale qu’elles induisent, Bastiat démontre que ce sont les pays et les catégories sociales les moins favorisés qui gagnent le plus à la liberté des échanges. Aussi, le lecteur d’aujourd’hui ne trouvera pas d’argumentaire plus essentiel contre le dernier avatar du protectionnisme, “ l’altermondialisme ”, que les Sophismes économiques de Frédéric Bastiat.
L'interventionnisme étatique en matière économique illustre la permanence des sophismes économiques colportés par certains économistes eux-mêmes (voir par exemple plan de relance, multiplicateur keynésien, courbe de Phillips). 


http://www.institutcoppet.org/2011/08/05/le-sophisme-de-la-vitre-cassee/

octobre 15, 2014

L’anarcho-capitalisme pour quelle évolution ?

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L’anarcho-capitalisme affirme que l’anarchie qui a partie liée avec le capitalisme est possible et désirable. C’est un courant de pensée riche qui fait appel à des théories politiques et économiques parmi les plus avancées de notre temps. Réhabilitant à la fois la valeur du capitalisme et la faisabilité de l’anarchie, l’anarcho-capitalisme rénove et le vieux rêve libertaire et l’idéal libéral.



Il y a une belle continuité entre Mercier de la Rivière, qui voyait que, sous le régime de l'intérêt individuel, « Le monde va alors de lui-même », et Murray Rothbard, pour qui « L’impôt est du vol pur et simple », en passant par les fortes tirades de Lysander Spooner sur les lois de « nos soi-disant ambassadeurs, ministres, présidents et sénateurs » qui « n’imposent pas plus d’obligations que n’en créent les ententes que les brigands, les bandits et les pirates jugent utile de conclure entre eux ».
 
Bien qu’inachevée et souffrant d’incohérences parmi ses différentes école, l’anarcho-capitalisme demeure une doctrine séduisante qui impose une remise en question des idées collectivistes, étatistes et égalitaristes qui ont tant marqué le XXe siècle. L’anarcho-capitalisme met en lumière les grandeurs et les limitations du libéralisme et de l’anarchisme dont il procède. Il fournit un modèle et une Utopie libérale. Il apporte une contribution heuristique majeure à l’économie, à l’éthique, au droit et à la politique.
 
La contribution de l’anarcho-capitalisme se limitera-t-elle à cela, ou peut-on espérer que l’avancement de l’humanité et le progrès de la civilisation consommeront un jour le mariage des deux grands idéaux modernes que sont l’anarchisme et le libéralisme?

source: Pierre Lemieux (1988)

 
 

La génèse du libéralisme par JR ALCARAS (économiste) - "Gauche" Libérale ?

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La naissance du libéralisme au 18ème siècle :
un projet de société indissociable de l’utopie des Lumières
 
La question du libéralisme est évidemment au coeur des conceptions contemporaines de la liberté… L’idée d’un régime prônant la liberté de tous et de chacun est généreuse ; la réalité est souvent plus discutable… mais pour se prononcer, il faut d’abord se poser la question de quel libéralisme parle-t-on ?
 
Jean-Robert Alcaras propose ici de revenir sur la genèse du libéralisme au 18ème siècle, comme libéralisme total (politique, moral et économique) indissociable de la philosophie des Lumières.


INTRODUCTION

Si la liberté se définit comme « puissance de la volonté » (c’est-à-dire vouloir et pouvoir faire ce que l’on veut), alors… comment vivre en paix et dans l’harmonie sociale dans une société constituée par des individus auxquels on accorde une grande liberté ? Autrement dit, la paix et la sécurité (des biens et des personnes) sont-elles compatibles avec un régime de libertés individuelles les plus étendues possibles ?

Cette question, c’est l’une des questions centrales — pour ne pas dire LA question — qui est au coeur de la problématique de la modernité.
Ce que je voudrais montrer, c’est que le libéralisme — pas seulement économique — est une des réponses possibles à cette question. Mieux encore : c’est peut-être même la seule réponse pragmatiquement faisable que la modernité ait réellement trouvé à ce problème — avec toutefois la possibilité de constater de grandes nuances entre les différentes versions qui se sont ensuite inspirées, au 19ème et au 20ème siècles, du projet libéral originel !!!

Je vous proposerai donc comme principale conclusion la proposition suivante : sauf exception notable (ce qui est le cas des anti-modernes ou du moins des pensées critiques face à la modernité, comme celle de H. Arendt), et contrairement à ce que l’on entend souvent en France, nous sommes (presque) tous des libéraux au sens originel du terme — même ceux qui parmi nous se définissent comme… des anti-libéraux !

Pour arriver à ces conclusions, il faudra d’abord que nous nous entendions sur les termes qui seront ici employés : de quel libéralisme parle-t-on ? A quelle modernité fais-je référence ?



1. Libéralisme ?
  Il n’y a pas qu’un libéralisme… et le mot est assez vague en soi, il est polysémique, c’est-à-dire qu’il évoque des choses différentes selon les moments, et selon les endroits aussi.
Ainsi, par exemple, le mot « libéral » qualifie clairement une attitude « de gauche » aux USA… et une attitude « de droite » en France ! Et cela ne provient pas seulement du caractère confus de la distinction droite-gauche, ni de la différence entre les conceptions politiques de part et d’autre de l’Atlantique… mais surtout d’un sens différent donné au même mot lui-même de part et d’autre de l’Atlantique.

Je vous parlerai ici du libéralisme originel, celui qui est né à la fin du 18ème siècle en Europe (à noter : c’est une idée franco-anglaise ! Comme quoi, l’entente cordiale…). Et je vous présenterai ce libéralisme originel comme une utopie sociale globale.

• Une utopie sociale, au sens où il s’agit d’un projet de société fondé sur un certain nombre d’hypothèses (notamment sur la capacité des hommes à vivre ensemble tout en étant libres) dont nous ne serons jamais sûr de les vérifier dans la réalité, mais qui nous montre la voie à suivre…
• Une utopie globale, dans la mesure où le libéralisme est un système qui est fondé sur l’hypothèse de la plus grande liberté pour tous, dans tous les domaines, de manière indissociable : libertés politiques, libertés de morales et de moeurs, libertés de comportement et de pensée, libertés économiques…
Et je vous demande aussi de bien faire la différence entre le libéralisme (originel) et le capitalisme !
• D’abord, ni la notion, ni la réalité qu’elle décrit n’existaient au moment où le libéralisme a été inventé ! Le capitalisme (comme notion et comme réalité) n’est apparu qu’au 19ème siècle ou à la toute fin du 18ème…
• Le capitalisme désigne une réalité (pas une utopie) : c’est un système économique qui, comme l’a souligné Karl Marx, repose fondamentalement sur le principe de l’appropriation privée des moyens de production (propriété privée du capital). Peut-être que le libéralisme n’a pu donner lieu qu’au capitalisme…

Et c’est au nom de l’écart entre la réalité capitaliste et l’utopie libérale qu’un certain nombre de contestations auront lieu au 19ème siècle (à commencer par celles des socialistes, des marxistes et des anarchistes.

2. Modernité ?
Apparue à partir de la renaissance, l’idée de modernité va se développer tout au long du 17ème et du 18ème siècles, et donner lieu à des changements qui vont se réaliser massivement, pour l’ensemble de la population, du 19ème au 20ème siècles.

La modernité naît d’une critique de l’ordre traditionnel à partir duquel s’organisait la société médiévale. Elle va contribuer notamment aux changements fondamentaux suivants :

• à remettre en cause le géocentrisme et les autorités traditionnelles (de Droit divin) — ce qui pousse l’homme à repousser toutes les frontières, à modifier ses repères pour percevoir l’espace et le temps, et à ne plus se considérer dans un monde fermé, limité…
• à ne plus fonder l’ordre social sur la foi et l’ordre naturel mais plutôt sur la raison et le progrès scientifique, technologique et matériel — ce qui pousse les hommes à être de plus en plus matérialistes, de moins en moins focalisés sur la spiritualité et l’idéalisme…
• à valoriser l’individu et sa raison (exemple du « cogito ergo sum » de Descartes) : chaque homme devient en quelque sorte un monde à lui tout seul, dont il nous faudrait respecter l’intégrité et les droits « naturels » (liberté, propriété…).

Dans ce monde nouveau, fondé sur cet homme nouveau, peut-on espérer une harmonie sociale ? Est-il possible de ne pas tendre inéluctablement vers le chaos et la violence généralisée ? Ceux qui répondent clairement « OUI » à cette question sont les libéraux (au
sens du libéralisme originel dont je vous parlerai ici) — et ce sont peut-être même les seuls à donner cette réponse, sans nuance ni réserve.
 
je tenterai de vous montrer la pertinence de cette analyse, que l’on peut retrouver en substance dans un livre de Pierre Rosanvallon « Le capitalisme utopique — Histoire de l’idée de marché » (Le Seuil, Point, 1979-1999), ainsi que les principales conséquences de cette idée.
 
Le libéralisme : naissance d’une utopie sociale globale au 18ème siècle

La modernité pose le problème fondamental de la possibilité de faire vivre ensemble, dans la paix et l’harmonie, des gens différents et libres de faire ce qu’ils veulent ! Autrement dit, peut-on instituer et faire fonctionner une société sur cette base d’individus libres, en se fondant sur la raison et non par sur le respect des autorités traditionnelles ?

I – La réponse des philosophes modernes qui précèdent les Lumières :

Pour répondre à cette question, les philosophes du 16ème & du 17ème siècles se placeront essentiellement sur le plan politique, en glissant progressivement d’une position assez autoritaire (limitant de fait les libertés individuelles pour rendre possible l’ordre social) vers une position plus respectueuse des libertés individuelles. Quelques exemples de cette progression :

1. Nicolas MACHIAVEL (1469-1527) : Dans « Le Prince » (1513), il développe une vision pragmatique de la politique, dans laquelle il donne naissance au concept moderne de la « raison d’Etat ». La politique a une fin (le bien général) et cette fin justifie les moyens qui vont être employés pour l’atteindre. Machiavel prône un gouvernement pragmatique, détaché de la morale et de la religion, ayant parfois recours au mensonge ou à la force dans le but d’apporter, à terme, le bien général. Cette attitude diffère profondément de la pensée médiévale, qui est encore contemporaine à Machiavel. Si sa question centrale n’est pas l’ordre social mais plutôt la pérennité de l’Etat, sa solution réside clairement dans la politique et dans l’affirmation de l’autorité — et des différents moyens, fussent-ils liberticides, de la réaliser, la « fin justifiant toujours les moyens »…

2. Thomas HOBBES (1588-1679) : Dans « Le Léviathan » (1651) il ouvre la voie à la philosophie politique moderne, qui alimentera la réflexion politique jusqu'à la Révolution française. Contrairement à ses nombreux prédécesseurs, Hobbes ne soulève plus la question du choix du meilleur régime, mais il contribue à fonder la politique sur la "vérité effective des choses", à la façon de Machiavel, et s'interroge sur l'obéissance légitime et par conséquent sur la souveraineté. L'état de nature qu'Hobbes décrit est un mode de vie impitoyable et insupportable : « Homo homini lupus » ; dans l’état de nature, c’est la guerre de tous contre tous et de chacun contre chacun ! Ainsi, les hommes, pour préserver leur vie et pour s'acheminer vers la paix, sont conduits à renoncer d'eux-mêmes à cet état de guerre et à choisir une autorité supérieure : le souverain. Celui-ci hérite de tout ce qui était propre aux individus dans l'état de nature pour en être le détenteur exclusif. Il incarne ainsi le « Léviathan », en référence au monstre biblique, détient un pouvoir absolu et illimité en échange de la paix civile apportée aux individus. C'est une organisation politique artificielle : elle est le résultat d'un contrat social passé entre les hommes. L'unité de ce "corps" politique est rendue possible par l'existence d'un représentant unique (le monarque) et non pas par les individus qui le composent.

Son âme est l'autorité politique. L’Etat est donc, pour Hobbes, fondé sur un double pacte : un pacte d’association (ce sont les individus qui, librement, consentent à la fondation de l’Etat) ET un pacte de soumission (l’Etat doit exercer une autorité forte pour contraindre les individus à la paix civile).

3. John LOCKE (1632-1704) : Dans ses « Deux Traités sur le gouvernement civil » (1689), il poursuit l’idée de Hobbes sur l’Etat comme pacte d’association pour rendre possible la
paix civile, tout en assouplissant ses positions concernant la nécessaire soumission des individus à l’autorité du souverain. Il pense notamment que les hommes sont par nature raisonnables, libres et égaux. L'usage de la raison permet et impose à chacun de se conserver en vie par ses propres moyens tout en veillant à ne pas entraver la liberté des autres. L’état de nature est présenté comme une période heureuse de communisme primitif : contrairement à Hobbes, Locke croit que l’homme est bon par nature, il est relativement pacifique, raisonnable et sociable. Cet état de nature n’est pas régi par la loi de la jungle, comme le pense Hobbes. L’homme a une totale liberté de disposer de lui-même et de ses biens : chacun est maître et propriétaire de sa propre personne et de son travail, chacun est seigneur absolu de sa personne et de ses possessions. En raison de l’égalité entre les hommes, un droit de nature minimum impose à chacun le respect des autres dans leur personne et dans leurs biens. Pour Locke, c’est l’absence d’un arbitre entre les hommes et non l’exercice de la violence qui caractérise l’état de nature.

L'homme naturel est un propriétaire avant la lettre, entouré de sa famille, travailleur et honnête. Pourquoi abandonne t- il alors cet état si heureux (sans arbitre) pour passer contrat avec d'autres et former une société (avec un Etat qui arbitre les conflits entre individus) ?
 
L’homme échange, et pour cela il crée, au sein même de l'état de nature, les deux instruments de l'échange que sont la monnaie et la capitalisation des marchandises. Par suite des hasards des récoltes successives ou par effet de la paresse et du mauvais vouloir de certains, les propriétés se modifient.

Certaines croissent, d'autres s'amenuisent ou disparaissent. Naturellement égaux devant le droit, les hommes deviennent insensiblement inégaux devant la fortune.
Cette inégalité engendre alors un danger, celui de la guerre civile entre les hommes. Il faut donc réactiver l'égalité naturelle, par les lois et la menace du châtiment : protéger par une "société d'assurance mutuelle" la grande majorité des individus contre ceux qui les contestent. Ainsi naît la société politique, fondée sur le contrat librement consenti et tacitement accepté par ceux-là même qui ne l'auraient point voulu (pacte d’association).
 
L’origine de la société civile ou du gouvernement civil résulte donc de la volonté des hommes de sauvegarder leurs droits naturels à la vie, à la liberté et à la possession légitime des biens — ce que Locke appelle "propriété". Ainsi, pour régler les différends communs qui naissent du pouvoir de l’homme de faire tout ce qui est nécessaire pour sa préservation et de la liberté où chacun est d’être juge de sa propre cause, les hommes, par un contrat social, consentent librement à ce que le gouvernement fasse les lois et l’autorise à les exécuter en vue du bien public.

II – La réponse des philosophes des Lumières :

La philosophie des Lumières peut alors, durant tout le 18ème siècle, se développer sur les bases posées par Locke : Voltaire, Rousseau, les encyclopédistes (Diderot, D’Alembert) et les physiocrates en France ; David Hume, Adam Ferguson ou… Adam Smith en GB ; E. Kant en Allemagne…

Dans son essai intitulé « Qu’est-ce que la philosophie des Lumières ? », Kant, en 1784, écrit : « Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d'un manque d'entendement, mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Se servir de sa raison pour sortir de la minorité, d’une sorte de « servitude volontaire », c’est-à-dire… pour être, pour devenir LIBRE !
Les idées essentielles des Lumières tournent donc autour de quelques mots-clefs :

La liberté : « Les hommes naissent tous libres. C'est le plus précieux de tous les biens que l'homme puisse posséder. Il ne peut ni se vendre ni se perdre » (selon l'Encyclopédie). LA LIBERTE, TOUTES LES LIBERTES…y compris les libertés politiques, morales, de moeurs, et les libertés économiques…
La raison : c'est le moyen d'acquérir des connaissances. Quesnay dit : « la raison est à l'âme ce que les yeux sont au corps : sans les yeux, l'homme ne peut jouir de la lumière, et sans la lumière, il ne peut rien voir ».
La tolérance : D'après Voltaire, on doit respecter la liberté et les opinions sociales, politique et religieuses d'autrui.
L'égalité : D'après Rousseau, « être libre, n'avoir que des égaux est la vraie vie, la vie naturelle de l'homme. Les hommes naissent égaux ». C’est d’une égalité en droit dont il s’agit, bien sûr…
Le progrès : ils sont pour le progrès de la société et pour
l'innovation scientifique & technologique, le progrès économique et du commerce…
Ils sont contre les abus de pouvoir, c'est pourquoi il veulent la séparation des pouvoirs : (Montesquieu, « De l'esprit des lois », 1748). On retrouve cette idée dans le libéralisme économique qui pourfend les monopoles (car ils ont trop de pouvoir), et qui présente l’Etat comme un contre-pouvoir qui doit se servir de sa puissance pour limiter le pouvoir excessif de quelques-uns.
Ils sont pour le rejet de la monarchie de droit divin et contre toutes les formes traditionnelles de gouvernement, même s’ils restent généralement favorable à un régime monarchique.
Mais ils ne sont pas pour une démocratie, sauf dans le cas de Rousseau.

Dans le cadre de la philosophie des Lumières, la question n’est plus vraiment celle de l’institution du social à partir d’individus libres : en quelque sorte, sur ce point, ils reprennent les bases de Locke (c’est notamment le cas de J. J. Rousseau (1712-1778) dans « Le contrat social », 1762, qui inspira tant les révolutionnaires en France). La vraie question de philosophie politique des Lumières consiste à questionner la régulation du social (son fonctionnement plutôt que son institution) : comment concilier les intérêts particuliers et l’intérêt général dans une société composée d’individus déclarés libres et égaux ? Ainsi, Rousseau résume son projet de la manière suivante : « trouver une forme d’association qui
défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ».

Autrement dit, est-il possible de concilier liberté et sécurité ? Et ne nuit-on pas à autrui dès lors que l’on agit à sa guise et, inversement, n’entravons-nous pas notre liberté lorsque nous avons le souci du respect d’autrui ? A cette question, il y a deux réponses possibles dans la philosophie des Lumières :

1. La réponse de Rousseau (1712-1778) : l’idée de la « volonté générale » ! Chaque citoyen est capable de distinguer son intérêt particulier et l’intérêt général, qu’il se doit de défendre comme « associé » — ainsi du fameux consentement à payer librement l’impôt !!! Cette solution est donc une solution politique, fondée sur l’idée que l’homme serait fondamentalement un animal politique… Ne trouve-t-on pas dans cette première voie la tendance républicaine de la modernité ?

• Cette réponse, séduisante, a pourtant deux inconvénients majeurs :

o Elle repose sur une hypothèse discutable de capacité citoyenne de l’homme, difficile à diffuser correctement dans toute société : l’expression et la compréhension par chacun de la volonté générale n’est pas triviale !
o Elle peut éventuellement fonder la paix civile, mais quid de la paix entre les Nations ? Les citoyens du monde ne sont en effet liés, eux, par aucun pacte…

2. C’est pourquoi la deuxième réponse des Lumières est une solution économique, qui tend d’ailleurs à substituer l’économique au politique (le marché au contrat) pour réguler harmonieusement la société… C’est la tendance libérale totale de la modernité. Passer par des relations de type commercial entre les individus apparaît en effet comme une solution simple et universelle de pacifier les relations entre les individus.

Montesquieu parlait déjà du « doux commerce », qui apaise les moeurs !
Les physiocrates français demandaient au roi de respecter les lois de la nature, qui gouvernent l’économie : « Sire, ne faites rien ! » (Quesnay) ; « Laissez-faire ; laissez passer » (V. De Gournay).

Adam Smith ne fera que reprendre et développer cette idée : si nous confrontons les individus à partir de leurs seuls intérêts particuliers (économiques et commerciaux), il n’est pas nécessaire que chacun aime les autres ni même qu’il ait compris la volonté générale pour vivre en paix avec autrui ! Il lui suffit de comprendre qu’il a besoin des autres pour satisfaire ses propres besoins, de dire aux autres : « donne-moi ce dont tu as besoin et tu auras, en retour, ce dont tu as toi-même besoin » (dit Smith dans la « Richesse des Nations », 1776). En outre, la portée des relations marchandes est universelle, elle dépasse les frontières, elle ne nécessite pas de socle politique international pour favoriser la paix entre les Nations.

Qu’on s’entende bien : Smith est un philosophe des Lumières.
Il accepte donc la théorie du contrat social — fondée par Locke et reprise par Rousseau — pour ce qui est de l’institution du social.
Il ne dénie pas l’intérêt de l’Etat, qui a son rôle à jouer pour préserver les libertés individuelles… Mais c’est au niveau de la manière d’organiser la régulation du fonctionnement de la société qu’il préfère la solution marchande (libérale) à la solution politique (républicaine) :

• Elle a l’avantage d’être immédiate et de reposer sur des instincts « naturels » des êtres humains (plutôt que de supposer leur capacité à s’élever vers une volonté générale) ;
• Elle a aussi l’avantage d’être universelle et de dépasser les frontières ;
• Elle a enfin l’avantage de rendre cohérent tout le projet social des lumières :

o Si la nature est bien faite, si l’homme est naturellement bon, pourquoi le commerce qui est naturel aux hommes serait-il un mal pour eux ? Pourquoi les hommes seraient-ils mauvais lorsqu’ils sont naturellement égoïstes ?
o Cette hypothèse correspond bien à la façon dont les Lumières envisagent un Etat qui protège par des lois les libertés, un Etat arbitre, qui ne se substitue pas aux individus dans la régulation du social
o Pourquoi la liberté serait bonne pour le progrès de l’humanité dans tous les domaines, sauf le domaine économique ?

Mais on voit aussi que cette voie nous entraîne aussi vers une conception plus économique, plus matérialiste de la société, et vers une sorte d’extinction du politique dans sa capacité à organiser la société. Comme l’a dit H. Arendt, la modernité consiste essentiellement en une disparition de fait de la politique, telle que les grecs la concevaient… Mais c’est une autre histoire !

Si on devait classer politiquement le libéralisme originel des Lumières dans son contexte, il aurait été clairement à gauche (explications sur ce petit anachronisme)…
Dans ce libéralisme utopique originel, on ne peut distinguer le libéralisme économique du libéralisme politique, moral, … C’est un tout.

Comment donc être anti-libéral aujourd’hui, surtout lorsqu’on a ses affinités politiques à gauche ? N’est-ce pas contradictoire ? Ne veut-on pas dire plutôt qu’on est anti-capitaliste ?
 
Se déclarer antilibéral, n’est-ce pas prendre le risque de rejeter aussi tout ce qui nous attache aux droits de l’homme, à la défense des libertés individuelles… ? Si nous sommes attachés au projet et à l’utopie des Lumières, comment pourrait-on rejeter leur libéralisme ?
 
 
Bien sûr, ce qui se passera au 19ème siècle fera évoluer les conceptions du libéralisme (et donc de l’anti-libéralisme). Mais si le libéralisme économique se détache du projet des Lumières, c’est donc lui qu’on devrait accuser de ne pas être assez (ou vraiment) fidèle à ce projet… et donc de le trahir ! Plutôt que de se déclarer un peu trop vite anti-libéral, pourquoi ne pas plutôt accuser certains économistes (qui se disent « libéraux ») de ne pas être fidèles au libéralisme originel ? Ce sera d’ailleurs, en quelque sorte, la voie empruntée par Marx, qui critiquera les économistes libéraux sur ce plan…
 
Intervenant : Jean-Robert ALCARAS, Economiste
 



Guy Millière et le libéralisme, le libertarianisme...

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J’ai, dans un article récent consacré à Ron Paul, parlé de pathologie libertarienne. 
 
Ce terme m’a valu de nombreuses réactions. Certains ont poussé la cuistrerie jusqu’à vouloir me donner des leçons de libéralisme. Cela fait plus de trente ans que je me situe et que je travaille dans la mouvance libérale en France. J’ai une profonde estime pour l’ensemble de ceux qui ont travaillé dans la même mouvance. Je n’ai, pour ce qui me concerne, parmi eux aucun ennemi. J’y compte beaucoup de gens qui sont des amis très chers. Je ne dresserai pas une liste pour être certain de n’oublier personne. Le seul homme politique auprès de qui je me suis impliqué en France s’appelle Alain Madelin, et je le tiens toujours en très haute considération. J’ai traduit ou fait publier en France quelques uns des livres majeurs de la pensée libérale, et je n’ai aucune leçon à recevoir de gens qui étaient à l’école maternelle quand je lisais déjà les œuvres complètes de Friedrich Hayek, de Ludwig von Mises ou de Frédéric Bastiat.
 
Tout en considérant les libertariens comme des gens appartenant à la mouvance libérale, je n’ai, pour autant, jamais pu m’empêcher de discerner dans leur pensée une dimension utopique qui a toujours suscité chez moi des réserves : une utopie est la description d’une société idéale, sans défaut, qui, dans la réalité, n’existe pas et ne peut pas exister. Elle est une construction intellectuelle logique, cohérente, qui peut dès lors exister en soi, dans l’esprit de ses adeptes ou qui, pour les utopies totalitaires, peut être imprimée de force sur un groupe humain, mais elle ne peut prendre consistance. Les sociétés humaines sont plus complexes que les utopies. On ne peut prétendre construire une utopie, qui plus est, dans un monde complexe et dangereux : on doit prendre en compte la complexité et la dangerosité du monde. 
 
Ce qui me mène à parler de mouvance libérale et non d’idéologie, comme cela se fait ici ou là, tient précisément à ce que le libéralisme, à mes yeux, n’est pas une idéologie, c’est à dire un ensemble d’idées censées avoir réponse à tout, et constituant un système clos, mais un ensemble ouvert d’idées, de principes : en tant qu’ensemble ouvert, il ne peut à mes yeux se limiter à une approche économique, et a, indissociablement, fondamentalement, une dimension juridique.
 
Le libéralisme, dès lors, est pour moi l’ensemble des discours défendant le droit des êtres humains et la société fondée sur le droit qui a été définie pour la première fois par John Locke dans Two Treatises on Government. 
 
La société de droit (rule of Law ou règle du droit) repose sur l’idée d’un contrat passé entre ceux qui en deviennent membres, et qui découle du « double contrat défini antécédemment par Grotius dans De republica emendanda et De iure belli ac pacis : le gouvernement est le gardien du droit. Tant qu’il est gardien du droit, il est légitime, lorsqu’il cesse d’être gardien du droit et excède la définition de son rôle, il perd sa légitimité, et devient tyrannique.
 
Dans le cadre du droit, s’insèrent et vivent la liberté d’entreprendre, l’économie de marché, la liberté de passer contrat, la liberté de parole, de pensée, de croyance, de connaissance. Adam Smith était juriste de formation, philosophe de l’éthique et a formulé le contenu de l’ouvrage fondateur qu’est An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations (1776), dix sept ans après avoir publié The Theory of Moral Sentiments (1759).
 
Le droit des êtres humains, dans la philosophie de Locke, s’inscrit dans la tradition du droit naturel, qui va de Thomas d’Aquin à Hugo Grotius, Samuel von Pufendorf, en passant par Gabriel Vázquez de Belmonte. Le principal penseur du droit naturel au vingtième siècle a été Leo Strauss.
 
Une société de droit ne peut rester une société de droit que si elle se donne les moyens de se défendre, et la défense fait partie intégrante du rôle de gardien du droit, car, sans défense, le droit peut se trouver vite écrasé.
 
 
 
Dans un monde où l’économie est planétarisée, et où les menaces le sont aussi (je parlais plus haut de complexité), la défense implique de veiller à la liberté des échanges internationaux, qu’ils soient immatériels ou matériels, et cela concerne dès lors les voies de circulation aériennes et maritimes.
 
Dans un monde où il existe des régimes totalitaires, des fanatiques, des terroristes (je parlais plus haut de dangerosité), la défense implique d’endiguer ces régimes, ces fanatiques et ces terroristes, voire de les mettre hors d’état de nuire s’il est avéré qu’ils s’apprêtent à nuire. La notion de guerre juste est formulée par Thomas d’Aquin, dont l’importance pour la pensée du droit naturel est cruciale, et développée ensuite dans l’école de Salamanque, chez Francisco de Vitoria particulièrement (cf. De Jure belli Hispanorum in barbaros).
 
Prétendre se situer dans le cadre du libéralisme classique, en en excluant la défense, les implications de l’économie planétarisée, l’existence du totalitarisme, du fanatisme, du terrorisme, est recourir au mensonge ou faire preuve de méconnaissance grave. C’est procéder à un glissement vers l’utopie libertarienne. Cela doit être dit et assumé par ceux qui procèdent à ce glissement.
 
 
 
Parce qu’il est fondamentalement utopique, le libertarianisme est condamné à rester marginal. 
 
Le conservatisme, au sens anglais et américain du terme, est le complément logique du libéralisme classique. Il part de l’idée que le droit, une fois découvert, doit être respecté (cette idée est au cœur de la théorie du grand contrat exposée par Edmund Burke dans Reflections on the Revolution in France). Il ajoute l’idée qu’il existe des valeurs transcendantes qui reposent sur le droit naturel des êtres humains, et ancrent en lui la pérennité de cette transcendance. Le bien et le mal peuvent être définis depuis et par le droit naturel, et le conservatisme au sens anglais et américain du terme parle, fondamentalement, du bien et du mal, et définit des règles éthiques sur cette base. 
 
Le courant néo-conservateur, si souvent caricaturé par des gens qui n’ont, visiblement, aucune connaissance sur le sujet, se situe dans la continuité du conservatisme au sens anglais et américain du terme. 
 
Il énonce (voir les écrits d’Irving Kristol, particulièrement Neoconservatism: The Autobiography of an Idea, de Norman Podhoretz – The present and future danger- et de Michael Novak – Universal Hunger for Liberty- sur le sujet) que les règles éthiques définies par le conservatisme doivent servir de base à la politique intérieure d’un gouvernement et à sa politique étrangère, ce qui peut impliquer des guerres justes. Une guerre juste peut impliquer un changement de régime. Selon la philosophie du droit naturel, un régime totalitaire, ou un régime autoritaire, n’a aucune légitimité.
 
Reproduction autorisée, et même vivement encouragée, avec la mention suivante et impérativement le lien html ci dessous : 

© Guy Millière pour www.Dreuz.info
 
 

Les libéraux occidentaux doivent applaudir les Russes !!

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L’historien et sociologue français Emmanuel Todd il n’a jamais été prisonnier des idéologies, bien qu’il les ait minutieusement étudiées du point de vue scientifique. Auteur de nombreux livres et monographies, il a accepté de répondre aux questions de Rossiïskaïa gazeta. 



Le monde occidental est parti en guerre contre la Russie, l’accusant de tous les péchés capitaux et de mauvaises intentions. Qu’en pensez-vous?


Emmanuel Todd: Avant les événements ukrainiens déjà, j’avais attiré l’attention sur cette tendance antirusse, manifestement planifiée, dans les médias occidentaux. Les premières attaques régulières contre Moscou ont porté sur le « rejet » des minorités sexuelles. Ensuite, de nombreux articles ont avancé que la politique de Poutine était « impossible à comprendre » et qu’il était « imprévisible ». Pour être franc, cela m’a beaucoup amusé. Car à mon avis, la ligne politique du gouvernement russe est au contraire très rationnelle et réfléchie. Les Russes sont fiers d’être Russes et s’ils disposent des moyens nécessaires, ils font tout pour éviter la cabale. Ainsi, le soutien affiché à la population russophone dans le sud-est de l’Ukraine s’inscrit parfaitement dans cette logique. En ce qui concerne les préoccupations des Baltes ou des Polonais, persuadés que demain Moscou compte les engloutir, elles sont complètement infondées. Cela n’a absolument aucun sens. La Russie a déjà suffisamment de soucis pour aménager son vaste territoire.

Cela fait longtemps que vous vous intéressez à la Russie – essentiellement comme anthropologue et sociologue. En 1976 déjà, à l’âge de 25 ans, vous avez écrit un livre intitulé La Chute finale où vous évoquiez les causes susceptibles de désintégrer l’URSS. Ce livre, qui a fait beaucoup de bruit, n’a pas été pris au sérieux à l’époque. Quelle est votre vision de la Russie contemporaine?


Emmanuel Todd: Si vous vous penchez sur l’histoire de la Russie, vous comprenez que son rôle dans les affaires mondiales – et en particulier européennes – a toujours été positif. La Russie a subi une humiliation dans les années 1990, juste après l’effondrement de l’URSS. L’attitude de l’Ouest fut alors insupportable et injuste mais en dépit de cela, la transition a pu se faire dans une certaine dignité. Aujourd’hui, ce pays a retrouvé sa place dans les affaires mondiales et a atteint un équilibre interne. Il a atteint une stabilité démographique et enregistre même une croissance de sa population plus élevée que dans le reste de l’Europe. L’espérance de vie augmente. A terme, le taux de mortalité infantile sera inférieur à celui des États-Unis selon les statistiques. Le fait que la Russie attire un flux d’immigrés en provenance des pays voisins montre qu’elle revêt pour eux un intérêt économique. À mon avis, la Russie joue un rôle particulier dans les affaires internationales, dont elle a hérité de la Guerre froide, qui est d’assurer l’équilibre mondial. Grâce à son arsenal nucléaire, la Russie est aujourd’hui le seul pays capable de contenir les Américains. Sans elle, le monde aurait connu un sort catastrophique. Tous les libéraux occidentaux devraient l’applaudir: contrairement aux démocraties européennes, elle a accordé l’asile à Edward Snowden. Quel symbole explicite: la Russie, bastion des libertés dont les pays européens se veulent les porte-drapeaux.

En 2002 sortait votre livre Après l’Empire, où vous évoquez les causes de l’affaiblissement, lent mais sûr, des USA. Qu’en est-il aujourd’hui?


Emmanuel Todd: En effet, j’ai écrit à l’époque que l’agressivité de l’Amérique n’était absolument pas une manifestation de sa puissance. Au contraire, elle cachait la faiblesse et la perte de son statut dans le monde. Ce qui s’est passé depuis a confirmé mes conclusions de l’époque. Et cela reste exact aujourd’hui également. Ne croyez pas que j’ai été motivé par un anti-américanisme quelconque. Pas du tout. Néanmoins, je constate que l' »empire » américain est en phase de déclin. Et cela peut être vu particulièrement dans la manière dont les États-Unis, à chaque fois qu’ils perdent l’un de leurs alliés, prétendent que rien de significatif ne s’est produit. Prenez l’exemple de l’évolution des relations de Washington avec l’Arabie saoudite. Les échecs permanents des Etats-Unis au Moyen-Orient sont flagrants pour tout le monde, notamment à travers les derniers conflits en Irak et en Syrie. Et Riyad, qui était autrefois leur plus proche allié dans la région, est en fait sorti du contrôle américain, même si bien sûr personne ne l’admet. Même chose pour la Corée du Sud, qui s’éloigne des États-Unis pour coopérer de plus en plus activement avec la Chine. Le seul véritable allié loyal des Américains en Asie reste le Japon. Mais à cause de sa confrontation avec Pékin, ce pays ne sait plus où se mettre.

Et l’Europe?


Emmanuel Todd: Le processus est similaire en Europe. La principale évolution que le Vieux continent ait connue ces dernières années est la montée en puissance de l’Allemagne. Avant, je pensais que l’Europe allait continuer à se développer, tirée par la locomotive d’intégration Berlin-Paris. Mais les choses se sont passées autrement. Tout d’abord, l’Union européenne ne s’est pas transformée en union des nations « libres et égales », comme le rêvaient ses fondateurs. Elle a pris la forme d’une structure hiérarchique sous l’égide de l’Allemagne, qui a largement dépassé sur le plan économique tous les autres pays de l’UE. Par nature, les Allemands ne peuvent pas percevoir le monde autrement qu’à travers un prisme hiérarchique. Cette ascension de Berlin s’est accélérée notamment après la crise financière de 2008. Aujourd’hui, l’Europe est contrôlée par l’Allemagne. Les premiers signes d’une perte de contrôle sur Berlin par les Américains sont apparus au début de la guerre en Irak quand Paris, Moscou et Berlin, qui marchaient jusque-là dans le sillage des USA, s’y sont opposés. Ce fut une étape fondamentale. Depuis, dans un domaine aussi crucial que l’économie internationale, l’Allemagne mène sa propre ligne pour défendre ses intérêts nationaux. Elle ne cède pas à la pression des Américains, qui croient que tout le monde devrait jouer selon leurs règles et insistent pour que les Allemands renoncent, par exemple, à leur politique d’austérité budgétaire. Cette ligne est imposée sous la pression de Berlin à l’ensemble de l’Union européenne, et les Etats-Unis ne peuvent rien y faire. Dans ce domaine, les Allemands n’accordent pas d’importance à l’avis des Américains. Nous pouvons aussi rappeler les récents scandales impliquant les écoutes téléphoniques, quand les Allemands – un cas sans précédent – ont expulsé le chef de la CIA à Berlin. Mais l’économie reste le plus important. Les Américains n’adoptent pas, dans ces circonstances, une attitude menaçante. Pas parce qu’ils ne veulent pas, mais parce qu’ils ne peuvent pas. En l’admettant tacitement, ils reconnaissent en quelque sorte que leur pouvoir touche à sa fin. Cela ne saute probablement pas aux yeux, mais c’est la réalité. 
 
 
Néanmoins, certains pensent que les USA restent une puissance dirigeant les affaires mondiales, notamment européennes.

Emmanuel Todd: Il y a l’ancien monde et le nouveau monde. L’ancien monde, c’est la vision héritée de l’époque de la Guerre froide. Elle reste bien ancrée dans la conscience des faucons américains, dans les pays baltes et en Pologne. Il est clair que l’expansion de l’OTAN vers l’Est après la chute du mur de Berlin est un exemple typique de l’inertie de la pensée dans l’esprit de la Guerre froide, peu importe les termes employés. Dans l’ancien monde, l’Allemagne jouait plutôt un rôle de modérateur, d’élément rationnel préconisant une solution pacifique aux problèmes et favorable au partenariat économique. Mais un nouveau monde est apparu et il n’est plus contrôlé par les Américains. L’Europe a aujourd’hui sa propre dynamique. Elle n’a pas d’armée, mais elle est dirigée par l’Allemagne. Et tout se complique, car cette dernière est forte, mais elle est instable dans ses concepts géopolitiques. A travers l’histoire, le pendule géopolitique allemand a oscillé entre une approche raisonnable et des élans mégalomanes qui ont conduit, rappelons-le, à la Première Guerre mondiale. C’est la « dualité » de l’Allemagne. Par exemple, Bismarck cherchait la paix universelle et l’harmonie avec la Russie, alors que Guillaume II, dans l’esprit « l’Allemagne est au-dessus de tous », s’est brouillé avec tout le monde, à commencer par la Russie. Je crains que nous retrouvions aujourd’hui cette dualité. D’une part, l’ancien chancelier Schröder a prôné l’expansion des relations avec Moscou et il a maintenant beaucoup de partisans. D’autre part, on constate une position étonnamment ferme de Merkel dans les affaires ukrainiennes. L’agressivité du monde occidental envers la Russie ne s’explique donc pas uniquement par la pression des Etats-Unis.

En effet, tout le monde s’attendait à une médiation active de Berlin dans la crise ukrainienne, mais ce n’a pas été le cas.


Emmanuel Todd: Il me semble que l’Allemagne s’engage de plus en plus dans une politique de force et d’expansion voilée. La réalité de l’Allemagne après la réunification est qu’elle a miné les structures étatiques fragiles en Europe. Rappelez-vous la défunte Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, et aujourd’hui il semble que ce soit le tour de l’Ukraine. Pour la plupart des Européens, l’Ukraine n’aucun intérêt particulier. Pas pour les Allemands. Depuis l’époque de la réunification, l’Allemagne a mis la main sur la quasi-totalité de l’ancien espace de domination soviétique et l’utilise à ses propres fins économiques et industrielles. En c’est, je pense, l’un des secrets de la réussite de l’économie allemande. Face à un grave problème démographique et un taux de fécondité faible, elle a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché. Donc, si vous restez dans cette logique, obtenir par exemple les deux tiers des travailleurs ukrainiens est une opération très bénéfique pour Berlin.

D’ailleurs, le 23 août, Angela Merkel a été la seule des chefs d’Etats de l’UE à se rendre en visite à Kiev à l’occasion de la célébration de l’indépendance de l’Ukraine.


Emmanuel Todd: D’après moi, c’était un événement marquant. Et je pense que Moscou l’a également remarqué.

Pourquoi, d’après vous, les États-Unis montrent-ils un tel zèle dans les affaires ukrainiennes?


Emmanuel Todd: Parce que leur stratégie vise à affaiblir la Russie. En l’occurrence par la crise ukrainienne. Mais n’oublions pas qui l’a provoquée. Après tout, le point de départ était la proposition de l’UE de conclure un accord d’association avec Kiev. Puis l’Union européenne a soutenu le Maïdan conduisant au coup d’Etat, qui s’est déroulé avec le consentement silencieux des capitales européennes. Quand les événements en Crimée se sont produits, les Américains ne pouvaient pas rester à l’écart, au risque de « perdre la face ». Les « faucons », partisans des idées de la Guerre froide, sont alors passés au premier plan pour définir la politique américaine vis-à-vis de la Russie. Je ne pense pas que les Américains souhaitent l’exacerbation de ces conflits, mais nous devons suivre de près jusqu’où pourrait aller leur désir de « sauver la face ». 
 

Emmanuel Todd: les libéraux occidentaux doivent applaudir les Russes Source, journal ou site Internet : Roussisskaia gazieta
Date : 15 octobre 2014
Auteur : interview d’Emmanuel Todd

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